15 juillet 2015

Hagiothérapie et démonologie dans le diocèse de Vannes au XVe siècle : Colomban, Jean Baptiste, Vincent Ferrier et le cas de possession de la femme de Mathurin Gaultier


La partie bretonne de l’enquête de canonisation de Vincent Ferrier fournit la première attestation, tardive donc, mais datée et irréfutable, du recours hagiothérapeutique à saint Colomban de Locminé et offre à voir une nouvelle manifestation du phénomène bien connu de compétition en Bretagne entre différents saints guérisseurs, ou du moins entre leurs sanctuaires[1]. Au-delà de la mention rapide, mais explicite, des sanctuaires concernés, sont rapportés, en plus du point de vue de la bénéficiaire du miracle, ceux de trois autres personnes qui, après avoir été les témoins de sa maladie, le furent également de sa guérison[2] ; en dépit de leur concision et de leur caractère stéréotypé – lequel n’est pas pour autant exclusif d’une certaine spontanéité car en l’occurrence le latin des scribes épouse la syntaxe du français[3], comme l’ont fait remarquer souvent avec sévérité les historiens[4] – ces déclarations sont particulièrement intéressantes car elles ouvrent d’intéressantes perspectives sur l’arrière-plan de l’anecdote en question.


De quoi s’agit-il ?

La femme de Mathurin Gaultier, une certaine Jeanne, âgée de 28 ans, paroissienne de Saint-Patern de Vannes, auditionnée dans cette cité par les commissaires en avril 1454, rapporte que, sept ans auparavant, elle avait été affligée d’une terrible infirmité qui devait la tourmenter quelques trois années durant : ses cuisses, ses jambes et ses pieds étaient gonflés comme si elle était atteinte d’hydropisie et son visage lui donnait l’apparence d’une lépreuse, tandis qu’elle ressentait une grande douleur dans la poitrine et dans d’autres parties du corps au point qu’elle pouvait à peine manger, boire et dormir et même, la dernière année, marcher ou se déplacer d’un endroit à un autre, étant comme paralysée. Il se disait chez tous ceux qui la voyaient qu’elle avait été envoutée ou empoisonnée (et ab omnibus qui eam videbant dicebatur fuisse invultuatam vel intossicatam). Bien que s’étant vouée à plusieurs saints et ayant  recherché auprès d’eux différents remèdes, elle n’avait pu en obtenir le moindre secours. Enfin, il lui était revenu en mémoire les miracles obtenus par l’intercession de Maître Vincent : se recommandant à ce dernier avec dévotion, elle promit de se rendre à son tombeau seulement vêtue d’une chemise, d’offrir une représentation d’elle en cire et de faire célébrer une messe sur l’autel devant la sépulture. Trois jours après avoir fait ce vœu, elle se fit porter, ne pouvant se déplacer, par un certain Antoine Roant, avec l’offrande promise, jusqu’à la tombe de Maître Vincent : arrivée sur place, elle s’endormit incontinent. Au bout d’une demi-heure, son père la tira de son sommeil : elle se leva sur le champ et, retournant à pied à sa demeure située hors de la cité, elle entama sa convalescence ; après une demi-année, elle était complètement guérie et purifiée (totaliter sanata fuit et mundata), ce qu’elle attribue à l’intercession de Maître Vincent[5].

