02 mai 2015

Quia fratres vestri hic in vicinia Brittonum sunt : une communauté colombanienne dans le voisinage des Bretons armoricains au début du VIIe siècle ?



En 610 ou 611, Colomban est en exil à Nantes, ou dans les parages de la cité ligérienne : il attend son embarquement forcé à destination de l’Irlande et, compte tenu des difficultés auxquelles risquent d’être confrontés les moines de la communauté de Luxeuil, il envisage pour eux la solution d’un repli local, « attendu », leur écrit-il, « que vos frères sont ici dans le voisinage des Bretons » [1] ; mais de quels « frères » s’agit-il, comment faut-il entendre cet « ici »  et où doit-on localiser les Bretons ?

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Commençons par ce dernier point consistant à déterminer la partie du territoire de la Gaule qui, à l’époque où écrit Colomban, était passée sous le contrôle des Bretons : c’est justement dans les dernières décennies du VIe siècle, que le nom Britannia qui désignait originellement l’actuelle Grande-Bretagne « en vient, simultanément dans les œuvres de Grégoire de Tours († 594), Marius d’Avenches († 594), voire Fortunat († 600), à désigner aussi la partie de la péninsule armoricaine occupée par les Brittani (ou Britones) »[2]. Il faut remarquer que Grégoire emploie indifféremment Britannia au singulier – c’est le cas le plus fréquent – ou au pluriel, ce dernier « étant sans doute justifié par la division de la Bretagne armoricaine en plusieurs États jouissant d'une indépendance complète l'un vis-à-vis de l’autre »[3]. Faute d’une hypothèse plus péremptoire[4], la conjecture ancienne d’Auguste Longnon garde toute sa validité et Joëlle Quaghebeur a récemment proposé de lui trouver un prolongement dans l’histoire bretonne à l’époque carolingienne[5]. C’est encore Grégoire de Tours qui nous permet de fixer assez de vraisemblance sur la Vilaine, en particulier sur son cours inférieur[6], la frontière sud-orientale entre les Bretons et les populations gallo-franques : attestée sur le territoire de Rieux par le toponyme Tréfin (trifinium), qui marque les confins des cités des Vénètes, des Riedones et des Namnètes[7], cette limite devait être violée à plusieurs reprises par les Bretons durant le dernier quart du VIe siècle. Au nord, la frontière entre les cités des Coriosolites et des Riedones, sur laquelle nous ne disposons pas de témoignage probant[8], a elle aussi fait l’objet à la même époque de transgressions de la part de Bretons apparemment installés dans les parages de Corseul depuis le début du VIe siècle[9] : Grégoire de Tours mentionne aux années 578-579 et 588-590 des pillages à l’entour non seulement de la ville de Nantes, mais également de celle de Rennes (circa urbem… Namneticam atque Redonicam, circa urbis namneticam utique et Redonicam) ainsi que dans leurs « territoires » (terraturium Namneticum Redonicumque)[10]. Les dévastations dont il est question reflètent, au sud comme au nord de la péninsule, une incontestable « poussée » des Bretons[11] et témoignent d’une vraisemblable collaboration militaire entre ceux du Vannetais, lesquels obéissent à un prince du nom de Waroch, et ceux du nord, dont le leadership paraît avoir été assuré par un membre du clan des « Jud- »[12], un certain *Juthmaclus[13], Judmaël: lui et Waroch sont en tout cas placés sur un pied d’égalité par Grégoire dans son récit des négociations avec les envoyés du roi Gontran à propos de Nantes. Un raid dans la région de Rennes amène les Bretons jusqu’au chef-lieu du pagus des Carnutes locaux, à moins de dix kilomètres des murs de la cité épiscopale (Brittani quoque graviter regionem Redonicam vastaverunt incendio, praeda, captivitate ; qui usque Cornutium vicum debellando progressi sunt)[14] : peut-être cette opération constitue-t-elle  une  illustration de la coordination des troupes bretonnes que nous venons d’évoquer[15].
Quoi qu’il en soit, nous proposons de tracer sensiblement en ligne droite, depuis le fond de l’estuaire de la Rance jusqu’à celui de l’estuaire de la Vilaine, cette « frontière des Bretons » (Britannorum limes) évoquée par Frédégaire[16], tout en gardant à l’esprit que de nombreux dépassements, plus ou moins pérennes, de cette limite sont  intervenus sur les confins occidentaux du Nantais, du Rennais et sans doute de l’Avranchin. Peut-être même le territoire contrôlé par les Bretons s’est-il étendu, au moins temporairement, à une partie du Cotentin[17] ; mais, le cas échéant, il faudrait sans doute envisager une alliance entre des immigrés locaux et ceux de la côte nord de la péninsule armoricaine plutôt qu’une expansion de ces derniers. Le dépassement le moins mal connu concerne la partie occidentale du Nantais, assimilée à la presqu’ile guérandaise, entre la Vilaine au nord, la Brière à l’est, la Loire au sud et l’océan à l’ouest : la présence de Bretons dans cet espace peut se déduire de la toponymie locale, qui présente un profil onomastique similaire à celle de la zone située immédiatement au nord de la Vilaine, ce qui assurément dénote une colonisation précoce et durable[18] ; mais l’implantation bretonne est surtout connue par le rôle joué par l’évêque de Nantes, Félix, dans le règlement des nombreux conflits qu’elle semble avoir occasionnés[19].

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Passons maintenant à l’adverbe « ici » (hic) que Colomban applique à la localisation de ceux qu’il présente comme les frères des moines de Luxeuil : il s’agit à l’évidence d’un lieu qui ne saurait être véritablement éloigné de celui où séjourne le saint ; mais comment doit-on entendre cet adverbe ? Au sens strict, il convient sans doute de ne pas aller beaucoup plus au-delà des quelques milles qui formaient la defensaria de Nantes[20] : auquel cas, c’est à l’intérieur même de ce périmètre que se trouvait également l’endroit où séjournait Colomban. En revanche, au sens large, l’indication donnée par le saint doit probablement être comprise comme une référence à un territoire plus étendu, d’autant plus que cette précision était destinée à des religieux expressément désignés comme appartenant à la  Burgondie ou à l’Austrasie[21], qui a priori ne connaissaient pas Nantes et qui en étaient éloignés de plus de six cent cinquante kilomètres. A cette distance, le terme « ici » ne saurait en effet avoir la même acception que lorsqu’il est utilisé par des correspondants géographiquement proches et c’est ce sens large que nous pensons devoir retenir.

