24 juillet 2011

Un évêque péninsulaire présent à la dédicace de la cathédrale de Nantes (vers 570) ?

Il semble possible de renforcer la brève nomenclature des évêques de la péninsule bretonne au VIe siècle, liste au demeurant constituée exclusivement par les noms des prélats qui ont siégé à Vannes, en ayant recours à un document assez bien connu mais notoirement sous-exploité, à savoir le récit par Venance Fortunat de la dédicace de la cathédrale de Nantes, intervenue aux années 567-573. A l’instar de celui de Perpetuus un siècle auparavant, l’épiscopat d’Eufronius fut en effet marqué par la volonté d’une (re)prise en main de sa métropole par l’évêque de Tours[1] : la cérémonie nantaise donna ainsi au prélat l’occasion de faire valoir ses prérogatives. Le récit de cet événement permet aussi de constater que la partie de la péninsule armoricaine passée sous le contrôle des Bretons échappait désormais à son autorité ; mais la présence d’un évêque péninsulaire à la cérémonie paraît cependant assurée.

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Comme l’a rappelé en son temps Mgr Duchesne[2], l’ancien catalogue épiscopal de Vannes nous a été conservé par le seul cartulaire de Quimperlé[3], compilé aux années 1120[4] ; la liste des évêques, qui a été par la suite complétée jusqu’au XIIIe siècle, débute avec le nom de Paternus, associé ici au règne de Childebert Ier, alors que l’ordination de ce prélat est intervenue lors du concile provincial tenu à Vannes vers 465. Les quatre premiers successeurs de Paterne portent des noms gallo-romains (Dominius, Clemens, Amans, et Saturninus), ce qui n’est pas incohérent ; mais ces prélats demeurent absolument inconnus[5]. La suite du catalogue jusqu’à l’évêque Cunadan, soit vingt noms, paraît combiner des personnages fabuleux (au nombre de quatorze), empruntés pour plusieurs d’entre eux à l’hagiotoponymie locale[6] ou qui du moins paraissent incontestablement bretons[7], avec la liste à peu près complète des prélats de l’époque carolingienne (Vignorocus = Winhaelhoc[8], Rainaldus = Raginarius, Susannus, Diles = Dilis, Kenmonocus, Bili), à laquelle il faut néanmoins ajouter le nom d’Isaac, sous le règne de Charlemagne, et celui de Courantgen, aux années 850-868. Certes, traité avec plus de considération que celle qui lui est habituellement accordée[9], le catalogue peut constituer une source non négligeable de l’histoire de l’Église de Vannes, comme l’a bien montré J. Quaghebeur[10], mais à condition toutefois d’en mesurer l’exacte dimension : celle d’un document tardif composé dans le contexte de la mythification des origines diocésaines bretonnes, dont témoigne par ailleurs à la même époque la captation du nom des anciennes civitates des Lexoviens, des Osismes, des Coriosolites et des Diablintes, respectivement à Tréguier, Saint-Pol-de-Léon, Quimper et Alet[11].

Il nous faut donc nous résoudre à presque tout ignorer, au-delà de conjectures hasardeuses, des prélats qui siégèrent à Vannes aux VIIe-VIIIe siècles. En revanche, nous disposons pour le VIe siècle des noms de plusieurs évêques attestés par des sources dignes de foi, mais qui ont été omis par le rédacteur du catalogue : Modestus, présent au concile d’Orléans en 511[12] ; le prince breton Macliavus, marié et père de famille, qui, monté sur le siège épiscopal vers 550 à la suite d’un conflit intra-dynastique, devait par la suite apostasier, reprendre sa femme, succéder à son frère à la tête de la principauté et se voir alors « excommunié par les évêques »[13] ; Eunius mentionné en 578[14] et Regalis en 590[15].

