La partie
bretonne de l’enquête de canonisation de Vincent Ferrier fournit la première
attestation, tardive donc, mais datée et irréfutable, du recours
hagiothérapeutique à saint Colomban de Locminé et offre à voir une
nouvelle manifestation du phénomène bien connu de compétition en Bretagne entre
différents saints guérisseurs, ou du moins entre leurs sanctuaires[1].
Au-delà de la mention rapide, mais explicite, des sanctuaires concernés, sont
rapportés, en plus du point de vue de la bénéficiaire du miracle, ceux de trois
autres personnes qui, après avoir été les témoins de sa maladie, le furent
également de sa guérison[2] ;
en dépit de leur concision et de leur caractère stéréotypé – lequel n’est pas
pour autant exclusif d’une certaine spontanéité car en l’occurrence le latin des
scribes épouse la syntaxe du français[3],
comme l’ont fait remarquer souvent avec sévérité les historiens[4]
– ces déclarations sont particulièrement intéressantes car elles ouvrent
d’intéressantes perspectives sur l’arrière-plan de l’anecdote en question.
De quoi s’agit-il ?
La femme de
Mathurin Gaultier, une certaine Jeanne, âgée de 28 ans, paroissienne de Saint-Patern
de Vannes, auditionnée dans cette cité par les commissaires en avril 1454,
rapporte que, sept ans auparavant, elle avait été affligée d’une terrible
infirmité qui devait la tourmenter quelques trois années durant : ses
cuisses, ses jambes et ses pieds étaient gonflés comme si elle était atteinte
d’hydropisie et son visage lui donnait l’apparence d’une lépreuse, tandis
qu’elle ressentait une grande douleur dans la poitrine et dans d’autres parties
du corps au point qu’elle pouvait à peine manger, boire et dormir et même, la
dernière année, marcher ou se déplacer d’un endroit à un autre, étant comme paralysée.
Il se disait chez tous ceux qui la voyaient qu’elle avait été envoutée ou empoisonnée
(et ab omnibus qui eam videbant dicebatur
fuisse invultuatam vel intossicatam). Bien que s’étant vouée à plusieurs
saints et ayant recherché auprès d’eux
différents remèdes, elle n’avait pu en obtenir le moindre secours. Enfin, il
lui était revenu en mémoire les miracles obtenus par l’intercession de Maître
Vincent : se recommandant à ce dernier avec dévotion, elle promit de se
rendre à son tombeau seulement vêtue d’une chemise, d’offrir une représentation
d’elle en cire et de faire célébrer une messe sur l’autel devant la sépulture.
Trois jours après avoir fait ce vœu, elle se fit porter, ne pouvant se
déplacer, par un certain Antoine Roant, avec l’offrande promise, jusqu’à la
tombe de Maître Vincent : arrivée sur place, elle s’endormit incontinent.
Au bout d’une demi-heure, son père la tira de son sommeil : elle se leva
sur le champ et, retournant à pied à sa demeure située hors de la cité, elle
entama sa convalescence ; après une demi-année, elle était complètement
guérie et purifiée (totaliter sanata fuit
et mundata), ce qu’elle attribue à l’intercession de Maître Vincent[5].
Cette
guérison proprement miraculeuse est attestée par deux autres paroissiens de
Saint-Patern de Vannes, à savoir ledit Antoine Roant et une autre Jeanne,
épouse de Jean Courbin, laquelle, à l’époque, était la servante de la malade et
demeurait continuellement avec elle, ainsi que par Amette, veuve de Lucas
Locquemeren, demeurant quant à elle dans la paroisse Saint-Pierre de Vannes. Tous
les trois confirment les faits tels qu’ils ont été rapportés précédemment ;
mais, comme le fait remarquer avec finesse Laura Ackerman Smoller[6],
ils profitent de cette opportunité pour « prolonger une petite
rivalité ou rancune » à l’égard de la femme Gautier : ainsi
insistent-il sur le fait que celle-ci avait à l’époque l’esprit comme capturé (quasi mente capta)[7] ;
qu’elle était possédée et insensée (demoniaca
et insensata) et qu’elle évoquait souvent les démons (multoties vocabat demones)[8],
dont elle affirmait même qu’elle se voyait entourée (videbat demones qui juxta eam erant)[9] ;
qu’elle prononçait les mêmes mots en criant sans retenue et qu’elle ne pouvait
se contenir ni se contrôler, au point qu’elle fut enfermée sous la garde de sa
servante et le demeura pendant six mois (ob
hoc… consimilia verba inhoneste vociferabat, nec regi aut gubernari poterat,
quousque inclusa fuit sub custodia testis et sic inclusa stetit per sex menses)[10].