Cette guérison proprement miraculeuse est attestée par deux autres paroissiens de Saint-Patern de Vannes, à savoir ledit Antoine Roant et une autre Jeanne, épouse de Jean Courbin, laquelle, à l’époque, était la servante de la malade et demeurait continuellement avec elle, ainsi que par Amette, veuve de Lucas Locquemeren, demeurant quant à elle dans la paroisse Saint-Pierre de Vannes. Tous les trois confirment les faits tels qu’ils ont été rapportés précédemment ; mais, comme le fait remarquer avec finesse Laura Ackerman Smoller[6], ils profitent de cette opportunité pour « prolonger une petite rivalité ou rancune » à l’égard de la femme Gautier : ainsi insistent-il sur le fait que celle-ci avait à l’époque l’esprit comme capturé (quasi mente capta)[7] ; qu’elle était possédée et insensée (demoniaca et insensata) et qu’elle évoquait souvent les démons (multoties vocabat demones)[8], dont elle affirmait même qu’elle se voyait entourée (videbat demones qui juxta eam erant)[9] ; qu’elle prononçait les mêmes mots en criant sans retenue et qu’elle ne pouvait se contenir ni se contrôler, au point qu’elle fut enfermée sous la garde de sa servante et le demeura pendant six mois (ob hoc… consimilia verba inhoneste vociferabat, nec regi aut gubernari poterat, quousque inclusa fuit sub custodia testis et sic inclusa stetit per sex menses)[10]. C’est précisément en raison de cet aspect de possession, insiste Amette, que la malade avait d’abord été conduite d’abord à saint Colomban, dans l’église de Locminé, puis auprès de la chapelle Saint-Jean de Gorvello, dans la paroisse de Theix[11], mais sans succès (sous-entendu un peu vachard : son cas était plus grave !). Cependant, dans sa propre déclaration, la femme Gaultier s’était contenté de mentionner le fait qu’elle s’était recommandée à plusieurs saints (pluribus sanctis) : silence qui se comprend si l’on suppose qu’elle ne souhaitait pas raviver les souvenirs douloureux, voire gênants, de cette période de sa vie – et par conséquent manque total de discrétion de la part des autres témoins, qui n’hésitent pas à mettre les pieds dans le plat, peut-être avec une certaine jubilation comme on l’a dit. Au demeurant, elle indique aux commissaires avoir bénéficié une seconde fois de la virtus des reliques de Vincent Ferrier, dans le cadre d’un recours plus « conventionnel » : victime, au cours de l’année précédant sa déposition, d’une attaque de goutte à la cuisse et à la jambe gauches qui l’empêchait à nouveau de dormir, marcher ou bouger, elle avait recouvré la santé en deux jours après avoir promis d’offrir au tombeau de Maître Vincent une représentation de jambe en cire, ainsi qu’une rente perpétuelle de 10 sols monnaie courante par an[12].


Le diable : une entrée en scène discrète mais prometteuse

Voici donc, aux dires de la femme Locquemeren, l’Ange de l’Apocalypse en concurrence, sur le vaste terrain hagiothérapeutique, largement indifférencié, des maladies nerveuses et mentales, avec deux autres spécialistes, Jean Baptiste et Colomban, celui-ci d’ailleurs ayant peut-être été substitué localement à un saint thaumaturge fêté à la même date que celui-là[13]. Le Père Fages indique que l’ « on a relevé soixante-dix cas de possession guéris par Vincent Ferrier »[14], chiffre repris sans discussion par Georges Minois[15]. De fait, dans le cadre de sa longue déposition devant les commissaires, Olivier Le Bourdiec, recteur de la paroisse de Limerzel, déclare avoir vu nombre de déments et de possédés qui, conduits attachés et enchaînés au tombeau de Maître Vincent, avaient recouvré sur place la santé et, libérés de leurs liens, étaient rentrés chez eux guéris[16] ; mais les témoins entendus dans l’enquête de Bretagne ne donnent explicitement que trois exemples de possession : outre l’histoire que nous venons de résumer à gros traits, il y a le cas d’un sergent ducal, Perrin Hervé, dit Grasset, qui est décrit par plusieurs témoins avec un certain luxe de détails[17], et l’anecdote d’une femme anonyme, dont la réputation de possession est avant tout fondée sur le fait qu’elle récriminait en criant fort (ab omnibus reputabatur demoniaca quia alta voce clamabat), notamment à l’encontre des membres de sa famille quand ils décidèrent de l’amener, contre sa volonté (contra ejus voluntatem), au tombeau de Maître Vincent, où elle finit par retrouver un comportement tranquille et calme (pacifice et quiete se gerentem)[18].  

Cependant, opposer les mérites de Vincent Ferrier à ceux de Jean Baptiste et de Colomban, n’était-ce pas prendre le risque d’une compétition inégale et d’une comparaison écrasante ? D’où, pour les promoteurs de la cause du Dominicain, la nécessité, nous semble-t-il, de sortir du terrain de prédilection respectif des deux autres thaumaturges, l’épilepsie pour l’un, la démence pour l’autre, même si l’on observe à l’occasion que le recours à l’intercession de Maître Vincent permettait également d’obtenir des guérisons dans les deux domaines hagiothérapeutiques concernés[19].

