01 mai 2024

Albert Le Grand et les études hagiologiques bretonnes*

 

A la suite des nombreux chercheurs qui se sont intéressés au dominicain de Morlaix, Albert Le Grand, et à son œuvre, nous avons déjà eu l’occasion de rappeler dans plusieurs de nos travaux[1] la place très importante que continue d’occuper, au sein des études hagiologiques bretonnes, la véritable somme composée par cet écrivain sur les saints de Bretagne[2], ainsi que sa monographie sur Budoc et Azénor[3]. Amplement célébré du point de vue littéraire, mais le plus souvent avec comme une pointe de regret dans l’appréciation, il s’est vu très tôt disqualifié en tant qu’historien pour s’être, nous dit-on, montré excessivement naïf, crédule, ou, au contraire, pour avoir interpolé des textes existants, sinon même fabriqué de faux documents : ainsi, depuis l’époque du duo bénédictin, Guy-Alexis Lobineau et Pierre-Hyacinthe Morice, qui a produit au XVIIIe siècle deux ouvrages successifs sur l’histoire de Bretagne, Le Grand a-t-il presque constamment fait l’objet de critiques plus ou moins virulentes de la part des historiens, à l’exception notable et assez paradoxale d’Arthur de la Borderie au XIXe siècle ; cette tendance s’est prolongée durant le 1er tiers du XXe siècle, ainsi qu’on peut le voir avec les jugements à l’emporte-pièce de Barthélemy Pocquet du Haut-Jussé[4], François Duine[5] ou Henri Bourde de la Rogerie[6]. De tels excès appartiennent, du moins peut-on l’espérer, à une démarche historiographique aujourd’hui révolue et, déjà avant la seconde guerre mondiale, Gilbert H. Doble et son relais en Bretagne, Louis Kerbiriou, avaient exprimé des opinions plus nuancées, s’efforçant de faire reconnaître l’importance du rôle joué par Le Grand dans la transmission du matériau issu de la production hagiographique médiévale bretonne[7], dont il serait en quelque sorte le dernier représentant, en même temps que l’inspirateur du nationalisme breton[8].

 

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La réédition des différentes monographies de Doble sur les saints du Cornwall par Donald Attwater dans les années 1960[9] et sur ceux du Pays de Galles par D. Simon Evans en 1971[10], devait d’ailleurs contribuer, entre beaucoup d’autres facteurs, à la relance des études sur l’hagiographie bretonne[11] ; mais, plus encore, l’élargissement à la même époque de la recherche historique aux mentalités, puis, dans les années 1990, le véritable changement de paradigme qui s’est opéré dans le domaine hagiologique[12], ont permis la réhabilitation, au moins partielle, de Le Grand, en particulier de sa méthode de travail. Les études qui lui ont été consacrées en 1966 par  Dominique Aupest-Conduché[13] et en 1997 par  Bernard Merdrignac[14] ont confirmé son rôle essentiel dans la transmission de nombreuses vitae médiévales disparues ; quant à l’ouvrage de Louis Pape sur les saints bretons[15], sa matière, tirée des écrits de l’hagiographe morlaisien, bénéficie d’une approche qui, dans une perspective résolument vulgarisatrice, le confronte à des problématiques largement renouvelées[16]. Cependant, certains travaux récents continuent d’emprunter la même grille d’analyse que les critiques les plus sourcilleux et aboutissent conséquemment aux mêmes conclusions, particulièrement sévères ; or, de notre point de vue, il ne s’agit plus désormais de porter un jugement moral à l’encontre du personnage, mais de parvenir à l’évaluation la plus objective possible de ce que son œuvre, enfin appréhendée, à l’instar de celles de ses prédécesseurs médiévaux, comme un « type de littérature » particulier[17], peut apporter à notre sujet : du coup, une approche de nature hypercritique, – plus ou moins lointainement inspirée de celle, marquée au coin d’un positivisme laïciste, qui, en réaction à certaines dérives bretonistes, avait été développée au tournant du XXe siècle par de brillants chercheurs de l’École pratique des hautes études, mais n’avait abouti à rien d’autre qu’à stériliser durablement les études hagiologiques bretonnes[18],  – ne nous semble guère appropriée.

 

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 En ce qui nous concerne, nous nous en tenons à la règle, toujours d’actualité que nous avons « apprise », – à l’instar de Denis Pelletier, – « à la lecture d'Henri-Irénée Marrou, de Marc Bloch et de quelques autres : il n'est pas de bonne critique historienne si elle ne se fonde sur l'empathie à l'égard de son objet »[19].  Mettre en œuvre, à l’occasion de notre réexamen du dossier Le Grand, une telle approche « empathico-critique », comme nous l’avons qualifiée ailleurs[20], c’est, d’abord, donner la parole à cet écrivain et surtout l’écouter quand il nous fournit, parfois involontairement, des indications sur son projet, la manière dont il l’a conduit et la réception progressive de son œuvre par le public ; c’est, également, vérifier si les spécialistes de littérature, peuvent contribuer à éclairer les ouvrages concernés, non seulement par des appréciations de nature esthétique, ou bien par des rapprochements entre auteurs, mais également par des considérations sur le contexte qui a vu leur composition. C’est, ensuite, chercher à qualifier, sans a priori, la démarche de Le Grand, notamment ce qui concerne la dimension à la fois pionnière et systématique de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique. C’est, enfin, compte tenu de la disparition d’une grande partie du corpus des textes hagiographiques médiévaux bretons, s’efforcer de tirer un maximum d’information des sources citées, mentionnées, paraphrasées par le dominicain.

 

 

I

Il importe avant tout de ne pas considérer l’œuvre de Le Grand comme celle d’un historien dans l’acception actuelle de ce terme : c’est le travers dans lequel sont tombés nombre de commentateurs, aussi bien ceux qui ont utilisé cette somme sans précautions, que ceux qui en ont strictement proscrit l’usage ; au reste, il convient de rappeler que, sauf lorsqu’il s’agit de novi sancti, l’historicité des personnages concernés est presque toujours inaccessible. On peut observer, quand la comparaison est possible, que les sources utilisées par notre auteur appartenaient le plus souvent à la production hagiographique tardo-médiévale et qu’à ce titre elles intéressent évidemment le médiéviste pour les éléments qu’elles peuvent apporter, non sur le saint lui-même, mais sur « l’histoire de son histoire », c’est-à-dire sa dimension historiographique qui recouvre de nombreux aspects de la vie de la société. En outre, le traitement auquel, à son tour, Le Grand a soumis les sources en question, – traitement bien éloigné, en effet, de celui qui caractérise l’approche historienne telle qu’on l’entend aujourd’hui, – ne présente en revanche guère de différences avec la manière dont les hagiographes du Bas Moyen Âge avaient eux-mêmes traité leurs propres sources : ce qui rend cette expertise du médiéviste d’autant plus précieuse.

Les ouvrages appartenant à la « classe » des legendae sanctorum,  dont la célèbre Légende dorée est l’archétype[21], quelles que soient par ailleurs leurs nombreuses différences de fond et de forme, ainsi que les époques respectives de leur publication, ne sont pas de simples collections, mais de véritables compositions : ainsi, dans l’ « Advertissement au lecteur » placé en tête de son ouvrage, Le Grand évoque des « mémoires » réunis « en un petit corps formé » selon l’ordre du calendrier[22] ; de tels « corpus » hagiographique résultent d’un projet éditorial dont il convient de rappeler le contexte : disposer d’outils efficaces afin d’exécuter au mieux la double mission de conversion des populations et d’édification des fidèles dont sont chargés les dominicains et parachever ainsi l’acculturation chrétienne de la société. C’est ce que rappelle Le Grand dans deux passages particulièrement significatifs.

« Amy lecteur, la principale fin des Frères Prédicateurs (à l'Ordre desquels il a pleu à Dieu m'apeller) estant de procurer le salut des âmes par le moyen de la prédication et sentant mon humeur incliner à cette fonction apostolique, je commençay peu de temps après ma profession à recueillir de mes lectures ce que je rencontrois de matière propre à cet effect, pour m'en servir lorsque l'aage, la capacité et le commandement de mes Supérieurs le permettroient ».

Et plus loin :

« La fin que je me propose n'est autre que l'honneur de Dieu, la gloire de ses saincts, vostre utilité et édification et la confusion des ennemis de l'Eglise. Vous y pourrez trouver des modèles de saincteté pour former vos actions, de quelque estat et condition que vous soyez : tant de saincts prélats, prestres, moynes, hermites, rois, princes, juges, laboureurs, vierges et mariés, de tout aage et sexe ».

 

Cette référence aux états du monde pourrait constituer un écho aux personnages de la Danse macabre et, de manière générale, à cette proximité avec les fins dernières qui a longtemps caractérisé les mentalités bretonnes : tandis que les modèles dans lesquels se décline la sainteté s’expriment en fonction du statut de chacun, celle-ci, à l’instar de la Mort, recrute sans distinction dans les différentes strates de la société.

 

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L’« Advertissement au lecteur » est d’autant plus essentiel à connaître qu’il contient également un intéressant jugement du Père Albert sur l’hagiographe Le Grand, successivement son style puis sa méthode.

« Mon style au reste est simple et historique, nullement paraphrastique, ny enflé, ains succinct et troussé, autant que le sujet le peut permettre. S'il ne vous semble assez élégant, je vous respons pour légitime excuse que le François m'est d’emprunt et comme estranger, estant (comme j'ay déja dit), natif de Morlaix, ville située au cœur de la Basse-Bretaigne (dont le langage naturel est le Breton), esloignée de la Cour et de l’habitude et politesse de celuy, dont les relevés du temps se servent. Vous remarqueres aussi que là où l'Histoire semble apocrife et de peu de foy, toutefois appuyée de la tradition immémoriale, je produits les raisons de part et d'autre et laisse la chose indécise, ne voulant d’une part obliger la foy du lecteur, ny d’ailleurs desmentir trop hardiment mes garents. Mesme quand il se rencontre des opinions contraires entre les autheurs, si ce ne sont contradictions notoirement manifestes, je ne m'arreste pas à les accorder, parce que ce seroit un travail de grande haleine et de peu d'utilité ; non plus aussi à soustenir les uns et refuter les autres, ains j'en laisse la décision au judicieux lecteur et ce d'autant que ce n'est pas icy une dispute ou Controverse, mais une nuë et simple Histoire, ennemie de toute obscurité ; d'ailleurs, que je ne veux blesser la vénérable antiquité, ny appologétiquer ny pour ny contre personne ».

 

 Le caviardage auquel a procédé Guy Autret de Missirien, – les mots soulignés manquent en effet dans la deuxième édition de ce passage en 1659[23], – nous a privé d’entendre les reproches faits à l’ouvrage[24], jugé paraphrastique sur la forme et apologétique sur le fond ; car c’est évidemment à de telles critiques que s’efforce de répondre Le Grand, en revendiquant au contraire la simplicité et l’objectivité de l’historien. Notre auteur y revient, sur un ton plus familier, dans l’« Avis au lecteur » de son deuxième ouvrage[25] ; et, d’abord, il fait remarquer que son propos est conforté par des pièces justificatives, à l’instar de tout travail historique digne de ce nom.

« Mon cher lecteur, je te supplie, lisant cette histoire, que tu n'ailles t'imaginant un conte ou feinte de romant de l’invention de quelque esprit oysif et de loysir. Non, je te la garentis autant véritable en son narré qu’elle est admirable en ses rencontres du tout merveilleuses. Ne m’en crois pas et suspends ton jugement jusqu’à avoir veu les preuves que je produits à la fin du livre pour en justifier la vérité et le mettre à couvert de l’infâmie de ce soupçon ».

Quant à son style, l’écrivain dit à nouveau s’en être tenu à la simplicité qui renforce la compréhension du propos.

« Au reste, ne cherche pas en ce discours un stile pompeux et enflé de nombreuses cadences et périodes bien ajencées, ny des pensées sublimes et relevées au-delà du commun, ce n’est pas à quoy je m’arreste : je n’ay de paroles qu’au tant qu’il m’en faut pour me faire entendre et les plus communes m’ont semblé les plus intelligibles. Je préfère l’utilité au délectable, le propre à l’élégant et ton édification à une vaine ostentation ».

 

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En tout cas, il faut choisir. Car il est à tout le moins paradoxal, pour ne pas dire contradictoire, de reprocher à Le Grand tout et son contraire, à savoir d’avoir été trop crédule, ce qui l’aurait conduit à accepter dans son ouvrage tant de fables, ainsi que des forgeries attribuées à des « fantômes », la Descriptio utriusque Britanniae par Conrad de Salisbury[26], la Chronique manuscritte de Jean le Conquérant par Guillaume Gruel l’aîné[27] ou encore les Mémoires et recherches des antiquitez des Eglises du diocèse de Léon par Yves Le Grand[28] ; ou, à l’inverse, d’être lui-même l’artisan de ces différents faux, attitude qui dénoterait que sa crédulité n’était que de façade : notre auteur, « corrompu par un faux amour de la patrie », selon l’expression de Lobineau, aurait été en fait moins un naïf qu’un trompeur. Si cette dernière hypothèse était retenue, comme il se voit dans certaines recherches récentes[29], le rôle supposé des ouvrages de Le Grand dans le relayage de sources plus anciennes devrait être évidemment reconsidéré à la baisse de manière très significative[30] ; même le spécialiste des mentalités serait contraint à effectuer des vérifications sans fin avant de pouvoir proposer des conclusions.  