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Venons enfin aux « frères » (fratres) des moines de Luxeuil  dont il est question dans la lettre adressée par Colomban à ces derniers : un premier séjour du saint dans les parages de son débarquement pourrait expliquer que certains de ses disciples avaient alors fondé ou rejoint une communauté monastique locale[22] ; à moins que Colomban n’ait voulu désigner les moines qui l’avaient accompagné sur la route de l’exil et qui, dans l’attente de son départ, se seraient alors regroupés dans un établissement existant. Quoi qu’il en soit, il paraît exclu que Saint-Colomban, actuelle commune de la Loire-Atlantique, à 25 km au sud de Nantes, puisse conserver le souvenir d’une telle communauté, implantée, au dire de Colomban lui-même, dans le voisinage des Bretons[23]. En revanche, il existait bien un monastère, au demeurant le seul à notre connaissance, situé à proximité immédiate des populations bretonnes, aux confins orientaux de leur territoire du Broérec : nous voulons parler de *Tincillac, aujourd’hui la commune de Théhillac[24], sur la rive gauche de la Vilaine ; de l’autre côté du fleuve, se trouve le site antique de Rieux, où, comme nous l’avons dit, le toponyme Tréfin doit être considéré comme le vestige d’un point de rencontre (trifinium) aux confins des anciennes civitates des Namnètes, des Vénètes et des Coriosolites[25]. Venance Fortunat, dans sa biographie de saint Aubin, nous montre ce dernier, originaire du Vannetais[26], entré en religion à *Tincillac[27], dont il devint rapidement l’illustration, puis prenant la tête du monastère à l’âge de trente-cinq ans pour un abbatiat de quelques vingt-cinq années, avant d’être finalement appelé sur le siège épiscopal d’Angers pour un pontificat dont l’hagiographe nous indique qu’il a duré vingt ans et six mois.
Compte tenu de sa proximité avec Aubin, qu’il avait représenté au concile d’Orléans en 549[28], on peut supposer qu’un certain Sapaudus avait remplacé le saint comme abbé à *Tincillac. Grégoire de Tours rapporte que l’abbé Sabaudus, personnage important car il avait été jadis minister de Clotaire[29], avait, en compagnie d’un nommé Secondel, rejoint le reclus Friard pour tenter, sur l’île Vindunitta[30], une expérience cénobitique ; mais il avait fini par renoncer et, de retour à son monastère, il fut peu après passé par l’épée pour des raisons demeurées obscures[31]. Le lieu de la retraite érémitique de Friard faisait indiscutablement partie du territoire namnète[32] et son caractère explicitement insulaire, outre l’Océan, oriente les recherches du côté de la Loire ou bien des marais de la Brière : la localisation la plus fréquemment retenue est le bourg de l’actuelle commune de Besné, d’autant que Friard et Secondel font depuis le début du XIIe siècle au moins l’objet d’un culte local ; mais les formes anciennes du nom de Besné (Beene en 1116, Bethene, vers 1120) paraissent irréductibles à Vindunitta. D’autres sites sont sans doute envisageables, comme par exemple Venet en Cordemais, sur la Loire, attesté en 1198 et 1216 sous la forme Venez : dans ce cas, la distance avec Théhillac aurait été encore suffisamment courte et le réseau viaire suffisamment développé pour que Sabaudus pût sans difficulté garder le contact avec ce monastère, si du moins il s’agissait bien du sien.

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Naturellement, la part faite belle à l’hypothèse dans les lignes qui précèdent ne permet pas de conclure formellement sur la localisation de la communauté monastique à laquelle fait allusion Colomban ; mais la critique textuelle nous oriente vers la basse vallée de la Vilaine où les religieux concernés ont pu trouver refuge au sein du monastère qui conservait le souvenir de saint Aubin. Le culte vannetais de saint Colomban, certes attesté tardivement, mais vigoureux, qui se déploie de Malansac à Pluvigner en passant par Loyat et bien sûr Locminé, a-t’il essaimé à partir de Théhillac ?


André-Yves Bourgès





[1] W. Gundlach, « Columbae Sive Columbani Abbatis Luxoviensis et Bobbiensis Epistolae », Monumenta Germaniae Historica, Berlin, 1892 (Epistolae Merowingici et Karolini Aevi, 3), p. 169 : Quia fratres vestri hic in vicinia Brittonum sunt. La lettre 4 dont ce passage est extrait est datée par son éditeur des années 610-611.

[2] B. Merdrignac, « Présence et représentations de la Domnonée et de la Cornouaille de part et d’autre de la Manche », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 (2010), p. 83-84

[3] A. Longnon, Géographie de la Gaule au VIe siècle, Paris, 1878, p. 170.

[4] Dans son article, « Soldiers, Saints, and States? The Breton Migrations Revisited », Cambrian Medieval Celtic Studies 61 (Summer, 2011), p. 1-56, C. Brett examine (p.34-43) la question de l’existence, dans l’ouest de la péninsule armoricaine, d’États bretons que, selon cette chercheuse, la ‘vulgate’ historiographique continentale décrit sans preuves comme organisés sous la forme de « monarchies territoriales » (p. 36). Cette position est aussitôt révoquée en doute par C. Brett (p. 37-41), sans trop de difficultés d’ailleurs eu égard au déficit documentaire ; mais ses appels à la prudence, certes justifiés, finissent par conduire à une véritable sous-interprétation des sources, laquelle favorise un recours excessif aux arguments a silentio, que cette chercheuse dénonce chez les historiens des origines de la Bretagne.

[5] J. Quaghebeur, « Structures politiques et institutionnelles de la Bretagne au temps de Grégoire de Tours », Les saints bretons du pays vannetais Supplément au Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, Vannes (2003), p. 11-38 ; Eadem, « Princeps et Principatus dans les actes du cartulaire de Saint-Sauveur de Redon au IXe siècle », G. Constable et M. Rouche (dir.),  Auctoritas. Mélanges offerts au Professeur Olivier Guillot, Paris, 2006, p. 301. 

[6] J.-C. Cassard, « La basse Vilaine, une marche de guerre au haut Moyen Âge », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 110-1 (2003), p. 29-47.

