28 décembre 2006

Une strate trégoroise du mythe arthurien : la vita de saint Efflam


     A la mémoire de Gwenael Le Duc (1951-2006) chercheur émérite, personnalité attachante et ami fidèle

     Arthur est assez peu présent dans la production littéraire de la Bretagne au Moyen Âge central (XIe-XIIIe siècles)[1], sinon dans quelques textes hagiographiques, en particulier la vita de saint Efflam, où il joue avant tout un rôle de « faire-valoir » du saint, situation que l’on retrouve dans plusieurs vitae insulaires. Au-delà du recours à une approche strictement « mythologique » de la légende qu’il nous a transmise, ce texte mérite incontestablement, plus d’un siècle après son édition par A. de la Borderie[2], un nouvel examen.

     Les sources

     On peut être tenté de mettre surtout en avant, à propos de la vita de saint Efflam, des sources orales, qu’il est souvent plus facile de solliciter : ainsi l’intrigue romanesque, dénoncée en leur temps par les sévères Mauristes[3], et qui brosse un portrait sensible de l’épouse du saint, Enora, fait intervenir le thème de la navigation sans rames et sans voile, que l’on sait particulièrement prégnant dans la tradition des pays celtiques[4]. Quant à la façon dont est présenté l’échouage de l’embarcation, retenue par le mur cyclopéen qui ferme l’anse de la Vierge, au pied du promontoire du Yaudet[5], cette anecdote pourrait renvoyer à la capture fortuite, au delà de l’habituel fretin, de gros poissons, voire de cétacés : soulignons qu’il n’est pas question, à proprement parler, de pêcherie[6].

     Mais, en fait, ce qui caractérise la vita de saint Efflam, c’est l’étalage assez complaisant du commerce que l’hagiographe entretenait avec les auteurs de l’Antiquité, en particulier avec les poètes. Si le rôle joué par ces (bons) auteurs dans la formation de l’écrivain est connu depuis longtemps, on s’est le plus souvent contenté d’en chercher la marque dans le style de ce dernier[7]. Or, compte tenu que l’hagiographe déclare lui-même que le souvenir du saint s’était perdu à Plestin[8], jusqu’à ce qu’il soit ravivé par l’inventio de ses reliques[9], cette influence pourrait s’être exercée beaucoup plus en profondeur, avec des conséquences très importantes, notamment en ce qui concerne la formation du mythe arthurien.

     L’hagiographe présente Arthur comme incapable de venir à bout d’un dragon, habitué dans les parages du grand rocher nommé en breton Hyrglas, qui a connu depuis une assez grande célébrité littéraire[10] et non loin duquel le monstre avait son antre[11] ; c’est au saint, qui a fait jaillir une fontaine pour désaltérer le malheureux combattant[12], qu’il reviendra finalement de triompher de cette créature en le précipitant dans la mer, à l’endroit où l’on voyait encore à l’époque de l’hagiographe la roche être rougie du sang du monstre[13]. Sans doute, la grotte où le dragon avait son repaire et dont l’hagiographe va jusqu’à donner les dimensions, la fontaine et le rocher rouge appartiennent-ils à la tradition populaire, dont ils constituent les empreintes dans le paysage local ; mais la partie du récit qui fait intervenir Arthur et qui est avant tout destinée à mettre en valeur saint Efflam, présente toutes les caractéristiques d’un « placage » littéraire.

     A l’exception de celles de saint Iltut et de saint Goëznou, les vitae de saints bretons, continentales ou insulaires, qui mettent en scène Arthur[14] ont présenté ce dernier sous des dehors qui ne sont pas aussi brillants que les fourrures de l’Historia regum Britanniae : c’est plus particulièrement le cas des vitae de saint Patern[15], de saint Carantoc[16] et de saint Cadoc[17] ; la vita de saint Gildas[18], composée par Caradoc de Llancarfan, amorce une inflexion de la tendance, peut-être pour avoir subi l’influence de l’œuvre de Geoffroy de Monmouth. Dans la vita sancti Paterni, pour avoir voulu voler une magnifique tunique que le saint avait ramenée de son pèlerinage à Jérusalem, Arthur subit un châtiment grotesque inspiré de la punition infligée à Dathan et Abiron ; il lui faut faire amende honorable et se placer dans la protection du saint pour sortir de cette humiliante situation. On le voit, à propos de l’autel portatif de Carantoc dont il envisage de faire sa table de repas, finasser avec le saint, dont il obtient malgré tout d’être débarrassé d’un dragon qui ravage la contrée, épisode qui n’est pas sans rappeler celui de la vita de saint Efflam. Cependant, c’est la vita sancti Cadoci qui consacre cette figure d’anti-héros, fruste et brutal, toujours prêt à laisser parler ses instincts, plein de convoitise et de rapacité : on y voit Arthur, brutalement poussé par le désir, prêt à s’emparer par la force de la jeune épouse de saint Gwynllyw, Gladys, la future mère de Cadoc ; à quoi il convient d’opposer la figure de saint Efflam qui — à l’instar de saint Alexis dont la légende a connu un vif succès, relayé par une version romane du XIe siècle de sa vita[19] — préfère abandonner sa femme le jour même de ses noces[20].

     Ces différentes vitae sont plus anciennes que l’œuvre de Geoffroy de Monmouth : on sait que la vita de saint Cadoc a fait l’objet d’une réfection par Caradoc de Llancarfan [BHL 1493 d] ; mais l’œuvre originelle [BHL 1491-1492], dont B. Tanguy a daté la composition des années 1089-1104[21], est sortie de la plume de Lifris. Ce dernier est probablement l’auteur, vers la même époque, de la vita de saint Carantoc [BHL 1562-1563], dont le doublon connu en Bretagne continentale sous le nom de vita de saint Caradoc [BHL 1560] a peut-être lui aussi conservé la trace d’une intervention ultérieure de Caradoc de Llancarfan. Enfin, on peut supposer qu’il a existé une vita de saint Patern continentale ; mais l’essentiel de cet ouvrage a passé dans la biographie d’un saint gallois homonyme [BHL 6480][22] : ainsi s’agit-il d’un nouveau témoignage, très intéressant mais toujours controversé[23], sur les échanges littéraires entre la Bretagne continentale et la Bretagne insulaire, au travers notamment des contacts entretenus par l’abbaye de Llancarfan avec celle de Quimperlé, comme l’a montré B. Tanguy[24], et probablement avec celle de Rhuys[25]. La vita de saint Patern, dont le succédané gallois a conservé le caractère de manifeste en faveur de l’autonomie de l’église de Vannes à l’encontre des ambitions métropolitaines de Dol, avait sans doute été composée à l’époque où l’évêque de Vannes s’était rallié à la cause tourangelle : ralliement acquis dès 1096, comme l’atteste cette année-là la présence de l’évêque du lieu, Morvan, au concile provincial de Tours, en compagnie de l’évêque de Rennes, Marbode[26].

     La vita de saint Efflam, comme en témoigne le portrait qu’elle propose d’Arthur, doit être incontestablement rangée dans la catégorie des ouvrages antérieurs à la publication de l’Historia regum Britanniae. En outre, le combat d’Arthur contre le dragon apparaît comme un épisode superfétatoire, largement tributaire du récit similaire relatif à Cadmus dans les Métamorphoses d’Ovide, ainsi que de l’affrontement entre Hercule et Cacus dans les Fastes du même poète[27].

     Le même type d’emprunt se voit également avec l’anecdote relative à la forêt dans laquelle l’hagiographe situe la retraite de saint Gestin, l’éponyme de la paroisse de Plestin et le prédécesseur de saint Efflam dans cette contrée[28] : Efflam se serait en effet installé, au lieu-dit Donguel, dans la « cellule »[29] que Gestin avait autrefois désertée pour entreprendre un pèlerinage à Rome[30]. La forêt où, à son retour, s’était retiré le saint était devenue, aux dires de l’hagiographe, un lieu magique, où s’accomplissaient des prodiges qui décourageaient quiconque de venir ramasser le bois tombé à terre, ou de se livrer à une coupe réglée ; mais l’influence de la description par Lucain du bois sacré des Massaliotes[31] est trop manifeste pour ne pas voir là encore la recherche d’un effet littéraire, qui n’a peut-être que lointainement à voir avec la situation locale.

     Pour conclure sur les sources dont a disposé le biographe de saint Efflam, il faut dire un mot des litterae trouvées en même temps que les reliques du saint, en creusant le sol de sa « cellule »[32] : peut-être s’agissait-il de l’authentique de ces reliques ; mais ce type de document offre en général des informations trop concises pour nourrir la biographie d’un saint. En tout état de cause, l’hagiographe n’a pas allégué cette source pour son propre travail.

     Culte populaire et spécialisation du saint

     Saint Efflam n’a fait que tardivement l’objet d’un recours particulier de la part des fidèles qui venaient l’implorer ; encore ne s’agit-il pas d’une spécialité thérapeutique à proprement parler. Le saint était invoqué par les maris jaloux pour connaître leur éventuelle infortune, au travers d’un rituel particulier qui consistait à jeter dans la fontaine Saint-Efflam, à Plestin, trois morceaux de pain, représentant respectivement la femme, le mari et le saint : si le dernier morceau s’éloignait des deux autres, les soupçons du mari étaient confirmés. Attestée par A. Le Braz à la fin du XIXe siècle[33], cette pratique pourrait bien être le succédané tardif de celle qui, au témoignage de l’abbé Déric, en 1777, permettait à la victime d’un vol d’identifier son voleur : les morceaux de pain représentant cette fois les personnes sur lesquelles se portaient les soupçons, le morceau qui restait au fond de la fontaine désignait le coupable[34] ; le même rituel se retrouvait au pays de Galles, à Llanbedrog in Lleyn[35]. Encore vivace en 1832[36], cette étrange ordalie avait disparu à Plestin en 1859[37], progressivement remplacée par celle que rapporte Le Braz ; la substitution pourrait découler au moins partiellement de l’influence de pratiques augurales sur la pureté des jeunes filles comme il se voyait ailleurs en Trégor, notamment à la fontaine des Cinq-Plaies, en Servel[38]. Pour sa part, le biographe d’Efflam fait allusion aux nombreux maux dont protégeait le saint[39] ; c’est peut-être cette universalité qui valu à ce dernier d’être choisi pour être le patron de l’hôpital de Morlaix[40].

     Extension du culte

     Saint Efflam demeure assez largement méconnu en dehors de Plestin[41]. En additionnant les renseignements sur les chapelles qui lui étaient consacrées aux données fournies par la toponymie, on peut conjecturer, à partir de l’épicentre plestinais, une première zone d’influence, trégoroise, qui couvre essentiellement le secteur de Lannion (toponymes Toul-Efflam à Perros-Guirec et Pleumeur-Bodou), s’étend à l’est jusqu’à Pleumeur-Gautier, où l’on trouve Loguel Toul-Efflam, et descend jusqu’à Pédernec au sud : sous le règne de Conan IV, les moines de Bégard s’étaient vu confirmer la possession dans cette paroisse d’une « grange » qui portait le nom du saint[42]. Le culte s’est également étendu en Cornouaille et en Vannetais : Saint-Gildas et Carnoët, d’une part, Langoëlan et Kervignac d’autre part, où l’on trouvait des chapelles placées sous l’invocation du saint. Cette rapide énumération, que nous devons à l’amabilité de B. Tanguy[43], comprend également — outre les toponymes curieusement parallèles Lannec-St-Efflamm, en Plounévez-Quintin, et le Pré-de-St-Efflan, en Merlévénez, qui appartiennent là encore respectivement à la Cornouaille et au Vannetais — le nom du village de Moustoir-Flamme à Quéven, dont la forme présente autant d’intérêt que de difficulté, eu égard aux différentes interprétations proposées pour le terme moustoir[44] ; mais au total cela ne représente qu’assez peu de chose, surtout quand on le compare au rayonnement de saint Maudez.

     Aspects institutionnels et juridiques

     La vita de saint Efflam contient deux allusions à des donations faites par des laïcs : faisant amende honorable de son attitude à l’égard d’Enora, dont il voulait abuser, le « tyran de la cité » du Yaudet, libéré par le saint du châtiment qui l’avait miraculeusement frappé, donne à Efflam « toutes ses redevances dans cette province »[45] ; beaucoup plus tard, lors de l’inventio des reliques du saint, le « roi » qui était présent à la cérémonie lui concède des « domaines étendus en long comme en large »[46]. Le « roi » dont il est ici question est anonyme, comme celui qui figure dans les miracula de saint Cunwal ; A. de la Borderie a suivi Albert Le Grand et proposé de reconnaître dans ce monarque le duc Geoffroy Ier, qui régna de 992 à 1008, « dernier souverain de Bretagne salué du titre de roi, comme l’atteste un acte du cartulaire de Redon daté de l’an 1027 »[47] : l’hypothèse demeure recevable, car elle s’accorde bien avec ce que l’on sait du « contexte de relance de la vie religieuse qui constitue le point le plus positif de ce règne et qui se poursuit durant le demi-siècle suivant » [48].

     Archéologie du mythe arthurien : le « tyran de la cité » du Yaudet, prototype d’Arthur ?

     La vita de saint Efflam reflète l’ambiance culturelle de la fin du XIe et du début du XIIe siècle, marquée en Bretagne, en Cornouaille insulaire et au pays de Galles, par la montée en puissance du mythe arthurien, auquel Geoffroy de Monmouth donnera ses ultimes développements vers 1135-1139.

     Sans chercher à relancer le débat sur les origines de ce mythe, il nous paraît intéressant de rappeler que, parmi les traditions mises en œuvre par Geoffroy de Monmouth, quelques unes paraissent avoir appartenu à la Bretagne continentale[49] ; d’ailleurs, selon l’auteur des Miracles de Notre-Dame de Laon, les Bretons au début du XIIe siècle révéraient Arthur, qui constituait pour eux un sujet de débat avec les Francs[50]. La vita de saint Efflam constitue une strate ancienne dans la « construction » du personnage, dont le prototype pourrait bien être le « tyran » que l’hagiographe nous décrit frappé miraculeusement de paralysie alors qu’il tentait de s’emparer de la femme de saint Efflam, Enora : dans la vita de saint Patern, Arthur, décoré de ce même titre de « tyran », se retrouve lui aussi immobilisé en punition de sa convoitise et la vita de saint Cadoc nous le décrit bien près d’enlever la femme de saint Gwynllyw, Gladys. En outre, pour donner plus de consistance au personnage, le biographe de saint Efflam, qui, tant sur la forme que sur le fond, emprunte, comme nous l’avons déjà souligné, l’essentiel de son récit à Ovide, a décrit Arthur comme un chasseur (malheureux) de dragon[51], caractéristique qui constitue le point de contact avec la vita de saint Carantoc.

    
© André-Yves Bourgès 2009



[1]
J. Rio, Mythes fondateurs de la Bretagne, Rennes, 2000, p. 134-142.

[2]
A. de la Borderie, « Saint Efflam. Texte inédit de la Vie ancienne de ce saint avec notes et commentaire historique », dans Annales de Bretagne, t. 7 (1892), n°3, p. 279-312.

[3]
Ibidem, p. 297-298.

[4]
G. Milin, « La traversée prodigieuse dans le folklore et l’hagiographie celtique : essai de typologie », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 118 (1989), p. 125-140.

[5]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 289-290 (c. 12).

[6]
J.-P. Pinot, « Histoire d’un estuaire : la rivière de Lannion », dans Charpiana. Mélanges offerts par ses amis à Jacques Charpy, s.l. [Rennes], 1991, p. 299-300.

[7]
B. Merdrignac, Recherches sur l’hagiographie armoricaine…, t. 1, p. 156.

[8]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 294 (c. 20).

[9]
Ibidem, p. 295 (c. 22).

[10]
E. Rébillé, « Le Grand Rocher de Plestin dans la littérature », dans Trégor, mémoire vivante, n°2 (2e semestre 1992), p. 55-69.

[11]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 285-286 (c. 6-7).

[12]
Ibidem, p. 286-287 (c. 8).

[13]
Ibid., p. 287-288 (c. 9).

[14]
J.B. Coe et S. Young, The Celtic Sources for the Arthurian Legend, Felinfach, 1995, p. 16-43, donnent un accès commode à ces différents ouvrages (texte latin sur la page de gauche, avec traduction anglaise en regard).

[15]
Ibidem, p. 16 et 18.

[16]
Ibid., p. 18 et 20.

[17]
Ibid., p. 26, 28, 30, 32, 34 et 36.

[18]
Ibid., p. 22, 24 et 26.

[19]
M. van Uytfanghe, « Modèles bibliques dans l’hagiographie », dans P. Riché et G. Lobrichon [dir.], Le Moyen Âge et la Bible, Paris, 1984 (Bible de tous les temps, 4), p. 483.

[20]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 284-285 (c. 4 et 5).

[21]
B. Tanguy, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurtiern », dans Études celtiques, t. 26 (1990), p. 160-161.

[22]
Tous ces ouvrages ont également en commun d’insister sur le rôle de l’Irlande comme étape obligatoire dans la démarche spirituelle des saints concernés.

[23]
La controverse porte sur le sens de l’échange : en résumant grossièrement les positions, on peut dire que pour A. de La Borderie et G. Paris le texte BHL 6480 a été composé au XIe siècle au pays de Galles, à partir de traditions anciennes apportées dans la première moitié du siècle précédent par les Bretons continentaux ; tandis que pour F. Lot, F. Duine et R.S. Loomis, cette vita a été composée par un Armoricain qui a utilisé la matière d’un texte gallois antérieur.

[24]
B. Tanguy, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurtiern », p. 179-180.