 Faut-il pour autant s’en tenir au diagnostic, apparemment plus mesuré, mais en réalité plus vachard, du confrère de Lobineau, Morice, pour qui Le Grand « avait beaucoup de piété et de religion », mais « pas assez d'érudition pour discerner le vrai d'avec le faux »[31], ce qui doit évidemment s’entendre de son incapacité à repérer d’éventuelles forgeries, même si, par ailleurs, ses capacités paléographiques semblent avoir été très satisfaisantes[32]. L’opinion exprimée ici par le Mauriste ne manque pas d’un certain sel, si l’on veut bien se rappeler que cet historien, sous la pression du cardinal de Rohan[33], avait lui-même conclu à l’historicité de Conan Mériadec et à l’authenticité des pièces les plus notoirement fausses de ce dossier. Au reste, appréhender la vraie nature d’un faux permet non seulement de mesurer les enjeux de la forgerie, mais aussi de révéler les motivations du faussaire et souvent même sa personnalité : dis-moi ce que tu forges, je te dirai qui tu es[34].

Au jugement sans tendresse des deux Bénédictins, on peut opposer la bienveillance dont fait curieusement montre La Borderie, si prompt d’ordinaire à condamner ceux qui arpentent le champ de l’histoire bretonne sans en avoir les compétences ; plus encore, on voit qu’il accorde à Le Grand une place primordiale dans le domaine de l’hagio-historiographie.

« Entre ces précurseurs de l'œuvre bénédictine, on doit mettre au premier rang le P. Albert Le Grand, parfois appelé, du lieu de sa naissance, Albert de Morlaix, l'auteur de cette Vie des Saints de Bretagne, si connue, si populaire, où, sous un style plein de grâces naïves, vit une piété simple et forte. On lui reproche ordinairement sa crédulité ; on devrait louer sa science et honorer sa conscience » [35].

 

La position de La Borderie est d’autant plus étonnante, qu’à bien des égards son véritable modèle et revendiqué comme tel, n’est autre que Lobineau[36] ; or, ce dernier s’était montré, en de très nombreuses occasions, particulièrement critique, sinon féroce à l’égard de Le Grand, quand bien même il lui a beaucoup emprunté, ainsi qu’on peut le voir dans son propre ouvrage sur les Vies des saints de Bretagne.

 

 

I bis

A partir de l’édition donnée en 1837 par Daniel-Louis Miorcec de Kerdanet de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique, « revues » par Joseph-Marie Graveran[37], l’œuvre de Le Grand devait susciter l’intérêt d’écrivains a priori plus aptes à en apprécier la dimension principalement littéraire ; ce que les historiens, tout à leur recherche d’informations factuelles, avaient eu sans doute eu tendance à négliger. La réédition de Kerdanet était intervenue concurremment ou presque avec la « nouvelle édition, revue, corrigée et considérablement augmentée » par François Marie Tresvaux du Fraval des Vies des saints de Bretagne de Lobineau, dont la parution s’étendit de 1836 à 1838[38]. Le parallèle ainsi instauré entre les deux ouvrages permet d’en bien mesurer les différences : malgré le traitement assez rude qu’il avait subi et qui le rendait parfois méconnaissable,  le texte repris à Lobineau et destiné par son nouvel éditeur à nourrir la piété du lecteur, continuait d’offrir par sa froide critique des aspects légendaires, une approche susceptible de satisfaire, au moins pendant quelques temps, les exigences croissantes de la démarche historique ; mais celui de Le Grand, à raison de sa richesse et de son style, recueillit aussitôt les suffrages des romanciers et des poètes, qu’il devait durablement monopoliser.

 

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 Déjà en 1835, avant sa réédition donc, cet ouvrage, qualifié de « chef-d'œuvre de naïveté et de recherches », avait fait l’objet d’un éloge vibrant par le peintre des Derniers Bretons[39].

« Tout le moyen âge se trouve dans ce livre précieux, auquel certains critiques ont spirituellement reproché de manquer de philosophie. Albert-le-Grand raconte en effet tout ce que la tradition populaire ou la légende lui ont appris, sans observations, sans discussions, avec la foi ingénue d'un enfant. C'est précisément ce laisser-aller crédule qui fait le charme de son récit, et auquel on doit les mille détails sur les mœurs, les superstitions, les institutions, les étymologies, les costumes qui abondent dans son ouvrage. Nous ne craignons pas de dire que de tous les ouvrages recherchés par les érudits et propres à éclairer sur le moyen âge, il n'en est pas un seul plus propre à faire connaître la vie intérieure et les mœurs de la Bretagne »[40].

 

On peut noter que Souvestre avait trouvé à la lecture de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique un écho à ses propres préoccupations ethnographiques ; mais il s’agit d’un écho rétrospectif ; car chez lui, nulle trace en effet de ce moyenâgisme, dont se nourrissait alors le romantisme et qui affectait les premiers touristes qu’il avait si bien moqués[41]. En outre, ce dernier a mis en évidence un autre aspect important de l’histoire culturelle régionale en rappelant l’admiration suscitée par cet ouvrage.

« L'ouvrage d'Albert-le-Grand excita une grande admiration lors de son apparition, si on en juge par ce distique latin :

Angelicum miraris opus, sed dessine lector ;
Auctor, nil mirum est, angelus alter erat
.

‘’Tu t'étonnes de cet angélique ouvrage, ô lecteur, mais cesse de t'étonner, car l'auteur lui-même était un ange !’’ » [42].

 

Ainsi, au moment même de l’irruption du « cartésianisme fondateur de l’âge classique »[43], le Discours de la méthode a lui aussi paru en 1637, l’œuvre de Le Grand constitue, nous semble-t-il, une remarquable illustration de la manière dont le « long Moyen Âge »[44] s’est effectivement prolongé au-delà de la supposée Renaissance, avec un succès dont témoignent, sur moins d’un demi-siècle, les trois éditions de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique (1637, 1659, 1680), avant que cet ouvrage ne tombe, au XVIIIe siècle, dans un oubli complet, ainsi que l’a fait remarquer en 1844 Léon Thiessé[45].

 

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Ce dernier auteur, soulignant que « le style du frère Le Grand aux grâces du vieux langage allie la vivacité d'une expression toujours pittoresque, qu'il est un modèle de narration » [46], s’est efforcé de situer l’ouvrage dans le contexte breton de son époque :

« Albert Le Grand écrivait au commencement du dix-septième siècle, mais son style appartient au seizième. La première édition de la Vie des Saints est de décembre 1636 ; quelques mois plus tard Corneille enfantait le Cid. Mais à cette époque il y avait si loin de la Basse-Bretagne à Paris ! Le frère Le Grand nous apprend que, né dans un pays où l'on ne parlait que le breton, il lui a fallu étudier le français comme une langue étrangère. Il n'avait à sa disposition que les écrivains du siècle précédent, les seuls probablement qui eussent encore pénétré dans son désert. Il fut donc de l'école de Regnier et de Montaigne. Mais s'il a perdu quelque chose de la pureté classique, s'il a dû mettre en œuvre des formes surannées, combien de tours naïfs, de gracieuses et vives locutions, ne doit-il pas à cette nécessité même ! » [47]

 

Mais, précisément, la critique rate ici très largement sa cible en comparant la Bretagne de l’époque de Le Grand à un « désert culturel », notion qu’il convient de relativiser, voire de révoquer en doute[48] : par exemple, si les données réunies et commentées par Gauthier Aubert aboutissent effectivement à des conclusions pessimistes s’agissant plus particulièrement de « la question de l’érudition historique dans les villes bretonnes »[49], c’est que le point de vue choisi en raison de l’existence d’une documentation sérielle n’est peut-être pas le mieux adapté pour conduite l’enquête, comme le reconnaît loyalement ce chercheur[50]. Il faudrait plutôt s’efforcer de distinguer ce qui, dans l’environnement quotidien des « intellectuels » bretons du temps, aurait pu les faire entrer dans la pensée moderne, telle qu’elle s’incarnait dans la révolution cartésienne en cours et bientôt dans la normalisation louis-quatorzième ; ou, au contraire, ce qui favorisait chez eux le maintien d’une attitude jugée « médiévale ». En outre, on retrouve à nouveau sous la plume de Thiessé cette obsession de la naïveté, supposée refléter l’ingénuité de Le Grand et réduisant à cette dimension simpliste la personnalité complexe de l’hagiographe.

 

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On n’en était toujours pas sorti à la toute fin du XIXe siècle, quand s’engagea une sorte de compétition entre Charles Le Goffic[51] et Anatole Le Braz[52], afin de déterminer lequel  de « ces deux frères ennemis des lettres bretonnes »[53] serait le mieux à même de mettre en valeur la richesse de l’œuvre de Le Grand et  de montrer son apport à la connaissance de  l’« âme bretonne » ou de la « race celtique » : nous reprenons en l’occurrence les expressions employées  indifféremment par les deux littérateurs, par lesquelles ils désignaient ce que l’on appelle aujourd’hui l’« identité culturelle » ; or, cette dernière formule est d’autant plus ambiguë qu’elle renvoie, en Bretagne, à une image, pour ne pas dire à une « imagerie », qui, pour l’essentiel, s’est construite et fixée au XIXe siècle sous l’influence du romantisme littéraire. Nos deux littérateurs s’accordaient pour reconnaître en Le Grand le premier des folkloristes[54] ; mais Le Goffic, plus sensible aux aspects de spiritualité, insistait davantage sur le projet apologétique du dominicain et situait ce dernier

« (…) … à mi-chemin, dans la littérature du XVIIe siècle, entre l’auteur de l’Introduction à la vie dévote et celui de l’Explication des maximes des Saints »[55].

 

Installer ainsi Le Grand sur le podium aux côtés de François de Sales et de Fénelon, c’était lui reconnaître, pour « embarrassé » que fût son style « de conjonctions et d’incidentes », – un grand talent littéraire, du moins au sens où l’entendaient les critiques de l’époque ; talent subtil au demeurant qui, dans la perspective d’une véritable « apologétique romanesque », témoigne d’une remarquable capacité à historier le roman et à romancer l’Histoire[56].

« Mais, si incomplet et confus par endroits, que ce livre a de charme encore ! Il n’en est point de son genre qui lui soit comparable et c’est aussi bien que l’onction, la naïveté et la grâce du narrateur sont choses presque uniques pour le temps. Je ne vois que saint François de Sales qui puisse être rapproché du P. Albert Le Grand. C’est, en plein XVIIe siècle, la même langue légèrement et délicieusement archaïque, non peut-être sans quelque manière, çà et là, et des subtilités où perce un peu du théologien. Mais ce qui n'est en propre que chez le P. Albert, c'est une très vive sensibilité naturelle, un fond d'imagination plus populaire encore que chrétien, je ne sais quel goût du mystère qui lui vient de sa race. Il a vraiment l'âme bretonne. Il n'est jamais si à l'aise que dans le merveilleux ; il en est tout imprégné » [57].

 

Quelques années plus tard, Le Goffic reprend son texte et conclut ce passage de manière à la fois plus concise et plus « politique » :

« Mais ce qui n’est en propre que chez le P. Albert, c’est un enthousiasme, une ferveur de patriotisme absolument inconnus jusqu’à lui » [58].

Et d’ajouter :

« Breton, il nous est une manière d’Hérodote chrétien : ce qu’il y avait encore de poétique dans la prose du neveu de Panyasis, on le retrouve dans la prose du P. Albert, comme on retrouve chez lui cette curiosité patriotique et ce souci des origines qui signalaient le premier historien grec »[59].

 

Quant à Le Braz, après avoir fait, avec sa désinvolture habituelle, endosser à Le Grand la robe d’un frère mineur du monastère de Cuburien, complet contresens ! – il s’intéresse avant tout à la dimension « ethnographique » de l’œuvre de l’hagiographe et dépeint ce dernier sous l’aspect d’un collecteur de traditions populaires, comme il revendiquait de l’être lui-même :  

« Se délectant lui-même de rassembler les épisodes épars de cette espèce de théogonie bretonne qui mêle, combine, embrasse et comprend tout, l'histoire et le roman, le poème épique et le conte, il y eut chez Albert Legrand de l'Homère, de l'Hésiode, de l'Hérodote et du Plutarque »[60].

 

Ces différents points de vue sont utiles à connaître ; mais, en dépit de leur originalité et de la finesse de leur analyse, ils témoignent avant tout de l’imprégnation romantique qui a durablement caractérisé la critique littéraire : ce sont des entrepreneurs du romanesque qui sont à la manœuvre pour juger de l’entreprise d’un de leurs pairs ! De plus, en proposant une approche résolument hagiographique de l’hagiographe, ils courent le risque, important, – de perdre le contrôle de la situation et d’en rajouter sur « cette prétendue crédulité qui n’est qu’une soumission volontaire à son sujet »[61] ; et finalement de donner à voir l’œuvre de Le Grand, à l’instar de ces ouvrages dont les auteurs se contentent de paraphraser le paraphraste, – un peu à la manière du Quichotte (ré)écrit par Pierre Ménard.