[7] A.-Y. Bourgès, « 'Buttes-témoin’ toponymiques aux confins des anciennes civitates de la péninsule armoricaine : les noms composés avec le terme *trifin », L’Armorique gallo-romaine (avril 2015) [en ligne :] http://www.armorique-gallo-romaine.com/2015/04/buttes-temoin-toponymiques-aux-confins.html (consulté le 16 avril 2015).

[8] Voir cependant ci-dessous la seconde partie de la n.13.

[9] En 1984 (« Des cités et diocèses chez les Coriosolites et les Osismes », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 113, p. 98-99), puis à nouveau en 1988 (« Les paroisses bretonnes primitives », Histoire de la paroisse, Angers, p. 17-20) et encore en 1994 (« De l’origine des évêchés bretons », Britannia monastica, vol. 3, p. 13-16) le regretté B. Tanguy, que son expertise en matière de toponomastique désignait tout naturellement pour ce type de recherche, a renouvelé, dans trois études particulièrement pénétrantes, notre approche de la fameuse « affaire » touchant aux pratiques de Lovocat et Catihern (vers 507-511) : il a ainsi montré que ces deux prêtres, dont les noms sont indiscutablement bretons, étaient sans doute installés à proximité de Corseul, à Languedias,  « l’ermitage de Catihern ». Ce toponyme, noté Langadiar aux XIVe et XVe siècles,  fut lui-même probablement à l’origine de celui de Plélan, « la paroisse de l’ermitage », constituée, selon B. Tanguy, au détriment de Corseul. Dès 1986 (Communes bretonnes et paroisses d’Armorique, s.l. [Brasparts], p. 131), E. Vallerie avait de son côté conjecturé, en s’appuyant sur l’étude du maillage paroissial médiéval, que le territoire originel de Corseul pouvait avoir couvert une vaste étendue de près de 15 km de long sur quelques 10 de large, dont le démembrement  serait consécutif à l’action des immigrants bretons : ce territoire originel aurait été formé de Corseul, Quévert, Aucaleuc, Vildé-Guingalan (moitié nord), Saint-Maudez, Saint-Michel-de-Plélan, Saint-Méloir-près-Bourseul (moitié nord), Bourseul (moitié nord), (Nazareth), Languenan (moitié sud).

[10] Gregorius Turonensis, Decem Libri Historiarum, V, 31 ; X, 9 ; IX, 24.

[11] Réponse à un accroissement brutal de la population, volonté affichée de conquête territoriale renforcée par les rivalités politiques au sein de la dynastie mérovingienne, ou bien tout simplement goût prononcé pour le pillage et la rapine, particulièrement en ce qui concerne l’approvisionnement en vin, les motivations sans doute multiples des chefs bretons restent difficiles à démêler.

[12] B. Merdrignac, D’une Bretagne à l’autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, 2012, p. 243, évoque « le clan des « *Kon- » (= « chien », « guerrier », « chef » [ ?]: Chonomor, Chonober, Chanao) et celui des « *Jud- » (= iudex [ ?] : Judwal, Judael, Judicael, etc.) ».

[13] Ce nom est noté fallacieusement Vidimaclus dans la plupart des manuscrits.  A l’instar d’un autre membre, plus célèbre, du même clan, Judicaël, il est possible que ce Judmaël ait fait l’objet d’une « canonisation » par la vox populi : voir le nom de la commune costarmoricaine de Saint-Juvat (E. Vallerie, Traité de toponymie historique de la Bretagne, Le Relecq-Kerhuon, 1995, p. 237). – La situation géographique de Saint-Juvat, sur la rive gauche de la Rance, est intéressante à remarquer, car le cours inférieur de ce fleuve pourrait bien avoir constitué à haute époque la limite entre la civitas des Coriosolites et celle des Riedones : c’est du moins ce que suggère le nom d’Evran, déjà souligné par F. Merlet et R. Sancier. A noter également le toponyme Le Levran, en Iffendic, « qui semble bien montrer que la frontière quittait la Rance à partir d'Evran pour se diriger droit vers le sud, dans la direction » de cette commune,  comme l’a écrit R. Sancier en 1968 ; mais l’hypothèse n’était supportée à cette époque que par l’étymologie d’Iffendic qui, contrairement à ce que pensait ce chercheur, ne peut s’expliquer par le terme fines.

[14] Gregorius Turonensis, Decem Libri Historiarum, V, 28.  – Il nous semble que cette localité, dont le nom paraît avoir été formé à partir de celui du pagus Carnutenus, doit être identifiée avec Chartres-de-Bretagne plutôt qu’avec Corps-Nuds.

[15] Cf. L. Pietri, « Grégoire de Tours et les Bretons d’Armorique : la  chronique d’un double échec », », J.-C. Cassard, P.-Y. Lambert, J.-M. Picard et B. Yeurc’h (dir.), Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac (= Britannia monastica, 17), Landévennec, 2013, p. 127-128.

[16] Fredegarius Scholasticus, Chronicum, § 20 : « Anno 5 regni Theuderici, iterum signa quae anno superiore visa fuerant, globi ignei per coelum currentes, et ad instar multitudinis hastarum ignearum ad occidentem apparuerunt. Ipsoque anno Theudebertus et Theudericus reges contra Chlotharium regem movent exercitum, et super fluvium Aroannam, nec procul a Doromello vico, praelium confligentes junxerunt. Ibique exercitus Chlotharii gravissime trucidatus est. Ipsoque cum his qui remanserunt in fugam verso, pagos et civitates ripae Sigonae, qui se ad Chlotharium tradiderant, depopulantur et vastant. Civitates ruptae, nimis pluritas captivorum ab exercitu Theuderici et Theudeberti exinde ducitur. Chlotharius oppressus, vellet nollet, per pactionis vinculum firmavit, ut inter Sigonam et Ligerem usque mare Oceanum et Britannorum limitem pars Theuderici haberet; et per Sigonam et Isaram Ducatum integrum Dentelini usque Oceanum mare Theudebertus reciperet. Duodecim tantum pagi inter Isaram et Sigonam et mare littoris Oceani Chlothario remanserunt ».