Ainsi, comme dans le cas de Perrin Hervé, l’histoire de la femme Gaultier témoigne d’un certain glissement au sein du miraculaire breton, contemporain de ce que Sophie Houdard a décrit comme la sortie du diable du « laboratoire scholastique » et son irruption dans le « débat public » au  XVe siècle[20]. Le fait que Jeanne avait été amenée dans un premier temps aux sanctuaires de Locminé et de Gorvello constitue la démonstration que ses symptômes devaient plutôt relever aux yeux de ses contemporains de la démence ou de l’épilepsie : auquel cas, Colomban et Jean Baptiste pouvaient effectivement fort bien, l’un ou l’autre, amener sa guérison ; mais s’il s’agissait d’évocation et même d’apparition de démons, comme le déclarèrent la femme Locquemeren et la femme Courbin, c’était une toute autre chose ! Or, de son vivant même, Vincent était déjà passé maître en démonologie, comme on le racontait sur son passage à propos de l’un de ses compagnons qu’il aurait libéré d’un pacte fait avec le diable[21] ; de plus, il s’était signalé dans les parages de Guérande par un miracle au bénéfice d’une possédée[22]. Il n’était donc pas incongru que de ses reliques émanât la même virtus ; mais encore fallait-il que celle-ci trouvât à s’exercer : les témoignages recueillis au sujet de l’étrange maladie de la femme Gaultier tombaient vraiment à pic !

S’agissant de Perrin Hervé, son « coup de folie », incontestable et spectaculaire, a lui aussi été monté en épingle dans la même perspective démonologique. A l’instar de Jeanne, le miraculé s’est montré assez peu loquace à ce sujet, même s’il indique dans sa déposition que son épisode de démence a été occasionné par un démon, car il ne saurait y avoir une autre explication[23]. Pourtant, à son réveil, il ne se souvenait plus de rien, à en croire les témoignages de Pierre le Floc’h et de Simon Maydo[24] : c’est donc que sa mémoire s’est « reconstruite » à partir du discours ambiant, discours peut-être initié par le frère Thomas, du couvent de Bondon, établissement de Carmes récemment fondé par Jean V (1425). En fait, si Perrin Hervé avait d’abord été amené par ses amis en ce dernier lieu, c’est qu’il s’y trouvait depuis fort longtemps un hôpital, dont on peut penser qu’il s’agissait d’un établissement « spécialisé » et dont la chapelle, reconstruite en 1318, sanctuaire renommé, auquel les ducs de Bretagne témoignaient un attachement particulier[25], abritait apparemment la statue d’une Vierge miraculeuse. Or, il n’y a pas eu d’intercession : ainsi le cas de Perrin Hervé n’appartenait pas plus au champ de compétences de Notre Dame du Bondon que celui de la femme Gaultier à ceux de saint Colomban de Locminé et saint Jean de Gorvello. Il est clair à lire les dépositions concernées qu’il fallait désormais compter avec le diable, alors que celui-ci n’avait pratiquement pas poussé sa corne dans les témoignages recueillis à l’occasion des enquêtes de canonisation d’Yves de Tréguier (1330) et de Charles de Blois (1371).

Et quod ipsa credebat se fuisse et esse per dictum suum maritum intossicatam[26]

Nous n’en avons pas encore tout à fait fini avec Jeanne : et si finalement c’était la rumeur publique qui avait raison à son sujet, et non pas ses bonnes copines ? S’il s’agissait bien d’une tentative d’assassinat par empoisonnement, comme la symptomatologie peut effectivement le laisser penser ? Il faudrait alors tenter de répondre aux questions que se pose tout enquêteur criminel :
-          Où et quand ? Au domicile même de la victime, jour après jour, pendant quelques trois années.
-          Avec quoi et comment ? Les substances toxiques ne manquent pas, mais le choix le plus évident se porte sur l’arsenic, distribué à petites doses régulières (arsenicisme).
-          Pourquoi ? Nous l’ignorons.
-          Et enfin qui ? C’est-à-dire à qui profite, ou plutôt à qui aurait pu profiter le crime ? Nous l’ignorons également.