 

 

II

 « Tel Ribadenera » : c’est à l’auteur de la Fleur des saints que les contemporains de Le Grand ont comparé notre écrivain ;  du moins, c’est en jouant sur le nom de ce dernier qu’un dominicain (de Rennes ou de Morlaix ?), « lecteur de philosophie », qui signe ses vers « F.I.D.S.Th. », a créé cette anagramme : l’hommage en tout cas n’est pas mince, la somme hagiographique du jésuite Pedro de Ribadeneyra, écrite en castillan, traduite dans différentes langues, ayant connu un immense succès dont témoignent en France quelques 37 éditions entre 1609 et 1687[62]. Ribadeneyra, connu de Le Grand apparemment par le biais de l’édition « fantôme » de 1627, augmentée de nombreuses notices de Thomas Friard, est mentionné à plusieurs reprises les sources de La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique : outre la notice de Dominique de Guzman, c’est aussi le cas s’agissant de celles d’Aubin, de Paul Aurélien, de Vincent Ferrier, d’Yves de Kermartin, des Enfants nantais, d’Ursule, de Martin de Vertou, de Magloire, de Guenael, de Melaine, de Winoc et de Malo. Dans l’ouvrage sur Budoc, une allusion « au temple sous-marin de sainct Clément » a également été empruntée à Ribadeneyra[63].

Aux XVe-XVIe siècles, les « historiens » de la Bretagne, depuis l’auteur anonyme du Chronicon Briocense jusqu’à Bertrand d’Argentré, en passant par Pierre Le Baud et Alain Bouchard, pour ne citer que les plus connus, – ont tous eu recours aux textes hagiographiques médiévaux en tant que documentation privilégiée, s’agissant plus particulièrement de l’époque des origines bretonnes : c’est notamment le cas de Le Baud, qui s’est livré à un important travail de critique de plusieurs des textes en question, en procédant à leur confrontation et à leur comparaison ; mais aucun des écrivains en question n’a véritablement procédé à un traitement systématique de cette documentation, ou même commencé à en rassembler les différents éléments. Le Grand fut donc le premier, en Bretagne, à proposer un recueil relatif aux saints et bienheureux régionaux, ou du moins « naturalisés » bretons[64], afin de faire connaître, pour un nombre significatif d’entre eux (80), – parmi lesquels quelques personnages féminins (4), –  leur vie, leurs actions, ainsi que les miracles obtenus, de leur vivant ou après leur mort, grâce à leur intercession[65] ; le tout étant rapporté sous la forme de récits continus, en langue vernaculaire, très majoritairement composés à partir de sources manuscrites ou imprimées, que l’hagiographe signale avec une relative précision. D’autres saints et bienheureux font l’objet de mentions plus ou moins furtives : ils sont nombreux (59), mais jouent le plus souvent les simples faire-valoir des personnages plus prestigieux dont ils traversent la vie, ce qui explique en partie qu’on y compte proportionnellement plus de personnages féminins (8). Le Grand a pu parfois trouver leurs noms dans les textes antérieurs ; mais sans doute s’agissait-il également pour lui de rendre compte de traditions locales, inspirées notamment par la toponymie et qui associaient ces différents personnages dans une même dévotion populaire. Si l’on ajoute les 20 noms de saints, dont à nouveau 3 personnages féminins, sur lesquels l’hagiographe demandait à son lecteur de l’informer pour une prochaine édition de son ouvrage[66], la base de données compilée par ses soins comprend donc quelques 159 noms. 

 

*

La démarche systématique qui sous-tend le projet de Le Grand,dont on peut imaginer qu’il aurait été encore renforcé si notre auteur avait pu donner de son vivant la nouvelle édition projetée, ainsi que son caractère pionnier en Bretagne mériteraient à eux seuls de faire l’objet d’un examen particulier, dans une perspective où les aspects historiques et littéraires de l’ouvrage ne seraient pas dissociés les uns d’avec les autres, non plus que d’avec leur dimension proprement idéologique. En effet, l’approche « totale » proposée par Le Grand dépasse de beaucoup, ainsi que nous l’avons rappelé, les habituelles préoccupations historiennes auxquelles certains ont été parfois tentés de le réduire, ou, plus exactement, il s’inscrit dans la perspective historique élargie du christianisme dont a parlé Marc Bloch.

« Le christianisme est une religion d’historiens. D’autres systèmes religieux ont pu fonder leurs croyances et leurs rites sur une mythologie à peu près extérieure au temps humain. Pour Livres Sacrés, les chrétiens ont des livres d’histoire, et leurs liturgies commémorent, avec les épisodes de la vie terrestre d’un Dieu, les fastes de l’Église et des saints » [67].

C’était déjà le projet de Jacques de Voragine, souligné par Jacques Le Goff.

« Montrer comment seul le christianisme a su structurer et sacraliser le temps de la vie humaine pour amener l'humanité au salut » [68].

 

Pour ce faire, s’est imposé à Le Grand, comme à son prédécesseur, le recours au sanctoral, « c’est-à-dire le temps marqué par la succession de la vie des saints, qui est un temps linéaire » : les saints se voient ainsi attribuer un « rôle essentiel », celui de « marqueurs du temps »[69] ; mais, sous la plume de notre hagiographe, le récit de leurs « gestes » vient de surcroît illustrer le dessein que Dieu a conçu pour la Bretagne : conséquemment la période héroïque, celle des origines bretonnes, la plus riche en personnages remarquables bénéficie, au-delà de la simple reprise du cycle de leurs fêtes, d’une chronologie aussi précise que fabuleuse, synthétisée dans les différents catalogues de monarques et de prélats qui constituent une partie très importante de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique. On y retrouve tout le système élaboré par Le Grand à partir des données extraites de sa documentation et qu’il a (ré)interprétées en fonction de ses besoins[70] : l’équilibre de l’ensemble est assuré par la combinaison inextricable d’éléments authentiques, – ce qui, s’agissant de littérature hagiographique ne signifie évidemment pas véridiques, – avec d’autres, empruntés cette fois à des pièces controuvées, pour lesquelles, ainsi que nous l’avons dit, la connaissance des motivations du faussaire et des circonstances de la falsification peut permettre de repérer en creux certains éléments véridiques, sinon authentiques.

 

*

 On a évoqué le modèle incarné par Ribadeneyra, tel qu’il était accessible à Le Grand grâce à l’édition donnée et complétée par Thomas Friard. Tout aussi manifeste est l’intérêt que notre hagiographe témoignait à d’autres recueils collaboratifs auxquels il a explicitement emprunté de la matière pour nourrir ses propres notices : en particulier ceux de René Benoist et de Guillaume Gazet. Tous ces ouvrages ont en commun qu’ils répondaient à la situation de leur époque, marquée par le choc de la Réforme et les efforts tridentins de reprise en main. Cependant, si, en la circonstance, le Catéchisme du concile de Trente avait mis en place une sorte de « police des saints » dont les évêques étaient en charge, s’agissant en particulier des noms de baptême[71], – comme on peut le voir, par exemple, lors de la confirmation des baptisés[72], avec la renomination de ceux dont le patronage posait problème[73], – les dévotions traditionnelles ont été au contraire paradoxalement renforcées à l’époque en Bretagne par la rédaction de textes hagiographiques nouveaux, adaptés aux exigences du temps et témoignant à l’occasion d’un subvertissement d’anciennes traditions, voire de l’inclusion de nouvelles. Ce phénomène est largement à l’œuvre sous la plume de Le Grand à de nombreuses reprises, par exemple dans la notice consacrée à Guénolé, dont l’analyse[74] permet de mettre en évidence le savoir-faire littéraire de l’hagiographe[75] : il s’agissait pour ce dernier d’intégrer dans le récit des éléments distincts de la tradition landévénécienne,  –  éléments apparemment déjà connus, au moins partiellement, de Le Baud[76],  –  à savoir ce qui se rapportait  1°)  à la naissance de Guénolé en Léon, plus précisément à Lesven en Plouguin, 2°) à sa formation en Cornouaille auprès de Corentin, en lieu et place de celle reçue en Goëllo auprès de Budoc, 3°) à son attitude de nouveau Moïse lors de la bataille de Guissény, où, grâce à ses prières, son père Fracan peut repousser l’assaut de « certains pirattes payens », démarquage d’une anecdote qui figure dans la vita de Goulven[77], 4°) aux circonstances de la fondation de l’abbaye de Landévennec. Enfin, 5°) à l’histoire tragique de la fin de la ville d’Ys acclimatée en Cornouaille[78], mais qui était peut-être là encore d’origine léonarde[79].

Ainsi convient-il d’ajouter aux caractéristiques de l’œuvre de Le Grand, outre les aspects systématique et pionnier de la démarche qui l’a inspirée, son rôle décisif dans le processus de « normalisation » du culte des saints bretons ; mais l’important est surtout de bien comprendre que la plupart des travers dont on lui a fait le reproche traduisent en fait,quoi qu’il ait dit de son refus de trancher entre deux opinions contradictoires de sa documentation, – sa volonté d’intégrer et de concilier un maximum d’éléments, issus de sources de nature et d’origine diverses, dans un récit tout à la fois coloré et synthétique, dont l’un des meilleurs exemples est donné, ainsi qu’il vient d’être dit, par la notice consacrée à Guénolé[80]. Il est dès lors possible de réinterpréter de manière beaucoup plus positive le jugement péjoratif de Lobineau, qui a parlé de Le Grand comme d’un « habile Métaphraste »[81] : en réalité, c’est précisément ce talent de rewriter qui a favorisé la popularité de son œuvre, alors même que celle du bénédictin, comme en témoigne la réécriture partielle de Tresvaux, –  est rapidement devenue illisible et n’est désormais plus connue que des seuls spécialistes ; à tout le moins, si l’on dénie à notre auteur d’avoir possédé les qualités qui font le bon historien, ce qui, au demeurant, paraît excessif, – il faut reconnaître que son œuvre constitue en elle-même une source essentielle à connaître pour pouvoir traiter de l’histoire littéraire et culturelle de la Bretagne de son temps[82].

 

 

III

Dans l’introduction de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique, Le Grand a indiqué en quoi consistait principalement la documentation qu’il a utilisée : sa « curiosité », écrit-il, l’avait amené « à visiter les anciens Bréviaires imprimez, Légendaires et Martyroles (sic) manuscrits, Offices particuliers et semblables Antiquitez desdictes Eglises et tirer extraicts de la pluspart d'iceux »[83]. Hélas, de cette collecte que l’on peut supposer avoir été très abondante, à en croire les nombreuses références qui figurent dans les sources des différentes notices de l’ouvrage, il ne subsiste malheureusement qu’un seul carnet de notes, daté des années 1634-1635 et majoritairement formé de textes qui ont été copiés ex veteri legendario manuscripto Namnetensi[84] : au reste, ce vestige, sommairement inventorié autrefois par Sigismond Ropartz[85], est particulièrement important à consulter, attendu que les monuments de l’hagiographie nantaise à l’époque médiévale n’ont guère laissé de traces ; mais à notre connaissance seuls François Plaine en 1883 et André Oheix en 1913 ont eu recours à cette source pour leur édition respective de la translatio des reliques de Gohard[86] et de la vita de Viau[87].

Le Grand énumère également un grand nombre de titres de livres imprimés, faisant irrésistiblement penser à une sorte de relevé bibliographique, aussi exhaustif que possible, redondant le plus souvent[88], dont, en fait, le résidu informationnel s’avère souvent assez négligeable, car le système qui l’inspire consiste avant tout à « accumuler pour conforter le propos »[89]. Le Grand parait témoigner en l’occurrence de la même attitude que celle de son contemporain connu de lui, Yves Arrel, doyen de Lanmeur et prieur de Kernitron, auteur d’une Vie de Saint-Melaire, martyr en Bretagne, qui a paru à Morlaix en 1627[90] : citant lui aussi les très nombreux ouvrages consultés pour écrire son ouvrage, Arrel « confesse » à l’un de ses correspondants « que peu de fruit ai cueilli dans tous ces beaux arbres »[91] et préfère insister sur la valeur absolue de sa principale source, à savoir

« (…) … nostre très ancien manuscrit de l’histoire de Cornouaille gardé dans le thrézor de l’église de Lameur avec un soin extrême depuis plusieurs siècles, au bas duquel se voyent les seings d’environ vingt evesques et de cantité de doyens, vicaires, prestres et marguilliers de Lameur ; lequel en l’année 1227 fut mis en langage plus correct par un prestre nommé Mre Guillaume Hamon ; dans lequel il est parlé amplement de la naissance, vie et mort de nostre sainct patron, comme aussi du commencement et progrès des princes de Kerfeunten ou Lameur ; lequel manuscrit sur velin, relié en velours si usé qu’il est difficile d’en discerner la couleur, Monseigr de Revol nostre evesque a emporté à Dol sous son receu, duquel je suis dépositaire, au dessein de le faire imprimer pour l’édiffication des peuples et la gloire de Dieu et de ce saint »[92].

 

Il s’agit là du genre de manuscrit qu’affectionnait Le Grand, c’est-à-dire susceptible d’avoir été forgé, fabriqué, falsifié[93], puisque soustrait dès cette époque à tout contrôle et depuis perdu[94]. A plusieurs reprises d’ailleurs notre auteur mentionne parmi ses sources, à propos de Mélar bien sûr[95], mais également de Samson[96] et même de Clair[97], l’ouvrage et les mémoires d’Arrel, dont il se serait même servi pour dresser son catalogue des archevêques de Dol[98].