[17] P. Lajoye, « De quelques notables bretons en ‘Normandie’ au haut Moyen Âge », Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac, p. 147-152 croit pouvoir déceler dans la documentation la présence  d’ « un comte breton à Coutances » à la charnière des VIe-VIIe siècles ; mais la finesse de ses arguments, tant du point de vue historique que philologique, ne donne pas suffisamment de force à sa démonstration pour emporter véritablement l’adhésion. En revanche, ce chercheur a raison de rappeler « que l’immigration bretonne sur le continent ne s’est pas cantonnée à l’actuelle Bretagne, mais a touché à des degrés plus ou moins variés toute la côte sud de la Manche ».

[18] J.-Y. Le Moing, Les noms de lieux bretons de Haute-Bretagne, Spézet, 1990, p. 30-32, 296, 317-318 et p. 446 la carte 2.

[19] Venantius Fortunatus, Carminum Epistularum Expositionum, III, 5, 8 ; Gregorius Turonensis, Decem Libri Historiarum, IV, 4 ; V, 31.

[20] L’existence d’une telle defensaria est attestée sous le nom de quinte (quinta, quintana) pour les chef-lieux des autres cités gallo-franques de la province de Tours (Tours, Angers, Le Mans et Rennes).

[21]Le roi Thierry ne leur donne pas licence de quitter les lieux pour accompagner leur abbé en exil à raison de leur origine gauloise : B. Krusch [éd.], « Vitae Columbani abbatis discipulorumque ejus libri II », Ionae Vitae sanctorum Columbani, Vedastis,  Iohannis, Hanovre, 1905 (Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum  ex Monumentis Germaniae historicis separatim editi), p. 196.

[22] J.-M. Picard, « L'Irlande et la Normandie avant les Normands (VIIe-IXe  siècles) », Annales de Normandie, 47-1 (1997), p. 6 ; mais ce chercheur, qui fait fond sur la tradition d’un premier débarquement de Colomban  dans la vallée de la Rance, situe en conséquence cet hypothétique monastère dans les parages de Saint-Malo [= Alet].

[23]A.-Y. Bourgès, « Sur l’itinéraire aller de Colomban, depuis l’Irlande jusqu’en Burgondie », Hagio-historiographie médiévale (mai 2015) [en ligne :]  http://www.hagio-historiographie-medievale.org/2015/05/sur-litineraire-aller-de-colomban.html (consulté le 2 mai 2015).

[24] Cette identification, proposée par L. Maître dès 1893 a été depuis confirmée par E. Vallerie, Traité de toponymie historique de la Bretagne, Le Relecq-Kerhuon, 1995, p. 256-257, sur la base d’une argumentation philologique serrée qui ne laisse plus guère de place au doute.

[25] Voir supra n. 7.

[26] Venantius Fortunatus, Vita sancti Albini, I : Veneticae regionis, oceani britannici confinis, indigena.

[27] Ibidem : Mox autem in Tincillacensi monasterio tanta animi humilitate domino placiturus se subdidit.

[28] J. Gaudemet et B. Basdevant, Les canons des conciles mérovingiens (VIe-VIIe siècles), 1, Paris, 1989 (Sources chrétiennes, 353), p. 326 : Sapaudus abbas directus a domno meo Albino episcopo ecclesiae Andicauensis subscripsi.

[29] Gregorius Turonensis, Vitae Patrum, X, 2 : Abbas Sabaudus, qui quondam regis Clotarii minister fuerat.

[30] Ibidem : Vindunitensem Namnetici territorii insulam.

[31] Ibid. : Ad monasterium rediit, nec multo post, occultis de causis, gladio est peremptus. Nous sommes enclin, pour notre part, à mettre cette fin tragique en rapport avec la situation politico-géographique de l’abbaye sur la frontière souvent transgressée par les Bretons du Vannetais : nous y reviendrons à l’occasion d’un travail intitulé : « Un monastère mérovingien des confins gallo-bretons : *Tincillac nunc Théhillac » (en préparation).


[32] Voir supra n. 30.

Sur l’itinéraire aller de Colomban, depuis l’Irlande jusqu’en Burgondie



Le récit de Jonas manque singulièrement de précision s’agissant de la première partie de l’apostolat continental de Colomban : l’hagiographe rapporte comment le saint de ses compagnons passèrent dans les Gaules depuis les « rivages britanniques » (A Brittanicis ergo sinibus progressi ad Gallias tendunt) où ils avaient précédemment abordé en provenance d’Irlande et où ils s’étaient arrêtés quelque temps pour se remettre de leur rapide traversée (pernici cursu ad Brittanicos perveniunt sinus ; paulisper ibidem morantes vires resumunt). C’est à l’occasion de cette brève étape qu’ils avaient résolu, après discussion, de fouler de leurs pieds les « plaines gauloises » (arva gallica planta terere) ; mais s’il devait leur apparaitre que leur apostolat n’y recevait pas l’accueil souhaité, ils ne feraient que traverser le pays en direction des peuples voisins (ad vicinas nationes pertransire). Le texte[1], en dépit de son apparente linéarité, se révèle passablement embrouillé. Si nous mettons de côté le débat récurrent de savoir si Jonas fait allusion au littoral de la Grande-Bretagne ou bien à celui de la Bretagne armoricaine[2], – si nous renonçons en particulier à faire fond sur ce texte pour décider si, à son arrivée sur le continent, Colomban est effectivement passé par le territoire qui était alors occupé par les Bretons[3] – il nous semble qu’une autre interprétation est possible : s’inspirant peut-être de son aîné et compatriote Venance Fortunat qui, comme le souligne Patrick Marquand, « fait plusieurs fois allusion à l’océan britannique, toujours en relation avec la Loire, le pays de Vannes ou le Poitou »[4], Jonas pourrait ainsi, indépendamment de la présence bretonne dans l’ouest et le nord de la péninsule armoricaine, avoir qualifié « britannique » la partie du littoral située de part et d’autre de l’embouchure de la Loire[5]. Ce constat vient élargir le champ des hypothèses en offrant à la discussion la possibilité que Colomban ait pris pied sur le continent avec ses compagnons dans les mêmes parages que ceux où, une vingtaine d’années plus tard, il sera conduit pour embarquer sur un navire à destination des rivages d’Irlande[6] : la confirmation en est d’ailleurs implicitement donnée par Baudulfe et Berthier qui, chargés de transmettre à Colomban l’ordre d’exil donné par Thierry et s’adressant au saint en style direct, lui demandent instamment de sortir du monastère et d’accomplir jusqu’au bout le chemin par lequel il était autrefois venu en ces lieux [7]. Certes il convient de se garder de trop solliciter un texte dont nous venons d’indiquer qu’il pouvait se révéler à l’occasion particulièrement équivoque ; mais nous espérons montrer que cette conjecture se révèle moins gratuite qu’il n’y paraît à première vue et qu’elle recèle un véritable potentiel heuristique, s’agissant des débuts du saint dans les Gaules, d’autant que le laconisme de l’hagiographe a généralement été interprété par la critique historique comme le reflet de « la faiblesse de l’information de Jonas sur cette période de la vie de Colomban »[8].