Dans ce dossier trop sommaire pour pouvoir conclure de façon tranchée, il est une interrogation qui se révèle singulièrement obsédante : où est donc passé le mari ? Où se trouve Mathurin Gaultier ? Il n’apparait pas dans les différents témoignages relatifs au cas supposé de possession de sa femme : il est possible bien sûr d’envisager qu’ils n’étaient pas encore mariés à cette époque, car les évènements concernés sont déjà anciens au moment du témoignage de Jeanne et la mention de la présence du père de cette dernière s’expliquerait alors par le fait qu’elle était encore fille. En revanche, l’absence de Mathurin lors du second épisode miraculaire, intervenu quelques mois seulement avant que les commissaires chargés de l’enquête de canonisation n’entendent sa femme, est beaucoup plus troublante et permet d’envisager un éloignement de sa part, dont les motivations demeurent inconnues : parmi celles-ci, la crainte de voir découverts d’éventuels agissements coupables constitue incontestablement une hypothèse au carré, particulièrement hardie, qui peut tenter la plume du romancier mais que l’historien doit bien se garder de développer ; mais il nous semble qu’il n’est pas tout à fait possible d’en faire l’économie.


André-Yves Bourgès


Addition du 16 août 2015 :

La spécialité thérapeutique du sanctuaire du Bondon est confirmée par le fait que ce dernier est désigné en une occasion "chapelle de saint Avertin" (cf. Abbé Luco, dans sa notice sur la paroisse Saint-Patern de Vannes).