[25]
La tradition du séjour armoricain de Taliesin, localisé à l’abbaye Saint-Gildas de Rhuys dans la vita de saint Judicaël, était également connue de Geoffroy de Monmouth qui en fait mention dans sa vita Merlini, est évidemment d’origine insulaire : son acclimatation à Rhuys est un témoignage des relations entre cette abbaye et quelque monastère du pays de Galles, probablement le grand centre de Llancarfan.

[26]
J.-D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1775 (fac-simile, Paris, 1902), t. 20 (1070-1109), col. 931.

[27]
Ovide, Métamorphoses, III, v. 1-94 ; Fastes, I, v. 543-586.

[28]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 294 (c. 19). L’indication sic itaque a nomine Jestini Plestina vocatur pagus est une interpolation manifeste qui rompt la dynamique du texte : après Hec autem provincia nomen suum a tuo contrahet, sancte Gestine, et ita communis erit vobis honor, et memoriam utriusque geret hic locus, qui constitue la fin du discours que l’ange adresse à Gestin et à Efflam, il faut directement enchaîner avec le c. 20 qui débute par Jestinus a quandam silvam eidem loco vicinam conversationem habuit sanctissimam…(…).

[29]
Ibidem, p. 288 (c. 10) : cellulam non multum a littore remotam, quae lingua Britannorum Donguel nuncupatur et ab antiquis aedificata, ut operis materies et qualitas etiam nunc declarat. Cette « cellule » n’est pas localisée avec certitude ; située (au bord d’une rivière) non loin du rivage, il s’agissait sans doute, au vue de la description qu’en donne l’hagiographe, d’un édifice gallo-romain. Bien que situé de l’autre côté de la presqu’île et donc fort éloigné de l’actuelle chapelle Saint-Efflam, nous proposons dans cet édifice le petit établissement thermal du Hogolo qui a servi d’habitation presque jusqu’à nos jours.

[30]
Ibid., p. 293 (c. 18).

[31]
Lucain, La Pharsale, III, v. 399-425.

[32]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 295 (c. 22) : sanctum corpus invenerunt, et litteris secum invenit, crebris quoque miraculis dignoscitur.

[33]
A. Le Braz, « Les saints bretons d’après la tradition populaire », dans Annales de Bretagne, t. 13 (1897), n°1 , p. 84.

[34]
Jobbé-Duval, « Les idées primitives dans la Bretagne contemporaine », dans Nouvelle revue historique de droit européen et français, 37e année (1913), p. 442-443.

[35]
J. Rhys, Celtic Folk-Lore, Welsh and Manx, Oxford, 1901, vol. 2, p. 364.

[36]
F.M.G. Habasque, Notions historiques, géographiques, statistiques et économiques sur le littoral du département des Côtes-du-Nord, t. 1, Saint-Brieuc, 1832, p. 7, n. 1

[37]
B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord. Histoire et géographie de toutes les villes et communes du département, t. 4, Guingamp, 1859, p. 124.

[38]
Ibidem, p. 63. L. Harbonville, « A propos de la fontaine des Cinq-Plaies de Servel », dans Trégor, mémoire vivante, n° 6 (1er semestre 1994), p. 29-32, a démontré que le culte des Cinq-Plaies avait été introduit à Servel par Maurice Le Gall de Kerdu, qui fut recteur de la paroisse de 1664 à 1694.

[39]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 296 (c. 23) : Multa morborum genera, interveniente B[eato] Euflamo, laudabiliter curantur.

[40]
A. Le Grand, Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édit., p. 707.

[41]
D. Lucas, Saint Efflam, sant Plistin, p. 148-150.

[42]
J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 6, Saint-Brieuc, 1870, p. 133.

[43]
Communication personnelle du 17 octobre 2002, dont nous le remercions bien vivement.

[44]
E. Vallerie, « Touellou an deveradurezh : ar stummou ‘mouster’ ha ‘moustoir’ en anviou-lec’h », dans Bretagne et pays celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987), Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 249-260.

[45]
Idem, « Saint Efflam… », p. 292 (c. 15). Le latin tirannus a été souvent utilisé par les hagiographes pour rendre le terme breton tiern, qui signifie « chef », tout en suggérant vraisemblablement une nuance péjorative.

[46]
Ibidem, p. 296 (c. 23)

[47]
Ibid., p. 310. L’acte en question figure aux f. 178 v°-180 r°, éd. Courson n° 373 : il s’agit de la charte-notice du 16 avril 1027 relative à la donation de l’île de Locoal dont le texte a été entièrement réécrit, selon H. Guillotel.

[48]
B. Merdrignac, « Saint Ronan et sa Vie latine », dans Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 28-30 avril 1989, s.l. [Locronan], 1995, p. 156.

[49]
A.-Y. Bourgès, « Les origines de La Roche-Jagu et l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998), p. 263-264.

[50]
J.B. Coe et S. Young, The Celtic Sources for the Arthurian Legend, p. 46.

[51]
A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 285, (c. 6) : Arturi quoque fortissimi, qui eo tempore monstra in illis Britanniae partibus persequebatur.

27 décembre 2006

Un ami s’en est allé : hommage à Gwenael Le Duc

J’ai fait la connaissance de Gwenael à la fin des années 80 dans le cadre du CIRDoMoC, dont notre ami fut longtemps le dévoué secrétaire et la véritable cheville ouvrière.

Impossible bien sûr de reconstituer les circonstances de la naissance de notre amitié, dont témoignent simplement le glissement progressif de l’adresse des lettres de Gwenael : d’abord le protocolaire Monsieur, puis bientôt le Cher Monsieur, suivi du Cher ami avant que vienne le Cher André, car jamais Gwenael n’a pu se résoudre à m’appeler par mon double prénom.

Remarquable épistolier, toute la substance de son érudition passait dans ses lettres au grand bénéfice de ses correspondants. Gwenael a finalement peu publié — pas assez en tout cas au goût de ceux pour qui ses travaux étaient essentiels — ; mais les travaux dont nous attendions la publication étaient là présents en germe : Gwenael s’en défaisait allègrement, sous forme de copies de documents, de répertoires et de fichiers, d’ébauches d’articles, de notations diverses dont nous sommes nombreux à avoir profité. Son soutien quand je travaillais sur le dossier hagiographique de saint Mélar a été plus que précieux : essentiel.

Mais attention : en plus de l’érudition dont il aimait faire assaut, il y avait aussi l’humour. Ah ! l’humour de Gwenael, indissociable du personnage, indissociable même de sa personnalité ; s’exprimant sous des formes diverses et parfois étonnantes : je me souviens, au plus fort de la « controverse de saint Goëznou », quand nous nous opposions très amicalement mais fermement sur la datation de la vita du saint, avoir reçu un billet de Monopoly de 10000, 20000 ou 50000 F (je ne sais plus) avec cette mention : « cela suffit-il pour te faire fermer ta grande bouche ? »

Autant de passion pour des querelles que d’aucuns trouveraient byzantines, à l’instar de celle sur le sexe des anges : cette dernière réglée d’ailleurs et définitivement par Gwenael grâce à sa découverte, qu’il s’empressa de me faire partager par un après-midi ensoleillé, d’un ange femelle sculpté sur les sablières d’un ancien oratoire, à Mélesse (35) …

Au-delà de la (fausse) étymologie du nom de Gwenael (gwenn ael, « l’ange blanc »), il me plait de penser que c’est l’ange de Mélesse qui, en compagnie de saint Goëznou et de sainte Geneviève de Brabant, est venu accueillir mon ami — notre ami — quand ce dernier, avec son air goguenard, a poussé, dimanche dernier, la porte qui donne sur la pièce d’à-côté.


André-Yves Bourgès

07 octobre 2006

II.- L’hagiographie bretonne à l’époque féodale (XIe-XIIIe siècles) : 2. Un Léonard en Goëllo : Raoul, chanoine et official puis évêque de Saint-Brieuc, auteur de l’histoire de sainte Azénor et de saint Budoc ?

Nous poursuivons la mise en ligne de notules d’hagio-historiographie bretonne sous le titre général de SAINTS DE BRETAGNE. Ces notules sont rangées dans 3 séries : I.- Les saints bretons du Haut Moyen Âge ; II.- L’hagiographie bretonne à l’époque féodale (XIe-XIIIe siècles) ; III.- Bretagne ducale et novi sancti.

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L’épiscopat de Raoul, à Saint-Brieuc, est assez mal connu. On a conservé quelques chartes du personnage, de 1257 et 1258, passées en sa qualité de prélat.

Il était chanoine en 1235 — peut-être même avait-il déjà succédé à cette date en qualité d’official à Jean de Plogonoet, lequel occupait cette charge en 1233 ? — au moment de l’enquête ordonnée par le roi pour les barons de Bretagne, et plus particulièrement pour Henri d’Avaugour. La première partie de l’enquête eut lieu à Saint-Brieuc : à l’exception de l’archidiacre de Goëllo, Thibaud, et du chantre (Guillaume ?), les autres dignitaires de l’Église locale — le doyen, Alain de Plogonoet, le trésorier, Etienne, l’archidiacre de Penthièvre, Guillaume, et l’écolâtre, Nicolas,— furent entendus en qualité de témoins. Quant à l’évêque, Philippe, il fait simplement l’objet d’une mention incidente qui ne donne même pas son nom. Il faut peut-être voir dans cette discrétion la conséquence des difficultés rencontrées en 1234 lors de la désignation du successeur de saint Guillaume sur le siège épiscopal : l’élection du chanoine Alain — qui remplissait la dignité de trésorier de Vannes — puis celle de Nicolas, l’écolâtre, avaient été successivement annulées par l’archevêque de Tours, Juhel ; ce dernier décida alors que la désignation de l’évêque lui revenait et son choix tomba sur Philippe. « Nous ne savons pas sur quoi Guimart se base pour voir là une usurpation ; ce qui est vrai, c’est qu’on ne connaît pas d’élection enlevée au chapitre plus anciennement (1235)», soulignent les auteurs des Anciens évêchés de Bretagne.

Nous ne savons pas à quelle date Raoul avait résigné sa charge d’official : au mois de mars 1257, les fonctions étaient occupées par Eudo de Langourla, archidiacre de Penthièvre. En effet, suite à la mort de l’évêque André en 1256, une nouvelle élection contestée avait amené Raoul à Rome, où le pape le nomma évêque et le consacra de ses propres mains en février 1257 : sa carrière épiscopale fut brève et partiellement remplie au cours de l’année 1259 par une longue ambassade en Angleterre pour négocier l’union du fils aîné du duc Jean le Roux avec Béatrix, fille du roi Henri III ; le prélat, qui devait être fort âgé — il dit avoir connu les élections au siège épiscopal de Guillaume Socrate et de Pierre, respectivement en 1206 et 1208 — mourut peu de temps après son retour et était déjà remplacé sur le siège épiscopal par Simon au début de l’année 1260.

Une anecdote rapportée par Raoul lors de l’enquête de 1235 nous renseigne sur l’origine du personnage. Interrogé sur le droit de bris, encore appelé lagan ou peçois, Raoul confirme les témoignages de Gélin et du prêtre Guillaume Estrabaut qui attribuent l’exercice de ce droit non seulement au comte Alain, seigneur de Goëllo — dont Gélin était le frère — mais également aux seigneurs de Léon, ce qu’affirment également de manière explicite plusieurs autres témoins ; et pour prouver cette assertion, Raoul raconte « avoir souvent entendu dire que Guyomarc’h de Léon se vantait de posséder une pierre précieuse entre toutes, laquelle lui rapportait 100 000 sous par an, et qu’il entendait par là un rocher sur lequel se fracassaient les navires ». Raoul fut entendu une seconde fois, notamment, comme nous l’avons dit, sur la régale de l’évêché de Saint-Brieuc ; ce fut pour lui l’occasion de réaffirmer qu’Alain de Goëllo détenait le droit de bris dans son fief.

L’anecdote rapportée sur Guyomarc’h de Léon est fort intéressante : elle dénote chez ce dernier, mort en 1208, un cynisme de grand seigneur, qui est également à l’origine de traditions sur les fameux « naufrageurs » de la côte léonarde. En outre, il ne s’agissait pas d’une histoire qui faisait florès à Saint-Brieuc, car le trésorier, Etienne, lequel confirme intégralement le témoignage du chanoine Raoul, en excepte précisément ce qui se rapporte à la fameuse pierre : nous avons donc bien affaire à une anecdote léonarde qui sans doute circulait dans l’entourage de Guyomarc’h, notamment à Lesneven où ce puissant baron avait sa principale résidence, à proximité de la minuscule paroisse de Languengar (aujourd’hui simple village de Lesneven), qui était autrefois l’unique lieu de culte de sainte Azénor, substitué en fait à celui de sainte Honorée, en breton Enori. Comme il indique qu’il avait entendu raconter à de nombreuses reprises l’anecdote relative à la « pierre précieuse » du vicomte de Léon, on peut supposer que Raoul avait lui-même séjourné assez longtemps sur place avant de venir à Saint-Brieuc dans les toutes premières années du XIIIe siècle. A cette époque s’étaient noués les premiers liens entre la famille de Léon et celle de Goëllo, le fils de Guyomarc’h, Conan de Léon ayant épousé la sœur d’Alain de Goëllo.

Le profil de Raoul correspond assez bien à celui de l’auteur de l’histoire de sainte Azénor et de saint Budoc : l’hagiographe en effet paraît avoir été un Léonard acclimaté en Goëllo, qui travaillait dans les années 1213-1219, à l’époque où Conan de Léon était le tuteur du jeune Henri, son neveu, le fils d’Alain de Goëllo. Pour donner de la consistance à sa biographie de saint Budoc, l’écrivain, après avoir rapproché le nom d’Enori, fille du roi de Brest, entendu dans un récit à Lesneven, de celui de l’épouse de saint Efflam, sainte Enora, héroïne d’une traversée miraculeuse de l’Irlande à la Bretagne, s’est avisé qu’une anecdote similaire figurait dans la vita de saint Kentigern, dont la mère, Thaney, enceinte, avait été injustement soumise à une ordalie par son père, roi d’Irlande : placée sur une embarcation sans voile, ni rames, la princesse avait ainsi dérivé au gré des courants marins pour finalement aborder sur une côte où Thaney et son fils, né peu après l’accostage, avaient été recueillis par saint Servan.

Dans le contexte de la captivité d’Aliénor de Bretagne, que le nom de cette malheureuse princesse, sous la forme Azénor, « soit venu sous la plume du rédacteur de la Legenda sancti Budoci remplacer celui populaire d’Enori n’a rien que de très plausible », comme le souligne B. Tanguy. L’hagiographe a attribué pour époux à son héroïne le roi de Goëllo, et il a indiqué en outre que le jeune Budoc et sa mère avaient été recueillis à l’abbaye de Beauport, en Irlande. L’hagiographe connaissait donc l’existence de ce monastère, dont la fondation, en 1158, peut donc être valablement considérée comme un premier terminus a quo de la composition de l’histoire d’Azénor ; mais la connaissance que l’écrivain avait de cette abbaye irlandaise paraît avoir été bien rudimentaire, puisqu’il ignorait notamment qu’il s’agissait d’une maison de femmes : c’est donc que le nom de Beauport était venu sous sa plume, à la suite d’une association d’idée ou de propos délibéré, par référence à l’abbaye prémontrée de Beauport, en Goëllo. Or existait localement le souvenir d’un saint Budoc, qui tenait une sorte d’école dans l’archipel de Bréhat, dont plusieurs îles faisaient partie de la dotation primitive de cette abbaye ; comme la fondation de celle-ci, en 1202, avait été voulue par Alain, seigneur de Goëllo, fils du comte Henri [de Penthièvre] (Alanus, dominus de Gouellou, Henrici comitis filius), il était non seulement possible, mais encore extrêmement tentant d’établir un lien entre les traditions relatives à saint Budoc et la dynastie locale. On dispose par ailleurs d’un indice pour déterminer le terminus ad quem de la composition de l’histoire d’Azénor : comme on l’a dit, il est explicitement fait référence dans ce texte au seigneur de Goëllo, qualifié roi. Or, après la mort d’Alain, en 1212, son fils Henri, né en 1205, a très tôt renoncé, dès 1217, à revendiquer le nom de son héritage, pour ne retenir que celui d’Avaugour : il faut donc que l’auteur ait travaillé quand le souvenir du nom primitif porté par le lignage d’Avaugour était encore suffisamment vivace. Enfin, il est question dans l’histoire d’Azénor d’un « vicomte du pays », présenté comme un sage vieillard aux avis duquel se rend le roi de Brest : il faut à l’évidence reconnaître dans ce personnage un ancêtre mythique des vicomtes de Léon.


André-Yves Bourgès

18 juin 2006

La production hagiographique et l’atmosphère religieuse en Bretagne aux XIe et XIIe siècles


La réforme grégorienne a été mise en place en Bretagne plus rapidement et plus profondément qu’on ne le dit souvent, d’autant plus que Grégoire VII, comme l’a suggéré en son temps B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, avait vraisemblablement choisi d’utiliser la prétendue métropole de Dol comme le relais de sa politique de vassalisation de la principauté bretonne à l’égard du Saint-Siège : en 1076, le pape déposa le pontife dolois, Juthaël, qu’il déclara simoniaque et nicolaïte et le remplaça par l’incontestable Even, moine de Saint-Florent de Saumur devenu abbé de Saint-Melaine de Rennes, « auquel il conféra le pallium, pour lui et pour ses successeurs à perpétuité, en le qualifiant d’archevêque de Dol »[1]. Grégoire VII s’étant réservé le pouvoir de modifier les circonscriptions religieuses, on peut supposer qu’il s’agissait là d’une première étape vers « l’érection de la Bretagne en province ecclésiastique sous l’autorité des titulaires du siège de Dol »[2] ; mais, faute de pugnacité chez le prélat dolois et de véritable innovation chez les partisans de la métropole bretonne, ce projet a tourné rapidement court après le décès d’Even en 1081. Par la suite, l’affaire doloise « ne fera que se survivre, essentiellement parce que le soutien des prétentions métropolitaines devait rester l’un des mots d’ordre de la politique des ducs de Normandie, devenus rois d’Angleterre »[3].