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Comme l’a souligné Guy Souillet, la Loire, suite aux conquêtes franques de la seconde moitié du Ve siècle, était alors devenue pour longtemps la « route normale » entre les îles Britanniques et le cœur des Gaules[9] ; situation qui s’est trouvée renforcée pendant plus d’un demi-siècle par la longue guerre successorale ouverte en 561 entre les descendants de Clotaire 1er, dont a fait état Jean-Michel Picard dans le cadre de la journée d’étude de Luxeuil :  voilà qui permet de douter de l’affirmation tardive, sur laquelle a fait fond Dom Gougaud,  du chroniqueur de Saint-Riquier, Hariulf, sur le débarquement de Colomban, accompagné de Chaidoc et Fricor, « dans le voisinage des lieux où devait s’élever plus tard le monastère de Centule »[10].  De plus, la Loire a permis, durant le Haut Moyen Âge, le transport du sel atlantique depuis les lieux de production proches, marais salants de Guérande ou bien de la Baie[11], jusqu’à La Ronce, le port de Châteauneuf-sur-Loire, où, avec les autres marchandises à destination de la Burgondie, il alors était déchargé. Le transport se prolongeait ensuite par voie terrestre, en suivant un itinéraire antique encore connu localement sous le nom de « chemin du sel »  ou « chemin des Bourguignons », qui conduisait jusqu’à Auxerre[12] : un acte daté 816 témoigne de l’approvisionnement en sel et en autres marchandises (propter sal et cetera commercia) des moines de Saint-Germain qui, cette année-là, obtinrent de Louis le Pieux la confirmation de l’exemption de toute taxe que leur avaient jadis accordée Charles son père et Pépin son aïeul, ainsi que les rois des Francs ses prédécesseurs (antecessorum nostrorum regum videlicet Francorum), pour les quatre navires que l’abbaye faisait circuler sur la Loire et sur d’autres fleuves[13].
Comme le commerce du sel atlantique, que venait doubler à l’occasion celui du vin, était également très florissant à destination des îles Britanniques et particulièrement de l’Irlande[14], laquelle en échange, fournissait cuirs et peaux[15], c’est tout un courant d’affaires de grande ampleur –  dont l’axe fluvio-routier continental reliait par la Loire les salines atlantiques à Auxerre, et cette dernière cité à Chalon puis Besançon[16]  qui mettait ainsi en relation constante l’extrême occident insulaire de l’Europe avec les confins de l’Austrasie et de la Burgondie.
Par ailleurs, l’hypothèse que nous soumettons à la critique permet de rendre compte, au moins partiellement, de la sécheresse du récit de Jonas :  l’hagiographe ayant prévu de raconter par le menu le voyage de Colomban depuis Luxeuil jusqu’à Nantes, épisode resserré sur deux à trois semaines et pour lequel il disposait d’une information abondante et précise, il est possible qu’il ait négligé de décrire l’itinéraire inverse suivi par le saint à l’aller, d’autant que le souvenir qui en était conservé reposait sur des témoignages plus anciens, nécessairement plus rares et sans doute moins substantiels.
Demeure une question essentielle à laquelle il est important d’apporter quelques éléments de réponse en interrogeant de façon croisée, dans le prolongement de notre hypothèse, les informations qui figurent dans l’ouvrage de Jonas et dans les lettres de Colomban[17] : il s’agit de la mention de Sigebert, mort en 575, au chapitre 6 de la vita[18]. Cette mention en effet « reste inexpliquée »[19] dans le cadre d’une chronologie qui situe aux années 590-591 l’installation du saint dans les Vosges ; chronologie au demeurant connue de l’hagiographe[20] et qui paraît corroborée par Colomban lui-même[21].