Quant à l’ouvrage sur Budoc, il offre au lecteur la possibilité de mesurer, à la lecture des « preuves » alléguées par Le Grand, le minutieux travail de collation documentaire auquel notre auteur s’est livré sur les offices, prose ou leçons relatifs à ce saint dans les bréviaires imprimés de Léon (1516) et de Dol (1519), ainsi que dans le missel (imprimé ?) de Léon (1526 ?) et dans un « lectionnaire manuscrit » de cette église. Le Grand donne au surplus de larges extraits de ces différents textes, en précisant à plusieurs reprises qu’il les a « traduits quasi de mot à mot »[99] : difficile de contester la réalité de son retour aux sources et de remettre en cause sa volonté de suivre celles-ci au plus près, alors que la dimension méthodique de sa démarche s’aperçoit nettement, par exemple à l’occasion de la rédaction de sa notice sur Aubin[100] ; c’est donc ailleurs qu’il faudra tenter de le surprendre en flagrant délit de bidouillage. Au surplus, l’hagio-monographie de Budoc permet d’appréhender de manière renouvelée la problématique de la perte ou de la disparition de textes.

 

*

La perte, considérée comme plus ou moins irrémédiable, de textes avérés ou simplement supposés ouvre la porte aux hypothèses, voire parfois à l’invention de pièces qui n’ont jamais existé :  ainsi a-t-on assisté depuis quelques décennies à la mise en œuvre de recherches sur une « littérature perdue » qui, malgré le talent et l’érudition de leurs promoteurs[101], peinent toujours à convaincre[102] ; le concept d’hypothétitexte lui-même[103], auquel on est tenté de recourir dans certains contextes particuliers[104], doit faire l’objet d’une utilisation prudente[105]. En revanche, s’agissant d’un texte disparu, pour lequel on a conservé des extraits ou même simplement des fragments, la possibilité s’offre d’une reconstitution plus ou moins étendue, opération qui s’avère grandement facilitée par la confrontation de ces vestiges à un « référentiel » ; or, ainsi que nous avons pu l’expérimenter pour notre édition commentée du dossier littéraire de Goëznou, c’est bien le rôle que peuvent jouer à l’occasion les notices qui constituent La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique.

« Le résumé assez sec fourni par la paraphrase en français d’Albert Le Grand permet de contrôler la linéarité du récit, d’en reconstituer les principales articulations et d’y intégrer sans trop de peine la matière plus développée des anecdotes qui figurent dans ces extraits, en particulier ce qui concerne la destinée des différents membres de la famille du saint et surtout la fondation miraculeuse du monastère de Landa »[106].

 

Naturellement, l’opération n’est pas sans risques et nécessite la plus grande prudence lors de sa réalisation :

« En nous appuyant sur le récit de Le Grand pour reconstituer la trame narrative de l’ouvrage concerné, nous avons conscience d’avoir accordé notre confiance au plus décevant des guides ; mais, en la matière, il faut distinguer entre les aspects de détails, où cet auteur excelle en effet à inventer, et le récit proprement dit, où cette inventivité est beaucoup plus contenue, car ses éventuels débordements viendraient, au détriment de l’efficacité de la prédication, s’opposer à la mémoire et à la tradition : Le Grand avait besoin, pour conforter sa pastorale, de s’appuyer sur les éléments constitutifs du culte populaire du saint, qu’il ne pouvait donc pas complètement ‘’réinventer’’. Et de fait, quand la comparaison est possible avec telle ou telle vita, on peut constater de multiples différences de détail et des enjolivements qui caractérisent la propre composition de Le Grand ; mais la structure narrative n’a en général subi aucune modification significative » [107].

 

Ainsi que nous l’avons déjà signalé, dans la plupart des cas où la comparaison est possible, on peut constater et mesurer la fidélité de notre auteur au texte latin qu’il a traduit (ou plutôt paraphrasé) : quand l’invention est présente, elle concerne généralement les « fourrures » dont notre auteur a ornementé son hypotexte et qui le plus souvent n’apparaissaient pas dans ce dernier ; l’autre défaut que ce penchant imaginatif a induit consiste chez Le Grand à vouloir intégrer son récit dans le cadre d’une chronologie précise, que lui-même ne s’obligeait pas toujours à suivre de manière rigoureuse, se faisant ainsi à l’occasion son « premier contradicteur »[108],  comme on peut le voir par exemple en comparant son ouvrage sur Budoc avec son catalogue des archevêques de Dol[109]. A noter que ce genre de préoccupation était largement étranger à la mentalité des hagiographes médiévaux, s’agissant aussi bien de la datation de leur production, que de celle des événements qu’ils ont rapportés.

 

*

Nous présentons dans le tableau ci-dessous le status quaestionis relatif aux supposées sources manuscrites de textes hagiographiques médiévaux réputés aujourd’hui perdus ou disparus, que Le Grand indique avoir utilisées pour composer la notice du saint ou de l’événement concerné, à l’exception donc de celles qui pourraient correspondre à des textes hagiographiques encore connus aujourd’hui : on verra à la lecture de ce tableau qu’il reste encore beaucoup à faire pour renseigner l’éventuelle filiation entre ces textes perdus ou disparus et les notices de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique ; néanmoins on pourra constater que quelques-uns ont fait l’objet d’un traitement plus ou moins approfondi, qui confirme l’intérêt des recherches engagées sur cette question.

Nous avons conservé pour les noms des saints, répertoriés selon l’ordre du calendrier, l’orthographe proposée par Le Grand ; pour la clarté du tableau, nous avons utilisé différentes abréviations dans l’énumération de ses sources[110], ainsi que dans la bibliographie du status quaestionis[111].

 

 

Saint/Evénement

Sources

Status quaestionis

Riok

« Anciens » mss des égl. abb. de Landévennec et Daoulas ; « vieil livre » en l’égl. par. de Plouneventer ;  « vieille » Chr. de Bret. anonyme ; YLG, Mém.

Couffon 1971 ; Tanguy 1986, p. 149-150 ; Tanguy 1987, p. 467-469 ; Bourgès 2006, p. 39

Guevrok ou Kirec

« Vieux » lég. mss. de la cath. de Léon et de l’égl. coll. du Folgoët ; YLG, Mém.

Bourgès 2014, p. 54-55

Jaoua (alias Jouin)

« Vieil » lég. de la cath. de Léon ; YLG, Mém.

Tanguy 2004 ; Bourgès 2005

Fondation de Notre-Dame du Folgoët

YLG, Mém.

 

Elévation du corps de Vincent Ferrier

YLG, Mém.

 

Vouga

« Vieille » Chr. de Bret. ; « vieil » lég.  de l’abb. de St-Mathieu ; YLG, Mém. ; « vieil » lég. « choral » de l’égl. cath. de Léon »

 

Translation du doigt de Saint Jean Baptiste

« Ancien » ms de l’égl. de St-Jean Traoun Meriadek (St-Jean-du-Doigt) ; YLG, Mém.

 

Friard

« Vieil » ms en l’égl. de Besné

 

Fondation de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle

Chr. ms de Jean le Conquérant « par Guillaume Gruel l’aisné »

 

Sezni

« Anciens » lég. mss. des égl. cath. de Léon et  coll. du Folgoët ;  « ancien livre » ms de l’égl. de Guisseny ; YLG, Mém.

 

Charles de Blois

Chr. de Jean le Conquérant par « Guillaume Gruel l’aisné »

 

Suliau ou Tysiliau

« Anciens » lég. mss. de la cath. de Léon et de l’égl. coll. du Folgoët ; « original de sa Vie » en l’égl. de St-Suliac.

Merdrignac 1997, p. 49-50

Guénégan (alias Cognogan)

« Ancien » lég. ms.  de l’égl. de Beuzit-Conogan

Bourgès 2017

Ursule et les Onze mille vierges

« Anciens » lég. mss. des égl. cath. de Nantes, Tréguier et Léon et  de l’égl. coll. du Folgoët ;  

ms « ancien » de l’abb. de Buzay

 

Hernin ou Thernen

« Vieil » ms en l’égl. de Locarn

 

Ké ou Kenan surnommé Colodoc

« Vie escritte en latin » par « Maurice vicaire » de l’égl. de Cléder, « gardée es archives d’icelles »

Gowans 1990 ; Gowans 2007

Tanguy (et Haude)

« Vieil » lég. ms de l’égl. coll. du Folgoët ; YLG, Mém.

Tanguy 1995, p. 34-43 ; Merdrignac 1997, p. 50 et 52 ; Bourgès 2006, p. 40-43

Gunstan

« Anciens » lég. mss de St-Gildas de Rhuys et de St-Goustan du Croisic

 

Briak

« Vieil » ms en l’égl. de Bourbriac

Merdrignac 1997, p. 50-51 ; Bourgès 2001, p. 168-171.

 

 

 A

On aura noté la place qu’occupe ici Yves Le Grand, auteur de Mémoires dont nous avons connaissance par notre hagiographe.

« Du temps de ce Prélat [Vincent de Kerleau, évêque de Léon (1472-1476)], Noble et discret M. YVES LE GRAND puisné de la maison de KERIGONVAL en ce Diocèse, Aumosnier du Duc François II, Chanoine de Léon et du Foll-coat, et Recteur des Parroisses de Plou'-Neventer, et depuis de Plou’-Daniel, fit par le commandement du Duc, des recherches des antiquitez des Eglises du Diocèse de Léon, lesquels m'ont donné de grandes lumières, tant pour dresser cette histoire, que celle des Saints Patrons spéciaux de ce Diocèse. Je croirois qu'il avoit ordre de son Prince de donner au public une histoire du païs, ou bien il faisoit ce recueil pour quelque autre à qui ledit Prince avoit donné charge d'escrire, car il dit spécifiquement, qu'il y a travaillé par exprès commandement du Duc, et de fait M. Pierre le Baut qui depuis a (par commandement de la Royne Anne) escrit l'Histoire de Bretaigne, a pris de luy ce qu'il dit de l'Evesché de Leon. Ces mémoires me furent communiquez l’an 1622 [en marge : par escuyer Vincent Le Grand sieur de Kerscao Kerigonval Conseiller du Roy, Séneschal de Ker-Ahès] et en pris coppie »[112].

 

Or, Le Baud a effectivement eu accès à une source de ce genre, dont il fit au moins deux extraits relatifs à l’histoire de Brest[113], lesquels figurent à des endroits différents dans son carnet de notes[114] ; mais, compte tenu qu’ils se corroborent réciproquement, il parait très probable que ces deux extraits ont été empruntés, sinon au même texte, du moins à la même source. En outre, nous ignorons si l’ordre dans lequel se présentent aujourd’hui les feuillets de ce carnet de notes correspond à l’ordre initial[115] : il manque l’étude codicologique qui nous expliquerait pourquoi, dans sa forme actuelle, le carnet en question, qui fait apparaître l’intervention de plusieurs mains, tantôt rapproche des extraits qui ont été copiés en des endroits nettement distincts, tantôt disperse et éloigne les unes des autres des notes indiscutablement prises à la même source ; peut-être faut-il envisager l’hypothèse d’une construction par « emboitage » de différents quaternions provenant de mains diverses.

Est-il possible d’aller plus loin dans la connaissance de l’ouvrage consulté par Le Baud ? De déterminer le lieu et les circonstances de sa rédaction ? D’appréhender la nature de son contenu ? D’esquisser le profil de son auteur ?

 

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Pour en savoir plus,  il faut avant tout identifier ceux pour qui cet ouvrage a été écrit, en examinant les réponses qu’il apporte aux interrogations spécifiques du « public » concerné : d’après les extraits que nous a conservés Le Baud, seraient essentiellement concernés les habitants du Bas-Léon, dont l’auteur voulait apparemment renforcer la fierté communautaire en présentant, sous le nom d’Octizmor, Brest comme l’ancienne capitale politique et religieuse de la Bretagne armoricaine ; outre le statut de résidence royale, il revendique pour la cité du Ponant celui de siège épiscopal, ainsi que la double filiation « troyenne » et apostolique. L’origine « troyenne » des Bretons, était un stéréotype depuis le succès continental de l’œuvre de Geoffroy de Monmouth[116] ; mais cette revendication devait connaître un impressionnant regain sous le règne des derniers ducs de la maison de Montfort : ravivée dans le Chronicon Briocense, on la voit triompher dans l’œuvre de Pierre Le Baud et dans celle de Bouchard[117]. Quant à l’apostolicité d’Octizmor, c’est une trouvaille qui semble appartenir en propre à notre auteur, mais qu’il convient de rapprocher de la revendication par l’auteur du catalogue épiscopal de Tréguier au sujet du mythique évêché de Lexobie[118]. En tout état de cause, les « rois et princes » de Brest, mentionnés dans l’un des deux textes[119] extraits de l’ouvrage en question, ne sont pas les produits de la seule imagination d’un auteur tardif : ce sont les avatars de traditions plus anciennes, dont nous avons encore des vestiges telles la mention d’une « reine de Brest » dans le nécrologe de Landévennec, compilé en 1293[120], ou encore, dans l’état où nous l’a transmise l’auteur du Chronicon Briocense au début du XVe siècle, la legenda sancti Budoci, dont la première partie est formée par la « merveilleuse et édifiante histoire du roi de Brest et d’Azénor sa fille, épouse de Goëllo »[121].