C’est précisément en raison de cet aspect de possession, insiste Amette, que la
malade avait d’abord été conduite d’abord à saint Colomban, dans l’église de
Locminé, puis auprès de la chapelle Saint-Jean de Gorvello, dans la paroisse de
Theix[11],
mais sans succès (sous-entendu un peu vachard
: son cas était plus grave !). Cependant, dans sa propre déclaration, la
femme Gaultier s’était contenté de mentionner le fait qu’elle s’était recommandée
à plusieurs saints (pluribus sanctis) :
silence qui se comprend si l’on suppose qu’elle ne souhaitait pas raviver les
souvenirs douloureux, voire gênants, de cette période de sa vie – et par
conséquent manque total de discrétion de la part des autres témoins, qui n’hésitent
pas à mettre les pieds dans le plat,
peut-être avec une certaine jubilation comme on l’a dit. Au demeurant, elle
indique aux commissaires avoir bénéficié une seconde fois de la virtus des reliques de Vincent Ferrier,
dans le cadre d’un recours plus « conventionnel » : victime, au
cours de l’année précédant sa déposition, d’une attaque de goutte à la cuisse
et à la jambe gauches qui l’empêchait à nouveau de dormir, marcher ou bouger,
elle avait recouvré la santé en deux jours après avoir promis d’offrir au
tombeau de Maître Vincent une représentation de jambe en cire, ainsi qu’une
rente perpétuelle de 10 sols monnaie courante par an[12].
Le diable : une entrée en scène discrète mais prometteuse
Voici donc, aux
dires de la femme Locquemeren, l’Ange de l’Apocalypse en concurrence, sur le
vaste terrain hagiothérapeutique, largement indifférencié, des maladies
nerveuses et mentales, avec deux autres spécialistes, Jean Baptiste et Colomban,
celui-ci d’ailleurs ayant peut-être été substitué localement à un saint thaumaturge
fêté à la même date que celui-là[13].
Le Père Fages indique que l’ « on a relevé soixante-dix cas de possession
guéris par Vincent Ferrier »[14],
chiffre repris sans discussion par Georges Minois[15].
De fait, dans le cadre de sa longue déposition devant les commissaires, Olivier
Le Bourdiec, recteur de la paroisse de Limerzel, déclare avoir vu nombre de
déments et de possédés qui, conduits attachés et enchaînés au tombeau de Maître
Vincent, avaient recouvré sur place la santé et, libérés de leurs liens,
étaient rentrés chez eux guéris[16] ;
mais les témoins entendus dans l’enquête de Bretagne ne donnent explicitement que
trois exemples de possession : outre l’histoire que nous venons de résumer
à gros traits, il y a le cas d’un sergent ducal, Perrin Hervé, dit Grasset, qui
est décrit par plusieurs témoins avec un certain luxe de détails[17],
et l’anecdote d’une femme anonyme, dont la réputation de possession est avant
tout fondée sur le fait qu’elle récriminait en criant fort (ab omnibus reputabatur demoniaca quia alta
voce clamabat), notamment à l’encontre des membres de sa famille quand ils décidèrent
de l’amener, contre sa volonté (contra
ejus voluntatem), au tombeau de Maître Vincent, où elle finit par retrouver
un comportement tranquille et calme (pacifice
et quiete se gerentem)[18].
Cependant, opposer
les mérites de Vincent Ferrier à ceux de Jean Baptiste et de Colomban,
n’était-ce pas prendre le risque d’une compétition inégale et d’une comparaison
écrasante ? D’où, pour les promoteurs de la cause du Dominicain, la nécessité,
nous semble-t-il, de sortir du terrain de prédilection respectif des deux autres
thaumaturges, l’épilepsie pour l’un, la démence pour l’autre, même si l’on
observe à l’occasion que le recours à l’intercession de Maître Vincent permettait
également d’obtenir des guérisons dans les deux domaines hagiothérapeutiques
concernés[19].