Ainsi, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle s’opéra en Bretagne un véritable renouvellement de l’épiscopat, lui même rendu possible par le « renouveau monastique qui l’avait précédé »[4] : à la suite de la réforme initiée à Dol, furent majoritairement promus à la tête des évêchés bretons des moines dont plusieurs, à l’exemple d’Even, avaient été formés dans les grandes abbayes bénédictines extérieures à la Bretagne et en particulier dans les établissements de la vallée de la Loire ; ce tropisme ligérien est d’ailleurs une constante du monachisme breton, dont on a trop souvent exagéré la dimension « celtique ».

Cependant notre constat objectif de la qualité de nombreux prélats de l’époque ne doit pas nous entraîner trop loin dans l’irénisme : la tâche était immense, les moyens peccamineux et les conflits d’intérêts omniprésents.

Le renouveau monastique du XIe siècle

En disloquant l’organisation monastique bretonne, les incursions viking avaient donné un coup d’arrêt à la production hagiographique locale, laquelle connaissait un développement très important à l’époque carolingienne. Il faut ensuite attendre la première moitié du XIe siècle, pour constater le relèvement progressif de plusieurs abbayes : Saint-Méen, Saint-Gildas de Rhuys, Redon. Certes, le monastère emblématique de Landévennec, à l’extrémité occidentale de la péninsule, et celui de Landoac — connu par la suite sous le nom de Saint-Jacut-de-l’Isle, aujourd’hui Saint-Jacut-de-la-Mer, et que nous appellerons simplement Saint-Jacut — avaient bénéficié d’un renouveau plus précoce, dès le milieu du Xe siècle pour le premier et avant l’An Mil pour le second ; mais à l’inverse, la restauration complète de Saint-Melaine de Rennes ne fut acquise que sous l’abbatiat d’Even (1054-1081). Quant aux anciens monastères de Locminé, de Léhon, de Vertou et de Déas, ils ne furent pas relevés et réduits à l’état de simples prieurés. Cependant, des abbayes nouvelles ont vu le jour dans la première moitié du XIe siècle : Saint-Gildas-des-Bois, Sainte-Croix de Quimperlé ; et deux monastères de femmes : Locmaria de Quimper (qui sera rattaché en 1124 à la jeune abbaye Notre-Dame du Nid-de-Merle) et Saint-Georges de Rennes.

Plusieurs de ces établissements sont alors (re)devenus des centres de production littéraire : en effet, il fallait non seulement reconstruire la mémoire monastique mais encore l’inscrire dans l’histoire mouvementée de la principauté bretonne. C’est là tout le propos des entreprises de compilation de cartulaires dont la dimension hagiographique constitue désormais, au regard d’enjeux économiques devenus majeurs[5], le principal soutien des droits revendiqués par les moines. Mais dans ce nouveau contexte, l’hagiographie bénédictine ne pouvait pas à chaque fois se contenter simplement de recycler des productions antérieures, comme ce fut le cas à Landévennec et à Saint-Melaine de Rennes. Le gros dossier hagiographique de saint Guénolé, constitué vers 1050 à Landévennec, est en effet formé pour l’essentiel des différentes biographies carolingiennes du fondateur de Landévennec [BHL 8957-8960], auxquelles le rédacteur du cartulaire de l’abbaye a adjoint la biographie du saint dolois Ethbin [BHL 2621], dont un certain nombre d’éléments laissent à penser que son prototype avait été composé à Landoac. Quant à saint Melaine, sa vita la plus ancienne [BHL 5888], du début du IXe siècle[6], a fait l’objet d’une réfection [BHL 5890], dans le dernier tiers du XIe siècle : en effet, sa composition doit être postérieure à la translation de reliques aux années 1056-1072, en provenance de Château-du-Loir[7], puisque l’hagiographe signale la présence du corps de saint Melaine à l’abbaye[8] ; mais elle est évidemment contemporaine de la restauration du monastère par Even.

Vers 1025, on décide, « à cause de la sainteté du site, de donner la priorité à la restauration de Rhuys sur celle de Locminé, qui demeure dès lors un prieuré »[9] : c’est évidemment l’époque de la composition de la vita de saint Gildas. Un peu plus tard, probablement aux années 1060-1067, une première refonte de cet ouvrage [BHL 3541] prolonge la biographie du saint par une sorte de chronique du monastère, où l’hagiographe propose en modèle à la vénération des fidèles le restaurateur de l’abbaye, Félix, et les compagnons de celui-ci : Ehoarn, Gingurien. La vie et les miracles de saint Goustan, dont il est également question dans cet ouvrage, ont fait l’objet d’un texte spécifique, utilisé par Albert Le Grand[10], puis par l’auteur anonyme de l’histoire manuscrite de l’abbaye de Rhuys[11], et dont Du Buisson-Aubenay nous a conservé un fragment [BHL vacat][12] ; « d’autres fragments de ce même document sont conservés à la Bibliothèque Nationale, dans le ms. fr. 22308, fol. 108 : cette dernière copie très mauvaise et très incomplète a été prise sur les Mémoires de l’Évêché de Vannes du P. du Paz qui semblent aujourd’hui perdus comme le manuscrit original » [13].

Saint Méen, dont les reliques avaient été ramenées en 1074 à l’abbaye qui porte son nom, a fait l’objet d’une biographie [BHL 5944] dans laquelle l’auteur présente le saint comme étant le cousin et le coadjuteur de saint Samson ; le même hagiographe a également consacré un ouvrage à saint Judicaël [BHL 4503 (première partie)] en se servant des éclaircissements apportés à l’abbé Hinwethen par le grammaticus Ingomar au moment de la restauration de l’abbaye. On trouve enfin, toujours sortie de la même plume, une vita de saint Léry [BHL 4797-4799], personnage obscur dont un petit prieuré dépendant de Saint-Méen perpétuait le nom. Saint Judicaël a fait par la suite l’objet d’un autre traitement hagiographique [BHL 4503 (seconde partie)] dont il faut placer l’époque après le retour de ses reliques à Saint-Méen en 1130.

De plus en plus radicalisée autour de la défense des intérêts matériels de telle ou telle abbaye, la production hagiographique bénédictine a continué de connaître dans les dernières décennies du XIe et dans les premières du XIIe siècle une activité soutenue : ainsi en est-il, par exemple, à Redon avec la vita de saint Conwoion [BHL 1946]. La démonstration est encore plus nette à Sainte-Croix de Quimperlé avec le gros dossier largement révisé et interpolé entre 1118 et 1127 par le compilateur du cartulaire, Gurheden, et qui comprend d’une part la généalogie, la vita et l’inventio reliquiarum de saint Gurthiern [BHL 3720-3721-3722], d’autre part la vita de sainte Ninnoc [BHL 6242][14]. La dévotion dont on faisait preuve à l’égard de personnages appartenant à un passé monastique plus ou moins légendaire n’était nullement exclusive de la vénération de modèles religieux contemporains : le premier abbé de Sainte-Croix de Quimperlé, Gurloës, a ainsi très tôt fait l’objet d’un culte local et son immédiat successeur, Benoît, sollicita du pape Urbain II qu’il fût canonisé ; mais la réponse papale en forme de fin de non-recevoir soulignait « que cette distinction ne pouvait être accordée sans un minimum de garanties, en particulier une information sur les prodiges qu’on lui attribuait »[15].

Entre temps, la création hagiographique avait beaucoup évolué ; la réforme grégorienne en particulier avait créé des besoins nouveaux : en effet, si l’on voulait mieux encadrer et donc mieux contrôler la masse des fidèles, il fallait — pour chacun des saints « locaux » auxquels les populations rendaient un culte parfois largement marqué au coin de la superstition et de la survivance de pratiques païennes — mettre au point un discours adapté et suffisamment normatif, avant de le diffuser auprès du peuple par le biais d’un clergé paroissial lui-même souvent déviant. La place était donc libre pour le développement d’une hagiographie capable de produire des modèles littéraires à proposer en exemple à l’ensemble de la communauté diocésaine, tant sur le plan de la pratique religieuse que sur celui des comportements sociaux ; en même temps, cette production hagiographique « séculière » avait, elle aussi, à prendre en compte la défense des intérêts ecclésiastiques, en particulier ceux des sièges épiscopaux concernés, et à inscrire cette démarche dans une perspective historique.

Appropriation de la production hagiographique par l’épiscopat

En outre, il n’existait pas partout des monastères : ainsi les évêques de Quimper, Léon et Tréguier ont-ils eu à suppléer au déficit de production hagiographique engendré par la « faiblesse de l’encadrement monastique en Basse-Bretagne »[16] ; une fondation bénédictine tardive[17] et deux fondations augustiniennes[18], ainsi que cinq fondations cisterciennes[19] allaient bientôt renforcer cet encadrement, mais sans pour autant parvenir à combler totalement le déficit en question. Ailleurs, c’est-à-dire en Haute-Bretagne, là où la densité des abbayes était plus forte de même que celle de leurs prieurés, les prélats locaux ont pu estimer que les moines, dans leur refus quasi-généralisé de s’en remettre aux décisions de l’ordinaire, n’exerçaient pas toujours une bonne influence sur les fidèles dont ils avaient la charge. Alors, pour trouver les hagiographes dont ils avaient besoin, les évêques de Bretagne se sont souvent tournés vers leurs chapitres cathédraux ; en certaines occasions, ils ont mis eux mêmes la main à la plume ou du moins fourni le canevas aux scribes de leurs chancelleries : on peut ainsi dresser — en s’entourant bien évidemment des précautions d’usage, car il s’agit là d’hypothèses dont la démonstration est encore très incomplète[20] — une liste assez fournie des différents prélats hagiographes qui ont œuvré en Bretagne entre 1050 et 1150 environ[21].

A Rennes, Marbode, qui occupait le siège épiscopal aux années 1096-1123. Son œuvre hagiographique, telle que nous la connaissons, comprend une douzaine d’ouvrages, mais aucun ne se rapporte à la Bretagne ; néanmoins F. Dolbeau conjecture qu’il peut avoir donné la relation d’un miracle posthume de saint Melaine [BHL 5893][22]. La première édition des oeuvres de Marbode fut donnée à Rennes en 1524 par son lointain successeur sur le siège épiscopal, le dominicain Yves Mayeuc, lui même mort en odeur de sainteté.

A Dol, Baudri de Bourgueil, qui siégeait aux années 1107-1130. Outre sa biographie de Robert d’Arbrissel [BHL 7259], Baudri est notamment l’auteur d’une réfection de la vita de saint Samson [BHL 7486][23]. On lui parfois attribué la paternité d’une vita de saint Malo[24] ; mais cette hypothèse reste très discutée[25]. En revanche, Baudri pourrait avoir été, au moins indirectement, à l’origine de la composition de la vita de saint Gobrien : le prologue de cette vita est en effet largement inspiré des premières lignes d’une Chronique de l’église de Dol qui a parfois été attribuée à Baudri[26].

Sur le siège d’Alet, Judicaël et Donoald. Moine avant son accession à l’épiscopat, Judicaël avait succédé à Daniel mort en 1085 ; il se retira en 1108 et mourut en 1112 « sous l’habit monastique, vraisemblablement à Rhuys, ce qui explique pourquoi la chronique de cette abbaye est si bien informée de la chronologie des évêques d’Alet »[27]. Nul doute quant à l’intérêt manifesté par Judicaël dès son accession à l’épiscopat à l’égard de son saint patron et de saint Méen, honorés conjointement dans le grand monastère qui porte le nom du second et dont les possessions couvraient un vaste territoire à l’entour. Selon une intéressante hypothèse développée par M. Duval[28], les vitae de ces deux saints auraient été composées à l’époque où il y avait compétition entre les détenteurs du comté de Rennes et les seigneurs de Gaël, avoués de l’abbaye, pour le contrôle de la région concernée : voilà qui nous amène aux années 1085 et suivantes, quand le duc Alain Fergent, après avoir récupéré le comté de Rennes, eut alors à affronter la rébellion de Raoul de Gaël. Témoigne aussi de l’intérêt du prélat pour l’abbaye Saint-Méen la biographie de saint Léry, consacrée au fondateur d’un petit prieuré dépendant de ce monastère et dans laquelle il est également question de saint Judicaël. L’ensemble formé par les vitae de saint Léry, de saint Méen et de saint Judicaël présente des allusions répétées au pays vannetais et mentionne explicitement des traditions qui avaient cours à l’abbaye de Rhuys[29]. Comme l’écrit le récent commentateur des vitae de saint Gobrien, saint Gonéri et saint Mériadec, « alors que l’exploitation traditionnelle et isolée des documents semblait avoir déjà tout révélé de leur intérêt, l’approche comparative de ces Vies de saints apporte une dimension nouvelle à leur valeur historique »[30] : c’est ce que nous nous sommes efforcé de démontrer dans un travail spécifique sur « le dossier littéraire des saints Judicaël, Méen et Léri »[31].

De son côté, Donoald, précédemment abbé de Saint-Melaine (1116-1120) et qui siégeait à Alet aux années 1120-1142, pourrait avoir été l’auteur d’une vita (perdue) de saint Suliau, dont le texte a été abrégé et adapté pour être introduit, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle dans différents légendaires et bréviaires [BHL vacat] ; nous pensons qu’il a également composé une vita de saint Malo [BHL 5120], attribuée par F. Lot au successeur de Donoald, Jean de Châtillon[32].

A Tréguier, Martin et Hugues. Martin, chapelain du comte d’Anjou puis chanoine du chapitre cathédral d’Angers, dont l’élévation sur le siège épiscopal de Tréguier était intervenue à une date entre 1049 et 1052-1054, est probablement à l’initiative de la composition de la vita moyenne de saint Tugdual [BHL 8351], s’il n’en est pas lui même l’auteur[33].

Hugues, originaire de la paroisse trégoroise de Plestin[34], mentionné en qualité d’évêque de Tréguier en 1086, est peut-être l’auteur de la première vita de saint Maudez [BHL 5722] et de la vita de saint Efflam [BHL 2664][35]. On verra plus loin les circonstances de la composition de la vita longue et de la vita brève de saint Tugdual, ouvrages qui, au XIIe siècle, viennent compléter l’importante production hagiographique de Tréguier à cette époque.

A Saint-Pol-de-Léon, Omnès ou son successeur Galon. Nous avons précédemment attribué à Omnès, déjà évêque de Léon à une date entre 1047 et 1055 et qui l’était encore à une date entre 1081 et 1084, la paternité de la première vita de saint Mélar [BHL 5906c/5904][36]. La candidature de Galon est également recevable, d’autant plus que le nom de ce dernier se retrouve associé à celui de Plouégat-Galon (aujourd’hui Plouégat-Guérand), paroisse limitrophe de Lanmeur. Galon, mentionné en qualité d’évêque de Léon dès 1108 et jusqu’en 1128, précédemment moine de Saint-Florent de Saumur, avait acquis au sein de cette abbaye le goût des belles-lettres auxquelles il continua de s’adonner devenu prélat : on conserve de lui un poème sur le thème, d’ailleurs rebattu, de contemptu mundi, pièce dédiée à un sien ami qui est vraisemblablement Hildebert de Lavardin. Son objectif en composant la vita de saint Mélar aurait été le même que celui que nous avons conjecturé dans le cas d’Omnès : impliqué dans les affaires cornouaillaises comme l’atteste son union avec les moines de Landévennec qui le désignent dans leur nécrologe monachus nostrae societatis[37], il s’agissait pour lui de renforcer les liens entre les ex-comtes de Cornouaille, devenus ducs de Bretagne, et les vicomtes de Léon, dont l’autorité avait débordé sur la région de Lanmeur, pour mieux contrecarrer les ambitions des Eudonides, les descendants du comte Eudon (dit de Penthièvre) largement possessionnés en Trégor.

A Quimper, Robert ou Bernard. Nous avons récemment proposé de reconnaître dans l’évêque Robert (1113-1130), dont une interpolation tardive dans le cartulaire de Quimper nous apprend qu’il « fut ermite près de Locuuan »[38], l’auteur de la vita de saint Ronan [BHL 7336][39] et d’un ouvrage relatif aux miracles de saint Corentin [BHL suppl. 1953][40] ; ces deux textes ont été recueillis sous la dictée du prélat, par le chanoine auquel on doit la pancarte de Quimper. H. Guillotel[41] et, à sa suite, J. Quaghebeur[42] ont cru pouvoir identifier l’auteur, ou du moins l’inspirateur des deux ouvrages en question, à Bernard de Moëlan, ancien chancelier de la cathédrale de Chartres, lequel siégeait aux années 1159-1167. La démonstration de H. Guillotel repose essentiellement sur une analyse de la vita de saint Corentin [BHL 1954] ; mais celle-ci est un ouvrage absolument distinct dont il faut probablement attribuer la rédaction à Rainaud, évêque de Quimper de 1219 à 1245[43].