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Si la critique estime parfois que la description de la cathédrale de Nantes par Venance Fortunat[16] est un texte passablement contourné[17], il n’en va pas de même en ce qui concerne le passage où le poète présente les prélats qui, à la demande de Félix, évêque du lieu, assistèrent à la dédicace de cette église. Les termes employés par Venance Fortunat et la formulation utilisée sont en effet très explicites : il s’agit sans nul doute possible d’une manifestation de l’unité provinciale, où l’on voit les évêques se joindre à leur métropolitain, lequel ainsi rayonne au milieu de ses frères[18] ; pour renforcer son propos, le poète a eu recours à une métaphore filée, en l’occurrence celle de la tête (l’évêque de Tours)[19] et du corps (les autres évêques de la la IIIe Lyonnaise)[20]. Voici le passage concerné (la numérotation des vers est conservée et nous avons souligné les termes qui renvoient à ce contexte provincial)[21] :

Convocat egregios sacra ad sollemnia patres (...)...

Inter quos medios Martini sede sacerdos,

20 Eufronius fulget, metropolita sacer ;

Plaudens in sancta fratrum coeunte caterva[22],

Et sua membra videns, fortior exstat apex :

Laetius inde caput, quia sunt sua viscera secum,

Ecclesiae iuncto corpore crescit honor.

25 Domitianus, item Victorius, ambo columnae,

Spes in utrisque manens pro religionis[23] ope.

Domnulus hinc fulget meritis, Romacharius inde,

iure sacerdotii cultor uterque Dei[24].

Outre Tours avec Eufrone, les sièges de quatre autres évêques sont bien établis : Félix occupe celui de Nantes, comme on l’a dit, Domitien celui d’Angers, Victeur celui de Rennes et Domnole celui du Mans[25]. Demeure le cas du prélat nommé Romacharius, dans lequel on voulu reconnaître, depuis très longtemps[26] et pendant longtemps[27], un évêque de Coutances mentionné par Grégoire de Tours à l’occasion des funérailles de Prétextat de Rouen[28] ; mais la tradition érudite la plus récente[29], sans doute gênée de devoir compter au nombre des suffragants de Tours le titulaire d’un siège épiscopal dépendant de la métropole voisine, suggère de l’identifier au prêtre Romacharius , qui participa au synode d’Auxerre (entre 561 et 605)[30], ou du moins considère que son siège demeure incertain, sans plus de précision[31]. Pourtant le doute n’est guère possible : au témoignage de Venance Fortunat, le prélat en question était un suffragant de Tours et il faut en conséquence reconnaître en lui l’évêque d’une des trois cités de la péninsule armoricaine, Vénètes, Coriosolites ou Osismes.

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Le nom même de Romacharius n’est pas sans poser quelques problèmes : en effet, les plus anciennes éditions des poèmes de Venance Fortunat, données successivement en 1574 à Cagliari (Sardaigne) et à Venise en 1578 par l’humaniste Jacobo Salvador de la Solana[32], portaient Macharius, leçon que le jésuite C. Brouwer au début du XVIIe siècle a corrigée, d’après les manuscrits à sa disposition, en Maracharius[33] ; la lecture proposée par C. Brouwer a été retenue par dom Ruinart[34], combattue par le P. Le Cointe[35] et finalement entérinée par dom Liron qui considère, au point de vue de la métrique, qu’elle est préférable à Romacharius[36]. Certes, il est toujours périlleux d’invoquer l’autorité d’éditions imprimées, surtout quand elles sont largement postérieures aux plus vieux manuscrits conservés, et la leçon Romacharius est incontestablement ancienne, comme on l’a vu ; mais, au lieu de conclure qu’elle est confirmée par les quelques vers contenus dans le ms de Leyde, on peut tout aussi bien conjecturer que c’est le faiseur de ces extraits qui a imposé aux copistes ultérieurs et aux commentateurs sa propre identification, celle de l’évêque de Coutances, parce que le nom de ce dernier prélat ressemblait à celui qui figurait dans sa source : le doute est d’ailleurs renforcé par l’existence d’une intéressante variante Riomacharius sur laquelle nous reviendrons.

Plus globalement, le vers dont il s’agit ici interroge lui aussi la critique, car une variante non signalée par F. Leo, mais qui pourtant figure dans le ms de Saint-Gall utilisé dans son édition, donne le texte suivant où le mot suis a été suscrit :

Domnulus hinc fulget meritis suis, Romacharius inde

Les règles de la métrique s’avèrent là encore bien malmenées, ce qui vient renforcer la suspicion à l’encontre de la leçon Romacharius.