Ainsi, comme
dans le cas de Perrin Hervé, l’histoire de la femme Gaultier témoigne d’un
certain glissement au sein du miraculaire breton, contemporain de ce que Sophie
Houdard a décrit comme la sortie du diable du « laboratoire scholastique »
et son irruption dans le « débat public » au XVe siècle[20].
Le fait que Jeanne avait été amenée dans un premier temps aux sanctuaires de
Locminé et de Gorvello constitue la démonstration que ses symptômes devaient
plutôt relever aux yeux de ses contemporains de la démence ou de
l’épilepsie : auquel cas, Colomban et Jean Baptiste pouvaient effectivement
fort bien, l’un ou l’autre, amener sa guérison ; mais s’il s’agissait
d’évocation et même d’apparition de démons, comme le déclarèrent la femme
Locquemeren et la femme Courbin, c’était une toute autre chose ! Or, de
son vivant même, Vincent était déjà passé maître en démonologie, comme on le
racontait sur son passage à propos de l’un de ses compagnons qu’il aurait libéré
d’un pacte fait avec le diable[21] ;
de plus, il s’était signalé dans les parages de Guérande par un miracle au
bénéfice d’une possédée[22].
Il n’était donc pas incongru que de ses reliques émanât la même virtus ; mais encore fallait-il que
celle-ci trouvât à s’exercer : les témoignages recueillis au sujet de
l’étrange maladie de la femme Gaultier tombaient vraiment à pic !
S’agissant
de Perrin Hervé, son « coup de folie », incontestable et
spectaculaire, a lui aussi été monté en épingle dans la même perspective
démonologique. A l’instar de Jeanne, le miraculé s’est montré assez peu loquace
à ce sujet, même s’il indique dans sa déposition que son épisode de démence a
été occasionné par un démon, car il ne saurait y avoir une autre explication[23].
Pourtant, à son réveil, il ne se souvenait plus de rien, à en croire les
témoignages de Pierre le Floc’h et de Simon Maydo[24] :
c’est donc que sa mémoire s’est « reconstruite » à partir du discours
ambiant, discours peut-être initié par le frère Thomas, du couvent de Bondon,
établissement de Carmes récemment fondé par Jean V (1425). En fait, si Perrin
Hervé avait d’abord été amené par ses amis en ce dernier lieu, c’est qu’il s’y
trouvait depuis fort longtemps un hôpital, dont on peut penser qu’il s’agissait
d’un établissement « spécialisé » et dont la chapelle, reconstruite
en 1318, sanctuaire renommé, auquel les ducs de Bretagne témoignaient un
attachement particulier[25],
abritait apparemment la statue d’une Vierge miraculeuse. Or, il n’y a pas eu d’intercession :
ainsi le cas de Perrin Hervé n’appartenait pas plus au champ de compétences de
Notre Dame du Bondon que celui de la femme Gaultier à ceux de saint Colomban de
Locminé et saint Jean de Gorvello. Il est clair à lire les dépositions
concernées qu’il fallait désormais compter avec le diable, alors que celui-ci
n’avait pratiquement pas poussé sa corne dans les témoignages recueillis à
l’occasion des enquêtes de canonisation d’Yves de Tréguier (1330) et de Charles
de Blois (1371).
Et quod ipsa credebat se fuisse et esse per dictum suum maritum
intossicatam[26]
Nous n’en avons
pas encore tout à fait fini avec Jeanne : et si finalement c’était la
rumeur publique qui avait raison à son sujet, et non pas ses bonnes copines ? S’il s’agissait
bien d’une tentative d’assassinat par empoisonnement, comme la symptomatologie peut
effectivement le laisser penser ? Il faudrait alors tenter de répondre aux
questions que se pose tout enquêteur criminel :
-
Où et quand ?
Au domicile même de la victime, jour après jour, pendant quelques trois années.
-
Avec quoi et
comment ? Les substances toxiques ne manquent pas, mais le choix le plus
évident se porte sur l’arsenic, distribué à petites doses régulières
(arsenicisme).
-
Pourquoi ?
Nous l’ignorons.
-
Et enfin
qui ? C’est-à-dire à qui profite, ou plutôt à qui aurait pu profiter le
crime ? Nous l’ignorons également.