A Vannes enfin, Morvan, qui succéda vers 1085 à l’évêque Mengui dont il avait été l’archidiacre. Morvan occupa le siège épiscopal jusqu'à sa mort en 1128 ; il s’était détaché de la cause de la métropole bretonne et rallia celle de Tours : en 1096, il assistait au concile tenu dans cette ville, en compagnie de l’évêque de Rennes, Marbode[44]. Le profil de Morvan est incontestablement celui d’un hagiographe : nous connaissons par un témoignage contemporain son intérêt pour saint Brelivet, son prédécesseur sur le siège épiscopal de Vannes au milieu du Xe siècle, dont les reliques étaient conservées à l’abbaye Saint-Julien de Tours[45] ; il pourrait bien avoir été en conséquence l’auteur d’une vita de saint Patern, dont l’objectif principal était précisément de justifier l’autonomie de l’Église de Vannes à l’égard de la métropole de Dol. L’essentiel de cet ouvrage (perdu), qui mettait en scène, outre saint Samson, le roi fabuleux Caradoc Brechbras, a finalement passé dans la biographie d’un saint gallois homonyme [BHL 6480][46] : il s’agit donc d’un témoignage très intéressant mais controversé[47] sur les échanges littéraires entre la Bretagne continentale et la Bretagne insulaire, au travers notamment des contacts entretenus par l’abbaye de Llancarfan avec celle de Quimperlé[48] et probablement avec celle de Rhuys.

Si plusieurs de ces prélats hagiographes sont encore d’origine monastique, le phénomène de « sécularisation » des auteurs — avec les conséquences qu’on peut imaginer sur la façon de représenter la sainteté — va se renforcer à partir du milieu du XIIe siècle : la production hagiographique est alors très largement accaparée, semble-t-il, par les membres des chapitres cathédraux et par les dignitaires diocésains, notamment les archidiacres ; dans ce contexte, les saints, même les plus « locaux », sont désormais le plus souvent revêtus des insignes épiscopaux et rares sont ceux qui échappent à ce travestissement. Bien qu’ils soient en général décrits comme extrêmement éloignés des vanités mondaines, ils font toujours montre, aux dires de leurs biographes, d’une totale obéissance à l’injonction divine d’accepter l’épiscopat : c’est déjà le cas de saint Gobrien, présenté en qualité d’évêque de Vannes, mais surtout recevant la consécration épiscopale à Dol, dans une vita [BHL vacat] ; c’est encore le cas à Saint-Pol-de-Léon, à la fin du XIIe siècle, au sujet des saints Goëznou [BHL 3608-3609],Goulven [BHL 3610], Jaoua[49] et Ténénan [BHL vacat], dont les vitae respectives ont été composées à l’occasion de l’établissement du catalogue épiscopal par un certain Guillaume, membre du chapitre cathédral[50].

Il faut réserver un sort particulier à l’œuvre hagiographique d’Etienne de Fougères, évêque de Rennes de 1168 à 1178. S’il n’est pas sûr qu’Etienne ait appartenu à la dynastie des puissants barons de Fougères, son surnom le désigne peut-être comme un membre de leur familia, à tout le moins comme un habitant du chef-lieu de leur principauté. Chapelain du roi Henri II Plantagenêt, Etienne avait longtemps commis des vers profanes ; mais « une soudaine apparition l’avertissant de sa mort prochaine l’aurait détourné vers l’élaboration d’œuvres plus sévères »[51]. Ainsi, aux dires de son contemporain et ami Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, Etienne avait écrit une vita de Guillaume Firmat [BHL 8914][52] ; la longue carrière érémitique de ce dernier a connu une étape bretonne, dans la région de Vitré[53], avant celles de Fontaine-Géhard et de Savigny et l’implantation définitive à Mantilly (May.)[54]. Toujours selon Robert du Mont, Etienne était également le biographe de l’ermite Vital de Tierceville, dit de Mortain, devenu le premier abbé de Savigny [BHL 8707]. Enfin, on lui a parfois attribué la composition de la vita d’un moine de la même abbaye, Hamon de Landécot [BHL 3752], originaire de Saint-Etienne-en-Coglès (I.-et-V.), dans le diocèse de Rennes, et mort en 1173. Cependant, cette attribution n’est pas sans poser quelques problèmes : le ton employé dans le prologue de l’ouvrage semble indiquer que l’hagiographe était un religieux de Savigny, écrivant sur l’ordre de son abbé[55] ; Hamon faisant de surcroît l’objet d’une mention flatteuse dans la vita d’un autre moine de Savigny, Pierre d’Avranches [BHL 6689][56], l’auteur anonyme de ce dernier texte pourrait bien avoir également écrit — entre 1189 et 1240[57], dans le cadre d’un ouvrage plus vaste relatif aux gesta sanctorum de l’abbaye — la biographie du bienheureux Hamon.

Les ouvrages hagiographiques continuaient de répondre aux nécessités d’une éducation religieuse des populations ; mais en même temps leurs auteurs sacrifiaient de plus en plus à des sujets sans rapport avec ceux dont traitaient à l’origine les hagiographes : conflit interne au personnel de la cathédrale, volonté de faire reconnaître la prééminence de tel siège épiscopal à l’égard de tel autre, lutte d’influences entre l’Église concernée et telle communauté monastique, etc. Il arrive parfois que le même dossier hagiographique, sinon le même ouvrage, contienne ces différents ingrédients : ainsi en est-il de la vita longue [BHL 8353] et de la vita brève de saint Tugdual [BHL 8350].

Les pièces tardives du dossier littéraire de saint Tugdual

La date de composition de la vita longue de saint Tugdual — dont le texte est conservé, avec celui de la vita de saint Paul Aurélien, dans le 7e volume d’un légendaire provenant justement du scriptorium de l’abbaye de Savigny — ne paraît pas antérieure au XIIe siècle comme on peut le déduire de la façon dont est rapporté le récit d’un épisode miraculeux dans lequel était intervenu l’évêque Martin, du troisième quart du XIe siècle[58] ; plus précisément, puisque selon les archéologues la cathédrale de Tréguier est de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle, l’hagiographe, qui déclare avoir connu des personnes qui elles mêmes avaient connu le charpentier Goederus, bénéficiaire d’un miracle de saint Tugdual à l’occasion de ce chantier[59], a donc travaillé dans la première moitié du XIIe siècle. En revanche, le problème reste entier en ce qui concerne la datation de la vita brève du saint que ses premiers éditeurs successifs[60] ont qualifiée très ancienne — composée au VIe siècle — et désignée comme étant la première dans l’ordre chronologique des trois textes hagiographiques qui composent le dossier hagiographique tugdualien. Très tôt, deux critiques, Mgr L. Duchesne et F. Duine, avaient préféré abaisser la datation de cette vita et en fixer le terminus a quo au IXe siècle au plus tôt[61] ; de son côté H. Guillotel, en donnant des arguments très intéressants en faveur d’une composition contemporaine de celle de la vita moyenne, a proposé en conséquence la seconde moitié du XIe siècle[62].

Pour composer son ouvrage et affirmer les prétentions de l’évêque de Tréguier, l’auteur de la vita longue disposait d’une source précieuse, qu’il mentionne à deux reprises et dont il a extrait une citation littérale : il s’agit de l’ouvrage d’un certain Louénan, qui donnait la liste des innombrables biens aumônés à saint Tugdual, avec les noms des donateurs et des témoins[63], document dans lequel il faut peut-être reconnaître une sorte de cartulaire du « grand monastère » de *Nant-Trecher, « vallée de Tréguier »[64] (magnum monasterium quod vocatur Vallis Trecher). Un tel cartulaire a pu être mis en forme tardivement, à l’époque de l’érection du siège épiscopal de Tréguier, dans un contexte de véritable concurrence avec le monastère placé sous l’invocation de saint Brieuc[65] ; la vita de ce dernier est un des éléments de cette compétition : selon son hagiographe, Brieuc, avant même d’avoir établi le monastère de la « vallée double » (binae vallis), avait en effet fondé un premier établissement à proximité du Jaudy, monastère qui fut confié par la suite à son neveu Tugdual[66]. Or, on conservait à Crépy-en-Valois les corps de saint Brieuc et de saint Pabu-Tugdual dans la même châsse ; cette association est évidemment la marque d’une véritable proximité entre les personnages concernés : parenté naturelle ? ou parenté spirituelle ? exercice de la même charge dans la même Église ? Louénan, qui revendiquait la qualité de « disciple » de saint Tugdual, était sans doute peu enclin à reconnaître la suprématie et moins encore la tutelle des briochins. En tout état de cause, le siège épiscopal récemment érigé à Tréguier au bénéfice des abbés du lieu disposait d’une collection de chartes, à laquelle il est fait allusion dans la vita moyenne[67] ; le cartulaire de Tréguier, à l’instar de celui de Landévennec, renfermait certainement une biographie du fondateur du monastère : il pourrait s’agir de la source alléguée par l’auteur de la vita moyenne[68].

L’époque de composition de la vita brève de saint Tugdual, ouvrage dont on a cru longtemps qu’il était la plus ancienne pièce du dossier hagiographique tudualien, doit être au contraire largement abaissée, car, à l’évidence, cette vita est tributaire à la fois de l’ouvrage composé par Louénan et de la rédaction longue. Témoignent de cette double dépendance la parenté stylistique entre un court passage de la vita brève et la citation explicite du texte de Louénan dans la vita longue : il est évident en effet que le texte court ne peut pas être identifié avec l’ouvrage bien plus volumineux de Louénan. A. de La Borderie avait contourné la difficulté en assimilant la vita brève à la seule préface de ce cartulaire. Mais c’est perdre de vue que l’hagiographe poursuivait en l’occurrence un objectif bien plus spécifique, disputer à quelque compétiteur la possession de trois praedia, d’ailleurs situés en Léon : Santhequo, alias Santsegne qui est l’actuelle commune de Sainte-Sève, à l’ouest et immédiatement voisine de Morlaix ; Trepompae, aujourd’hui le lieu-dit Trébompé en Sainte-Sève ; et Tregurdel, aujourd’hui le lieu-dit Tréoudal dans la commune limitrophe de Saint-Martin-des-Champs. Aussi bien les trois domaines en question sont-ils les seuls qui sont explicitement nommés parmi tous ceux que saint Tugdual aurait fondés en Domnonée. Il est très vraisemblable que l’hagiographe cherchait en l’occurrence à contester les droits des moines de Marmoutier : l’abbaye tourangelle avait en effet bénéficié en 1128 d’une donation de biens fonciers et de redevances par le vicomte de Léon, Hervé, pour établir un prieuré et un bourg près du château vicomtal de Morlaix. Parmi les redevances en question figurait (dit le vicomte) « tout ce que j’avais comme dîme à Sainte-Sève » (quicquid decimae tenebam in Sentsegnot) »[69] ; cette donation est à l’origine de la paroisse de Saint-Martin dont la partie rurale, outre le territoire de Saint-Martin-des-Champs, englobait à l’origine celui de Sainte-Sève qui n’était encore, à la fin de l’Ancien Régime, qu’une simple trève de Saint-Martin. Ainsi la date de 1128 constitue donc le probable terminus a quo de la rédaction de la vita brève.

Le cartulaire compilé par Louénan a donc été utilisé successivement pour composer la vita longue du saint, puis sa vita brève qui donc résume à la fois celle-ci [70] et celui-là[71]. Ainsi le plus court des ouvrages consacrés à saint Tugdual est-il également l’élément le plus tardif du dossier hagiographique tudualien. Comme dans un ms. chartrain de la vita moyenne, lequel doit être daté du XIIe siècle[72], le nom du pagus Neustriae de la version originale[73] avait déjà été remplacé par celui du pagus Civitatis, nom forgé à partir des éléments légendaires contenus dans la vita longue et dont la seule autre mention se trouve dans la vita brève de saint Tugdual, le terminus ad quem de cette dernière doit être conséquemment fixé au XIIe siècle ; rien ne s’oppose à ce que son auteur soit le même que celui de la version longue.

Production hagiographique des « écritoires » monastiques au XIIe siècle

Notre tentative de recensement des centres de production hagiographique au XIIe siècle doit également prendre en compte les « écritoires » des vieilles abbayes : la vita de saint Cunwal, par exemple, laquelle reproduit le stéréotype épiscopal, paraît avoir été composée pour expliquer le démembrement de la paroisse primitive de Plougrescant[74], mais surtout pour justifier que l’église de Penvenan fût encore desservie par des moines à l’époque où travaillait l’hagiographe. Or, si d’après une confirmation donnée par le pape Alexandre III, l’église de Penvénan faisait partie des possessions trégoroises de l’abbaye Saint-Jacut-de-l’Isle dès 1163[75], il semble bien que les évêques de Tréguier aient contesté par la suite plusieurs de ces possessions, comme en témoigne une nouvelle bulle papale de 1188 dans laquelle il est fait mention d’un accord relatif à Penvénan[76] ; en tout état de cause, cette église fut définitivement réunie à la mense épiscopale vers 1230[77]. La vita de saint Cunwal — contrairement à l’opinion émise par H. Guillotel et à laquelle nous avons précédemment souscrit[78], qui situe l’époque de sa rédaction vers le milieu du XIe siècle[79] — a peut être été composée par un moine de Saint-Jacut dans le contexte tardif très « politique » que nous venons d’évoquer, à partir d’un recueil de miracula plus ancien[80]. C’est sans doute à la même époque qu’il faut placer la composition de la biographie conjointe des saints Jacut et Guézennec, avec leurs miracles posthumes [BHL 4113-4114], ouvrage pour lequel ont été mis en œuvre différents matériaux, dont la vita de saint Guénolé.

Enfin, il convient de prendre en compte les ultimes fondations bénédictines en Bretagne : Notre-Dame de la Chaume, Saint-Mathieu de Fine-Terre, Saint-Sulpice-des-Bois, Saint-Sauveur de Guingamp, Le Tronchet, Lanthénac, Blanche-Couronne. Les abbayes augustiniennes et les monastères cisterciens retiendront également notre attention ; mais nous nous contenterons ici d’une rapide perspective d’ensemble, car l’influence et l’implication des chanoines réguliers et des moines blancs au regard de l’hagiographie bretonne tardive font plus loin l’objet d’un examen approfondi.

Ultimes fondations bénédictines

Aux deux extrémités du duché, les abbayes Notre-Dame de la Chaume et Saint-Mathieu de Fine-Terre démontrent que le courant bénédictin n’avait pas encore perdu toute sa force en Bretagne. A vrai dire, le premier de ces deux établissements, érigé en abbaye peu avant 1100, était dans l’origine un prieuré dépendant de Redon, installé en 1055 par le puissant seigneur de Rais, sur le site plus ou moins désaffecté d’un important sanctuaire de l’époque mérovingienne revendiqué par l’abbaye Saint-Philibert de Tournus dont les protestations véhémentes au concile de Poitiers en 1106 n’empêchèrent pas la spoliation. Sur le plan hagiographique, il n’y a pas beaucoup à dire de l’abbaye de la Chaume ; le cimetière mérovingien qui fait partie du site ne comprenait apparemment pas de sépulture attribuée à un saint : en effet les « antiquaires » des XVIIe et XVIIIe siècles, qui tous ont souligné l’importance de ce cimetière, ont seulement signalé l’existence de sept tombes particulièrement imposantes, que la tradition locale présentait comme celles de rois ou de princes défaits dans une bataille qui les avaient opposés aux monarques bretons[81]. Quant à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre, longtemps présentée comme le prolongement d’un monastère du haut Moyen Âge, elle paraît avoir été fondée par la dynastie vicomtale de Léon au début du XIIe siècle en un lieu dont l’intérêt stratégique était depuis longtemps reconnu et qui dès 1100 environ portait le nom de saint Mathieu, « comme le prouve une scolie à l’Histoire des évêques de l’Église de Hambourg d’Adam de Brême »[82]. L’histoire du site se prolonge par l’arrivée, dans la dernière décennie du siècle, de reliques de l’Evangéliste et l’instauration concomitante d’un pèlerinage ; dès cette époque la bibliothèque de Saint-Mathieu de Fine-Terre contenait entre autres manuscrits le récit d’une navigatio miraculeuse, dont le propos était de justifier l’existence de l’abbaye au milieu du IXe siècle.

Contemporaine des fondations précédentes, l’érection en abbaye de la communauté réunie, sous l’invocation de la Vierge, autour de l’ermitage de Raoul de la Fustaye, dans la forêt du Nid-de-Merle, à une quinzaine de kilomètres au nord de Rennes : dès 1117 en effet, « ce couvent était déjà assez florissant pour recevoir plusieurs églises et fonder les prieurés de la Fougereuse et de la Fontaine-Saint-Martin »[83]. Il n’est pas douteux que les ducs de Bretagne furent les auxiliaires laïques de la fondation de l’abbaye : « elle se trouvait d’ailleurs dans une forêt qui faisait partie du domaine ducal »[84]. Les titres dans lesquels elle est mentionnée nous apprennent qu’elle était indifféremment placée sous le vocable de Notre-Dame ou celui de Saint-Sulpice ; mais c’est ce dernier qui s’est finalement imposé à l’abbaye Saint-Sulpice-des-Bois et qui est conservé aujourd’hui encore dans le nom de la commune de Saint-Sulpice-la-Forêt (I.et-V.).

A Guingamp, le prieuré Saint-Sauveur de Guingamp dépendant du monastère de Saint-Melaine fut érigé en abbaye en 1123[85]. La dotation initiale par le comte Etienne, confirmée par son fils Alain en 1145[86], se révéla insuffisante pour assurer l’autonomie matérielle de la nouvelle abbaye : réduite au rang de prieuré et confiée aux moines de Marmoutier en 1151[87], elle avait fait retour à Saint-Melaine dès l’année suivante[88] ; en 1186 encore, Saint-Sauveur conservait son statut d’abbaye[89], qu’elle avait perdu en 1256[90].

Trois autres résurgences bénédictines — Notre-Dame du Tronchet, Notre-Dame de Lanthenac et Notre-Dame de Blanche-Couronne — ont jailli en Bretagne dans le second tiers du XIIe siècle. Si, comme c’est également le cas pour Saint-Sulpice, le premier et peut-être même le second de ces établissements ont bénéficié dans leurs origines de l’apport du courant érémitique, les circonstances de la fondation de Blanche-Couronne demeurent obscures, tout autant que son affiliation disputée entre bénédictins et cisterciens.