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A moins qu’une cacographie du nom de Childebert ne se soit imposée dans le texte dont dérivent tous les manuscrits utilisés par Krusch, à l’exception du n° 523 de la bibliothèque de Metz (détruit en 1944), c’est bien celui de Sigebert qui figurait dans le récit de Jonas ; mais il reste à comprendre le pourquoi de sa mention – plutôt que celle de son frère Gontran, dont l’autorité s’étendait à la  Burgondie, ou bien de Childebert, le neveu de ce dernier, qui, déjà à la tête de l’Austrasie, régna conjointement, après la mort de son oncle en 593 ou 594[22], sur les Burgondiens – car les raisons traditionnellement invoquées pour expliquer ce que l’on considère tantôt comme une bévue, tantôt comme une manipulation de l’hagiographe manquent singulièrement de force : ainsi l’ignorance supposée de Jonas s’agissant de l’histoire des rois francs[23] semble d’autant moins vraisemblable qu’il appartenait à l’aristocratie de Suse, ville « confiée » en 575, ou peu après, par le magister militum Sisinnius à Gontran et depuis intégrée au sein de la Burgondie[24] ; quant à imaginer que, par un artifice dérisoire, même si on en trouve le principe dans la vita Martini de Sulpice Sévère[25], il s’efforçait de dissimuler que Colomban aurait quitté, âgé, l’Irlande, aussi tardivement que dans les années 590-591, c’est faire peu de cas de sa référence explicite à cette dernière période comme étant celle où le saint s’était établi au désert[26] et non pas celle de sa venue dans les Gaules.
Ne faut-il pas plutôt supposer que, si le nom de Sigebert est venu sous la plume de Jonas, c’est parce qu’il figurait bien dans la maigre documentation de l’hagiographe sur cette période de la vie de son héros ? Le télescopage chronologique qui a entrainé la confusion avec Gontran ou Childebert sur le même créneau de datation ne remet pas en cause l’arrivée sur le continent, avant 575, de Colomban, âgé d’une trentaine d’années, par la Baie ou par un port de la rive sud de l’estuaire de la Loire, puisque, depuis 567, Sigebert avait étendu son autorité au territoire de l’immense diocèse de Poitiers, dont le fleuve constituait la limite septentrionale. En tout cas, l’imprégnation ‘scotique’ de l’Herbauge septentrionale paraît avérée comme en témoigne à Bouguenais le village des Couëts, dont on peut supposer qu’il formait à l’origine un quartier de l’importante agglomération fluvio-portuaire de Rezé[27] et « dont le nom préserve le souvenir d’une communauté irlandaise »[28]. Il serait fort imprudent de conjecturer qu’il s’agissait d’un établissement à vocation monastique et, plus encore, de vouloir reconnaître dans cette communauté celle dont parle Colomban à l’époque de son exil dans les parages nantais en 610 ou 611 : il envisage alors pour ses moines demeurés à Luxeuil la solution d’un repli local, « attendu », leur écrit-il, « que vos frères sont ici dans le voisinage des Bretons » (quia fratres vestri hic in vicinia Brittonum sunt)[29] ;  mais, quand bien même les Bretons dont il est question auraient déjà été établis à demeure dans la presqu’île guérandaise, la situation décrite ne peut correspondre à Rezé, située outre Loire et donc fort éloignée de cette éventuelle implantation bretonne. A fortiori, il faut exclure qu’il puisse s’agir de l’actuelle localité de Saint-Colomban, dont le nom est attesté pour la première fois en 1119 (sancti Columbani)[30], commune limitrophe de celle de Saint-Philbert-de-Grandlieu (Deas) et autrefois, comme cette dernière, dépendance de l’abbaye fondée sur l’île de Noirmoutier (Herio) par saint Philibert, dont on a souvent souligné la proximité colombanienne[31]. En revanche, si l’on prend en compte la possibilité du débarquement et du séjour de Colomban en Herbauge, cet hagio-toponyme est un indice qui mérite toute notre attention.

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Il convient donc de distinguer entre la première partie de l’apostolat de Colomban, sur laquelle Jonas ne disposait que de peu d’éléments d’information, et la seconde, à partir des années 590-591, assez bien documentée. Cependant, même s’agissant de cette dernière époque pourtant beaucoup plus proche de celle où travaillait l’hagiographe, certaines périodes de l’existence du saint sont également restées dans l’ombre : tout est évidement conditionné par le nombre et la qualité des témoins. En tout état de cause, cette ombre enveloppe presque totalement les quelques vingt années ou plus qui ont pu précéder l’établissement de Colomban en Bourgogne. La situation des Églises gauloises à cette époque a inspiré un constat très négatif à Jonas qui décrit l’anéantissement presque complet du principe religieux, provoqué soit par le zèle d’ennemis venus de l’extérieur, soit par la négligence des évêques[32] ; mais ce poncif hagiographique a-t’il quelque chance de refléter la réalité ? Qui sont, par exemple, les ennemis extérieurs de la religion chrétienne, à moins que cette formule ne désigne les Francs pourtant convertis et dont l’autorité s’étendait désormais à l’ensemble des Gaules, excepté la Septimanie wisigothe ? Quant aux prélats, la stratégie de reconversion de l’aristocratie sénatoriale gallo-romaine, qui vit tant de ses membres truster les sièges épiscopaux[33], semble avoir plutôt renforcé l’encadrement religieux des populations indigènes pour qui le rôle joué par l’évêque, avec l’appui du saint patron de la cité, était essentiel, en particulier dans sa dimension de médiation avec le pouvoir civil[34] ; mais effectivement bon nombre d’évêques négligents, ou du moins indifférents, étaient avant tout préoccupés des aspects mondains ou politiques de leur carrière, d’autant que leur nomination appartenait au roi et que celui-ci s’en servait pour récompenser ceux dont il attendait en retour services et obéissance, sinon complaisance à son égard[35]. Jonas apparaît plus original quand il déplore que, si la foi chrétienne était encore vive, le recours aux remèdes de la pénitence et à la mortification était inexistant[36]. Un tel reproche semble cependant injustifié dans la mesure où ces pratiques pénitentielles tarifées n’étaient encore véritablement connues au sein des Églises gauloises[37]. C’est d’ailleurs pour une large part à l’action de Colomban que l’on doit leur développement[38], au travers d’une véritable politique de redressement préconisée par le saint : la description qu’en donne Jonas s’apparente à une collection de topoi hagio-monastiques[39], dont plusieurs constituent des échos de la règle colombanienne[40]. L’on peut ainsi constater que le discours de Jonas relève en l’occurrence d’une sorte de rhétorique circulaire, qui, là encore, n’apporte pas de précisions sur la chronologie et les circonstances de la supposée première partie de la carrière continentale de Colomban. Au surplus, la présente notule est déjà suffisamment marquée au coin de l’hypothèse pour que nous renoncions à élargir davantage sa dimension conjecturelle s’agissant de cette question.