[1] A.-Y. Bourgès, « Concurrence entre sanctuaires et sanctoral populaire local : l’exemple du Poudouvre au XIVe siècle », Hagio-historiographie médiévale (6 novembre 2006), [en ligne :] http://www.hagio-historiographie-medievale.org/2011/11/concurrence-entre-sanctuaires-et.html (consulté le 15 juillet 2015). 
[2] P.H. Fages, Procès de la canonisation de saint Vincent Ferrier, Paris-Louvain, 1901, p. 172-175. Les procès-verbaux des différentes assises de la commission d’enquête bretonne s’étendent de la p. 3 à la p. 263 ; le reste du volume (p. 265-449) contient ceux des commissions de Toulouse et de Naples. Cette édition, qui devrait être reprise pour satisfaire aux critères scientifiques actuels, sera désignée ci-dessous sous le titre Enquêtes de canonisation. – Il faut noter que près de 85 % des témoins bretons sont domiciliés dans le diocèse de Vannes : il n’est donc pas possible, à l’occasion d’une étude approfondie de ce corpus, de généraliser ses conclusions à l’ensemble du duché ; c’est l’attitude prudente choisie par Even Vallerie, L’enquête de Bretagne du procès de canonisation de saint Vincent Ferrier : aspects de la vie quotidienne à Vannes et ses environs au XVe siècle (mémoire de maîtrise sous la direction d’André Chédeville), Rennes, 1991.
[3] Les considérations pessimistes de D. Lett, « Les mères demeurent des filles et des sœurs. Les statuts familiaux des femmes dans les Marches au début du XIVe siècle », A. Paravicini-Bagliani (éd.), La Madre, The Mother, Florence, 2009 (Micrologus, 17), p. 330, n. 12,  à propos de l’enquête de canonisation de Nicolas de Tolentino un siècle plus tôt,  sur le « filtre  consécutif  au  passage  de  l’oral  à  l’écrit, du  vulgaire au  latin, à l’importance de la médiation culturelle du notaire, etc. », ne nous semblent donc pas de mise ici, d’autant que de très nombreux témoins bretons sont à l’évidence des francisants (clercs, nobles, citadins), sans parler de ceux qui viennent de Haute-Bretagne. Même en comptant large, au prix de quelques approximations, E. Vallerie, dans son excellent travail cité à la note précédente, n’arrive pas à la moitié de bretonnants, dont de surcroît la dimension monolingue n’est pas avérée.
[4] Le regretté Jean-Christophe Cassard, « Un Valencien en Bretagne au XVe siècle : Vincent Ferrier (1418-1419) », Y. Cosquer, H. Jaime et R. Omnès (dir.), Les Celtes et la Péninsule Ibérique (Actes du colloque international, Brest, 6-7-8 novembre 1997), Brest, 1999 Triade, 5), p. 68, n. 5, parlait même d’un vice de l’enquête de Bretagne s’agissant de « son latin trop fortement francisé ».
[5] Enquêtes de canonisation, p. 172-173.
[6] L.A. Smoller, The Saint and the Chopped-Up Baby: The Cult of Vincent Ferrer in Medieval and Early Modern Europe, Ithaca, 2014, p. 110.
[7] Enquêtes de canonisation, p. 173.
[8] Ibidem, p. 175.
[9] Ibid., p. 174.
[10] Ibid., p. 175.
[11] Ibid., p. 174 : Consequenter tanquam demoniaca ducta ad sanctum Colombanum in parrochiali ecclesia de Loco monachorum et deinde apud capellam S. Joannis de Gourvellou in parrochia de Theis in quibus locis demoniaci consueverunt duci.
[12] Ibid., p. 173.
[13] Cette hypothèse sera développée dans le cadre de notre intervention au colloque sur saint Colomban, à Bobbio en novembre 2015.
[14] P.H. Fages, Histoire de saint Vincent Ferrier, apôtre de l'Europe, vol. 2, Paris, s.d. (1894), p. 272.
[15] G. Minois, « Culte des saints et vie religieuse dans le diocèse de Tréguier au XVe  siècle », Annales de Bretagne, 87-1 (1980), p. 40.
[16] Enquêtes de canonisation, p. 21 : vidit multos, de quibus alias non recordatur, dementes et demoniacos ligatos et ferratos duci ad sepulcrum dicti M. V. qui ibidem recuperabant sanitatem et disligabantur redeuntes sani.
[17] Ibidem, p. 16, 29-30, 34, 43-44, 46, 49, 59, 60-61, 65, 70, 73, 99, 161. Perrin, devenu dément (demens effectus) et furieux (furiosus) selon ses propres dires, est décrit par les témoins comme invoquant le démon, blasphémant Dieu et les saints (invocantem demonem et blasphemantem Deum et sanctos) et disant que tous les démons de l’enfer étaient enfermés dans son corps (et dicentem quod omnes demones infernales erant in suo corpore inclusi). Il est conduit, mais sans succès, à Notre-Dame de Bondon : sur place, en effet, il pousse des cris de manière horrible (ibi clamabat horribiliter et horribilius), avec une voix forte à la manière des possédés (alta voce ad modum demoniaci clamantem), et plus encore quand on l’asperge d’eau bénite (multo magis tribulabat quando super eum apponebatur aqua benedicta), tandis qu’il cherche à mordre le frère Thomas, qui procède à cette opération (ubi nisus fuit mordere quemdam religiosum illius loci, Ordinis Carmelitarum, fratrum Thoma nuncupatum, dum projiciebat aquam benedictam supra eum) ; il invoque le diable de façon ininterrompue et crache sur la statue de la Vierge en traitant celle-ci de prostituée (dyabolum invocantem continue, ymaginem B. Marie spuentem et vocantem eam meretricem). On est obligé de l’enchaîner aux mains et aux bras et, sur les conseils de frère Thomas, il est conduit au tombeau de Maître Vincent. Là, installé sous la tombe élevée du saint personnage, il s’endort paisiblement pendant une heure ; à son réveil, il est guéri, mais il a tout oublié. Il demande alors pourquoi il est ainsi entravé et ce qu’il fait en ce lieu : on lui répond que c’est parce qu’il avait agi comme s’il eût été dément ou possédé (eo quod esset demens sive demoniacum).