Saint-Sulpice-des-Bois, émule et concurrente de Fontevraud

Geoffroy le Gros dans sa vita de saint Bernard d’Abbeville [BHL 1251] nous raconte comment ce dernier, moine de Saint-Cyprien de Poitiers puis de Saint-Savin-sur-Gartempe, avait rejoint dans les « déserts » forestiers des confins de la Bretagne et du Maine, Robert d’Arbrissel, Vital de Mortain, et Raoul de la Fustaye, pour devenir le quatrième de ces « princes et maîtres » (principes et magistri) qui, à cette époque, se distinguaient plus particulièrement entre tous les ermites de cette « autre Egypte »[91] ; Geoffroy met ensuite en parallèle la fondation de l’abbaye de Thiron par Bernard (vers 1107-1109), avec celle de Fontevraud par Robert (en 1101), celle de Savigny par Vital (en 1112) et celle de Notre-Dame-du-Nid-de-Merle par Raoul (vers 1110-1117).

Raoul était originaire de Saint-Mars-sur-la-Fustaye, au diocèse du Mans, mais à proximité immédiate de la frontière bretonne, et il avait fait profession de foi monastique à l’abbaye poitevine Saint-Jouin de Marnes, laquelle possédait, dès avant 1082, le prieuré Saint-Martin dans la forêt du Pertre. Ce massif forestier qui, à l’époque, « embrassait les trois paroisses actuelles de Bréal, du Pertre, de Mondevert et une partie d’Argentré, semble avoir formé entre la Bretagne et le Maine une sorte de marche commune possédée en indivis par les sires de Laval et de Vitré »[92] : nous pouvons donc conjecturer que c’est plutôt dans la forêt du Pertre que dans celle de Craon, dont il n’est d’ailleurs pas question dans la vita de Bernard[93], que ce dernier était allé rejoindre Robert, Vital et Raoul.

On n’a pas conserve de vita de Raoul de la Fustaye, ce qui laisse d’autant plus rêveur que Bernard d’Abbeville et Vital de Mortain ont fait quant à eux l’objet de biographies contemporaines ; il en va de même pour Robert d’Arbrissel dont le dossier hagiographique contient deux vitae [BHL 7259 et BHL 7260] écrites par des amis du bienheureux, respectivement Baudri de Bourgueil, archevêque de Dol, et André, prieur de Fontevraud[94]. En outre, il est possible qu’un ouvrage polémique « composé contre Robert d’Arbrissel par Pierre, moine de Saint-Florent et curé de Saumur, contemporain du bienheureux et sans doute jaloux de ses succès » ait disparu vers 1650 dans des circonstances particulièrement rocambolesques[95].

On a vu qu’une biographie de Vital de Mortain était sortie de la plume d’Etienne de Fougères : ce texte, « longtemps considéré comme disparu, a pu être réédité dans les Analecta Bollandiana à partir des appendices de l’Histoire de la congrégation de Savigny, ouvrage manuscrit de Dom Claude Auvry, prieur des Vaux-de-Cernay »[96]. Moins soucieuse de préserver les monuments de son passé, Saint-Sulpice-des-Bois aura-t-elle laissé se perdre ou bien être subtilisé, voire même détruit, un texte qui, en donnant de l’importance à Raoul de la Fustaye, aurait du même coup ramené à des dimensions moindres la stature de Robert d’Arbrissel ?

Comme à Fontevraud, il y avait à Saint-Sulpice-des-Bois deux monastères, « l’un de femmes, gouverné par une abbesse, supérieure de tout l’établissement, et l’autre d’hommes, soumis aux religieuses en souvenir de l’obéissance de saint Jean l’Évangéliste à la Sainte Vierge retirée chez lui »[97]. Comme à Fontevraud encore, les religieuses furent très vite recrutées dans les rangs de la seule haute noblesse : s’il n’est pas certain que la première abbesse, Marie, appartenait à la maison de Bretagne, comme le veut la tradition[98], on peut noter à la même époque la présence, parmi les moniales, de la fille du roi Etienne d’Angleterre, Marie de Blois, qui fut en charge du prieuré anglais de Lillechurch (Higham), dans le Kent[99] ; et celle d'Ennoguent, qui reçut de son frère le duc Conan IV, la « terre de Mezle »[100], aujourd’hui la commune de Maël-Carhaix (C.-d’A.), à l’entour du petit prieuré de Kerléan[101], lequel dépendait à l’origine de l’abbaye de Locmaria[102].

En tout état de cause, Saint-Sulpice-des-Bois a fait l’objet, tout au long de son premier siècle d’existence d’une attention particulière de la part des ducs de Bretagne, attention qui se renforce encore sous le court règne de la duchesse Alix[103] : celle-ci, orpheline de mère à moins de deux ans et dont le père était contraint à d’incessants déplacements[104], avait peut-être passé son enfance à l’abbaye ; devenue duchesse, elle faisait sans doute résidence régulière à Saint-Sulpice-des-Bois[104].

Le Tronchet, Lanthenac et Blanche-Couronne

Au Tronchet, l’abbaye a été précédée par une petite communauté rassemblée autour d’un certain Gautier, dans lequel il faut sans doute reconnaître l’un des deux fils d’un seigneur de la paroisse doloise de Cuguen, guéris miraculeusement par le bienheureux Barthélemy, qui occupa le siège abbatial de Marmoutier de 1064 à 1084 ; Gautier, ayant reçu la prêtrise, devint le desservant de la paroisse de Cuguen sous l’épiscopat de Baudri de Bourgueil, lequel siégea à Dol de 1107 à 1130[106]. On peut supposer que, sous l’immédiate influence des fortes personnalités de l’érémitisme dont nous avons parlé, Gautier se soit ensuite retiré dans une solitude boisée de la paroisse de Plerguer. En tout état de cause, on sait que s’était établi au Tronchet dont il était présenté comme le maître, un nommé Gautier, lequel, entouré de ses frères, assurait le service religieux dans l’église, que le sénéchal de Dol, Alain, donna à l’abbaye de Thiron entre 1133 et 1147 (dedit Alanus ecclesiam de Trunchet, cum omnibus appenditiis suis, concedente Gauterio ejusdem loci magistro et omnibus fratribus ejus)[107] : le choix de cette donation à l’abbaye de Thiron n’est sans doute pas fortuit et doit s’inscrire dans le contexte d’une relation privilégiée entre Gautier et saint Bernard d’Abbeville ; même après l’élévation du Tronchet au rang d’abbaye, l’obéissance à l’égard de Thiron demeura complète, jusqu à l’introduction du système de la commende[108]. La geste de l’anachorète Gautier et de ses disciples n’a pas eu de postérité hagiographique ; du moins nous n’avons pas gardé de trace. Même le bienheureux abbé Barthélemy, lequel, avant de guérir Gautier et son frère Haimon, avait déjà fait montre de ses dons de thaumaturge à l’égard d’un lépreux et, comme le Christ, avait changé l’eau en vin, n’a pas eu de biographe.

Plus ténu encore, le souvenir qui se rapporte aux circonstances de la fondation, vers 1149, par Eudon de Porhoët, de l’abbaye de Lanthenac, laquelle aurait également pris la suite de l’ermitage d’un saint anachorète, comme l’affirmait la tradition populaire vers 1830[109] ; mais celle-ci n’avait pas conservé le nom de l’ermite en question et il serait hasardeux de vouloir le reconnaître dans un hagionyme local.
Enfin, l’abbaye de Blanche-Couronne dont nous connaissons mal les débuts et qui entretint de 1184 à 1338 des liens privilégiés avec celle de la Grainetière, près des Herbiers : le premier abbé connu, un certain Ernaud, mentionné dans un acte de 1161, était le contemporain de Josselin, seigneur de la Roche-Bernard, dans lequel il faut peut-être reconnaître le fondateur de l’abbaye[110] ; mais les Rohan, au titre de leur seigneurie de Pontchâteau, dont les possesseurs avaient également le droit d’enfeu dans l’abbatiale, ont été tardivement reconnus en cette qualité, comme l’atteste une lettre de l’abbé Guillaume à la vicomtesse de Rohan en 1463.

Les chanoines réguliers

A la fin du XIIe siècle, la Bretagne comptait — outre celle de Sainte-Croix de Guingamp, la plus ancienne, établie vers 1130[111] — huit abbayes de chanoines réguliers dont les cinq premières avaient été fondées entre 1140 et 1170 environ[112], en même temps et avec les mêmes auxiliaires laïques que les monastères cisterciens du duché ; à l’imitation des fondations cisterciennes, le mouvement avait connu un rapide essoufflement (trois abbayes fondées entre 1170 et 1200 environ[113]), pour s’éteindre à l’orée du XIIIe siècle avec l’élévation au rang d’abbaye de l’ancien prieuré bénédictin de Paimpont et, en 1202, la fondation de Beauport qui recueillit les dépouilles de l’abbaye Saint-Rion. Les établissements de chanoines réguliers, « ces grands oubliés de l’histoire de l’Église », comme les a caractérisés dom J. Dubois[114], n’ont pas encore fait, à notre connaissance, l’objet d’une étude approfondie en Bretagne, ce que déplore A. Chédeville[115] ; il est vrai que la réalisation d’un tel travail est largement problématique car, « à part Beauport pour le XIIIe siècle, ces abbayes ont laissé fort peu d’archives, voire pas du tout »[116]. Sur le premier siècle des abbayes augustiniennes en Bretagne, il faut donc le plus souvent limiter ses investigations aux rares documents conservés dans les monuments de l’érudition mauriste du XVIIIe siècle.

L’abbaye Sainte-Croix de Guingamp

La première des communautés bretonnes de chanoines réguliers est donc celle de Guingamp, établie vers 1130 ; mais une église placée sous l’invocation de la Sainte-Croix avait précédé de vingt ans au moins cette installation. Le premier abbé fut Jean de Châtillon, le futur saint Jean de la Grille (parce qu’une grille en fer protégeait son tombeau dans la cathédrale de Saint-Malo de la ferveur populaire), Breton né à Châtillon-en-Vendelais (I.-et-V.), aux limites du duché, et qui avait embrassé la règle de saint Augustin à l’abbaye blaisoise de Bourg-Moyen. L’évêque de Tréguier, Raoul, soucieux, comme on l’imagine, de renforcer l’encadrement pastoral des populations installées à proximité du château du comte Etienne, à Guingamp, s’était adressé aux chanoines réguliers jusqu’alors inconnus en Bretagne. Le prélat connaissait-il personnellement Jean, lequel, à l’évidence, était alors un tout jeune homme ? Ou bien sont-ce d’autres circonstances qui ont présidé à sa venue et à sa nomination en qualité d’abbé du nouveau monastère ? En tout état de cause, le charisme de Jean et son prosélytisme furent les principaux agents du développement du monachisme augustinien en Bretagne, mais après son départ de Sainte-Croix. Quand Etienne vint à mourir, c’est le plus jeune fils de ce dernier, Henri, qui assuma le pouvoir comtal à Guingamp, sous la tutelle de son frère aîné, Alain, déjà détenteur de l’honneur de Richemont, en Angleterre. Henri était facilement enclin à la débauche ; en ce qui concerne Alain, les chroniqueurs anglais nous ont laissé le portrait d’un véritable criminel, tout à la fois à la fois brutal, cruel et rusé[117]. Cependant, pendant les années passées à la tête de son abbaye, l’autorité morale de Jean contribua à conserver à la cour de Guingamp une tenue impeccable.

En 1142, le siège épiscopal d’Alet devenu vacant, le métropolitain de Tours s’empara du temporel de cette Église, ce dont alla se plaindre à Rome l’archevêque de Dol ; profitant d’un deuxième voyage ad limina du prélat dolois, l’archevêque de Tours installa dans la cathédrale de Dol des clercs à sa dévotion qui procédèrent à l’élection de Jean en qualité d’évêque d’Alet, sans doute au cours de l’automne 1143[118]. Il semble bien que le siège épiscopal de Tréguier devint vacant vers la même époque[119] : une tradition veut que les chanoines du lieu aient eux aussi choisi Jean pour être leur pontife[120] ; une tradition plus tardive et moins assurée encore fait état de l’abbatiat de Jean à Bégard[121]. Enfin, nous ne signalons que pour mémoire l’identification proposée de Jean avec son homonyme, le premier abbé de Buzay[122] : on ne prête qu’aux riches.

Après avoir repris aux moines de Marmoutier, l’église Saint-Malo sur le rocher de Saint-Aaron, dont il fit sa cathédrale, Jean « y introduisit à la place des Bénédictins un Chapitre composé de chanoines réguliers de Saint-Augustin de l’observance de Saint-Victor de Paris »[123] ; « bien qu’installé à Saint-Malo, il conserva toujours la titulature d’évêque d’Alet, mais ses successeurs ont depuis, ce qui semble la suite logique de ses initiatives, adopté celle d’évêque de Saint-Malo »[124]. Paradoxalement, Jean n’a pas, semble-t-il, fait l’objet d’une biographie avant 1517, date de l’autorisation papale pour la célébration de son culte. Certes, plusieurs textes qui donnent d’intéressants détails sur sa personnalité avaient déjà été publiés de son vivant : il s’agit des lettres adressées à saint Bernard vers 1145-1146 par Nicolas de Clairvaux[125] dans lesquelles ce dernier, intéressé à défendre l’évêque d’Alet alors en conflit avec les moines de Marmoutier, a brossé du prélat un portrait qui paraît à beaucoup excessivement flatté. Dans son édition de l’ouvrage d’Albert Le Grand, D.-L. Miorcec de Kerdanet fait mention d’une vita composée vers 1170[126], c’est à dire contemporaine de la mort du saint ; mais nous n’avons pas retrouvé la trace de cet ouvrage.

Après le départ de Jean, on désigna en qualité de nouvel abbé de Sainte-Croix, un certain Moyse qui était le chapelain de la comtesse Havoise, mère du comte Henri. Moyse n’avait sans doute pas la même autorité que son prédécesseur et par ailleurs le siège de Tréguier était, comme on l’a dit, probablement vacant. S’en ressentirent bientôt les mœurs de la cour de Guingamp : Henri, dont le pouvoir restait nominal sous le contrôle de son frère et qui d’ailleurs se rangeait encore, malgré qu’il eut dépassé la quarantaine, dans la catégorie des « jeunes » (n’étant pas marié), s’amouracha d’une femme de la noblesse dont il fit sa concubine. Moyse crut qu’il était des devoirs de sa charge de reprocher au comte sa conduite scandaleuse : bien mal lui en prit car Henri le chassa, ainsi que les autres chanoines, et installa sur le siège abbatial sa concubine ; Sainte-Croix de Guingamp devint de fait un monastère de femmes et peut-être même fut-il alors envisagé de le rattacher à l’abbaye Saint-Georges de Rennes. En tout état de cause, de bonne ou de mauvaise foi, les religieuses rennaises le réclamaient encore vers 1180 au vieux comte, lequel se défendait d’avoir jamais consenti, ni lui, ni les siens, à une quelconque donation en faveur de qui que ce fût — moniales ou autres personnes — sinon au profit des seuls chanoines réguliers[127].

On ignore combien de temps l’abbaye Sainte-Croix demeura sous la coupe de la concubine du comte Henri ; mais ce dernier précise être venu à résipiscence sous la pression du pape Eugène III (1145-1153). En outre le comte Alain mourut en 1146 et Henri dut faire face à ses responsabilités : il rappela alors Moyse et lui restitua l’ensemble des biens dont il l’avait spolié, puis il maria sa concubine à un de ses barons, le prévôt de Tréguier[128] ; il n’est pas impossible qu’il ait même participé à la deuxième croisade. Enfin, il épousa à Mayenne le 19 septembre 1151 Mathilde, fille du comte de Vendôme, en présence de l’archevêque de Tours, des évêques de Saint-Brieuc et de Tréguier, ainsi que de l’abbé de Marmoutier[129].

A Sainte-Croix de Guingamp un abbé dont nous connaissons seulement l’initiale du nom, R, devait succéder à Moyse, peut-être à la suite du déplacement de ce dernier sur le siège abbatial de Bégard[130] ; R. était toujours en place vers 1180. On trouve ensuite un abbé, dont le nom commençait par L, qui souscrivit vers 1190 la charte de fondation de l’abbaye Saint-Rion, sur l’île de *Guirvinis, maison destinée à regrouper quelques ermites établis en ce lieu[131] : cette île appartenait alors au couvent des chanoines augustins de Guingamp, comme l’atteste la bulle donnée en faveur de ce dernier établissement par le pape Clément III en 1190[132] ; mais les nouveaux chanoines de Saint-Rion obtinrent rapidement l’autonomie de leur établissement et choisirent de suivre l’observance de Saint-Victor de Paris[133]. Enfin, Jodoin était abbé de Sainte-Croix de Guingamp dès 1190[134] et jusqu’en 1202 au moins[135] : sous son abbatiat fut fondé le prieuré Sainte-Croix de la Roche-Derrien[136], ultime surgeon de l’abbaye guingampaise, auquel vint s’adjoindre par voie d’échange le prieuré Notre-Dame que possédait en ce lieu l’abbaye Saint-Melaine de Rennes[137].