Au-delà de ces aspects assez nettement « patriotiques » en faveur de Brest, destinés, à n’en pas douter, à conforter le chauvinisme local, la nature de l’ouvrage, du moins pour les extraits conservés, semble avoir été plutôt  historiographique, et peut-être son auteur s’inspirait-il de vastes compilations antérieures, comme pourrait l’indiquer la référence au Speculum historiale ; mais, en ce qui concerne son sujet, il a surtout puisé à des sources hagiographiques : le Sermo venerabilis Paulini Legionensis britannicae urbis episcopi, de translatione sancti Mathei apostoli, la vita de Goëznou et celle de saint Paul Aurélien, sources qu’il n’a pas hésité d’ailleurs à soumettre à un traitement très vigoureux dont témoigne leur déformation. Sources dont la localisation est à peu près certaine : le Sermo à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre ; la vita de saint Goëznou à l’église de Gouesnou, mais aussi dans un légendaire du Bas-Léon, à l’abbaye Saint-Mathieu probablement ou peut-être à la collégiale du Folgoët ; la vita de saint Paul Aurélien à la cathédrale, mais sans doute également dans plusieurs autres églises du diocèse.

L’auteur est donc vraisemblablement un Léonard, particulièrement intéressé à mettre en valeur son microcosme. Cependant, dans toute démarche historiographique médiévale, il s’agit moins de mettre en avant quelque motivation personnelle à écrire l’histoire que de prétendre répondre à la demande d’un patron, voire d’un commanditaire. C’est d’ailleurs en se prévalant de l’importance de la commande et de la puissance du patron, ici rien moins que le duc de Bretagne, – qu’on peut en effet espérer avoir accès aux sources ; sources plus ou moins variées, mais qui s’avère en l’occurrence majoritairement hagiographiques et léonardes.

 

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Les Mémoires et recherches des antiquitez des Eglises du diocèse de Léon attribués à Yves Le Grand comprenaient les vitae de Rioc, Guévroc, Jaoua, Vouga, Sezni et Tanguy[122], comme on l’a vu dans le tableau ci-dessus, tous saints particulièrement honorés en Léon, de même que Hervé, Goulven et Ténénan, dont les vitae figuraient également dans cette compilation[123] ; à quoi il faut ajouter le récit de la fondation de Notre-Dame du Folgoët[124]. Il était également question de quelques épisodes extra-léonards : l’élévation du corps de Vincent Ferrier à Vannes et la translation de l’index droit du Précurseur à Saint-Jean Traoun Meriadek, aujourd’hui Saint-Jean-du-Doigt, à cette époque simple trève de la paroisse trégoroise de Plougasnou[125]. En fait, le compilateur n’a connu relativement au Folgoët et à Plougasnou que des éléments de la tradition, car les événements cocernés remontaient au premier quart du XVe siècle ; en revanche, ce qui se rapporte aux cérémonies de l’élévation du corps de Vincent Ferrier, en 1453, a pu constituer un témoignage contemporain[126] : il faut en déduire que l’ouvrage en question a été mis en forme, dans un but tout autant historiographique qu’hagiographique, après 1453, mais au plus tard en 1472, année indiquée à plusieurs reprises comme étant celle de sa composition[127].

Or le 4 avril 1464, cherchant à explorer pour des raisons de nature politique le terrain des origines religieuses de la Bretagne, le duc François II avait donné un mandement qui prescrivait à plusieurs de ses conseillers de  procéder à un examen approfondi des « lettres de la fondation de chacune des églises de notre païs », des « livres anciens, martiloges, croniques, et autres vieilles escriptures d’icelles églises » et de faire un « extrait des lettres desdites fondations, martiloges, livres et chartres anciennes que pourrez trouver et appréhender esdites églises et ailleurs »[128] : voilà qui s’accorde parfaitement avec le titre et avec la date de cette compilation. Attribuer, comme l’a fait l’hagiographe morlaisien, la composition d’un tel ouvrage à un chanoine de Léon et du Folgoët, successivement recteur de Plounéventer puis de Ploudaniel, — lequel aurait été en outre aumônier de François II et même l’un de ses conseillers, — demeure une hypothèse acceptable, en dépit de l’accumulation de titres et bénéfices au profit du compilateur ; en revanche, il est peu probable que ce dernier fût Yves Le Grand, dont le nom devait figurer, avec la date 1472, en tête du manuscrit, à la manière d’un ex-libris : en effet, le véritable personnage de ce nom, établi en Léon à la fin du XVe siècle, était un laïc, le propre bisaïeul de « notre » Le Grand[129], situation qui permet de rendre compte de manière vraisemblable de la transmission du manuscrit des Recherches sur les antiquités des églises de Léon à l’oncle paternel d’Albert, Vincent, aîné des petits-fils d’Yves.

Il reste en conséquence à trouver le nom du compilateur en tenant compte des différents éléments que nous venons de rappeler : à cet égard, l’exploration systématique du carnet de notes de Le Baud, surtout s’il est composé de cahiers de diverses provenances, permettrait peut-être de fournir des indices.

 

 

B

Un autre point mérite plus particulièrement l’attention et devrait susciter en Bretagne un intérêt particulier, la découverte en 2000 du manuscrit de la pièce de théâtre Beunans Ke, en moyen-cornique, dont une édition traduite et commentée a été procurée en 2007 par Graham Thomas and Nicholas Williams[130] : outre que cette découverte ouvre la voie à de nouvelles études sur la littérature de langue cornique, elle s’avère également très importante pour l’histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. On peut en effet reprendre, s’agissant de Beunans Ke, les mots de Doble au sujet de Beunans Meriasek, autre pièce en moyen-cornique.

« Elle témoigne d’une connaissance intime des traditions bretonnes et des livres liturgiques locaux, ce qui constitue un maillon important dans la chaîne d’évidences prouvant la continuation des relations entre le Cornwall et la colonie bretonne d’Armorique un millénaire après la fondation de cette colonie » [131].

 

Doble a ainsi montré que la vita latine de Mériadec était la source commune à l’auteur de Beunans Meriasek et à Le Grand pour sa propre Vie du saint[132]. Dans la notice que notre hagiographe a consacrée à  Ké et dont il dit avoir emprunté la matière à une « vie escrite en latin d’asses bon stile pour le temps par un certain Maurice, Vicaire de ladite église de Cléder et gardée es archives d’icelle »[133], on trouve un épisode qui met en scène Arthur et Mordred[134] ; or, ce passage se retrouve également dans Beunans Ke : c’est donc qu’il figurait lui aussi dans une source antérieure commune aux deux textes, laquelle peut avoir été la vita, conservée à Cléder, voire un texte plus ancien encore dont cette vita aurait constitué une réécriture. Accessoirement, le dossier de Ké pose la question de l’utilisation de matériaux arthuriens dans la production littéraire bretonne au bas Moyen Âge ; mais dans le cas présent, cette question ne peut trouver de réponse satisfaisante que si l’on fait préalablement la démonstration que le texte-source a bien été composé en Bretagne, ce qui n’est nullement assuré[135].

En outre, si elles viennent confirmer la réalité d’une composition latine, dont témoignent le toponyme novale cervorum et l’anthroponyme Britaliensis, qui figurent dans le texte, les indications données par Le Grand sont hélas trop vagues pour nous permettre d’en inférer l’époque à laquelle avait été composée la vita : à peine peut-on supposer qu’il s’agissait d’une pièce d’assez basse époque attendu la remarque sur son style. De surcroît, Le Grand ne nous fournit aucun élément biographique relatif à ce Maurice, vicaire de Cléder, nous privant d’éventuelles informations sur le rôle exact joué par le personnage dans l’élaboration et la transmission de cette vita : tout aussi bien pourrait-il s’agir d’un nommé Morris, vicar de l’église de St Clether, en Cornwall, dont une copie de l’ouvrage aurait été amenée à Cléder pour servir de « mode d’emploi » de reliques locales, opportunément (re)découvertes.

 *

En conclusion, il nous paraît important de revenir, eu égard à l’époque de sa rédaction, sur la caractéristique principale La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique. Si l’ouvrage est strictement contemporain du Discours de la Méthode, comme on l’a dit plus haut, et du chef-d’œuvre de Pierre Corneille, Le Cid,  il relève d’une approche du monde qui continue d’être marquée par la pensée médiévale : une pensée réputée « simple », plus en accord avec les rythmes naturels et dont notre société actuelle, percutée par le problème écologique, a cru percevoir un certain écho « assisien » dans l’encyclique Laudato si[136] ; un monde dans lequel on voit par exemple les saints traiter avec les animaux sauvages et ces derniers, témoignant d’une incontestable intelligence avec l’humanité, consentir à leur obéir, – s’agissant même des créatures fantastiques, tels les serpents monstrueux, dragons ou griffons !  situation bien éloignée en tout cas de la théorie cartésienne, qui préconise que les hommes exercent, doivent exercer même, une indiscutable domination de nature sur des « animaux machines ».

Différence de nature, que vient illustrer superbement Le Cid, au travers du dilemme que le héros de cette tragédie parvient sinon à trancher, du moins à surmonter, contrairement à celui auquel est confronté l’âne de Buridan : l’animal, sous la plume de Spinoza, meurt, partagé entre deux besoins vitaux que son fonctionnement « machinal » ne lui permet évidemment pas de hiérarchiser ; mais qui d’autre qu’un philosophe cartésien pouvait imaginer semblable histoire, dont le premier paysan venu aurait été à même de lui  montrer toute l’inanité ? Les ânes sont assez nombreux dans la production hagiographique du Moyen Âge, où ils apparaissent le plus souvent comme une victime désignée, par exemple dans le récit topique de l’ours dévorant l’animal qui porte le saint et son bagage : ne s’embarrassant pas de ressusciter la victime, le saint obtient alors du fauve qu’il en prenne la place ; on voit cette historiette rapportée plus particulièrement à Martin de Tours, mais aussi, sur la base de leur hagio-homonymie, à Martin de Trèves, ou encore à Martin de Vertou[137]. Deux vitae composées en Bretagne, celles d’Hervé et de Malo, font état d’épisodes similaires rapportées par Le Grand ; mais le prédateur s’avère cette fois être un loup, que le saint parvient là encore à domestiquer[138]. Quant à la tradition hagiographique plus tardive, elle a notamment conservé le souvenir du « meschant asne », du « pauvre asne »[139] de Vincent Ferrier, dont le futur saint ayant été moqué par les soldats de la garnison de Châtelaudren, prophétisa en réplique la ruine du château qu’ils avaient en garde[140].

Ainsi, de La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique continuait-elle de conjuguer au présent les trois dimensions, – surnaturelle, naturelle et culturelle, – dont l’intercompénétration était parfaitement acceptée par l’homme médiéval : il n’est donc pas aberrant de chercher à retrouver à la lecture des paraphrases de Le Grand la lettre et même l’esprit des vitae médiévales dont il a pu disposer.

Cependant, comme l’a rappelé Merdrignac, il faut évidemment tenir compte du contexte dans lequel notre auteur a procédé à la réécriture des sources concernées.

« Il leur fait subir un certain nombre de modifications qui correspondent d’abord à la manière (anachronique) dont le clergé post-tridentin se représentait le passé. Ces transformations répondent aussi au propos d’édification des fidèles par le moyen de la prédication » [141].

 

D’ailleurs Le Grand n’hésitait pas à présenter son ouvrage comme une sorte de vade-mecum pour aller à l’encontre de ceux qui prétendaient « captiver la foy sous les Loix de la raison » [142].  

Dès lors l’hypothèse de Merdrignac conserve, nous semble-il, toute son actualité.

« En confrontant les Vies latines qui nous sont parvenues à la version qu’en donne Albert Le Grand, est-il possible de constater des constantes dans les transformations que ce dernier inflige à ses sources. Il est du ressort des spécialistes de l’histoire moderne d’approfondir éventuellement les motivations de cette démarche et de les expliquer » [143].

 

Nous avons évoqué au début de ce travail l’apport des médiévistes au sujet dont il est question ; mais, comme le souligne Merdrignac, le rôle des modernistes[144] est bien évidemment lui-aussi essentiel, de même que celui des spécialistes de littérature venant compléter l’approche des historiens : en tout état de cause, nous espérons que la présente notule aura contribué à confirmer l’intérêt de ces différentes lectures croisées de l’œuvre de Le Grand.

 

 

André-Yves Bourgès

 

 

 



* Notre réflexion doit beaucoup à de stimulantes discussions avec Philippe Lahellec. Ce chercheur a produit naguère, sous la direction de Jean Kerhervé et Bernard Tanguy, deux excellents mémoires universitaires consacrés à l’hagiographe morlaisien :  Approche de la vie et de l’œuvre du fondateur de l’hagiographie bretonne : Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts de la Bretaigne armorique (1637), mémoire de maîtrise (dactylographié), Université de Bretagne occidentale, Brest, 1996 ; Albert le Grand de Morlaix : sources et méthode. Étude de La Providence de Dieu sur les justes en l’histoire admirable de saint Budoc archevesque de Dol (1640), mémoire de DEA (dactylographié), Université de Bretagne occidentale, Brest, 1997. Cependant l’approche qui est développée ici n’engage que nous et, sur plusieurs points, elle s’écarte assez significativement de l’argumentation développée à cette époque par ce chercheur.