La lecture Maracharius, donnée, comme on l’a dit, par C. Brouwer, avait encouragé celui-ci à reconnaître dans le personnage en question le prélat qui, au témoignage de Grégoire de Tours, occupait sensiblement à la même époque le siège d’Angoulême[37], opinion à laquelle s’était également rallié dom Ruinart ; mais dom Liron s’en était pour sa part clairement écarté en soulignant que, pas plus que celui de Coutances, l’évêque d’Angoulême ne pouvait être compté au nombre des suffragants d’Eufrone de Tours[38].

Le travail de dom Liron, que nous avons mentionné à plusieurs reprises, consiste en une tentative de démonstration que le prélat nommé Maracharius, qui assiste à la dédicace de la cathédrale de Nantes, est un personnage distinct de l’évêque d’Angoulême et qu’il occupait en fait le siège de Vannes. C’est également l’occasion pour le bénédictin d’égratigner son confrère dom Lobineau, avec lequel il était en désaccord sur plusieurs points touchant l’histoire de Bretagne et qu’il considérait d’ailleurs comme un plaisantin, depuis la publication par ce dernier d’une traduction, sous l’apparence d’un ouvrage historique, de l’Histoire des deux conquêtes de l’Espagne, roman de Miguel de Luna[39] ; mais, suite à la véritable ‘statufication’ de dom Lobineau par A. de la Borderie, les adversaires du bénédictin breton n’ont plus eu voix au chapitre et leurs ouvrages ont été réputés faibles comparés aux siens. Cependant, dans la controverse qui l’opposa à dom Liron sur les origines chrétiennes de la Bretagne, il faut bien constater que dom Lobineau n’a pas donné à son érudition l’occasion de se hausser à un plus haut niveau que celle de son contradicteur et qu’en outre il lui est arrivé d’y jouer un assez vilain rôle[40].

Un contemporain de dom Liron, l’abbé Travers, aboutit pour sa part à la conclusion que ce supposé évêque de Vannes était en fait le fameux Macliau, dont nous avons déjà rapporté ce que nous connaissons de son épiscopat d’après le résumé qu’en a fait Grégoire de Tours. Voici l’argumentation de l’abbé Travers : « Le texte de Fortunat dit Maracharius, dans l'édition de Browère; les éditions précédentes avaient Macharius ; mais, par une erreur de copiste qui, ayant pris les lettres l et i liées ensemble pour la lettre h, lut d'abord Macha. pour Maclia., et ensuite par un changement nécessaire de la lettre u dans les lettres r et i, pour la perfection du vers, lut rius pour uus, et ainsi Macharius pour Macliavus, qui est la vraie leçon »[41].

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Est-il possible de proposer une hypothèse moyenne, qui s’intègre dans la perspective que le poème de Venance Fortunat nous donne effectivement la liste des évêques suffragants de Tours présents à la dédicace de la cathédrale de Nantes vers 570 ?

Et tout d’abord, où siégeait le prélat péninsulaire dont le nom est discuté entre les formes Romacharius et Maracharius, sans parler de Macharius ?

Se présente aussitôt à l’esprit la cité des Vénètes, où un siège épiscopal était établi dès l’époque de la consécration de Paterne à Vannes (vers 465) : en effet, nous connaissons déjà les noms de plusieurs des évêques du lieu au VIe siècle, noms gallo-romains pour trois d’entre eux (Modestus, Eunius et Regalis), ce qui correspond à ce que nous savons du statut ethnique de la population locale à cette époque ; à quoi il convient d’ajouter le nom de Macliau (Macliavus), qui est breton et qui était porté par un Breton, un étranger donc, mais en même temps un voisin des Vannetais et qui fut porté à l’épiscopat dans des circonstances bien particulières. En ce qui les concerne, Romacharius et Maracharius sont incontestablement des noms francs : s’il est difficile de se prononcer sur la nationalité de l’évêque de Coutances et de celui d’Angoulême, lequel avait été auparavant comte de cette cité, la vraisemblance, surtout dans ce dernier cas[42], incline à penser que nous avons sans doute affaire à des prélats d’origine franque. Qu’un contemporain homonyme de l’un ou de l’autre ait lui aussi exercé des fonctions épiscopales, à Vannes, n’est nullement impossible ; mais si son origine franque était également avérée, il faudrait alors inscrire la désignation de ce prélat dans le cadre d’une approche politique voulue par le souverain franc dont dépendaient les cités de la péninsule armoricaine à cette époque : contrôle des populations gallo-romaines, suspectées de jouer un double jeu entre les chefs bretons et les Mérovingiens ? Accent mis sur le rôle stratégique de la ville de Vannes ? Renforcement d’une présence militaire associée, comme à Angoulême justement, à un peuplement franc, dont le pasteur est alors devenu l’évêque de la cité des Vénètes ?

