Le colloque international sur « Les chanoines de Beauport et la
société bretonne au Moyen-Âge », qui s’est tenu à l’ancienne abbaye de
Beauport et à l’université de Brest les 13 et 14 juin 2013, aura permis aux
chercheurs et au public cultivé de porter un regard renouvelé sur l’unique
abbaye prémontrée bretonne à l’époque médiévale. Dans l’attente de la
publication des actes de ce colloque, nous proposons aux lecteurs du blog Hagio-historiographie médiévale quelques disjecta
membra restés sur le chantier.
Il serait vain de notre part de revenir sur les nombreuses
pages très savantes que les spécialistes de l’histoire de la spiritualité
norbertine, parmi lesquels le P. Bernard Ardura, ont consacrées à la dévotion
mariale du fondateur de Prémontré et de ses disciples[1].
Notons simplement qu’au-delà du patronage de la Vierge pour ce qui est de
l’abbaye proprement dite — comme c’est d’ailleurs le cas quasi-général dans
l’ordre de Prémontré — les chanoines de Beauport avaient également placé leur
seul prieuré non cure sous l’invocation de Notre-Dame[2] :
nous voulons bien sûr parler du prieuré Notre-Dame-des-Fontaines, en Plouagat,
qui par ailleurs était le chef-lieu
du « bailliage » de leurs possessions ‘terriennes’[3].
Cette dédicace, intervenue au moment de la formation du
patrimoine trégorois de l’abbaye, outre qu’elle confirme, si il en était
besoin, l’importance du culte de la Vierge, pourrait bien constituer un indice
« en creux » que les vocables non mariaux des différentes paroisses
dont les chanoines avaient reçu la cura
animarum sont antérieurs à l’époque de la dotation initiale de Beauport[4], à
l’exception peut-être, à Yvias, de Judoce, car le culte de ce saint, breton
mais quasi-inconnu en Bretagne, semble avoir connu son développement dans le
cadre du réseau des abbayes norbertines[5].
Le fait que l’abbaye semble avoir été placée à ses débuts
sous un patronage double n’a guère été remarqué jusqu’à maintenant par les
chercheurs, peut-être parce que ceux-ci, s’intéressant plus au contenu des
actes qu’à leur forme, n’ont pas prêté attention à la mention de ce double vocable
qui, en l’état actuel de la documentation publiée, ne figure, il est vrai, que
dans deux actes : il s’agit d’une part, de la notice qui rapporte la
fondation de Beauport par Alain, seigneur de Goëllo (edificavi abbaciam secundum ordinem Premonstratensem, in loco qui
dicitur Bellus Portus, ad honorem Dei et sancte Marie Omniumque Sanctorum)[6] ;
d’autre part, de la confirmation de cette fondation par l’évêque de
Saint-Brieuc, qui justifie par la géographie paroissiale sa propre intervention
(edificavit abbaciam secundum ordinem
Premonstratensem, in loco qui dicitur Bellus Portus, in parrochia scilicet de
Ploozoc, ad honorem Dei et sancte Marie et Omnium Sanctorum)[7]. Par
ailleurs, tout au long du XIIIe siècle, la fête de la Toussaint a
constitué l’un des principaux termes de paiement des rentes dues à l’abbaye[8].
Ne s’agissant pas à proprement parler d’une dévotion
norbertine, sans doute faut-il envisager que le choix initial de ce vocable,
vite abandonné au profit du seul patronage de la Vierge, résulte d’une
tradition plus complexe, peut-être inspirée d’un remarquable sermon d’Achard[9],
d’abord abbé de Saint-Victor, puis évêque d’Avranches et, à l’instar de
l’évêque Jean de Dol[10],
grand ami des Prémontrés de l’abbaye de la Lucerne, où il fut inhumé et où il a
depuis reçu les honneurs du culte.
©André-Yves Bourgès
2013
[1]
B. Ardura, Prémontrés. Histoire et spiritualité, Saint-Etienne, 1995, p. 43-44.
[2]
Le cas de la chapelle Notre-Dame-de-l’Isle en Goudelin, parfois présentée comme
l’annexe de la cure de la paroisse concernée, dont on sait qu’elle était
desservie alternativement par les Prémontrés et les Augustins (de Beaulieu),
nous semble devoir être éclairci avant de conclure à sa dédicace par les
chanoines de Beauport.
[3]
A.-C. Ballini, « Le prieuré des Fontaines : une
dépendance de l’abbaye de Beauport »,
Beauport. Huit siècles d’histoire en Goëlo, p. 159-165.
[4]
Notamment les vocables des enclaves doloises (Samson et Jacques) et ceux des
paroisses briochines (essentiellement Pierre et Paul).
[5]
J.-Y. Le Moing, « Saint Josse. Un saint européen », Britannia monastica, n° 11 (2007), p.
39-47.
[6]
J. Geslin de Bourgogne et A. de
Barthélemy, Anciens évêchés de
Bretagne, t. 4, Paris-Saint-Brieuc, 1864, p. 45, n° 1 (1202).
[7] Ibidem, p. 47, n° 2 (1202).
[8] Ibid., p. 92, n° 92 (1232),
p. 115, n° 153 (1244), p. 126, n° 181 (1247), p. 127, n° 183 (1247), p. 130, n°
188 (1248), p. 146, n° 226 (1256), p. 170, n° 284 (1264), p. 183, n° 316
(1269).
[9]
J. Chatillon [éd.], Achard de saint-Victor. Sermons inédits,
Paris, 1970 (Textes philosophiques du Moyen Âge, 17), p. 171-195.
[10]
F. Duine, La métropole
de Bretagne. Chronique de Dol, composée au XIe siècle et catalogues
des dignitaires jusqu’à la révolution, Paris 1916, p. 139.
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