Les cisterciens

Tributaire jusqu’alors de l’ouvrage, encore très précieux mais vieilli, de H.-B. de Warren[138], notre connaissance de la Bretagne cistercienne a été renouvelée par la publication, après presque vingt années d’attente, de la thèse d’A. Dufief[139]. Cependant, ce travail, malgré son très grand intérêt, est bien loin d’avoir épuisé le sujet, en particulier pour tout ce qui concerne la dimension culturelle de l’expansion cistercienne dans le duché ; ainsi, le chapitre très stimulant consacré à « l’atmosphère religieuse » qui régnait aux XIe et XIIe siècles, fait-il la part belle aux sources narratives et diplomatiques, mais il ignore presque totalement l’hagiographie : il méconnaît en particulier les différentes œuvres attribuées ou du moins attribuables à plusieurs prélats bretons de cette époque, dont nous avons donné plus haut la liste. Dans le chapitre qui traite de l’implantation bretonne de l’ordre, une seule source hagiographique est signalée [BHL 5765], source explicitement cistercienne et donc particulièrement intéressante malgré son objectif limité : il s’agit d’un recueil des miracles de Maurice Duault, abbé de Langonnet et fondateur de l’abbaye de Carnoët, précédé d’un résumé de la vie du saint ; mais A. Dufief n’a eu que peu recours à ce texte, rédigé vers 1225, dont J.-C. Cassard s’est efforcé récemment de tirer le maximum d’enseignements[140].

Le récit de la fondation de Bégard en 1130 — première abbaye cistercienne en Bretagne, fille de l’Aumône et petite-fille de Cîteaux — nous est connu au travers d’un document que A. Dufief a qualifié « hybride », car il tient à la fois « de la notice et du récit hagiographique ». Ce document, conservé dans un manuscrit du milieu du XVIIe siècle, est en outre « d’une authenticité douteuse » : une rigoureuse critique interne permet d’ailleurs d’en fixer l’époque de rédaction au plus tôt vers l’année 1220[141] ; on a même proposé de l’abaisser jusqu’au XIVe siècle[142], mais l’argumentation linguistique développée à cette occasion au sujet du nom de Bégard aurait plutôt tendance à renforcer l’hypothèse précédente[143]. Le récit de la fondation de Bégard paraît vraisemblable sur deux points : d’une part, l’enthousiasme de l’évêque de Tréguier, Raoul, lequel s’était déjà signalé par son appui à l’implantation guingampaise des chanoines réguliers ; d’autre part, l’aide procurée par les Eudonides, dont Bégard a constitué la nécropole où furent portés les corps du comte Etienne[144], de son fils Alain, comte de Richemont[145], et de son petit-fils le duc Conan IV[146]. Etienne n’ayant lui-même manifestement joué aucun rôle dans la fondation de Bégard, cette fondation a donc eu lieu après sa mort, laquelle est intervenue entre 1123[147] et 1144[148] ; à l’inverse, une ancienne chronique attribuait au duc Conan III d’avoir fondé l’abbaye[149]. Dès lors, la date traditionnelle de 1130 peut être retenue sans objection majeure : cette année là, le duc Conan III était allé visiter sa mère Ermengarde d’Anjou au prieuré de Larrey, près de Dijon[150], où la princesse avait reçu le voile des mains de Bernard de Clairvaux[151] ; c’est à l’occasion de ce voyage que le duc a pu nouer avec le saint les liens d’amitié qui seraient à l’origine de la fondation de Bégard[152]. Comme il a été dit plus haut, une tradition tardive assimilait le premier abbé de cette maison, Jean, dont on ne sait rien, avec le futur saint Jean de la Grille ; quant à l’ermite Raoul, il n’a pas laissé d’autre postérité hagiographique que la mention qui en faite ici et dont l’auteur du récit a pris prétexte pour donner une explication « rationnelle » de l’origine du toponyme Bégard.

La documentation fait entièrement défaut en ce qui concerne les fondations successives des cinq filles de Bégard — Le Relecq, Boquen, Saint-Aubin-des-Bois, Lanvaux et Coatmalouen — tout autant que pour l’abbaye de Langonnet, dont la date de fondation demeure discutée. Le premier abbé de Lanvaux, Rouaud, devint par la suite évêque de Vannes : il a laissé sur place le souvenir d’un moine consciencieux et d’un prélat avisé, mort en 1177 en odeur de sainteté[153] ; malgré cela, Rouaud n’a pas eu les honneurs d’une vita. La qualité de fille de l’Aumône, apparemment reconnue à Langonnet par une décision du Chapitre général de Cîteaux en 1263, a fait l’objet de nombreuses contestations au profit de l’abbaye du Relecq[154] ; mais nul dossier hagiographique n’a été conservé qui viendrait au soutien de telle ou telle prétention. Enfin, Maurice Duault, qui fut abbé de Langonnet pendant une trentaine d’années, de 1146 à 1176 environ — très impliqué dans les affaires de son temps en sa qualité de conseiller de Conan IV, mais à l’évidence fortement tenté par une expérience érémitique — exécuta en 1177 la volonté ducale de fonder à Carnoët un nouveau monastère dont il prit la tête[155].

En ce qui concerne l’abbaye de Buzay, la confrontation des sources diplomatiques aux sources narratives permet de retracer avec une relative précision les débuts difficiles de cette fille de Clairvaux au diocèse de Nantes. Mais l’implication de saint Bernard dans cette fondation permet de disposer d’une documentation beaucoup plus riche encore : lettres envoyées par saint Bernard à la duchesse Ermengarde — que son soutien actif à l’ordre de Cîteaux, ici comme ailleurs en Bretagne, a fait inscrire, par les moines blancs, au catalogue des bienheureux — et à Jean, le premier abbé de Buzay ; vita du saint par Ernaud, moine de Bonneval[156]. L’autre abbaye nantaise fondée au XIIe siècle, Melleray, était fille de Pontrond, au diocèse d’Angers : dans le récit de l’implantation monastique locale, le chroniqueur fait un rôle décisif à un ecclésiastique du nom de Rivalon (quodam religioso presbytero Rivalono de Averne)[157] : nul doute que ce « prêtre vénérable » desservait la paroisse d’Auverné, ce qui vient relativiser l’image généralement négative du clergé séculier de l’époque.

L’abbaye cornouaillaise de Bon Repos, ultime fondation cistercienne bretonne du XIIe siècle, est une fille de Savigny, tout comme La Vieuville, au diocèse de Dol ; mais ce dernier monastère avait été fondé en 1137, avant que la congrégation de l’abbaye normande ne s’agrège au mouvement cistercien (1147). Bon-Repos, largement doté par Alain III de Rohan, paraît avoir été voulu par ce grand seigneur pour servir de nécropole à son lignage[158]. Au XVe siècle, la tradition familiale, telle qu’elle est rapportée par Jean de Rostrenen dans l’enquête de 1479 relative aux droits et prééminences de la maison de Rohan, faisait état de la poursuite d’un cerf par le vicomte de Rohan, dans la forêt de Quénécan : le cerf ayant été pris au moment où il traversait la rivière du Blavet, « ledit vicomte, se sentant lassé et travaillé à ladite poursuite, s’endormit au lieu où est à présent scituée ladite abbaye et, prenant son repos, en son dormir luy vint en vision en son esprit qu’il fonda illec une abbaye », d’où le nom de Bon-Repos « pour ce qu’il s’y estoit très bien reposé et prit grand plaisir en cette vision et songe »[159] ; mais la charte de fondation de l’abbaye, en date du 23 juin 1184 et deux autres actes qui détaillent les donations faites par Alain de Rohan de biens situés en Angleterre[160], de même que les chartes de confirmation par la duchesse Constance et son mari Geoffroy Plantagenêt[161], sont absolument muets sur cette gracieuse légende cynégétique, assez commune d’ailleurs et qui n’est pas sans rappeler celle de saint Eustache ou celle de saint Hubert. Sans doute faut-il mettre l’apparition de cette légende en relation avec la floraison hagiographique tardive intervenue à l’abbaye et dont témoignent les vitae de saint Mériadec et de saint Gonéri, composées vers les années 1430-1440 au soutien des prétentions généalogiques de la famille de Rohan.

Conclusion

Les fondations monastiques du XIIe siècle n’ont pas beaucoup contribué, semble-t-il, au développement de la production hagiographique bretonne, sauf à supposer que les œuvres concernées auraient toutes disparu, ce qui paraît à première vue assez improbable. Cependant, certains exemples voisins de la Bretagne donnent quelques indications sur l’ampleur de ces pertes : ainsi, à l’abbaye de Savigny, on ne conservait pas moins de 12 ouvrages composés par Hamon de Landécot ; peut-être le bienheureux, qui tenait les reliques dont il avait la garde en singulière dévotion[162], avait-il également composé des textes hagiographiques, d’autant plus qu’il assumait la direction des convers[163], auxquels on donnait à entendre le récit des vies des saints[164]. En tout état de cause, les ouvrages en question ont disparu, notamment une Expositio Haimonis in Isaiam, encore signalée parmi les manuscrits de l’abbaye par Dom de Montfaucon en 1739, mais que Dom Claude Auvry, prieur de Savigny au début du XVIIIe siècle, déclare pour sa part ne jamais avoir vue[165]. A fortiori, il convient effectivement d’envisager, ici ou là, la perte ou la destruction de textes conservés dans un manuscrit unique : on a longtemps cru que c’était le cas en ce qui concernait la composition d’Etienne de Fougères sur Vital et celle anonyme sur Hamon ; heureusement, une copie de ces deux textes avait été prise par le même Claude Auvry[166].

En revanche, on assiste à l’époque à un renouveau de la production hagiographique au travers de la « sécularisation » des auteurs, phénomène déjà engagé avec l’appropriation épiscopale au moment de la réforme grégorienne, mais qui s’accentue encore à partir du milieu du XIIe siècle. Cette évolution correspond à celle des chapitres cathédraux dont souvent les membres les plus influents raisonnent désormais en termes de « carrière » : d’abord occuper une des dignités de l’Église locale, notamment celle d’archidiacre, qui parfois détient les attributs de la puissance épiscopale[167] ; ensuite, être élu évêque par le corps des chanoines. Il convient dès lors de donner au siège épiscopal le lustre qu’il n’a peut-être jamais eu, en soulignant son ancienneté et la qualité des pontifes qui l’ont occupé ; mais en même temps, il faut continuer d’affirmer les droits dont bénéficient la communauté canoniale et les différents dignitaires diocésains, souvent au détriment des prérogatives épiscopales. Exercice périlleux, dont la pratique est réservée aux seuls hagiographes capables de recourir à une dialectique souvent subtile, parfois spécieuse, toujours serrée.

Il faut également canaliser les dévotions populaires dont le clergé peut tout attendre, le meilleur comme le pire : le renforcement du sentiment religieux, mais également le refus, parfois violent, de l’emprise ecclésiastique, ainsi qu’en témoigne le mouvement inspiré par Eon de l’Etoile dont on peut sans conteste retrouver l’héritage dans la secte des théophantes, condamnée par le pape en 1206, et dans certaines manifestations antiépiscopales qui agitèrent les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo sous le règne de Pierre Mauclerc. D’où, à partir du début du XIIIe siècle, des efforts constants, bientôt relayés par les ordres mendiants, en direction des laïcs : forte sensibilisation à l’idée de croisade, jusque là assez éloignée des préoccupations des Bretons ; volonté d’instaurer un pèlerinage local qui puisse entrer en comparaison avec ceux de Jérusalem, Rome, Compostelle ou Rocamadour ; modélisation des pratiques religieuses et dévotionnelles, au travers d’une pastorale largement étendue aux « pardons » de saints « locaux » ; développement d’un culte rendu collectivement aux sept saints fondateurs des sièges épiscopaux de Bretagne ; etc.

Dans tous les cas de figure, l’hagiographie constituait à l’évidence l’outil le mieux adapté pour venir au soutien de telles opérations d’acculturation, lesquelles ont abouti dans les premières décennies du XIVe siècle à la complète imprégnation chrétienne des populations bretonnes. Certes, l’efficacité de ces opérations n’était pas égale et on peut même parfois conclure à leur échec relatif, comme en témoigne par exemple le faible écho rencontré par l’expression pérégrine du culte des Sept-Saints de Bretagne ; mais le résultat est là, très largement patent : les Bretons de l’aristocratie se sont rués en masse aux dernières croisades, tandis que les autres laïques se convertissaient sous l’influence des prédications entendues jusque dans les plus sanctuaires les plus modestes.

L’hagiographie, en outre, permettait la reconstruction d’un passé plus ou moins mythique dans lequel, là comme ailleurs, la mémoire souvent s’opposait à l’histoire. L’utilisation du matériau hagiographique à des fins historiographiques est perceptible très tôt : la lettre d’Ingomar à Hinwethen au sujet de saint Judicaël (début du XIe siècle) ; la « chronique » des moines de Rhuys qui forme la seconde partie de la vita de saint Gildas ; le cartulaire de Quimperlé, compilé par Gurheden (vers 1124-1127) ; le manifeste rédigé au XIIe siècle en faveur des prétentions métropolitaines de Dol ; les probables *Gesta episcoporum Leonensium composés par le futur Guillaume le Breton à la fin du XIIe siècle. Le politique et le légendaire ont alors fait irruption dans le sanctus sanctorum : ils n’en sont plus jamais sortis.



© André-Yves Bourgès 2009



[1]
B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, Les papes et les ducs de Bretagne. Essai sur les rapports du Saint-Siège avec un État, 2e édition, Spézet, 2000, p. 36-37. Le clergé et le peuple dolois avaient d’abord élu pour remplacer Juthaël un chanoine du nom de Gilduin ; mais ce dernier, seulement âgé d’une vingtaine d’années et qui appartenait à la dynastie seigneuriale de Dol, eut la sagesse de refuser cette élection et, sur injonction papale, se rendit à Rome en compagnie d’Even. Grégoire VII saisit l’occasion pour imposer ce dernier, auquel il reconnut la dignité métropolitaine. Quant à Gilduin, il voulut au retour faire le pèlerinage de Chartres et mourut le 27 janvier 1077 à l’abbaye Saint-Père, non loin du grand sanctuaire marial ; Gilduin a fait l’objet d’un ouvrage composé après 1171 à l’usage du monastère chartrain et qui comprend vita, translatio et miracula [BHL 3645] : voir F. Duine, « Catalogue des sources hagiographiques pour l’histoire de Bretagne jusqu’à la fin du XIIe siècle », dans Annales de Bretagne, t. 35 (1921-1922), n° 3, p. 429-430 (notice n°10).

[2]
H. Guillotel, « Bretagne et papauté au XIe siècle », dans L’Église de France et la papauté (Xe-XIIIe siècle), Die Französische Kirche und das Papsttum (10.-13. Jahrhundert). Actes du 26e colloque historique franco-allemand organisé en collaboration avec l’École nationale des chartes par l’Institut historique allemand de Paris (Paris, 17-19 octobre 1990), Bonn, 1993, p. 279.

[3]
Ibidem, p. 284.

[4]
A. Dufief, Les Cisterciens en Bretagne XIIe–XIIIe siècles, Rennes, 1997, p. 50. Nous avons emprunté à cet auteur l’idée de nous imprégner de « l’atmosphère religieuse » qui, à l’époque romane, a baigné le renouveau de la production hagiographique bretonne.

[5]
J. Quaghebeur, « Possessio et Villa à Sainte-Croix de Quimperlé au XIe siècle », dans L’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé des origines à la Révolution. Actes du colloque de Quimperlé, 2-3 octobre 1998, Brest-Quimperlé, 1999, p. 39-40.

[6]
B. Merdrignac, « L’évolution d’un cliché hagiographique : Saint-Melaine, Saint-Mars et l’eulogie métamorphosée en serpent », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 87 (1980), n°4, p. 592.

[7]
Ces dates correspondent au pontificat rémois de Gervais de Château-du-Loir, lequel adressa à Even, à l’occasion de cette translation, la relation d’un miracle local attribué à la vertu des reliques de saint Melaine [BHL 5894].

[8]
Act. SS, Janvier, t. 1, p. 333.

[9]
B. Merdrignac, Les Vies de saints bretons durant le haut Moyen Âge, Rennes, 1993, p. 67.

[10]
A. Le Grand, Les Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édition, Brest-Paris, 1837, p. 781-783.

[11]
M. Sépet, Saint Gildas de Ruis, Paris, 1900, p. 86, n. 1.

[12]
Itinéraire de Bretagne d’après le manuscrit original de Dubuisson-Aubenay de son voyage en Bretagne en 1636, édité par L. Maître et P. de Berthou, 2e édition, préface de J.-P. Pinot, t. 2, Paris, 2001, p. 342.

[13]
A. Oheix, Notes sur la Vie de saint Gildas, Nantes, 1913, p. 34.

[14]
La vita de sainte Ninnoc a été insérée dans le cartulaire pour justifier les droits revendiqués par l’abbaye sur la paroisse de Ploemeur, où était situé le prieuré de Lannénec ; en 1089, la donation à Sainte-Croix de Quimperlé du prieuré de l’Île-Cado en Belz, avait suscité un autre texte hagiographique, la vita de saint Catuodus, dont le cartulaire de l’abbaye nous apprend que le manuscrit qui la contenait avait été dérobé par un prêtre nommé Judhuarn et emporté par ce dernier « au delà de la Vilaine ».

[15]
A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1981 (Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, 241), p. 39. Sur saint Gurloës voir F. Duine, « Catalogue des sources hagiographiques pour l’histoire de Bretagne jusqu’à la fin du XIIe siècle », p. 432 (notice n° 12).

[16]
A. Dufief, Les Cisterciens en Bretagne XIIe–XIIIe siècles, p. 55.

[17]
Saint-Mathieu de Fine-Terre, en Plougonvelin (Fin.).

[18]
Sainte-Croix de Guingamp (C.-d’A.) et Daoulas (Fin.).