Dans ce
dossier trop sommaire pour pouvoir conclure de façon tranchée, il est une
interrogation qui se révèle singulièrement obsédante : où est donc passé
le mari ? Où se trouve Mathurin Gaultier ? Il n’apparait pas dans les
différents témoignages relatifs au cas supposé de possession de sa femme :
il est possible bien sûr d’envisager qu’ils n’étaient pas encore mariés à cette
époque, car les évènements concernés sont déjà anciens au moment du témoignage
de Jeanne et la mention de la présence du père de cette dernière s’expliquerait
alors par le fait qu’elle était encore fille. En revanche, l’absence de
Mathurin lors du second épisode miraculaire, intervenu quelques mois seulement
avant que les commissaires chargés de l’enquête de canonisation n’entendent sa
femme, est beaucoup plus troublante et permet d’envisager un éloignement de sa
part, dont les motivations demeurent inconnues : parmi celles-ci, la
crainte de voir découverts d’éventuels agissements coupables constitue
incontestablement une hypothèse au carré, particulièrement hardie, qui peut
tenter la plume du romancier mais que l’historien doit bien se garder de
développer ; mais il nous semble qu’il n’est pas tout à fait possible d’en
faire l’économie.
André-Yves Bourgès
Addition du 16 août 2015 :
La
spécialité thérapeutique du sanctuaire du Bondon est confirmée par le fait que
ce dernier est désigné en une occasion "chapelle de saint Avertin"
(cf. Abbé Luco, dans sa notice sur la paroisse Saint-Patern de Vannes).
[1] A.-Y. Bourgès, « Concurrence entre
sanctuaires et sanctoral populaire local : l’exemple du Poudouvre au XIVe
siècle », Hagio-historiographie
médiévale (6 novembre 2006), [en ligne :] http://www.hagio-historiographie-medievale.org/2011/11/concurrence-entre-sanctuaires-et.html (consulté le 15 juillet 2015).
[2] P.H. Fages, Procès de la canonisation de saint Vincent Ferrier, Paris-Louvain,
1901, p. 172-175. Les procès-verbaux des différentes assises de la commission
d’enquête bretonne s’étendent de la p. 3 à la p. 263 ; le reste du volume
(p. 265-449) contient ceux des commissions de Toulouse et de Naples. Cette
édition, qui devrait être reprise pour satisfaire aux critères scientifiques
actuels, sera désignée ci-dessous sous le titre Enquêtes de canonisation. – Il faut noter que près de 85 % des
témoins bretons sont domiciliés dans le diocèse de Vannes : il n’est donc
pas possible, à l’occasion d’une étude approfondie de ce corpus, de généraliser
ses conclusions à l’ensemble du duché ; c’est l’attitude prudente choisie
par Even Vallerie, L’enquête de Bretagne
du procès de canonisation de saint Vincent Ferrier : aspects de la vie
quotidienne à Vannes et ses environs au XVe siècle (mémoire de
maîtrise sous la direction d’André Chédeville), Rennes, 1991.
[3] Les considérations pessimistes de D. Lett, «
Les mères demeurent des filles et des sœurs. Les statuts familiaux des femmes
dans les Marches au début du XIVe siècle », A. Paravicini-Bagliani
(éd.), La Madre, The Mother,
Florence, 2009 (Micrologus, 17), p. 330, n. 12, à propos de l’enquête de canonisation de
Nicolas de Tolentino un siècle plus tôt, sur le « filtre consécutif
au passage de
l’oral à l’écrit, du
vulgaire au latin, à l’importance
de la médiation culturelle du notaire, etc. », ne nous semblent donc pas
de mise ici, d’autant que de très nombreux témoins bretons sont à l’évidence
des francisants (clercs, nobles, citadins), sans parler de ceux qui viennent de
Haute-Bretagne. Même en comptant large, au prix de quelques approximations, E.
Vallerie, dans son excellent travail cité à la note précédente, n’arrive pas à
la moitié de bretonnants, dont de surcroît la dimension monolingue n’est pas
avérée.