Ou bien faut-il encore donner de l’importance à l’hypothèse philologique formulée, il y a plus de 250 ans, par l’abbé Travers et proposer de reconnaître le nom déformé de Macliavus derrière la leçon Macharius, qui, apparemment, figurait dans le manuscrit utilisé par le premier éditeur de Venance Fortunat ? Ce manuscrit n’est hélas pas connu avec précision ; mais il ressort du prologue de l’édition de 1574 qu’il avait été collationné à la bibliothèque du Vatican lors du séjour effectué à Rome par Jacobo Salvador de la Solana[43]. Pour sa part, F. Leo conjecture qu’il pourrait s’agir du Vaticanus latinus 552, du Xe siècle[44], ou plutôt de son modèle[45]. C’est d’un autre manuscrit du Vatican, le Vaticanus Reginensis 329[46], du IXe siècle, que provient la leçon Riomacharius, qui vient peut-être éclairer d’une lumière particulière notre problématique : cette variante ne pourrait-elle pas en effet résulter de l’agglutination au nom Macliavus d’une glose rio (< rigo), consacrant ainsi l’appartenance du personnage à une dynastie de roitelets bretons ?

Enfin, si dans le cadre du prolongement de l’hypothèse que nous avons reprise à l’abbé Travers, la leçon Macharius n’a servi qu’à dissimuler le nom véritable d’un suffragant méconnu de Tours, il convient dès lors de prendre en considération l’hypothèse que le siège de cet évêque n’était pas celui de Vannes. Les deux anciennes cités des Coriosolites et des Osismes, passées depuis sous le contrôle des Bretons, ce qui exclut a priori la présence d’évêques francs, avaient été elles aussi dotées de sièges épiscopaux au Ve siècle[47] ; et, quand bien même leurs titulaires ne sont plus connus à partir du début du VIe siècle, on peut envisager un maintien partiel ici et/ou là des institutions épiscopales, dans lesquelles certains prélats bretons auraient eu à cœur de se couler. Ainsi la biographie carolingienne de Malo [BHL 5116a/b][48] composée par le diacre Bili vers 870, est-elle très évasive à l’égard des origines du siège épiscopal occupé par le saint : Malo va recevoir la consécration épiscopale à Tours[49], ce que les auteurs anonymes des deux autres textes hagiographiques contemporains se gardent bien de dire, faisant état d’une consécration insulaire antérieure et privilégiant la dépendance doloise[50]. Bili souligne en outre l’importance encore reconnue à son époque à l’ancien chef-lieu de la cité, Corseul, où il situe un curieux épisode qui voit son héros obtenir un triple miracle dans l’église (in ecclesia quae vocatur Corsult) lors de la veillée pascale[51] : le choix de cette date éminemment symbolique implique dans l’esprit de l’hagiographe un statut particulier pour l’église de Corseul qu’il décrit accueillant, à l’instar de la cathédrale, de nombreux fidèles à l’occasion de cette solennité ; ce parallèle est d’autant moins fortuit que Bili appartenait au personnel de la cathédrale d’Alet. Il est par ailleurs évident que l’hagiographe a travaillé à partir de sources disparates, qui se rapportaient peut-être à deux saints distincts[52], dont les différents noms présentaient entre eux une ressemblance plus ou moins avérée. Or, figure parmi ceux-ci Machutes, alias Machutus, qui ne nous parait guère au fond plus éloigné de la leçon Macharius que la forme Macliavus, restituée par l’abbé Travers ; mais, par une conjonction sigulière, cette dernière se trouve être la même que le nom Maclovus[53] : la boucle est ainsi bouclée et si elle se présente moins sous l’aspect d’un cercle vertueux que celui d’un enchaînement de conjectures hardies, elle pourra, espérons-nous, offrir aux historiens des origines de la Bretagne matière à débattre !