[1] André-Yves Bourgès, « Archéologie du Mythe : hagiographie du bas Moyen Age et origines fabuleuses de quelques lignages de la noblesse bretonne », Études sur la Bretagne et les pays celtiques, Kreiz 4, 1995, p. 5-28 ; Idem, « Les origines fabuleuses de la famille du Chastel », Yves Coativy (dir.), Le Trémazan des Du Chastel, du château-fort à la ruine. Actes du colloque de Brest, juin 2004, Brest-Landunvez, 2006, p. 29-44 ; Id., « Albert Le Grand et la production hagiographique de Landévennec », Britannia monastica, 18 (2016), p. 33-62 ; id., Le dossier littéraire de saint Goëznou et la controverse sur la datation de la vita sancti Goeznovei [suivi en annexe de la vita de saint Ténénan], Morlaix, 2020, passim.

[2] Albert Le Grand, La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne armorique, Nantes, 1637, ouvrage réédité en 1659, 1680, 1837 et 1901 : sauf indication contraire, nous citons le texte de l’édition de 1637, dont nous avons conservé l’orthographe tout en nous efforçant de conformer la ponctuation et l’accentuation aux usages modernes.

[3] Idem, La providence de Dieu sur les justes, en l'histoire admirable de saint Budoc, archevesque de Dol, et la princesse Azénor de Léon, sa mère, comtesse de Tréguer et Goëlo, suivi de : Admirable providence de Dieu sur un pauvre homme miraculeusement délivré du naufrage ; histoire approchante de la précédente tirée du latin de S. Paulin, Evesque de Nole, Rennes, 1640.

[4] Barthélemy Pocquet du Haut-Jussé, Continuation de l’Histoire de Bretagne d’Arthur de la Borderie, t. 5, Rennes, 1913, p. 620 : « Ce n'est pas un historien. Il manque totalement de critique et pousse la crédulité jusqu'à la naïveté. Il dédaigne la chronologie, il mêle les personnages et les dates, il raconte sans sourciller les belles actions de Conan Mériadec et de saint Riothime, qui n'ont pas plus existé l'un que l'autre ».

[5] [François Duine], « Origines bretonnes. Etudes des sources », Annales de Bretagne, 30 (1914), n°1, p. 1-2 : « Notre ancêtre en recherches hagiographiques est le dominicain Albert Le Grand, de Morlaix, qui, en 1636, publia ses Vies des saints. Le premier, il essaya de composer un corpus d'hagiographie bretonne et de lui donner l'autorité d'un recueil historique. Cet ouvrage obtint un réel succès au XVIIe siècle. L'auteur fait état de faux manifestes et crée une chronologie fantaisiste. Il soutient l'apostolicité des diocèses de Rennes, Nantes, Vannes et Tréguier. Le pseudo-roi Conan Mériadec est une cheville ouvrière de son livre. ‘’Le roy Grallon en la superbe cité d'Is’’ et ‘’la princesse Dahut, fille impudique du bon roy’’ font partie de son credo d'historien. Frère Albert modifie les légendes anciennes dans le sens de ses doctes combinaisons. Bref, il a fabriqué le plus mauvais volume qu'un critique puisse consulter, mais il ne manque pas d'un certain charme vieillot, et il mérite d'être le patron de l'école romantique dans notre province ».

[6] Extrait d’une lettre adressée par Henri Bourde de la Rogerie à Henri Waquet, 26 mars 1927 : « La Villemarqué et Albert Le Grand sont les ancêtres des historiens ou faiseurs d’histoire de Bretagne ; ils étaient tous les deux atteints d’un vilain mal : prétendre s’appuyer sur des documents qu’ils modifiaient ou falsifiaient. Cette tare a passé dans le sang de leurs descendants » [texte cité par Jacques Charpy, « Les archivistes bretons face à leur temps », Kreiz 4, Études sur la Bretagne et les Pays Celtiques (1995) p. 71].

[7] Louis Kerbiriou, Nos vieux saints bretons et la critique moderne avec une notice sur Albert Le Grand par le Rev. Canon G.H. Doble, Brest, 1938.

[8] Ibidem, p. 24 : « Ainsi il forme un chainon entre les Bretons des Ve et VIe siècles et du duché du Moyen Âge et ceux qui guident le mouvement nationaliste breton de nos jours, puisque tout nationalisme breton qui ne s’appuie pas sur la religion ne répondrait à rien, ni en Bretagne, ni hors de Bretagne, et n’aurait aucune chance de succès ».

[9] Gilbert H. Doble, The Saints of Cornwall, 5 vols, Oxford, 1960–1970 ; un sixième volume a paru en 1997.

[10] Idem, Lives of the Welsh Saints, Cardiff, 1971.

[11] A.-Y. Bourgès, « De Mgr Duchesne à la Vallée des saints : un siècle d'avatars hagiologiques en Bretagne (1920-2020) », Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, t. 100 (2022), vol. 1, p. 157-160.

[12] Ibidem, p. 161-162, citant et commentant Patrick Henriet et Jean-René Valette, « Perlesvaus et le discours hagiographique », Revue des langues romanes, t. 118 (2014), n° 1 (« Repenser le Perlesvaus »), p. 74 : « L'hagiographie latine n'est plus considérée comme le miroir d'une ‘’mentalité’’ populaire et naïve, mais bien comme un lieu d'expression privilégié des stratégies et des idéologies cléricales. S'ils fournissent quantité d'informations factuelles non négligeables, les textes hagiographiques sont désormais envisagés par les historiens dans leur cohérence propre, en même temps qu'ils sont mis en relation avec les autres réalisations (spirituelles, pragmatiques, matérielles etc.) provenant des mêmes centres et des mêmes milieux ».

[13] Dominique Aupest, « Méthodes de travail d'Albert Le Grand, hagiographe breton », Bulletin philologique et historique (jusqu'à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1966 (Actes du 91e Congrès national des Sociétés savantes tenu à Rennes), volume 2, p. 661-671.

[14] Bernard Merdrignac, « La transmission des vitae médiévales (perdues) par Albert Le Grand, hagiographe du XVIIe siècle : questions de méthode », Alicja Karlowska-Kamzowa et Jacek Kowalski, J. [éd.], Bretagne-Pologne. La tradition médiévale aux temps modernes, Poznán, 1997, p. 47-53.

[15] Louis Pape, Les Saints bretons, Rennes, 1981.

[16] Ibidem, p. 10, 15-16, et passim.

[17] La formule figure sous la plume de nombreux spécialistes parmi lesquels André Vauchez, « Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l'hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge? », Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle) Actes du colloque de Rome (27-29 octobre 1988), Rome, 1991 (Publications de l'École française de Rome, 149), p. 167 ; Francesco Scorza Barcellona, « Les études hagiographiques au 20e siècle: bilan et perspectives », Revue d'histoire ecclésiastique, t. 95 (2000), n°3, p. 19 ; François Dolbeau « Un domaine négligé de la littérature médiolatine : les textes hagiographiques en vers », Cahiers de civilisation médiévale, 45e année, n°178, avril-juin 2002), p. 132 ; Eric Limouzin, Le monde byzantin (du milieu du VIIIe siècle à 1204), économie et société,  2007, p. 27-28.

[18] A.-Y. Bourgès, « Retour sur les différents types d’approche… », p. 154-157.

[19] Denis Pelletier, « Un dommage non collatéral », La Croix (3 février 2009), en ligne https://www.la-croix.com/Archives/2009-02-03/Un-dommage-non-collateral.-Denis-Pelletier-historien-directeur-d-etudes-a-l-Ecole-pratique-des-hautes-etudes-1-_NP_-2009-02-03-338095 (les liens Internet ont été vérifiés le 30 avril 2024).

[21] Florent Coste, Gouverner par les livres. Les Légendes dorées et la formation de la société chrétienne (XIIIe-XVe siècle), Turnhout, 2021, p. 125 : « La compilation de Iacopo da Varazze a été l’échantillon le plus représentatif de sa classe, les legendae sanctorum ou les legendae novae. Elle a, pour ainsi dire, exclu tous ses concurrents (Jean de Mailly, Bartolomeo da Trento, Bernard Gui, Rodéric de Cerrato, etc.), ou du moins les a placés durablement dans son ombre. En ce sens, les legendae sanctorum ne seraient rien d’autre que la Légende dorée, et réciproquement. Matrice textuelle, la Légende est une œuvre qui a, pendant un temps, incarné et épuisé tous les possibles de son propre genre, genre auquel elle se substitue ni plus ni moins, pour la bonne et simple raison que Iacopo da Varazze n’a pas simplement confectionné une œuvre performante et promise au succès, mais a aussi trouvé une formule ou une ‘’façon de faire’’ facilement adaptable en contextes, qui lui garantit d’être toujours une Légende dorée, quand bien même les différences littérales priment sur les ressemblances ».

[23] De même que dans toutes les éditions postérieures, puisque celles-ci ont repris le texte de 1659.

[24] Des « bonnes feuilles » de l’ouvrage ont circulé pendant toute la durée de l’impression, soit de 1634 à 1636, au sein du réseau de Le Grand, parfois même à l’insu de l’auteur : voir P. Lahellec, Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts…, p. 225. 

[25] A. Le Grand, La providence de Dieu sur les justes …, non paginé.

[27] Ibidem, p. 260, 270, 348,

[28] Ibid., p. 28, 30, 41, 58, 91, 139, 185, 209, 249, 491, 497, 640,

[29] P. Lahellec, Albert le Grand de Morlaix. Sources et méthode…, p. : « Non, il n’était pas le candide et naïf hagiographe trop souvent décrit. Sa capacité à créer des sources en combinant le faux et le vrai, pour les besoins de sa cause, le démontre de façon suffisamment explicite. Parallèlement, l’emploi de documents jugés douteux, déjà de son temps, résultait d’un profond sens pratique : la pièce se montrait-elle exploitable qu’il ne se ferait aucun scrupule d’en tirer parti ».

[30] Ibidem, p. 7 : « (…) Pour le malheur de la recherche, le dominicain représente à plusieurs reprises l’unique source connue pour tel ou tel saint. Il en va ainsi de saint Riok, saint Tanguy, saint Hernin ou saint Ké. L’inconfort inférent à sa méthode rendait l’usage de la plupart de ses textes malaisé ».

[31] P.-H. Morice, Histoire civile et ecclésiastique de Bretagne, t. 1, Paris, 1750, p. ix.

[32] A.-Y. Bourgès, « Albert Le Grand… », p. 44 : « A Landévennec, le Père Albert a également consulté la copie d’anciennes chartes du monastère ; ou du moins et plus précisément, comme il se voit au travers des extraits qu’il en a tirés et qu’il nous a transmis, il a colligé la première pseudo-charte de Gradlon, qui forme les n° 3 à 8 dans l’édition de référence du cartulaire, ainsi que l’acte relatif à la donation du roi après la mort de son fils Rivelen. Comparée à l’aune de la transcription effectuée par les éditeurs du cartulaire, celle du Père Albert s’avère très correcte, meilleure en tout cas, sur la même base de comparaison, que celle de Dom Morice ».

[33] A. de la Borderie (éd.), Correspondance historique des Bénédictins bretons, Paris, 1880, p. 253-258.

[34] Le faux et ses usages ont fait l’objet d’un récent questionnement historiographique : Philippe Blaudeau et Véronique Sarrazin (dir.), Faux et usage de faux. L’historien face à la question de la crédibilité documentaire, Rennes, 2023. Par ailleurs, la réflexion sur le faux qui traverse, et parfois ordonne, les différentes dimensions de l’œuvre d’Umberto Eco, reste encore très largement d’actualité en ce que cet auteur avait anticipé bon nombre des interrogations apparues avec le concept de post-vérité.

[35] A. de la Borderie, « Chronique rétrospective. – Redon, berceau de l’Histoire de Bretagne », Revue de Bretagne et de Vendée, 2 (1857), vol. 2, p. 417.

[36] Léon Séché, « Le dernier historien de la Bretagne. – Arthur de la Borderie », Revue des Deux-Mondes, 72e année (1902), p. 667 : « Car il va sans dire qu'entre la version d'Albert le Grand et celle de Dom Lobineau, M. de la Borderie n'hésita pas une minute. Il prit Dom Lobineau pour guide en hagiographie comme en histoire et c'est autant, j'imagine, pour le remercier des services qu'il lui avait rendus, que pour l'honorer à la face de la Bretagne ancienne et nouvelle, qu'il lui érigea un monument à Saint-Jacut, au mois de mai 1886. Cela ne l'empêcha pas, d'ailleurs, de rendre plus d'une fois justice au dominicain de Morlaix, dont il admirait le grand talent de conteur ».

[37] Les vies des Saints de la Bretagne-Armorique, par Fr. Albert Le Grand, de Morlaix, religieux, prêtre, de l’ordre des frères prédicateurs, profès du couvent de Rennes, Brest-Paris, 1837.

[38] Les vies des Saints de Bretagne et des personnes d'une éminente piété qui ont vécu dans cette province, par Dom Guy-Alexis Lobineau, prêtre, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, Paris, 5 tomes, 1836-1838 ; cette édition, déjà largement surchargée plus encore qu’augmentée, s’accompagne d’un sixième volume, paru en 1839, intitulé L'Église de Bretagne depuis ses commencements jusqu'à nos jours, ou l'histoire des sièges épiscopaux, séminaires et collégiales, abbayes et autres communautés régulières et séculières de cette province publiée d'après les matériaux de Dom Hyacinthe Morice de Beaubois, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur.