[19]
Bégard (C.-d’A.), Le Relecq, en Plounéour-Ménez (Fin.), Coatmalouen, en Kerpert (C.-d’A.), Langonnet (Morb.) et Carnoët, en Clohars-Carnoët (Fin.).

[20]
Voir notre étude à paraître sur « La production hagiographique de l’épiscopat breton aux XIe et XIIe siècles », dans laquelle cette démonstration est amorcée.

[21] Pas plus qu’à Saint-Brieuc, nous n’avons réussi pour le moment à identifier à Nantes de prélat local impliqué dans ce type de création littéraire.

[22]
F. Dolbeau, « Fragments métriques consacrés à S. Melaine de Rennes », dans Analecta Bollandiana, t. 93 (1975), p. 122-123.

[23]
A. Le Huërou, « La réécriture d’un texte hagiographique au XIIe siècle : la Vita sancti Sansonis, de Baudri de Bourgueil », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 108 (2001), n° 2, p. 7-30.

[24]
F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l’histoire de Bretagne», dans Mémoires de la Société d’histoire du département d’Ille-et-Vilaine, t. 46 (1918), p. 294-296.

[25]
B. Merdrignac, CR de l’ouvrage d’Y. Le Sage de La Haye, Répertoire numérique de la série I. Feuillets et fragments de livres manuscrits avec et sans notation musicale (IXe-XVIe siècles), Archives départementales d’Indre-et-Loire, 2 volumes, Tours, 2000, dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 108 (2001), n° 3, p. 157.

[26]
Attribution combattue ave vigueur et avec talent par Mme Armelle Le Huérou, dans sa thèse de doctorat qui n’a pas encore été soutenue à ce jour (mai 2006) et que nous ne pouvons donc pas discuter ; mais que Mme Le Huérou, qui nous a fait profiter de ses travaux, soit ici remerciée.

[27]
H. Guillotel, « Les évêques d’Alet du IXe au milieu du XIIe siècle », dans Annales de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo (1979), p. 261-262.

[28]
Lors du colloque annuel du CIRDoMoC tenu à l’abbaye de Landévennec en juillet 1995 ; à notre connaissance, cette hypothèse n’a pas été publiée.

[29]
La vita de Léry nous dit que le saint était venu du Broérec (a patria Gueroci detulit). Celle de saint Méen indique que ce dernier, après avoir débarqué à Dol, avait été envoyé vers le comte Guérec (ad Guerocum comitem) ; dans celle de saint Judicaël, la référence est tout à la fois plus nette et plus poétique : confronté à un rêve dont il voulait connaître la signification, Judhaël, le père du futur saint, « envoya un de ses serviteurs dans le Broérec, à Saint-Gildas, où, pèlerin venu d’outre-mer, se trouvait, pratiquant la vie religieuse, le barde Taliesin, fils de Don, prophète très habile à prophétiser par la divination des présages » (misit aliquem sibi fidelem ad provinciam Gueroci, ad locum Gilde, ubi erat, religionem suam peregrinus exul transmarinus colens, Taliosinus haldus filius Donis, fatidicus presagissimus per divinationem presagorum). Le terme haldus qui figure dans le manuscrit tardif (XVIe siècle) et fautif qui nous a conservé ce texte, est transcrit bardus dans le Chronicon Briocense dont le manuscrit est antérieur d’un siècle. La tradition du séjour armoricain de Taliesin, connue de Geoffroy de Monmouth qui en fait mention dans sa vita Merlini, est évidemment d’origine insulaire : son acclimatation à Rhuys est un témoignage des relations entre cette abbaye et quelque monastère du pays de Galles, probablement le grand centre de Llancarfan.

[30]
Ch. Le Bolay, Saint Gobrien, saint Gonéri et saint Mériadec. Vies latines, cultes et commentaires, Rennes, 2002 (mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de B. Merdrignac, université de Haute-Bretagne), p. 76.

[31]
A.-Y. Bourgès, « Le dossier littéraire des saints Judicaël, Méen et Léri », dans Corona Monastica. Mélanges offerts au père Marc Simon, Landévennec-Rennes, 2004 (= Britannia Monastica n° 8), p. 91-101.

[32]
F. Lot, « Mélanges d’histoire bretonne », dans Annales de Bretagne, t. 22 (1906-1907), p. 711-713. F. Duine, pour sa part, avait attribué ce texte à Baudri de Bourgueil : voir supra n. 24.

[33]
H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », dans Bretagne et pays celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987), Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 220.

[34]
Plestin-les-Grèves (C.-d’A.).

[35]
A.-Y. Bourgès, « La production hagiographique du scriptorium de Tréguier au XIe siècle », dans Britannia Monastica n° 9 (2005), p. 63-80.

[36]
A.-Y. Bourgès, Le dossier hagiographique de saint Melar. Textes, traduction, commentaires, Landévennec-Lanmeur, 1997 (Britannia Monastica, 5), p. 222-225.

[37]
J.-L. Deuffic, Nécrologe de Landévennec (Britannia Christiana, fasc. 3/1, 1983), p. 6, n° 82.

[38]
G. Bernier, « Robert, évêque, qui fut ermite près de Locuuan », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 116 (1987), p. 211-215 : l’auteur repousse, avec raison l’identification de Locuuan avec Locronan et reprend à H. Bourde de La Rogerie l’hypothèse que ce toponyme ait pu désigner l’église de Pluguffan, ce qui fait difficulté compte tenu de ce que nous savons de la formation respective des toponymes en plou et des toponymes en loc. De son côté J. Quaghebeur, La Cornouaille du IXe au XIIe siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, Quimper, 2001, p. 287, évoque la possibilité qu’il s’agisse de Loc-Amand, ancienne possession de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, dans la commune finistérienne de Fouesnant. En fait Locuuan est sans doute une cacographie, avec confusion habituelle de u et n, pour *Locunan : ce toponyme, sous sa forme moderne Loconan, se retrouve dans la commune de Trébrivan, autrefois paroisse du diocèse de Quimper, aujourd’hui dans le département des Côtes d’Armor ; à deux kilomètres environ à l’ouest de Loconan, mais toujours sur le territoire de Trébrivan, le toponyme Le Nézert, du breton an dezerz, « le désert, l’ermitage », pourrait s’appliquer au lieu de la retraite de Robert.

[39]
A-Y. Bourgès, CR de l’ouvrage de Nicholas Orme, The Saints of Cornwall, dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 128 (1999), p. 556.

[40]
R. Largillière, « Saint Corentin et ses vies latines à propos d’une publication récente », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 52 (1925), p. 103-105 a démontré en effet qu’il fallait attribuer la rédaction de ce texte à l’hagiographe ronanien.

[41]
H. Guillotel, « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », dans Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 28-30 avril 1989, s.l. [Locronan], 1995, p. 183-188.

[42]
J. Quaghebeur, « Prier Notre Dame, protéger la Cornouaille », dans Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 78 (2000), p. 446, et aussi La Cornouaille du IXe au XIIe siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, p. 86-87 et 304-305.

[43]
A.-Y. Bourgès, « A propos de la vita de saint Corentin », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998), p. 291-303.

[44]
J.-D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1775 (fac-simile, Paris, 1902), t. 20 (1070-1109), col. 931.

[45] A.-Y. Bourgès, « Le bestiaire hagiographique de saint Hervé », dans Britannia Monastica, n° 7 (2003), p. 75-97.

[46]
La vita BHL 6480 pourrait avoir été composée à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle, au monastère de Llancarfan, à la même époque et dans le même milieu que les deux vitae de saint Cadoc [BHL 1491-1492 et BHL 1493 d], ouvrages dont il faut attribuer la composition respectivement à Lifris et à Caradoc ; ce dernier est en outre l’auteur d’une vita de saint Gildas [BHL 3542]. Les textes dont il est question ont en commun d’insister sur le rôle de l’Irlande comme étape obligatoire dans la démarche spirituelle des saints concernés et de ne pas présenter le roi Arthur sous le seul jour favorable dont allait l’éclairer Geoffroy de Monmouth dans son Historia regum Britanniae ; c’est également le cas de la vita continentale de saint Caradoc [BHL 1560] et de celle, insulaire, de saint Carantoc [BHL 1562-1563], textes qui découlent manifestement d’une même source.

[47]
La controverse porte sur le sens de l’échange : en résumant grossièrement les positions, on peut dire que pour A. de La Borderie et G. Paris le texte BHL 6480 a été composé au XIe siècle au pays de Galles, à partir de traditions anciennes apportées dans la première moitié du siècle précédent par les Bretons continentaux ; tandis que pour F. Lot, F. Duine et R.S. Loomis, cette vita a été composée par un Armoricain qui a utilisé la matière d’un texte gallois antérieur.

[48]
B. Tanguy, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurtiern », dans Études celtiques, t. 26 (1990), p. 179-180.

[49]
La vita de saint Jaoua, perdue, nous est connue au travers de son adaptation par Albert Le Grand.

[50]
Plusieurs indices permettent d’identifier ce personnage avec le futur biographe de Philippe Auguste, Guillaume le Breton, dont l’intérêt pour l’hagiographie bretonne paraît avoir été précoce et durable.

[51]
Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, 2e édition sous la direction de G. Hasenohr et M. Zink, s.l. s.d. [Paris, 1992], p. 420.

[52]
« De sancto Guilielmo Firmato, Moritonii in Normannia », dans Acta sanctorum, Avril, t. 3, p. 334.

[53]
Ibidem, p. 336 : Porro Dei providentia gressus dirigente, Britanniam usque perveniens, in pago Vitreiensi aliquanto commoratus est tempore ; ubi in parrochia Dordenensi, baculo suo terram aperiens, aquam de Jordanis flumine secum delatam infudit ; et invocato Christi nomine, fons inde perpetuus liquoris emanavit perspicui. Qui in tanti memoriam miraculi, usque hodie ab accolis illius viculi, Fons Sancti Firmati nominatur. Dourdain (I.-et-V.) est situé à 15 km environ au nord-ouest de Vitré.

[54]
Ibid. : Debita igitur sibi condigna pro novitate miraculi, reverentia ab hominibus fugiens honorari, ad locum qui vulgo Fons Gihardi nuncupatur solus devenit, deinde Savigneum , in quibus locis duobus duo prima fundavit habitacula ; nec ibi longo conversatus tempore, pervenit Mantileum. Contrairement à ce qu’en ont dit les Bollandistes, le toponyme Fons Gihardi n’a rien à voir avec le nom de la paroisse de Gahard (I.-et-V.) : il s’agit en fait de Fontaine-Géhard, dans le bas Maine, où subsista jusqu’au début du XIIIe siècle une communauté érémitique (dom G.-M. Oury, « Les survivants des ermites du Bas-Maine : le groupement de Fontaine-Géhard », dans Revue Mabillon, t. 61 (1988), p. 355-372). A Louvigné-du-Désert (I.-et-V.), la tradition locale avait conservé le souvenir du séjour de saint Guillaume Firmat : « on y voit une grotte taillée dans le roc qui passe pour être l’œuvre de ce vénérable personnage » (Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 3, Rennes-Paris, 1882, p. 513-514).

[55]
H. Sauvage, Les Bienheureux de l’abbaye de Savigny, complétant Saint Vital et l’abbaye de Savigny, Mortain, 1896, p. 33.

[56]
Ibidem, p. 28. La vita de Pierre d’Avranches contient l’histoire d’un chevalier de Bretagne lequel, se trouvant gravement malade, eut une vision de l’Enfer et du Paradis qu’il rapporta par la suite audit Pierre : Analecta Bollandiana, t. 2 (1883), p. 486-493.

[57]
La vita de Pierre d’Avranches a été écrite après la mort de Louis VII en 1189 ; celle de Hamon était cataloguée dans un inventaire des manuscrits de l’abbaye de Savigny, dressé en 1240, qui énumérait les titres de plus d’un millier d’ouvrages.

[58]
H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 215.

[59]
P. Guigon, Les églises du haut Moyen Âge en Bretagne, t. 1, Saint-Malo, 1997, p. 135.

[60]
A. de Barthélemy, « Étude sur une vie inédite de saint Tugdual attribuée au VIe siècle », dans Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, 5e série, t. 4 (1883-1884), p. 117-123 ; A. de La Borderie, « Saint Tudual. Texte des trois Vies les plus anciennes de ce saint et de son très ancien office publié avec notes et commentaire historique », dans Mémoires de la Société archéologique des Côtes-du-Nord, 2e série, t. 2 (1886-1887), p. 84-86.

[61]
H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 222, n. 52.

[62]
Ibidem, p. 222-223.

[63]
Innumera praedia in elemosinam ...(...) quorum largentium ac testium nomina si quis scire desiderat, ad volumen super hoc negocio a sancto Loenanno ejus discipulo compositum recurrat (A. de La Borderie, « Saint Tudual », p. 98, § 6).

[64]
Le toponyme breton *Nant-Trecher a évolué en Lantreger, forme attestée en 1267, ou Lantriguier en 1296, puis Lantreguier en 1394. Comme le préfixe lan- signifie en vieux-breton « monastère », la plupart des commentateurs en ont déduit que le nom breton de la ville de Tréguier, sous sa forme encore usitée Landreger, d’ailleurs non réductible à Lantreger, devait désigner le « monastère de Tréguier ». Le siège épiscopal est appelé Saint-Pabu(-Tual) depuis 1086 jusqu’en 1230 ; l’ensemble paroissial dépendant de la cathédrale est appelé Ploelantreguer dès 1437 et jusqu’au XVIIe siècle, mais aux XIIIe et XIVe siècles, il est plutôt fait mention du minihi, en latin monachia, « territoire monastique » : Minihium (seu asylum) beati Tudguali (confessoris), en 1293, 1334, 1371 et 1374. (B. Tanguy, Dictionnaire des noms de communes, trêves et paroisses des Côtes-d’Armor, s.l. [Douarnenez], 1992, p. 151 et 336).

[65]
L’acte de donation ducale à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, daté du 28 juillet 990, dans lequel apparaît au complet le personnel épiscopal de Bretagne, ne présente pas toutes les garanties souhaitables d’authenticité et paraît, à tout le moins, avoir fait l’objet d’une importante réfection vers 1070, dans le but évident de donner de l’importance à la métropole de Dol ; le terminus ante quem de l’existence des neuf évêchés bretons doit être abaissé en conséquence à l’époque de la fondation de l’abbaye Saint-Georges de Rennes, entre 1024 et 1034. Quant au terminus a quo, il ne saurait être antérieur à l’année 990, comme le montre le travail de réfection tardive que nous avons signalé : c’est pendant cet intervalle que furent successivement érigés les sièges épiscopaux de Saint-Brieuc et de Tréguier.

[66]
Dom F. Plaine, «Vita S. Brioci», dans Analecta Bollandiana., t. 2 (1883), p. 179, § 40 et p. 180, § 42. En outre saint Brieuc est accompagné de 7 fois 12 égale 84 disciples (Ibidem, p. 181, § 44), tandis que la tradition rapportée dans les trois vitae de saint Tugdual, limite pour ce dernier le nombre de ses disciples ad numerum Jesu Christi discipulorum, c’est à dire 6 fois 12 égale 72 (A. de La Borderie, « Saint Tudual », p. 87, § 2 [vita moyenne], p. 97, § 4 [vita longue], p. 84, § 1 [vita brève]).

[67]
Tali conditione quod.. prefatus archidiaconus haberet tres parrochias de episcopatu, quarum nomina reperiuntur in veteri quarta (A. de La Borderie, « Saint Tudual », p. 92, § 14).

[68]
In vita ipsius barbarica Scotigenarum lingua descripta legendo reperitur (A. de La Borderie, « Saint Tudual », p. 86, § 1) ; plutôt qu’une biographie en gaélique que l’auteur de la vita moyenne, surtout s’il s’agit de l’angevin Martin, aurait été bien en peine de lire, tout comme la majorité des lettrés trégorois de l’époque d’ailleurs, cette description doit viser un texte encombré de nombreux hispérismes.

[69]
Les formes du nom de Sainte-Sève dans la vita brève, Santhequo (ou plus sûrement *Santsegno) et Santsegue, sont absolument réductibles à Sentsegnot.

[70]
En témoigne le rappel du miracle accompli par saint Tugdual en compagnie de saint Aubin. Saint Aubin est déjà présent dans la vita moyenne de saint Tugdual mais seulement pour servir à ce dernier de porte-parole et d’interprète auprès du roi Childebert. La vita longue allonge le récit en faisant passer saint Tugdual par Angers : c’est l’occasion pour les deux saints en route pour Paris de ressusciter un mort, miracle justement rappelé par la vita brève.

[71]
Pour résumer l’état des possessions de l’abbaye mentionnées dans le cartulaire, en dehors de l’établissement primitif de Ploumoguer, des trois praedia près de Morlaix et du « grand monastère » de Tréguier, l’auteur de la vita brève a répété sept fois la même formule (et ibi invenit multas parrochias) qui crédite saint Tugdual d’avoir fondé de nombreuses paroisses dans les différents pagi dont il donne les noms ; il ajoute même: et alias multas invenit tam in Britannia quam in regione Gallorum (A. de La Borderie, « Saint Tudual », p. 84-85, § 2). B. Tanguy, « Hagionomastique et histoire : Pabu Tugdual alias Tudi et les origines du diocèse de Cornouaille », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 115 (1986), p. 119, n. 11, fait remarquer que « l’emploi, entres autres, du mot parrochia au lieu de plebs n’est pas ici un indice d’ancienneté » ; et H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 223, souligne que « le fait d’attribuer à un moine une activité presqu’exclusivement pastorale, de lui imputer des fondations de paroisses est un signe plus certain encore d’anachronisme ».