©André-Yves Bourgès 2011



[1] L. Piétri, L. Pietri, La ville de Tours du IVe au VIe siècle: naissance d'une cité chrétienne, Rome, 1983, p. 215-246 (Collection de l'École française de Rome, 69).

[2] L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule (2e édition), t. 2, Paris, 1910, p. 375.

[3] L. Maitre et P. de Berthou, Cartulaire de l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, Paris, 1896, 2e édition, Rennes-Paris, 1904, Bibliothèque bretonne armoricaine, 4, p. 86-87.

[4] H. Guillotel, « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 28-30 avril 1989, s.l., [Locronan], 1995, p. 180-182.

[5] Un saint Dominius est connu hors de Bretagne sous les noms populaires de Domine, Dumine, Duminy, Domé, Domet : il est présenté comme un ermite de l’époque mérovingienne ; ce nom fut aussi porté par un évêque de Genève au IVe siècle. Clemens, Amans et Saturninus ont fait l’objet d’une dévotion discrète dans le diocèse de Vannes ; mais l’ancienneté de ses manifestations n’est avérée pour aucun d’entre eux et il ne semble pas possible de reconnaître dans ces saints les prélats de la liste épiscopale de Vannes, puisque la tradition populaire les avait respectivement assimilés au pape martyr, à l’évangélisateur de la Belgique et au premier évêque de Toulouse. Néanmoins leur culte proprement vannetais et ses extensions dans le pays nantais ainsi qu’en Cornouaille mériteraient sans doute une étude approfondie. N.Y. Tonnerre, Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale (Nantais et Vannetais) de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, Angers, 1994, p. 216-217, s’est intéressé au cas de Saturnin, présenté comme un « saint écran » de cultes païens, examen rapide au demeurant et bien loin d’épuiser la question.

[6] C’est manifeste avec ceux qui sont qualifiés sanctus : Guinninus, Hinguethenus, Meriadocus, Meldrocus, Comeanus et Justocus. Si, comme le suggère N.Y. Tonnerre, op. cit., p. 217, le nom de l’actuelle commune morbihannaise de Guénin, à rapprocher du toponyme Mané-Guen qui désigne la « colline inspirée » locale, est peut-être plutôt à interpréter comme un composé de guen « blanc », et nin, « hauteur », c’est bien Guinnin, alias Guénin, qui est honoré dans la chapelle de Loquinnin, alias Locquénin en Plouhinec. Le nom Hinwethen a été porté par un abbé de Saint-Jacut au début du XIe siècle. Mériadec est doté d’un dossier hagiographique, dont nous nous sommes efforcé naguère de décrire la genèse : A.-Y. Bourgès, « Le contexte idéologique du développement du culte de saint Mériadec en Bretagne au bas Moyen Âge », dans Saint-Jean-du-Doigt des origines à Tanguy Prigent. Actes du colloque (23-25 septembre 1999) réunis par Jean-Christophe Cassard, Brest, 2001 (= Études sur la Bretagne et les pays celtiques, Kreiz 14), p. 125-136 et accessible en ligne à l'adresse : http://www.scribd.com/doc/2348375/Le-culte-de-saint-Meriadec. Meldroc est honoré dans la chapelle de Locmeltro, en Guern ; mais la forme ancienne du toponyme Locmeltnou, attestée en 1435, démontre à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’un locus consacré à ce saint. J. Loth, Les noms des saints bretons, Paris, 1910, p. 91, évoque à propos de Meldroc l’irlandais Melteóc, dont le nom aurait été introduit « subrepticement » dans la liste épiscopale à l’instar de celui de Comeanus (p. 25) ; signalons au passage la présence d’un Comeanus dans la liste des moines et prêtres de l’abbaye Saint-Denis en 838. Quant au nom Justocus, il s’agit vraisemblablement d’un dérivé de Judocus.