[39] Emile Souvestre, Les Derniers Bretons, t. 1, Paris, 1836.  L’ouvrage a connu un grand succès dont témoignent ses multiples rééditions.

[41] Id, Les Derniers Bretons, t. 1, p. v-viii : « Il s'est trouvé des Parisiens qui, un beau jour, ayant du loisir, ont eu l'idée de faire un voyage en Bretagne, par désœuvrement, comme s'il se fût agi d'une promenade aux eaux de Baréges. Ils avaient entendu dire qu'il y avait de ce côté une nature sauvage, et un peuple bizarre qui faisait encore le signe de la croix et pliait les deux genoux devant Dieu ! – C'était à voir au XIXe siècle ; et, tout fiévreux d'impatience, ils sont partis ! Mais à peine arrivés sur nos grèves algueuses, au milieu de nos landes, un indicible étonnement les a saisis. Ils ont cherché autour d'eux le peuple moyen-âge qu'ils avaient rêvé, peuple à gants de buffle, à pourpoint de serge mi-parti, toujours la rapière au poing et le mort-dieu à la bouche ; dramatiques sacripans que leur avait fait connaître la Porte Saint-Martin, dans ses leçons d'histoire en huit tableaux : à la place, ils n'ont aperçu qu'une population à longue crinière, à bragou bras, silencieuse et grave comme les calvaires de granit parmi lesquels elle vit. Ils ont voulu parler, et, au lieu de la prose de Froissard, ils ont entendu une langue dure, aux inflexions âpres et sifflantes. Alors toutes leurs belles espérances se sont évanouies. Les réalités ont éteint leur enthousiasme. Le moyen âge, sans rouge, fardé de sa seule crasse, leur a fait mal au cœur. Ils se sont crus tombés au milieu d'un peuple sauvage de l'Orénoque. Ne comprenant ni les hommes ni les choses dont ils étaient entourés, le vertige les a pris, ils ont crié vers leur cher Paris, comme des enfans après la maison paternelle ; et, tout épouvantés encore, ils se sont jetés dans la diligence qui devait les ramener à ce centre classique de toute civilisation ».

[42] Id., Le Finistère en 1836, p. 240.

[43] Pierre Guenancia, Descartes, chemin faisant, Paris, 2010, p. 140.

[44] L’expression a été popularisée notamment par Jacques Le Goff. 

[45] Léon Thiessé, « L’Armorique. Fragment d’un voyage dans quelques départemens de la France », Annuaire de la Société philotechnique, 5 (1844), p. 80.

[46] Ibidem, p. 78.

[47] Ibid., p. 79-80.

[48] A cet égard on peut noter que Le Grand lui-même, outre le réseau dominicain, comme dans le cas de ses échanges avec Augustin Du Paz, est en contact avec toute une société urbaine (Morlaix, Rennes, Nantes), mais également rurale, autant formée de laïcs que d’ecclésiastiques, tous intéressés par les questions d’histoire régionale et locale. On trouvera une première liste des relations d’Albert Le Grand sous la plume de P. Lahellec, Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts…, p. 169-178.

[49] Gauthier Aubert, « La question de l’érudition historique dans les villes bretonnes sous l’Ancien Régime », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 84 (2006), p. 443-474.

[50] Idem, « Pratiques et usages de l’histoire en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles », Olivier Charles (dir.), Christophe-Michel Ruffelet. Les Annales briochines, 1771. Saint-Brieuc : histoire d'une ville et d'un diocèse, Rennes, 2014, p. 63 : « Plutôt que d’invoquer, comme souvent, on ne sait trop quel retard ou désert culturel breton, argument cache-sexe de pensées paresseuses nourries de représentations sur « l’archaïsme breton », il importe d’essayer de revenir à une histoire sociale des faits culturels. En Bretagne, il y a des historiens, mais force est de constater que le cadre urbain leur parle moins que le cadre provincial, qui, lui, fait sens pour des raisons historiques et généalogiques (…) »

[51] Charles Le Goffic, « Le R.P. Albert Le Grand – Introduction », La Nouvelle Bibliothèque Populaire, n° 433, Le R.P. Albert Le Grand – Les Saints de la Bretagne, Paris, s.d. [1894], p. 217-220 ; Idem, « Au cœur de la race – Les Saints », L’Âme bretonne, Paris, 1902, p. 52-59.

[52] Anatole Le Braz, « Saint-Jean-du-Doigt Le pardon du feu », La Revue de Paris, 7e année (1900), n°19, p. 541-546.

[53] Jean-André Le Gall, « Saint Yves chez Charles Le Goffic, Anatole Le Braz et Henri Queffélec », Jean-Christophe Cassard et Gearges Provost (dir.), Saint Yves et les Bretons : Culte, images, mémoire (1303-2003), Rennes, 2004, p. 325.

[54] C. Le Goffic, « Le R.P. Albert Le Grand…, » p. 219 : « Le P. Albert, inconsciemment ou non, est le premier en date de nos folk-loristes » ; A. Le Braz, « Saint-Jean-du-Doigt… », p. 542 : « Il a été le premier et le plus délicieusement ingénu de nos folkloristes ».

[55] C. Le Goffic, « Le R.P. Albert Le Grand…, » p. 220.

[56] Christian Jouhaud, « Roman historié et histoire romancée : Jean-Pierre Camus et Charles Sorel », Dix-septième siècle, 215 (2002), p. 307-316.

[57] C. Le Goffic, « Le R.P. Albert Le Grand…, » p. 220.

[58] Idem, « Au cœur de la race » p. 53.

[59] Ibidem, p. 53-54.

[60] A. Le Braz, « Saint-Jean-du-Doigt… », p. 542.

[62] Léon Aubineau, Notices littéraires sur le dix-septième siècle, Paris, 1859, p. 262.  Sur le succès de la littérature dévote espagnole à cette époque, voir Emmanuel Bury, « Les livres de spiritualité traduits de l’espagnol en France au début du XVIIe siècle », Annie Charon, Isabelle Diu et Élisabeth Parinet (dir.), La mise en page du livre religieux (XIIIe-XXe siècle), Paris, 2004, p. 61-79.

[63] A. Le Grand, La providence de Dieu sur les justes…, p. 8.

[64] Parmi ces personnages acclimatés, le plus célèbre n’est autre que sainte Ursule, dont le culte avait été mis à l’honneur par la bienheureuse Françoise d’Amboise, duchesse de Bretagne, elle-même célébrée par Le Grand ; Ursule faisait également l’objet d’une vénération particulière de la reine-duchesse Anne, dévotion inspirée par des considérations de nature « politique », comme le souligne Laurent Hablot, « Pour en finir - ou pour commencer ! - avec l’ordre de la Cordelière », Dominique Le Page (dir.), Pour en finir avec Anne de Bretagne ? actes de la journée d'étude organisée aux Archives départementales de la Loire-Atlantique le 25 mai 2002, Nantes, 2004, p. 57.

[65] Cette importance accordée au phénomène miraculaire, alors même que les recueils de miracula se révèlent insignifiants, sinon inexistants, en Bretagne, nous semble une des caractéristiques de l’œuvre de Le Grand : ce dernier témoigne d’ailleurs d’une véritable répulsion à l’égard de ceux qui « ont attribué les Miracles des Saincts au Demon, ou à la Magie, ou bien s'en sont mocqués comme de feintes et contes faits à plaisir ».

[66] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique,  non paginé (= p.*768).

[67] Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien, Paris, 1949, p. ix.

[68] Jacques Le Goff, A la recherche du temps sacré. Jacques de Voragine et la Légende dorée, Paris, 2011, p. 12.

[69] Ibidem.

[70] P. Lahellec, Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts, p. 203 : « Un des éléments que l’on remarque le plus rapidement, lorsque l’on aborde la lecture de La Vie des Saincts pour la première fois, est la précision de la chronologie qui y est développée. Une part de celle-ci est l'héritage de traditions déjà anciennes. La place de son imagination dans cette entreprise de "reconstitution" n'en occupe pas moins une place majeure ».

[71] Pierre Yves Quémener, Le nom de baptême aux XVe et XVIe siècles. L’observatoire breton, mémoire de doctorat (dactylographié), Université d’Angers, Angers, 2020, p. 156 : « L’exhortation à donner des noms de saints aux baptisés se trouve dans le Catéchisme du concile de Trente, presque achevé à la fin du concile mais publié seulement en 1566 sous la direction de Charles Borromée, archevêque de Milan depuis 1564 »

[72] Ibidem, p. 154, n. 390.

[73] Ibid., p. 158-161. On peut ajouter au relevé effectué par cet auteur l’hagionyme Efflam.

[74] A.-Y. Bourgès, « Albert Le Grand… », p. 53-56.

[75] François Duine, Memento des sources hagiographiques de l’histoire de Bretagne, 1e partie, Rennes, 1918, p. 105, donne à voir, à propos de l’hagiographie de Suliau, une démonstration de ce savoir-faire.

[76] Karine Abélard, Edition scientifique des Chroniques des rois, ducs et princes de Bretagne de

Pierre Le Baud, d’après le manuscrit 941 conservé à la Bibliothèque municipale d’Angers, mémoire de doctorat (dactylographié), Angers, Université d’Angers, 2015, p. 161-162 : « Celuy Grimolay, qui par Corentin fut fait abbé, estoit filz du roy Fraganus et de Alba, une damme ainsi nommee, qui estoient natifs de la Grant [f.52v] Bretaigne. Et par mer vindrent descendre en Leonnie, dont ledit Fraganus fut puis fait roy, et firent leur mension a Lesguen en celui diocese par congié du roy Grallons, quar ilz estoient ses prouches par lignage. Et avoient ceulx Fraganus et Alba sa femme deux autres filz appellez Jacutus et Guihourcus, desquelx Jacutus fut premier abbé d’un monastere que le roy Grallon funda au diocese de Alettance, lequel est encores pour le nom de lui appellé Saint Jagu ». Dans la seconde version de son ouvrage, où il paraphrase la vita de Guénolé par Wrdisten, Le Baud ne fait plus mention de l’origine léonarde du saint.

[77] A.-Y. Bourgès, « Saint Goulven à Bouvines : à nouveau Guillaume le Breton et l'hagiographie bretonne », Jean-Christophe Cassard (+), Pierre-Yves Lambert, Jean-Michel Picard et Bertrand Yeurc'h (dir.), Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac, 2013, (Britannia monastica, 17), p. 75-81.

[78] Sur ce dossier complexe, on se reportera à l’ouvrage de Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc’h, La légende de la ville d’Is, Rennes, 2000.

[79] Paul Peyron, « Fragment d’un éloge de la Bretagne au XVe siècle », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 15 (1888), p. 172 (texte latin) et 182 (traduction française).

[80] A.-Y. Bourgès, « Albert Le Grand… », p. 45-48. 

[81] G.-A. Lobineau, « Saint Conogan ou Guenegan, Evêque et Confesseur », Les Vies des Saints de Bretagne, et des personnes d'une éminente piété qui ont vêcu dans la même Province ; avec une addition à l'Histoire de Bretagne, Rennes, 1725, p. 53. La notice sur Conogan a été entièrement réécrite dans l’édition Tresvaux (cf. supra n. 38), parce que « les sources auxquelles a puisé le P. Albert le Grand pour écrire la Vie de S. Guenegan » n’inspiraient pas « assez de confiance » au nouvel éditeur (t. 1, p. 51) ; mais le jugement de Lobineau sur le dominicain a disparu à cette occasion.

[82] On est d’autant plus étonné de constater à cet égard qu’il n’a fait l’objet que de quelques lignes sous la plume d’Auguste-Pierre Ségalen, dans le premier volume de l’ouvrage pourtant intitulé Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne ; réédité en un volume unique, Paris-Spézet, 1997, p. 319.

[83] Les « semblables antiquitez » dont il s’agit désignent sans doute les ouvrages autres que liturgiques : c’est notamment le cas des Mémoires attribués à Yves Le Grand.

[84] Ms Rennes, Bibliothèque municipale, 267.

[85] Sigismond Ropartz, Études sur quelques ouvrages rares et peu connus – XVIIe siècle – écrits par des Bretons ou imprimés en Bretagne, Nantes, 1879, p. 94-99.

[86] François Plaine, « Saint Gohard, Évêque de Nantes et ses compagnons martyrs. Vie, passion et culte », Bulletin archéologique de l'Association bretonne, 3e série, 2 (1883), p.

[87] André Oheix, « Saint Viau », Bulletin de la Société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 54 (1913), p. 86-88.

[88] Un inventaire des différents livres imprimés allégués par Le Grand au nombre de ses sources a été dressé par P. Lahellec, Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts, p. 321-339 ; on se reportera à la synthèse de cet auteur, « Albert Le Grand et ses sources imprimées », Britannia monastica, 18 (2016), p. 157-169.

[89] Ibidem, p. 158.

[90] A.-Y. Bourgès, « Deux historiens trégorois au XVIIe siècle », Trégor Mémoire vivante, 2 (2nd semestre 1992), p 43-54.

[91] Ms Rennes, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 23 J 54, p. 14.