[18] Ibid., p. 159-160. S’exprimer en criant alta voce est caractéristique de la possession : ibid., p. 70, et cf. note précédente.
[19] Ibid., p. 33, 183, 210, 231 : quatre personnes atteintes du mal caduc (morbo caduco) ;  p. 159 : Olivier Boscher, ne sachant plus ce qu’il dit, apparaît conséquemment dément et furieux (apparebat demens et furiosus) à son père, lequel par précaution le fait attacher dans son lit ; p. 189 : Jeanne Alanou, au témoignage de sa mère, se met soudainement à se tirer les cheveux, puis se tient prostrée pendant deux jours, sans manger, ni boire, comportement qui donne à penser au témoin et à ses voisins que la jeune fille est démente et qu’elle va mourir sous peu (testis et vicine reputabant eam fore dementem et indillate morituram). – On trouve également (Ibid., p. 106) un témoignage relatif à la guérison d’un cas de « haut mal » ; mais si  ce terme désigne souvent l’épilepsie, la symptomatologie décrite par la malade elle-même (ipsa fuit infirma gravissime de apoplexia que communiter appellatur altum malum et inter cetera membra maxime in capite et amiserat visum) fait plutôt penser en l’occurrence à un AVC avec perte temporaire de la vision.
[20] S. Houdard, « Du laboratoire scolastique aux formes modernes de la démonologie », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 37 (2006), p. 183 : « On sait que c’est après les conciles de Bâle et de Constance, au XVe  siècle, que l’allumage prend et que la pulsion démoniaque démarre : ne faudrait-il pas envisager ces conciles comme de véritables forums publics de la démonologie, dont sortiront les grands manuels (le Formicarius de Nider, puis Sprenger) qui permettront la publication, à large échelle, des hypothèses démoniaques jusque-là confinées par l’autorité dans le champ clos du débat et de la censure scolastique ? Les énonciations savantes trouveraient à se “réaliser” dès lors qu’elles sont publiquement développées et diffusées et qu’elles donnent lieu à des pratiques, des techniques qui visent aussi à étouffer le discours antidémonologique qui trouvera des voies plus dissimulées pour se publier à son tour ».
[21] Enquêtes de canonisation, p. 98 : unus de comitiva M.V. qui dicebatur fecisse pactum cum dyabolo et postmodum liberatus ab eo per M.V. Peut-être faut-il reconnaître dans ce personnage, le Majorquin dont l’histoire est rapportée par Jean Plaisant, prieur de la chartreuse des Saints-Donatien et Rogatien, au faubourg Saint-Clément de Nantes (Ibid., p. 244-245).
[22] Ibidem, p. 185 : celle-ci que l’on menait en charrette à Saint-Gildas-des-Bois (quedam femina demoniaca, ferrata et ligata, ducebatur in una quadriga ad ecclesiam S. Gildasii de nemore), passant par le lieu où prêchait Maître Vincent, fut guérie grâce à l’intervention de ce dernier ; p. 217 : un témoignage au second degré nous montre le Dominicain en véritable situation d’exorciste, chassant par un mysterium les démons qui se sont emparés du corps d’un enfant (habebat demones in corpore qui, intercessione prefati magistri Vincentii, cum maximo impetu, de suo exierunt corpore) ; la scène se passe à Caen devant le roi d’Angleterre. – Quant à l’épisode guérandais, son récit a sans doute inspiré la verrière posée dans l’église Saint-Aubin en 1885 ; mais c’est un homme que l’artiste a représenté comme le bénéficiaire du miracle. On sait par ailleurs que Vincent Ferrier avait effectivement prêché à Guérande, puis à l’abbaye Saint-Gildas durant la première quinzaine d’avril 1418 (cf. A. de la Borderie et B. Pocquet du Haut-Jussé, Histoire de Bretagne, t. 4, Rennes, 1906, p. 168).
[23] Ibid., p. 16 : et credit quod vexabatur a demone, nec quod fuerit aliqualis alia occasio predicte infirmitatis.
[24] Ibid., p. 29 : et tandem evigilans, interrogavit quare esset sic ligatus et quis eum adduxerat ibi ; p. 34 : et expost evigilans peciit quare esset sic ligatus.
[25] H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 2, Paris, 1744, col. 1050, 1194,1263, 1519.
[26] Extrait du témoignage de Bernardin de Madiis, faisant état des soupçons de Guillemette Borter à l’encontre de son mari (1502): Ch. Ammann-Doubliez,  « Histoires d'empoisonnement en Valais au Moyen Âge : sorcellerie et justice », Vallesia, 58 (2003), p. 273.