[7] C’est le cas des noms Iunhenguel, Budocus, Mabon, Jagu, Luethuarn. Si Iunhenguel est inconnu, Budoc et Jagu/Jacut sont là encore bien attestés comme hagionymes. L’anthroponyme Mabon, porté notamment par un évêque de Léon au IXe siècle, remonte au gaulois Maponos, nom d’une divinité, et il est lui-même entré en composition de nombreux toponymes en Bretagne (principalement Kermabon, mais également Lesmabon, Rumabon, Trémabon, la Mabonnaie, la Mabonnière). Quant à Luethuarn, il est pourvu d’une large postérité sous les diverses formes Lossouarn, Loussouarn, Louchuarn, dont le second élément a le sens de « fer ».

[8] A l’instar de ce qui s’observe avec la forme anachronique Rainaldus pour Raginarius, nous pensons que l’auteur du catalogue - qui n’avait sans doute pas accès aux actes du cartulaire de Redon, comme cela peut s’expliquer aisément dans le contexte des relations difficiles des deux abbayes à cette époque - a, sur la base d’une vague homophonie, assimilé Winhaelhoc à un saint Vignoroc. J. Loth écrit dans Les noms des saints bretons, p. 56 : « Je soupçonne Guignoroc, d'être tiré du saint gallois Gwynnoro, frère de saint Gwynn ».

[9] D. Aupest-Conduché, « Les origines du christianisme », Histoire religieuse de la Bretagne, Chambray, 1980, p. 15 ; A. Chédeville, « La Bretagne du Ve-VIIIe siècle : Le temps des saints », A. Chédeville, H. Guillotel, (dir.), La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, 1984, p. 139 ; N.Y. Tonnerre, Naissance de la Bretagne…, p. 166, n. 1.

[10] J. Quaghebeur, « Raginhard, évêque de Vannes ou la mémoire oubliée », C. Laurent, B. Merdrignac, D. Pichot (éd.), Mondes de l’ouest et villes du monde : regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, Rennes, 1998, p. 115-126.

[11] A.-Y. Bourgès, «Une construction idéologique au XIe siècle : les origines du réseau des évêchés de Bretagne » En ligne à l’adresse http://andreyvesbourges.blogspot.com/2010/12/une-construction-ideologique-au-xie_25.html.

[12]J. Gaudemet, B. Basdevant-Gaudemet, Les canons des conciles mérovingiens (VIe-VIIe siècles), t. 1, Paris, 1989, p. 90.

[13]Grégoire de Tours, Dix livres d’histoire, IV, 4 (en ligne : http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P3S.HTM).

[14] Ibidem, V, 26 (en ligne : http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P5U.HTM). – Grégoire de Tours a également rapporté dans le même livre, c. 29 et 40, l’exil de ce prélat, son retour à Angers où il était entretenu aux dépens du trésor public et les circonstances de sa fin peu glorieuse à Paris (en ligne : http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P5X.HTM, http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P68.HTM).

[16] Venance Fortunat, Poèmes, III, 7, F. Leo [éd.], Venantii Fortunati opera poetica, Berlin, 1881, p. 56-58 (Monumenta Germaniae Historica, Auctores antiquissimi, t. 4, 1e partie).

[17] B. Beaujard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D'Hilaire de Poitiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000, p. 376, qui évoque rapidement les interprétations divergentes de ce texte par J. Hubert, L. Pietri et M. Reydellet ; voir également P. Guigon, Les églises du Haut Moyen Age en Bretagne, t. 1, Saint-Malo, 1997, p. 40-42 (Les Dossiers du Centre Régional d´Archéologie d´Alet, Supplément 1997, n° T), qui qualifie alambiquée la description de la cathédrale de Nantes par Venance Fortunat.

[18] Voir en dernier lieu G. Bührer-Thierry, « Entre panégyrique antique et théologie de la lumière : l’éloge des évêques selon Venance Fortunat », G. Constable et M. Rouche [éd.], Auctoritas. Mélanges offerts au professeur Olivier Guillot, Paris, 2006, p. 151-152.

[19] Le terme employé par Venance Fortunat dans le passage concerné est explicitement caput.

[20] Comme l’a fait remarquer B. De Gaiffier, Études critiques d'hagiographie et d'iconologie, Bruxelles, 1967, p. 376 (Subsidia hagiographica, 43), le pluriel membra, « les membres », est bien souvent synonyme de « corps » sous la plume de Venance Fortunat : dans le passage concerné, on constate l’emploi simultané de membra et de corpus, ainsi que de viscera.