[92] Ibidem, p. 12.

[93] A.-Y. Bourgès, « Comtes de Lannion et princes de Lanmeur », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 131 (2002), p. 319 : « Notre connaissance de ce manuscrit et de son contenu repose sur le témoignage d’Yves Arrel, témoignage lui-même connu seulement par l’intermédiaire tardif de l’abbé de Gouessant, chapelain de la famille de Boiséon dans le dernier tiers du XVIIe  siècle, lequel n’a pas pu voir le manucrit en question puisque celui-ci n’était plus à Lanmeur à cette époque, et se contente de recopier le texte d’Arrel, avec un degré de fidélité que nous ne pouvons pas mesurer, pour l’inclure dans son propre Mémoire historique sur la maison de Boiséon. Ce qui a été conservé, ou du moins ce qui nous est présenté comme tel, du ‘’très ancien manuscrit’’ de Lanmeur a pour objectif principal de magnifier l’extraction de la maison de Lanmeur, olim de Kerfeunteun, et de celles de Boiséon, Du Parc et de Coëtredrez, ces quatre maisons citées dans l’ordre successif de la naissance supposée de leurs auteurs que l’on nous dit avoir été quatre frères issus d’un cadet des rois de Cornouaille ».

[94] Ibidem, note 27 : « En effet, le manuscrit original, confié aux fins de publication par Yves Arrel à l’évêque de Dol, Antoine de Revol, lequel siégea de 1603 à 1629, n’était pas de retour à Lanmeur à l’époque où travaillait l’abbé de Gouessant, dans le dernier tiers du XVIIe siècle ; il n’est donc pas possible de l’identifier avec le ‘’legendaire de saint Melaire’’ conservé sur place, consulté et décrit en 1636 par Du Buisson-Aubenay dans son Itinéraire de Bretagne et qui doit être la propre composition d’Arrel sur saint Mélar ».

[96] Ibidem. p. 225.

[97] Ibid., p. 362.

[98] Ibid., p. 468.

[100] D. Aupest, « Méthodes de travail d'Albert Le Grand… », p. 666-667.

[101] Jean-Pierre Piriou, Contribution à une histoire de la littérature bretonne perdue, mémoire de doctorat inédit (dactylographié), Université de Rennes 2, Rennes, 1982 ; Jacques Le Maho, « Une source perdue de la Chanson de Roland », Michèle Guéret-Laferté et Nicolas Lenoir (éd.), La Fabrique de la Normandie. Actes du colloque international organisé à l’Université de Rouen en décembre 2011, Edition électronique du CéRéDI, 2013 (Actes de colloques et journées d’étude, 5), http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?une-source-perdue-de-la-chanson-de.html.

[102] Hélène Bouget et Magali Coumert, « Introduction », Histoires des Bretagnes 6. Quel Moyen Âge ? La recherche en question, Brest, 2019, p. 17-20.

[103] A.-Y. Bourgès, « Trois siècles d’histoire littéraire : le dossier hagiographique médiéval de Malo », Jean-Luc Blaise (dir.), Jean de Châtillon, second saint fondateur de Saint-Malo (Actes du colloque de Saint-Malo, 19 octobre 2013), Saint-Malo, Éditions Cristel, 2014 (Les dossier de la Société d’histoire, 1), p. 162.

[104] Ibidem, p. 185. 

[105] Caroline Cazenave, D'Esclarmonde à Croissant. Huon de Bordeaux, l'épique médiéval et l'esprit de suite, Besançon, 2007, p. 94 : « Mais rien n'autorise à lancer dans la légende des hypotextes perdus un nouveau spécimen devenu indispensable rien que parce que son témoignage nous arrangerait fantastiquement bien ».

[106] A.-Y. Bourgès, Le dossier littéraire de saint Goëznou…, p. 8.

[107] Ibidem, p. 14.

[108] P. Lahellec, Albert le Grand de Morlaix. Sources et méthode…, p. 59.

[109] Ibidem, p. 59-60.

[110] Bret. = Bretagne ; YLG, Mém. = Yves Le Grand, Mémoires ; Chr. = Chronique ; Lég. = légendaire ; ms(s) = manuscrit(s) ; égl. = église ; par. = paroisse/paroissiale ; abb. = abbaye/abbatiale ; cath. = cathédrale ; coll. = collégiale. A noter que recours au substantif (ou à l’adjectif) « manuscrit » par Le Grand pour désigner ses sources s’avère le plus souvent redondant, et les qualificatifs « ancien » et « vieil », « vieux », ne sont pas assez précis pour déterminer l’époque à laquelle elles avaient été compilées.

[111] Bourgès 2001 = A.-Y. Bourgès, « Les origines irlandaises de Saint Briac honoré en Bretagne : légende ou réalité », John Carey, Máire Herbert, Pádraig Ó Riain (éd.) Studies in Irish Hagiography. Saints and Scholars, Dublin, 2001 ; Bourgès 2005 = Idem, « Le contexte politique de la composition de la vita de saint Jaoua, ou un écho du "modèle Becket" en Bretagne », Hagio-historiographie médiévale (août 2005), https://www.academia.edu/6567528 ; Bourgès 2006 = Id., « Les origines fabuleuses de la famille du Chastel » ; Bourgès 2014 = Id., « Locus versus locus. Locquirec, élément d'un patrimoine monastique ou ‘’lieu de mémoire’’ d'un saint ? », Yves Coativy, Alain Gallicé, Laurent Héry et Dominique Le Page (dir.), Jean-Christophe Cassard, historien de la Bretagne, Morlaix, 2014 ;  Bourgès 2017 = Id., « Le dossier hagiographique de Conogan : un témoignage sur la cour des seigneurs de Léon à la charnière des XIIe et XIIIe siècles ? », Hagio-historiographie médiévale (janvier 2017), https://www.academia.edu/31021668 ; Gowans 1990 = Linda Gowans, « St. Ké: A Reluctant Arthurian? », Folklore, 101 (1990), n°2, p. 185-197 ; Gowans 2007 =  Idem, « Bewnans Ke/The Life of St Kea: A critical edition with translation by Graham Thomas and Nicholas Williams » (Review), Arthuriana , 17 (2007), n° 3, p. 116-120 ; Couffon 1971 = René Couffon, « Un directeur Léonard du Grand Guignol au XVe siècle », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 97 (1971), p. 167-170 ; Merdrignac 1997 = B. Merdrignac, « La transmission des vitae médiévales (perdues)… » ; Tanguy 1986 = B. Tanguy, « Les noms de lieu dans le cartulaire de Landévennec », Landévennec et le monachisme breton dans le haut Moyen Âge. Actes du Colloque du 15e centenaire de l'abbaye de Landevennec, 25-26-27 avril 1985, s.l. [Landévennec], 1986 ; Tanguy 1987 = Idem, « Le roi de Brest », Études sur la Bretagne et les pays celtiques Mélanges offerts à Yves Le Gallo, Brest, 1987 ; Tanguy 1995 = Id., « Le haut Moyen Age : légende et histoire », B. Tanguy et M.-C. Cloître (éd.), Saint-Mathieu de Fine-Terre. Actes du colloque de Plougonvelin, 23-24 septembre 1994, s.l. [Brest-Plougonvelin], 1995 ; Tanguy 2004 = Id., « La vie de saint Jaoua d'après Albert Le Grand », B. Merdrignac et Louis Lemoine (dir.), Corona monastica. Mélanges offerts au père Marc Simon, s.l. [Landévennec], 2004 (Britannia monastica, 8), p.103-111.

[112] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique, p. 491. Ces lignes ont donc été écrites antérieurement à l’édition de l’ouvrage de Le Baud par Pierre d’Hozier (1638).

[113] Gwenaël Le Duc, « L’évêché mythique de Brest », Les débuts de l’organisation religieuse de la Bretagne armoricaine, s.l. [Landévennec], 1994 (Britannia Monastica, 3), respectivement p. 189 et 179-181.

[114] Ms. Rennes, archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 F 1003, p. 102 et 196.

[115] Gw. Le Duc, « L’évêché mythique de Brest », p. 182, n. 24.

[116] Joseph Rio, Mythes fondateurs de la Bretagne, Rennes, 2000, p. 45-52.

[117] Ibidem, p. 119-121.

[118] René Couffon, « Un catalogue des évêques de Tréguier rédigé au XVe siècle », Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, 61 (1930) p. 95.

[119] Ms. Rennes, archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 F 1003, p. 102 : Brest proprium nomen urbis que quondam fuerat civitas principalis Minoris Britanniae, ubi reges ipsius terre principesque habitabant

[120] Jean-Luc Deuffic, Nécrologe de Landévennec, s.L. [Daoulas], 1983 (Britannia Christiana, Bibliothèque liturgique bretonne, 3/1), p. 3 : Ouragona regina de Brest habet ad obitum suum v. l. percipiendas apud Landeg. Videlicet super domo veteri regis xii. den. de super domo nova regis xii. den., etc ; p. 6 : VI nonas julii, obierunt … et Ouragona regina de Brest familiaris nostra.

[121] Pulchra et pia historia regis Brest et Azenor suae filiae et uxoris de Gouellou : c’est le titre que lui a donné le copiste du ms. Paris, BnF, lat. 6003.

[122] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique, aux sources de ces différentes Vies, respectivement p. 28, 30, 41, 139, 277, 640.

[123] Ibidem, p. 151, 185, 209.

[124] Ibid., p.  57.

[125] Ibid., p.  91, 249.

[126] Ibid., p. 91 : « Les Mémoires MSS de Messire Yves Le Grand, depuis Chanoine de Léon et Aumosnier du Duc François II, lequel fut présent à l’élévation de son corps à Vennes et en rédigea par escrit les particularitez ».

[127] Ibid., p. 28, 41, 185, 640.

[128] Ms. Nantes, arch. dép. de la Loire-Atlantique, B 3, f. 44r-v. Cet acte a été successivement publié par G. A. Lobineau, Histoire de Bretagne, t. 2 (Preuves), Paris, 1707, col. 1256-1257 et par H.P. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Paris, t. 3, 1752, col. 67.

[129] P. Lahellec, Albert Le Grand de Morlaix et La Vie des saincts…, p. 46.

[130] Graham Thomas & Nicholas Williams (éd.), Bewnans Ke/The Life of St Kea.  A critical edition with translation, Exeter, 2007.

[131] G. H. Doble, « Saint Mériadec, évêque et confesseur », Association bretonne – Comptes-rendus, Procès-verbaux, Mémoires – Congrès d’Hennebont, 4e série (1936), p. 90 (traduction française Jean-Louis Malgorn).

[132] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique, p. 135-137.

[133] Ibidem, p. 509.

[134] Ibid., p. 508-509.

[135] A.-Y. Bourgès, « Le personnage d'Arthur sous la plume des hagiographes bretons continentaux et insulaires au Moyen Âge », texte de la communication donnée à Concoret lors des Universités d’été arthuriennes le 15 juillet 2023, enrichi de notes de référence, https://www.academia.edu/104654739.

[136] Sur la triple dimension religieuse, écologique et médiévaliste de la lettre du pape François, voir les travaux de la conférence internationale The Middle Age in the Modern World tenue à Rome du 21 au 24 novembre 2018, en particulier durant la 18e session intitulée « The Pope, the Planet and the Medieval Past », les interventions de Louise D’Arcens, « Medievalism, Globalism and Planetary Deep Time in the Environmental Writings of Pope Francis » et  Clare Monagle, « Home Time: Laudato Si and Integral Ecology » ; ces deux chercheuses ont depuis publié ensemble « ‘’Nothing in this world is indifferent to us" : Laudato Si' as Global and Planetary Medievalism », Digital Philology: A Journal of Medieval Cultures, 8 (2019), n° 1, p. 50-65.

[137] La geste de Martin de Vertou présente différents traits en commun avec celle de Martin de Tours : on peut en déduire que plusieurs traditions de son dossier hagiographique ont sans doute été empruntées à celui du fondateur de Marmoutier ; mais cette hypothèse doit encore fait l’objet de vérifications approfondies, d’autant que plusieurs autres personnages de ce nom, outre Martin de Trèves, ont également fait l’objet d’un culte à l’époque médiévale : pour une première approche, voir l’article de vulgarisation de Jean Moreau, « Les autres saints Martin », Mémoires de la Société archéologique de Touraine, 44 (2007), p. 617-630.

[138] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique, respectivement p. 146 et 574.

[139] Ibidem, p. 77 et 79.

[140] Ibid., p. 77-78 : « (…) … puis alla à Kastel-Audren, où les soldats de la Garnison du Chasteau s'estans mocquez de son asne, il leur prédit que dans peu de temps, les brebis et les asnes paistroient sur les ruines et parmy les mazures et débris de ce Chasteau, ce qui arriva ainsi, cette place ayant esté, trois ans après démolie, en punition de l'attentat de ceux de Pontievre sur la personne du Duc Jean V ».

[142] A. Le Grand, La vie…  des saincts de la Bretaigne armorique, non paginé.

[143] B. Merdrignac, « La transmission des vitae médiévales (perdues)… », p. 49.

[144] Voir par exemple l’article de Georges Provost, « Quand saint Corentin monte en chaire : hagiographie et jeux d'influences à la cathédrale de Quimper vers 1680 », Mélanges offerts au professeur Bernard Merdrignac, p. 371-389.