André-Yves Bourgès




[1] B. Krusch [éd.], « Vitae Columbani abbatis discipulorumque ejus libri II », Ionae Vitae sanctorum Columbani, Vedastis,  Iohannis, Hanovre, 1905 (Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum  ex Monumentis Germaniae historicis separatim editi), p.160-161.
[2] L. Gougaud, « Un point obscur de l'itinéraire de saint Colomban venant en Gaule », Annales de Bretagne, 22-2 (1906), p. 327-343, suivi par J. Roussel, « L’itinéraire suivi par saint Colomban d’Irlande en Gaule », Procès-verbaux et mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon (1929-1930), p. 128-144,  a contesté avec des arguments plus ou moins pertinents l’interprétation de Krusch (p. 160, n. 2) pour qui il s’agit de la Bretagne armoricaine et M.-M. Dubois, Un pionnier de la civilisation occidentale : saint Colomban, Paris, 1950, p. 38, a proposé de localiser à Newquay, non loin de St Columb Minor, le lieu de débarquement de Colomban en Cornwall. Pour sa part, A. de Voguë [trad.], Jonas de Bobbio, Vie de saint Colomban et de ses disciples, Bégrolles-en-Mauges, 1988 (Vie monastique, 9), p. 109, n. 8, reste plutôt sur la ligne de Krusch, de même que F. Kurzawa, « Saint Colomban, figure emblématique du monachisme irlandais », Les moines irlandais dans la Lorraine médiévale, Metz, 1999, p.62, qui, loyalement, rappelle les oppositions dont elle fait l’objet.
[3] Jonas attribue explicitement à un compagnon du saint nommé Gurgan une origine bretonne (V. Columbani, p. 174) et surtout signale (Ibidem, p. 196) qu’en vertu des dispositions prise par le roi Thierry, seuls les Bretons et les compatriotes de Colomban furent autorisés à accompagner ce dernier dans son exil (nisi eos quos sui ortus terra dederat, vel qui e Brittanica arva ipsum secuti fuerant). Gougaud au terme de sa démonstration a conclu qu’il ne pouvait s’agir que de Bretons insulaires (p. 340-342) ; mais, quand bien même cela serait, il ne nous semble pas, comme à cet érudit, que la formulation de Jonas permette d’affirmer positivement que Colomban était passé dans leur pays, mais simplement que, originaires des « terres bretonnes », ils avaient depuis suivi le saint, – ce qui, au demeurant, pourrait aussi bien s’entendre et finalement mieux se comprendre s’il s’agissait de Bretons de la péninsule armoricaine. Et voir également B. Judic, « La notion d'Europe chez saint Colomban: de la romanité à la chrétienté »,  O. Wattel de Croizant [dir.], D'Europe à Europe III. La dimension politique et religieuse du mythe de l'Europe de l'Antiquité à nos jours, Tours, 2002, (Caesarodunum hors-série), 2002. Chapitre d’ouvrage (avril 2014), p. 5 [en ligne] : https://hal-univ-tours.archives-ouvertes.fr/hal-00968977/document (consulté le 17 avril 2015), qui suggère avec finesse que « Jonas pourrait bien utiliser la notion de Bretagne dans un sens “ethnique” couvrant aussi bien l’ancienne Bretagne romaine que la Bretagne armoricaine ».
[4] P. Marquand, « Mare britannicum, une dénomination de l'espace maritime atlantique », Études celtiques, 39 (2013). Pré-publication (septembre 2011), p. 2 [en ligne] : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00624187/document (consulté le 17 avril 2015).
[5] Jonas, V. Columbani, p. 198, précise ainsi que l’escorte qui accompagnait le saint sur la route de l’exil fit en sorte de le faire monter à bord d’un bateau sur la Loire et de le rendre ainsi au rivage breton (ut Ligeris scafa reciperetur Brittanicoque sinu redderetur).
[6] Ibidem, p. 205 : navis quae sinibus Hiberniae reddatur.
[7] Ibid., p. 194-195 : egressusque pergas eo itinere quo primum his adventasti in locis.
[8] Judic, p. 5.
[9] G. Souillet, « Chronique de toponymie », Annales de Bretagne, 66-4 (1959), p. 476-477.
[10] Gougaud, p. 330.
[11] Aujourd’hui la baie de Bourgneuf. Cf. M. Metzeltin, « Eine neue romanische Etymologie von fr. baie », Vox romanica, 26 (1967), p. 249-276.
[12] P. Le Roy, « Notes sur la topographie du Gastinois aux époques celtique et gallo-romaine », Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, 1 (1883), p. 50-51 ; P. Domet, Histoire de la forêt d’Orléans, Orléans, 1892, p. 302 ; J. Soyez, Les voies antiques de l’Orléanais, Orléans, 1971 (Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, Numéro hors série), p. 72-75.
[13] M. Quantin, Cartulaire général de l’Yonne, 1 (1854), p.29.
[14] L’article ancien d’A.A. Lewis, « Le commerce et la navigation sur les côtes de la Gaule du Ve  au VIIIe  siècle », Le Moyen Âge, 59 (1953), p. 271-274, donne des références encore utiles à consulter sur le commerce maritime avec l’Irlande et l’Angleterre à cette époque, références récemment reprises, s’agissant de l’Irlande, par M. Comber, « Trade and Communication Networks in Early Historic Ireland », The Journal of Irish Archeology, 10 (2001), p. 82. – On voit dans la vita de Ciaran des marchands proposer du vin de Gaule aux moines de Cloncmanoise ; mais il apparaît que l’hagiographe tardif s’est inspiré en l’occurrence de la vita de Columba par Adomnan où il est effectivement de marins gaulois qui font escale dans la capitale du royaume de Dall Riata. Giraud de Cambrie, dans sa Topographia Hibernica (XIIe siècle), évoque la présence sur le marché irlandais de grandes quantités de vins en provenance du Poitou (Pictavia ei copiose vina transmittit). Pour une évaluation de ces différents témoignages, notamment ceux de nature hagiographique, voir la synthèse de J.-M. Picard, « Aquitaine et Irlande dans le Haut Moyen Age », Aquitaine and Ireland in the Middle Ages, Dublin, 1995, p. 20-26 : s’agissant de l’ouvrage de Jonas sur Colomban, ce chercheur souligne (p. 23) que « les chapitres I, 22 et 23 de la Vita sont bien connus des historiens et ne laissent aucun doute sur la régularité des contacts commerciaux entre l'Irlande et la vallée de la Loire à la fin du VIe siècle. Quand Colomban arrive à Nantes, les autorités locales n'ont aucune peine à lui trouver sans délai un navire marchand pour le ramener dans son pays. Les marchandises que de riches dames donnent aux moines irlandais indiquent le genre de denrées qui faisaient l'objet du commerce maritime dans la région: Colomban reçoit de Procula cent muids de vin, deux cent de blé et cent de céréales à faire de la bière et Doda lui fait envoyer deux cent muids de blé et cent de méteil ».