[21] Venance Fortunat, op.cit, III, 6, éd. Leo, p. 55.

[22] Au vers 21, en lieu et place de corona, nous adoptons caterva d’après la lecture donnée par J. Liron, Singularités historiques et littéraires, t. 3, Paris, 1739, p. 274.

[23] Au vers 26, nous proposons de corriger regionis en religionis (cf. F. Leo, Index grammaticae et elocutionis, éd. cit., p. 411).

[24] Traduction proposée : « Il [Félix] réunit  les pères éminents, pour ces cérémonies saintes (...) .... Au milieu d’eux, brille l’évêque occupant le siège de Martin, Eufrone, le saint métropolitain ; se réjouissant d’être réuni à la sainte troupe de ses frères, sa dignité sort renforcée de voir ses membres : plus heureuse la tête, puisque que ses entrailles sont avec elle, et l’honneur de l’Église, son corps rassemblé, s’accroît. Domitien de même que Victeur, les deux colonnes, et en chacun d’eux l’espoir d’un soutien de la religion ; ici Domnole, qui brille par ses mérites, et là Romacharius, tous deux adorateurs de Dieu de par leur dignité épiscopale ». Cette traduction se veut la plus littérale possible, mais n’échappe pas totalement à la paraphrase. Notre choix de privilégier la leçon caterva se justifie dans le contexte de la réunion du personnel épiscopal de la province de Tours sous la houlette d’Eufrone. Par ailleurs, nous avons repris à D. Tardi, Fortunat : étude sur un dernier représentant de la poésie latine dans la Gaule mérovingienne, Paris, 1927, p. 228, son constat de l’emploi métaphorique d’apex par le poète avec le sens de « dignité », en l’occurrence « dignité métropolitaine » ; de même nous traduisons jus sacerdotii, par « dignité épiscopale ».

[25] L. Duchesne, op. cit., p. 307 (Eufrone), p. 337-338 (Domnole), p. 345 (Victeur), p. 358 (Domitien) et p. 366-367 (Félix).

[26] Cette identification figure notamment dans un extrait de l’oeuvre de Venance Fortunat, conservé dans un manuscrit du IXe siècle (ms Leyde, bibliothèque de l’Université, 12, f. 81 v°) : cf. l’étude de L. Delisle citée à la note suivante.

[27] L. Delisle, « Gloses de quelques vers de Fortunat », Littérature latine et histoire du Moyen Âge, Paris, 1890, p. 4-5.

[28] Grégoire de Tours, op.cit., VIII, 31 (en ligne : http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P9Y.HTM#1). - Le catalogue épiscopal, conservé dans des mss du XIIe et du XIIIe siècle mentionne ce prélat sous le nom Runfarius ou Rupharius (L. Duchesne, op. cit., p. 240). La tradition populaire l’appelle saint Romphaire et il s’est vu doter d’une courte vita, peut-être aussi tardive que le XVIe siècle, qui lui assigne une origine anglaise. Ce texte est absolument controuvé et il n’y a rien à en tirer pour la connaissance de l’évêque Romacharius, dont le nom est franc, à l’instar de celui de Maracharius dont il sera question plus loin.

[29] L. Pietri, La ville de Tours du IVe au VIe siècle…, p. 221, n. 207.

[30]J. Gaudemet, B. Basdevant-Gaudemet, op.cit., t. 2, Paris, 1989, p. 504.

[31] B. Beaujard, Le culte des saints en Gaule…, p. 145.

[32] J.C. Miralles Maldonado, «Jacobo Salvador de la Solana, un humanista murciano del XVI », E. Calderón, A. Morales, M. Valverde (éd.), KOINÒS LÓGOS. Homenaje al profesor José García López, Murcia, 2006, p. 645-656

[33]C. Brouwer, Ad Venantium Honorium Clementianum Fortunatum Notae sacrae, historiae & geographicae, [Mayence, 1603], p. 53 ; les notes en question figurent en annexe de son édition des œuvres du poète.

[34] J. Liron, op. cit., p. 268.

[35] C. Le Cointe, Annales ecclesiastici Francorum, t. 2, Paris, 1666, p. 105.