[4] Le regretté Jean-Christophe Cassard,
« Un Valencien en Bretagne au XVe siècle : Vincent Ferrier
(1418-1419) », Y. Cosquer, H. Jaime et R. Omnès (dir.), Les Celtes et la Péninsule Ibérique (Actes
du colloque international, Brest, 6-7-8 novembre 1997), Brest, 1999 Triade,
5), p. 68, n. 5, parlait même d’un vice
de l’enquête de Bretagne s’agissant de « son latin trop fortement
francisé ».
[5] Enquêtes
de canonisation, p. 172-173.
[6] L.A. Smoller, The Saint and the Chopped-Up Baby: The Cult of Vincent Ferrer in
Medieval and Early Modern Europe, Ithaca, 2014, p. 110.
[7] Enquêtes
de canonisation, p. 173.
[8] Ibidem,
p. 175.
[9] Ibid.,
p. 174.
[10] Ibid.,
p. 175.
[11] Ibid.,
p. 174 : Consequenter tanquam
demoniaca ducta ad sanctum Colombanum in parrochiali ecclesia de Loco
monachorum et deinde apud capellam S. Joannis de Gourvellou in parrochia de
Theis in quibus locis demoniaci consueverunt duci.
[12] Ibid.,
p. 173.
[13] Cette hypothèse sera développée dans le
cadre de notre intervention au colloque sur saint Colomban, à Bobbio en
novembre 2015.
[14] P.H. Fages, Histoire de saint Vincent Ferrier, apôtre de
l'Europe, vol. 2, Paris, s.d. (1894), p.
272.
[15] G. Minois, « Culte des saints et vie
religieuse dans le diocèse de Tréguier au XVe siècle », Annales de Bretagne, 87-1 (1980), p. 40.
[16] Enquêtes
de canonisation, p. 21 : vidit
multos, de quibus alias non recordatur, dementes et demoniacos ligatos et
ferratos duci ad sepulcrum dicti M. V. qui ibidem recuperabant sanitatem et
disligabantur redeuntes sani.
[17] Ibidem,
p. 16, 29-30, 34, 43-44, 46, 49, 59, 60-61, 65, 70, 73, 99, 161. Perrin, devenu
dément (demens effectus) et furieux (furiosus) selon ses propres dires, est
décrit par les témoins comme invoquant le démon, blasphémant Dieu et les saints
(invocantem demonem et blasphemantem Deum
et sanctos) et disant que tous les démons de l’enfer étaient enfermés dans
son corps (et dicentem quod omnes demones
infernales erant in suo corpore inclusi). Il est conduit, mais sans succès,
à Notre-Dame de Bondon : sur place, en effet, il pousse des cris de
manière horrible (ibi clamabat
horribiliter et horribilius), avec une voix forte à la manière des possédés
(alta voce ad modum demoniaci clamantem),
et plus encore quand on l’asperge d’eau bénite (multo magis tribulabat quando super eum apponebatur aqua benedicta),
tandis qu’il cherche à mordre le frère Thomas, qui procède à cette opération (ubi nisus fuit mordere quemdam religiosum
illius loci, Ordinis Carmelitarum, fratrum Thoma nuncupatum, dum projiciebat
aquam benedictam supra eum) ; il invoque le diable de façon
ininterrompue et crache sur la statue de la Vierge en traitant celle-ci de
prostituée (dyabolum invocantem continue,
ymaginem B. Marie spuentem et vocantem eam meretricem). On est obligé de
l’enchaîner aux mains et aux bras et, sur les conseils de frère Thomas, il est
conduit au tombeau de Maître Vincent. Là, installé sous la tombe élevée du
saint personnage, il s’endort paisiblement pendant une heure ; à son
réveil, il est guéri, mais il a tout oublié. Il demande alors pourquoi il est
ainsi entravé et ce qu’il fait en ce lieu : on lui répond que c’est parce
qu’il avait agi comme s’il eût été dément ou possédé (eo quod esset demens sive demoniacum).
[18] Ibid.,
p. 159-160. S’exprimer en criant alta
voce est caractéristique de la possession : ibid., p. 70, et cf. note précédente.