[15] La vita Philiberti mentionne l’arrivée à Noirmoutier de navires scots chargés de marchandises diverses, notamment des chaussures et des vêtements destinés aux moines.
[16] La ‘carte routière’ locale à l’époque mérovingienne a été dressée et commentée par M. Kasrpzyk et P. Nouvel, « Du val de Saône au nord-ouest de la Gaule : le passage du Morvan de la fin de la Protohistoire au haut Moyen Âge », J.-P. Le Bihan et J.-P. Guillaumet [dir.], Lieux de passages et passages obligés, actes du Colloque international d’Ouessant, 27 et 28 septembre 2007, Quimper, 2010, p. 134-152. Elle nous fait connaître l’itinéraire d’Auxerre à Luxeuil : compte-tenu des contraintes de relief et d’hydrographie, cet itinéraire, bien attesté, emprunté notamment par Dagobert et Clovis II, se dirigeait d’abord sud-est vers Chalon par Saint-Moré, Avallon et Autun ; puis, à Chalon, il obliquait nord-est, en empruntant la voie en direction de Besançon, et laissait sur sa gauche Verdun-sur-le-Doubs, Losne (où passèrent les deux monarques que nous avons mentionnés), ainsi que Seurre. Enfin, par la voie de Besançon à Plombières, on rejoignait Luxeuil, comme on le voit à trois reprises chez Jonas. En revanche, il est à noter que l’hagiographe nous laisse dans l’incertitude quant au trajet suivi entre Besançon et Autun par Colomban lors de son exil et on ne peut exclure que le saint et son escorte aient emprunté à cette occasion la voie qui reliait directement ces deux cités, même si Chalon apparaît à bien des égards comme une « étape ‘obligée’ » (Ibidem, p. 234).
[17] W. Gundlach, « Columbae Sive Columbani Abbatis Luxoviensis et Bobbiensis Epistolae », Monumenta Germaniae Historica, Berlin, 1892 (Epistolae Merowingici et Karolini Aevi, 3), p. 154-190.
[18] Jonas, V. Columbani, p. 162-163.
[19] Vogüe, p. 43, n. 26.
[20] Jonas, V. Columbani, p. 197 : « Egressus ergo vir sanctus cum suis vicesimo anno post incolatum heremi illius »
[21] Columbani Epist., p. 162 : « ‘Amen dico vobis quia numquam novi vos’, ut mihi liceat cum vestra pace et caritate in his silvis silere et vivere iuxta ossa nostrorum fratrum decem et septem defunctorum, sicut usque nunc licuit nobis inter vos vixisse duodecim annis, ut pro vobis, sicut usque nunc fecimus, oremus ut debemus. Capiat nos simul, oro, Gallia, quos capiet regnum caelorum, si boni simus meriti : unum enim regnum habemus promissum et unam spem vocationis in Christo, cum quo conregnabimus si tamen prius hic cum eo patiamur, ut et simul cum eo glorificemur ». La lettre 2 dont ce passage est extrait est datée par son éditeur des années 603 ou 604.
[22] G. Monod, Études sur les sources de l'histoire mérovingienne, 1, Paris, 1872 (Bibliothèque de l’École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques, 8), p. 152-153.
[23] Krusch, p. 53-54.
[24] D. Bullough, « The Career of Columbanus », M. Lapidge [éd.], Columbanus : Studies on the Latin Writings (Studies in Celtic history, 17), p. 1, n. 1.
[25] Vogüe, p. 44.
[26] Voir supra n. 20.
[27] F. Guérin, S. Deschamps, L. Pirault, J. Pascal, «  Ratiatum (Rezé, Loire-Atlantique) : origines et développement de l'organisation urbaine », Revue archéologique de l'ouest, 9 (1992), p. 111. 
[28] J.-M. Picard, « L’Irlande et la Normandie avant les Normands (VIIe-IXe siècles) », Annales de Normandie, 47-1 (1997), p. 20, n. 79. – Les premières attestations ne remontent pas plus haut que le XIIe siècle ; mais elles ne laissent guère de place au doute : on a ainsi ecclesia sanctae Mariae Scotiae en 1127, puis  ecclesiam sanctae Mariae in Scotia en 1146, et enfin ecclesiam sanctae Mariae quae dicitur Scotia en 1162. La découverte à Rezé au XIXe siècle d’un tesson de céramique gallo-romaine portant la signature d’un potier nommé Scot(t)ius a parfois fait croire que cet artisan était à l’origine du toponyme ; mais, malgré cette troublante et séduisante coïncidence, il faut renoncer à cette identification car, comme en témoigne l’étude de sa production largement disséminée en Gaule et au-delà,  Scot(t)ius exerçait son art à la Graufesenque.
[29] Columbani Epist., p. 169. La lettre 4 dont ce passage est extrait est datée par son éditeur des années 610-611.
[30] Acte n°264175, Chartae Galliae, éd. B.-M. Tock, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, 2014. (Telma). [En ligne] http://www.cn-telma.fr/chartae-galliae/charte264175/ (consulté le 17 avril 2015).
[31] Peut-être ce rapprochement caractérise-t-il plutôt la vision de l’hagiographe de Philibert que celle du saint : cf. en dernier lieu I. Cartron, Les pérégrinations de Saint-Philibert: genèse d'un réseau monastique dans la société carolingienne, Rennes, 2009, p. 199-201.
[32] Jonas, V. Columbani, p. 161 : vel ob frequentia hostium externorum vel neglegentia praesulum religionis virtus pene abolita habebatur.
[33] J.-P. Chaline, « Structures de sociabilité et stratégies familiales », F. Thelamon (dir.), Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté. Actes du colloque de Rouen, 12-13 novembre 1987, Rouen, 1989, p. 127-128.
[34] B. Beaujard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D’Hilaire de Poitiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000, p. 443-446.
[35] On trouvera une première approche de la situation contrastée de l’épiscopat gallo-franc à cette époque, en parcourant les pages évidemment vieillies, mais toujours utiles à consulter, que Mgr Duchesne a consacrées à « L’Église dans la Gaule franque » dans son ouvrage posthume sur L’Église au VIe siècle, Paris, 1925, p. 486-550.
[36] Jonas, V. Columbani, p. 161 : Fides tantum manebat christiana, nam penitentiae medicamenta et mortificationis amor vix vel  paucis in ea repperiebatur locis.
[37]  C. Vogel, « La discipline pénitentielle en Gaule des origines au IXe siècle : le dossier hagiographique », Revue des Sciences Religieuses, 30-1 (1956), p. 7.
[38] Voir la place centrale occupée par le pénitentiel du saint dans le dispositif en question.
[39] Jonas, V. Columbani, p. 161-162.
[40] Vogüe, p. 110, n. 2 ; p. 111, n. 6, 8 et 9.