[72]
Ms. Chartres, Bibliothèque municipale, n° 500 5/A, f. 3 v°- 6 r°. Ce ms. paraît avoir été détruit en 1944 ; mais son contenu avait été précédemment analysé et à cette occasion le texte de la vita moyenne de saint Tugdual a fait l’objet d’une collation avec celui de l’édition La Borderie : voir H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 214-215, n. 7.

[73]
Version conservée par l’auteur d’un vieux bréviaire à l’usage du diocèse de Saint-Brieuc : Lexoviensem urbem in pago Neustriae sitam revisit ac postea ad prefatam ecclesiam venire festinavit in qua Domino fideliter ministravit. Le pagus Neustriae, appellation utilisée par de nombreux auteurs des XIe-XIIesiècles pour désigner la Normandie, est naturellement venu sous la plume du premier hagiographe de saint Tugdual, car il ne faisait aucun doute pour lui que l’urbs ou la civitas Lexoviensis n’était autre que le siège épiscopal de Lisieux.

[74]
A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual. Buhez Konwal, s.l. [Rennes], 1999, p. 24.

[75]
J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, Saint-Brieuc, 1864, p. 277-278.

[76]
Ibidem, p. 280-281.

[77]
La bulle de Grégoire IX qui autorise Etienne, évêque de Tréguier, à réunir à la mense épiscopale l’église de Penvenan et les dîmes de Plougrescant est datée du 22 juillet 1228 : R. Couffon, « Un catalogue des évêques de Tréguier rédigé au XVe siècle », dans Mémoires de la société d’émulation des Côtes du Nord, t. 61 (1929), p. 45, n. 28.

[78]
A.-Y. Bourgès, « De la vita de saint Cunwal à celles des saints Tugdual, Maudez et Efflam », dans Trégor vivant. Mélanges offerts à la mémoire de Nicole Chouteau, s.l. (1997), p. 142-143.

[79]
H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 225.

[80]
A.-Y. Bourgès, « La production hagiographique du scriptorium de Tréguier au XIe siècle », p. 58-62 (en ce qui concerne saint Cunwal).

[81]
E. Boutin, « Notre-Dame de la Chaume », dans D. Andrejewski [dir.], Les abbayes bretonnes, s.l. [Paris], 1983, p. 208.

[82]
H. Guillotel, « Les vicomtes de Léon sont-ils les fondateurs de l’abbaye de Saint-Mathieu ? », dans Saint-Mathieu de Fine-Terre. Actes du colloque 23-24 septembre 1994, p. 133.

[83]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 2, Rennes-Paris, 1881, p. 305.

[84]
Ibidem, p. 308.

[85]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 546 (d’après le cartulaire de Saint-Melaine), col. 547 (d’après l’original).

[86]
Ibidem, col. 595-596.

[87]
Ibid., col. 610.

[88]
Ibid., col. 611 et 615-616.

[89]
Ibid., col. 713-714.

[90]
Ibid., col. 965-966.

[91]
J.-M. Bienvenu, L’étonnant fondateur de Fontevraud, Robert d’Arbrissel, Paris, 1981, p. 39.

[92]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 2, p. 565, qui se contente en l’occurrence de citer une notice d’A. de La Borderie sur Le Pertre (Bréal-sous-Vitré, Le Pertre, Mondevert et Argentré-du-Plessis, communes du département d’Ille-et-Vilaine). A raison de leur prieuré Saint-Martin du Pertre, qu’ils disaient avoir succédé à une abbaye érigée par Clovis en l’honneur de saint Martin de Vertou (!), les moines de Saint-Jouin de Marnes disputèrent vainement la possession de l’église de Bréal-sous-Vitré à ceux de Saint-Serge-et-Saint-Bach d’Angers, comme on le voit par un acte du cartulaire de cette dernière maison : Y. Chauvin, Premier et second livres des cartulaires de l’abbaye Saint-Serge et Saint-Bach d’Angers (XIe et XIIe siècles), t. 1, Angers, 1997, p. 181-186.

[93]
J.-M. Bienvenu, L’étonnant fondateur de Fontevraud, Robert d’Arbrissel, p. 40.

[94]
J. Dalarun, L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d’Arbrissel (v. 1045-1116), fondateur de Fontevraud, Paris, 1985, p. 243-301, donne le texte de cette « vie retrouvée » qui parait confirmer son attribution à André.

[95]
Ibidem, p. 101.

[96]
Id., p. 347. Dom Claude Auvry avait été précédemment prieur de Savigny ; il est l’auteur d’une Histoire de la congrégation de Savigny qui renferme entre autres pièces justificatives les biographies de quatre bienheureux de l’abbaye (Vital de Mortain, Geoffroy, Pierre d’Avranches et Hamon de Landécot) dont il nous a ainsi conservé le texte. « Nous avons retrouvé son nom sur des titres assez nombreux, entre les dates de 1698 à 1712. Nous savons de plus qu’il s’était retiré comme simple religieux à l’abbaye des Vaux de Cernay » (H. Sauvage, Saint Vital et l’abbaye de Savigny dans l’ancien diocèse d’Avranches, Mortain, 1895, p. 6-7).

[97]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 2, p. 305.

[98]
Ibidem, p. 310-311 ; cet auteur se trompe quand il distingue deux abbesses successives du nom de Marie et veut reconnaître dans la seconde d’entre elles Marie de Blois, la fille du roi Etienne d’Angleterre. La succession des premières abbesses de Saint-Sulpice-des-Bois s’établit ainsi : 1) Marie, mentionnée en 1124 et 1152, morte en 1159 ; 2) Nine, mentionnée en 1162 et 1181 ; 3) Aanor ; 4) Ameline, mentionnée en 1201, morte en 1210, explicitement qualifiée de quatrième abbesse.

[99]
Marie de Blois quitta l’abbaye en 1135, au moment de l’accession de son père au trône d’Angleterre : J. Burton, Monastic and Religious Orders in Britain 1000-1300, Cambridge, 1994, p. 95.

[100]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 663.

[101]
B. Tanguy, Dictionnaire des noms de communes, trêves et paroisses des Côtes-d’Armor, p. 139-140.

[102]
Le prieuré de Kerléan est déjà mentionné sous le nom de Curia sanctimonialium dans la plus ancienne vita de saint Mélar. Il est né de la donation ducale originelle à l’abbaye de Locmaria, qui comprenait entre autres biens la dîme de Chelen, les terres appelées Chermar et En Chillio, respectivement Quéhélen en Paule, Kerimarch en Le Moustoir, Quilliou-Suzanne et Quilliou-Guéguen, en Maël-Carhaix ; bien que situées dans les mêmes parages, ne sont pas encore identifiées les terres appelés Chercavalloc, Coithbihan, Cherloscheit et Chercheresoc.

[103]
J. Everard et M. Jones, The Charters of Duchess Constance of Brittany and her Family, 1171-1221, Woodbridge, 1999, p. 176, 177 et 180.

[104]
Ibidem, p. 140-141. A partir de 1204, après l’annonce officielle de la mort du jeune duc Arthur 1er, le père d’Alix, Guy de Thouars, agissant en qualité de duc de Bretagne, circule beaucoup, tant à l’intérieur (Saint-James de Beuvron, Nantes, Quimperlé, Jugon, Rennes, Quimper, Carhaix) qu’à l’extérieur de sa principauté (Pontorson, Chemillé, Paris), comme en témoignent les 18 chartes localisées qui ont été conservées ; Guy de Thouars meurt en avril 1213 à Brissac. Sur les 18 chartes en question, 5 furent données à Nantes (en 1205, 1207, 1211 et 1212) et seulement 2 à Rennes (en 1209 et 1212).

[104]
Ibid, p. 169-183. Sur les 14 chartes localisées conservées, qui ont été souscrites par Alix seule ou avec Pierre Mauclerc, 4 furent données à Rennes (en 1214 et 1216), 3 à Nantes (en 1219) et 3 à Saint-Sulpice (en 1214, 1216 et 1219).

[106]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 4, Rennes-Paris, 1883, p. 489.

[107]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 665.

[108]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 2, p. 220.

[109]
Abbé J. Martin, « Notre-Dame de Lantenac », dans D. Andrejewski [dir.], Les abbayes bretonnes, p. 245.

[110]
Le petit-fils de ce Josselin, autre Josselin, dont la femme Stephania avait été inhumée dans l’abbatiale, fit une donation à Blanche-Couronne en 1239, au moment de partir à la croisade, et obtint en contre-partie l’érection d’un autel en l’honneur de saint Georges : voir dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 912.

[111]
Mais la construction de l’église, ordonnée par le comte Etienne, était antérieure d’au moins vingt ans à l’installation sur place d’une communauté de chanoines réguliers : A. de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, Rennes-Paris, 1899, p. 193.

[112]
Saint-Pierre de Rillé, Saint-Jacques de Montfort, Sainte-Madeleine de Géneston, Notre-Dame-de-Beaulieu et Sainte-Marie de Pornic.

[113]
Notre-Dame de Daoulas, Saint-Rion et Saint-Jean-des-Prés.

[114]
Dans une discussion lors du colloque tenu à Angers le 22 mars 1980 : voir La littérature angevine médiévale, Paris, 1981, p. 134.

[115]
Dans sa préface à l’ouvrage d’A. Dufief, Les Cisterciens en Bretagne XIIe-XIIIe siècles, p. 12.

[116]
A. Chédeville et N.-Y. Tonnerre, La Bretagne féodale (XIe-XIIIe siècle), s.l. [Rennes], 1987, p. 238.

[117]
Dom A. Wilmart, « Alain le Roux et Alain le Noir, comtes de Bretagne », dans Annales de Bretagne, t. 38 (1928-1929), n°3, p. 602, n. 86.

[118]
H. Guillotel, « Les évêques d’Alet du IXe au milieu du XIIe siècle », p. 265.

[119]
Cette vacance s’est peut-être prolongée jusqu’en 1145 : cette année-là en effet sont personnellement présents à un plaid ducal tenu à Quimper l’évêque du lieu, Raoul, et celui de Léon, Guido ; mais c’est l’archidiacre Conan qui représente le siège de Tréguier (dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 595-596).

[120]
Cette tradition est absente du plus ancien catalogue des évêques de Tréguier, très lacunaire il est vrai, dressé vers 1480.

[121]
A l’abbaye de Bégard même, cette tradition semble avoir été connue postérieurement à l’époque où elle est mentionnée par Albert Le Grand, à qui Manrique l’a empruntée peu après (H. Le Goff, Bégard, le petit Cîteaux de l’Armorique, s.l. [Guipavas], 1980, p. 47-49). L’origine de cette tradition est peut-être à rechercher du côté de Moïse ou Moyse, qui pourrait avoir quitté la charge abbatiale de Sainte-Croix pour celle de Bégard : un Moises abbas Begar figure en effet vers 1163-1167 dans une charte de Conan IV (dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 635).

[122]
A. Le Grand, Les Vies des saints de la Bretagne armorique, p. 26.

[123]
Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 1, Rennes-Paris, 1880, p. 632.

[124]
H. Guillotel, « Les évêques d’Alet du IXe au milieu du XIIe siècle », p. 266.

[125]
Patrologia latina, t. 196, col. 1618-1641.

[126]
A. Le Grand, Les Vies des saints de la Bretagne armorique, p. 28, n. 2.

[127]
Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 681. Il s’agit d’une curieuse et très intéressante lettre-confession adressée par le comte Henri au pape Alexandre III : Henri, qui se déclare octogénaire, raconte les circonstances de la fondation de Sainte-Croix et l’épisode où l’abbaye fut transformée en véritable « Thélème-sur-Trieux » (l’expression est de Mme S. Toulet, historienne de Guingamp) ; il dresse en outre la liste des trois abbés, Johannes, Moyses et R., lesquels, dit-il, ont gouverné le monastère « depuis cinquante ans et plus » (per quinquaginta annos et amplius).

[128]
Ibid. Une autre source nous fait connaître le nom du mari de l’ex-concubine comtale : Guemarroco preposito de Treguel figure en effet dans la liste des témoins d’une charte de Conan IV donnée à Guingamp (P. de La Bigne-Villeneuve [éd.], Cartulaire de l'abbaye de Saint Georges de Rennes, Rennes, 1876, p. 122).

[129]
Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 610.

[130]
Voir supra n. 121. Il faut envisager que Moyse ait été à nouveau transféré en 1179 : une charte de l’abbaye cistercienne de la Vieuville est datée de la seconde année du gouvernement de Moyse, en 1180, et ce personnage occupait encore le siège abbatial en 1183 ; mais il était remplacé par un certain Régnaud dès 1190 (Abbé Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 2, Rennes-Paris, 1881, p. 761-762). On disposerait ainsi, en ce qui concerne Moyse, d’une rare reconstitution de la carrière d’un clerc breton du XIIe siècle : né vers 1110, d’abord chapelain de la comtesse Havoise, devenu abbé de Sainte-Croix de Guingamp en 1143 ou en 1144, transféré sur le siège abbatial de Bégard vers 1160, puis sur celui de la Vieuville en 1179, mort vers 1185.

[131]
J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, p. 9 : in insula quam vocant Guirvinil.

[132]
Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 718 : insulam que dicitur Guirguenis.

[133]
J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, p. 10 : secundum Deum et beati Augustini regulam atque institutionem fratrum Sancti Victoris.

[134]
Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 717 : Jodoino abb. Ecclesiae S. Crucis de Guinguampo.

[135]
J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 4, p. 49-50.

[136]
Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 639-640.

[137]
Ibidem, col. 965-966. En échange de leur prieuré Notre-Dame de la Roche-Derrien, les moines de Saint-Melaine reçurent le prieuré de la Madeleine de Moncontour et la chapelle Saint-Quirin à Coëtmieux.

[138]
H.-B. de Warren, La Bretagne cistercienne, Saint-Wandrille, 1946 [réimpr. Nantes, 1991 (avec un texte additionnel, p. 229-236)].

[139]
Voir supra n. 4 et le compte rendu critique de l’ouvrage en question par B. Merdrignac dans les Annales de Bretagne et des pays de l’ouest, t. 105 (1998), n° 3, p. 131-133.

[140]
J.-C. Cassard, « L’autre saint de Quimperlé : Maurice de Carnoët », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 128 (1999), p. 321-334.

[141]
A. Dufief, Les cisterciens en Bretagne aux XIIe et XIIIe siècles, p. 70-72.

[142]
H. Le Goff, Bégard, le petit Cîteaux de l’Armorique, p. 17.

[143]
Ibidem, p. 29-30. La notice indique en effet que « ce lieu est maintenant appelé Bégard, d’après le surnom de l’ermite Raoul qui, à cette époque, demeurait en ce lieu » (qui locus jam Begar vocatur , ratione cognominis istius eremite Radulphi, qui in dicto loco tunc temporis manebat) ; or, le mot français « bégard » a été directement emprunté au néerlandais beggaert, dans les premières décennies du XIIIe siècle, à l’époque où le « béguinage » connaissait dès ses débuts dans les Flandres un vif succès.

[144]
Dom A. Wilmart, « Alain le Roux et Alain le Noir, comtes de Bretagne », p. 602, n. 85.

[145]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 634.

[146]
M. Jones, Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, t. 1 (1357-1382), Rennes-Paris, 1980, p. 280.

[147]
Voir supra n. 85.

[148]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 594-595.

[149]
A. de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 190 : cette chronique était conservée vers la fin du XVe siècle à l’abbaye Saint-Melaine de Rennes.

[150]
A. de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, p. 191.

[151]
Ibidem, p. 189.

[152]
H. Le Goff, Bégard, le petit Cîteaux de l’Armorique, p. 21-22.

[153]
Abbé Guilloux, « Le bienheureux Rouaud, premier abbé de Lanvaux, évêque de Vannes », dans Revue historique de l’Ouest, 6e année (1890), p. 5-36.

[154]
A. David, Notre-Dame de Langonnet 1136-1936, Paris-Courtrai, 1936, p. 38.

[155]
Voir supra n. 140.

[156]
A. Dufief, Les cisterciens en Bretagne aux XIIe et XIIIe siècles, p. 75-77 et 84-85. Au témoignage d’A. Le Grand, Les Vies des saints de la Bretagne armorique, p. 546, un manuscrit de la vita de saint Bernard était conservé à Buzay à l’époque où travaillait l’hagiographe morlaisien.

[157]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 585-586.

[158]
Le nom même de Bon-Repos doit sans doute s’interpréter dans cette perspective : voir C. Floquet, Au cœur de l’Argoat. La Bretagne intérieure, Paris, 1982, p. 73.

[159]
« Supplément aux preuves de l’histoire de Bretagne », dans Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 2 [par dom C. Taillandier], Paris, 1756, p. ccix.

[160]
Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 1, col. 696-697.

[161]
J. Everard et M. Jones, The Charters of Duchess Constance of Brittany and her Family, 1171-1221, respectivement p. 47 et 22.

[162]
H. Sauvage, Les Bienheureux de l’abbaye de Savigny, complétant Saint Vital et l’abbaye de Savigny, p. 40.

[163]
Id., p. 39.

[164]
Ces lectures étaient faites en langue vernaculaire, bien entendu, car la plupart des convers n’entendaient pas le latin ; ce qui nécessitait de la part du lecteur un effort de traduction directe du texte qui figurait dans le légendaire à sa disposition. Plusieurs de ces textes ont fait l’objet de traductions relativement précoces : c’est notamment le cas de la vita de saint Magloire.

[165]
H. Sauvage, Les Bienheureux de l’abbaye de Savigny, complétant Saint Vital et l’abbaye de Savigny, p. 34.

[166]
Voir supra n. 96.

[167]
C’est notamment le cas de l’archidiacre de Pougastel, dont les pouvoirs jugés exorbitants par l’évêque de Tréguier en 1429 avaient été confirmés par le Pape et sont décrits dans un registre épiscopal de 1434.