[19] Ibid.,
p. 33, 183, 210, 231 : quatre personnes atteintes du mal caduc (morbo caduco) ; p. 159 : Olivier Boscher, ne sachant
plus ce qu’il dit, apparaît conséquemment dément et furieux (apparebat demens et furiosus) à son
père, lequel par précaution le fait attacher dans son lit ; p. 189 :
Jeanne Alanou, au témoignage de sa mère, se met soudainement à se tirer les
cheveux, puis se tient prostrée pendant deux jours, sans manger, ni boire, comportement
qui donne à penser au témoin et à ses voisins que la jeune fille est démente et
qu’elle va mourir sous peu (testis et
vicine reputabant eam fore dementem et indillate morituram). – On trouve
également (Ibid., p. 106) un
témoignage relatif à la guérison d’un cas de « haut mal » ; mais si ce terme désigne souvent l’épilepsie, la
symptomatologie décrite par la malade elle-même (ipsa fuit infirma gravissime de apoplexia que communiter appellatur
altum malum et inter cetera membra maxime in capite et amiserat visum) fait
plutôt penser en l’occurrence à un AVC avec perte temporaire de la vision.
[20] S. Houdard, « Du laboratoire
scolastique aux formes modernes de la démonologie », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 37 (2006), p.
183 : « On sait que c’est après les conciles de Bâle et de Constance,
au XVe siècle, que l’allumage
prend et que la pulsion démoniaque démarre : ne faudrait-il pas envisager ces
conciles comme de véritables forums publics de la démonologie, dont sortiront
les grands manuels (le Formicarius de
Nider, puis Sprenger) qui permettront la publication, à large échelle, des
hypothèses démoniaques jusque-là confinées par l’autorité dans le champ clos du
débat et de la censure scolastique ? Les énonciations savantes trouveraient à
se “réaliser” dès lors qu’elles sont publiquement développées et diffusées et
qu’elles donnent lieu à des pratiques, des techniques qui visent aussi à
étouffer le discours antidémonologique qui trouvera des voies plus dissimulées
pour se publier à son tour ».
[21] Enquêtes
de canonisation, p. 98 : unus de
comitiva M.V. qui dicebatur fecisse pactum cum dyabolo et postmodum liberatus
ab eo per M.V. Peut-être faut-il reconnaître dans ce personnage, le
Majorquin dont l’histoire est rapportée par Jean Plaisant, prieur de la
chartreuse des Saints-Donatien et Rogatien, au faubourg Saint-Clément de Nantes
(Ibid., p. 244-245).
[22] Ibidem,
p. 185 : celle-ci que l’on menait en charrette à Saint-Gildas-des-Bois (quedam femina demoniaca, ferrata et ligata, ducebatur
in una quadriga ad ecclesiam S. Gildasii de nemore), passant par le lieu où
prêchait Maître Vincent, fut guérie grâce à l’intervention de ce dernier ;
p. 217 : un témoignage au second degré nous montre le Dominicain en
véritable situation d’exorciste, chassant par un mysterium les démons qui se sont emparés du corps d’un enfant (habebat demones in corpore qui,
intercessione prefati magistri Vincentii, cum maximo impetu, de suo exierunt
corpore) ; la scène se passe à Caen devant le roi d’Angleterre. –
Quant à l’épisode guérandais, son récit a sans doute inspiré la verrière posée
dans l’église Saint-Aubin en 1885 ; mais c’est un homme que l’artiste a
représenté comme le bénéficiaire du miracle. On sait par ailleurs que Vincent
Ferrier avait effectivement prêché à Guérande, puis à l’abbaye Saint-Gildas
durant la première quinzaine d’avril 1418 (cf. A. de la Borderie et B.
Pocquet du Haut-Jussé, Histoire de
Bretagne, t. 4, Rennes, 1906, p. 168).
[23] Ibid.,
p. 16 : et credit quod vexabatur a
demone, nec quod fuerit aliqualis alia occasio predicte infirmitatis.
[24] Ibid.,
p. 29 : et tandem evigilans,
interrogavit quare esset sic ligatus et quis eum adduxerat ibi ; p.
34 : et expost evigilans peciit
quare esset sic ligatus.
[25] H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile
de Bretagne, t. 2, Paris, 1744, col. 1050, 1194,1263, 1519.
[26] Extrait du témoignage de Bernardin de Madiis, faisant état des soupçons de
Guillemette Borter à l’encontre de son mari (1502): Ch. Ammann-Doubliez, « Histoires d'empoisonnement en Valais
au Moyen Âge : sorcellerie et justice », Vallesia, 58 (2003), p. 273.