[36] J. Liron, op. cit., p. 269.

[37] Grégoire de Tours, op. cit., V, 36 (en ligne : http://www.intratext.com/IXT/LAT0783/_P64.HTM#1). - Une ancienne liste épiscopale conservée dans un ms du IXe siècle lui donne le nom de Mererius : G. de Puybaudet, « Une liste épiscopale d'Angoulême », Mélanges d'archéologie et d'histoire, t. 17 (1897). p. 281. Sur ce prélat, on consultera encore avec profit, mais avec les précautions d’usage s’agissant d’un travail d’érudition ancien, la notice de J.F. E. Castaigne, Rerum Engolismensium Scriptores, Angoulême, 1853, p. 66-73.

[38] J. Liron, op. cit., p. 267-268.

[39] Dom Lobineau a d’ailleurs reconnu en privé sa légèreté, tout en se défaussant sur l’auteur original : « Il [dom Liron] a aussi fait une brochure contre une traduction que j’ai faite de L’Histoire des deux conquestes d’Espagne par les Mores, de l’espagnol de Miguel de Luna. Il a raison pour le coup ; mais cela regarde plus Miguel de Luna que moi, quoiqu’il m’ait un peu peigné aussi » (A. de la Borderie, Correspondance historique des bénédictins bretons et autres documents historiques inédits relatifs à leurs travaux sur l’Histoire de Bretagne, Paris, 1880, p. 313).

[40] Voir à ce sujet P. Levot, Biographie bretonne, t. 2, Vannes-Paris, 1857, p. 353 ; Idem, « La véritable Histoire de Bretagne de Dom Lobineau », dans Revue celtique, t. 1 (1870-1872), p. 436-450.

[41] N. Travers, Histoire civile, politique, et religieuse de la ville et du Comté de Nantes, t. 1, Nantes, 1836, p. 77.

[42] La prudence affichée par G. Kurth, « De la nationalité des comtes francs au VIe siècle », Mélanges Paul Fabre. Études d’histoire du Moyen Âge, Paris, 1902, p. 33, ne se retrouve pas chez M. Rouche qui écrit dans L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, 418-781 : naissance d'une région, Paris, 1976, p. 67 : « Il [Caribert] condamne Léonce II de Bordeaux à mille sous d’or d’amende pour avoir voulu élire canoniquement un évêque à Saintes et imposer son candidat. Il réitère en faisant ordonner Maracharius évêque d’Angoulême par saint Germain de Paris. Il préférait en effet un Franc, ancien comte et son ancien chapelain » ; Ibidem, p. 175 : « Le premier Franc qui fut imposé comme évêque fut le comte Maracharius à Angoulême vers 549, suivi par Bertrand pour le siège de Bordeaux, peu avant 574, Marovée à Poitiers en 585 et Magnulf à Toulouse, Saffarius à Périgueux en 590 ». Cependant, il faut souligner que les indications relatives à la carrière de Maracharius (ou plutôt Mererius) sont empruntées à un passage tardivement interpolé et donc sans véritable autorité de l’Historia d’Adémar de Chabannes.

[43] J.C. Miralles Maldonado, art. cit., p. 653.

[44] F. Leo, op. cit., p. XIII.

[45] Ibidem, p. XIV.

[46] Ibid., p. VIII.

[47] A.Y. Bourgès, « Corseul, Carhaix et l’activité métropolitaine de Perpetuus de Tours : archéologie, liturgie et canons conciliaires (Ve siècle)», Britannia monastica (à paraître).

[48] F. Lot, Mélanges d’histoire bretonne, Paris, 1907, p. 331-430.

[49] Ibidem, p. 378, § 40.

[50] J.C. Poulin, L'hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern, 2009 (Beihefte der Francia, 69), p. 183.

[51] F. Lot, op.cit., p. 390-392, § 64-65.

[52] G. Dottin dans sa recension de l’édition par Dom Plaine et A. de la Borderie, Revue celtique, t. 6 (1883-1885), p. 384, pose la question : « Saint Malo ne serait-il pas double ? »

[53] F. Lot, op.cit., p. 174-176, a donné à l’hypothèse de G. Dottin un développement particulièrement important, dans lequel il rappelle que Maclovus « est le même mot que Macliavus ».

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