Cette question suscite les
revenez-y chez de nombreux auteurs, dont d'ailleurs nous sommes comme il se voit à l'occasion ; mais pour nous en tenir au seul terrain
hagio-historiographique, qui nous est plus familier, il nous semble qu’il y a
nécessité absolue de maintenir un distinguo
entre la réalité d’un culte septenaire en Bretagne – lequel paraît assuré depuis la seconde moitié
du XIIe siècle, mais dont la liste des sanctuaires et celle des saints concernés ne peuvent être dressées
avec certitude – et le « mirage
historiographique » (expression empruntée au regretté J.-C. Cassard) d’un
pèlerinage de masse, organisé, encadré, à l’occasion tarifé, et se
présentant sous la forme d’une circumambulation entre les chefs-lieux de sept
des neuf évêchés bretons.
*
Des constats
et des questions
Il est bien sûr impossible de conclure
à la réalité du culte des Sept saints sans s’interroger sur celle des
pèlerinages qu’il a nécessairement suscités ; mais du coup reste posée la
question des formes prises par ces phénomènes pérégrins, dont les premières
attestations remontent à la fin du XIIIe et au début du XIVe
siècle.
L’analyse de la documentation
nous permet de mieux connaître ceux pour qui les Sept-Saints de Bretagne
méritaient une attention particulière, au point qu’ils ont contribué
financièrement à l’entretien des différents lieux de ce culte, ou bien qu’ils
ont choisi de pérégriner vers eux : curieusement,
mais certainement pas de manière fortuite, l’origine géographique de ces femmes
et ces hommes du XIIIe et du XIVe siècle est limitée aux
seuls évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier. Les autres témoignages
(hagiographiques, archivistiques, toponymiques et archéologiques) relatifs au
culte et au pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne sont eux aussi localisés dans les mêmes parages. Sans doute cette
impression est-elle, comme toujours, renforcée par une documentation qui, à
l’évidence, n’est pas complète ; mais, sauf à supposer une destruction
sélective des sources, il convient de
s’interroger sur un tropisme aussi affirmé.
De plus, il
faut bien constater un véritable « trou noir » dans l’histoire du culte et du
pèlerinage : pour plusieurs Trégorois interrogés en 1330 lors de
l’enquête sur la vie et les miracles d’Yves de Kermartin, il s’agit encore d’une
réalité bien vivante, mais il faut attendre ensuite 1415 pour trouver une
allusion aux Sept-Saints de Bretagne ; rien en tout cas dans le procès de
canonisation de Charles de Blois. Puis de nouveau le silence jusqu’à la seconde
moitié du XVe siècle ; rien non plus dans les différentes
enquêtes effectuées pour permettre la réformation des feux fiscaux du duché
sous le règne de Jean V, alors que sont mentionnés à de nombreuses reprises des
pèlerinages à Rome. Et enfin rien, ou presque à l’époque moderne, où les rares
avis « autorisés », comme celui de Dom Lobineau, évoque une splendeur
passée sans en donner de témoignages. Inquiétant mutisme qui renforce le doute
légitime de l’historien : ce dernier ne serait-il pas en effet victime d’une
sorte d’effet d’optique ? Soit il s’agit
d’un phénomène de masse d’une telle ampleur qu’il occuperait tout le champ de
vision historique et brouillerait la vue ; ou bien, au contraire, il s’agit d’un fait social
microscopique qui, placé sous la loupe du chercheur, prendrait pour ce dernier
une dimension très exagérée.
Lieux de
culte
Pourtant, il est certain qu’un culte collectif de sept saints a eu ses hauts-lieux :
outre les chapelles trégoroises du Méné Bré et du Stiffel, celle de
Saint-Laurent à Yffiniac, dans l’ancien diocèse de Saint-Brieuc, et les
Sept-Saints de Biconguy, dans l’ancien diocèse de Saint-Malo, il faut également
mentionner la fontaine des Sept-Saints à Bulat-Pestivien, le village des Sept-Saints
en Glomel et la chapelle placée sous leur invocation à Erdeven, ainsi que la magnifique chapelle de Locmaria-an-Hent, à
proximité d’une fontaine des Sept-Saints, dans l’ancienne paroisse de Saint-Yvi.
Enfin — mais cette énumération ne prétend nullement à l’exhaustivité — le
quartier des Sept-Saints à Brest a emprunté son nom à l’église tréviale qui
leur était autrefois dédiée.
Il s’agit là
de groupements qui n’avaient pas toujours à voir, au moins dans l’origine, avec
celui des sept « fondateurs » des évêchés bretons et on
pourrait sans doute trouver en Bretagne d’assez nombreux exemples de ce type de
groupements de saints : c’est notamment le cas de Mérec et de ses six
frères dans la région de Pontivy-Loudéac, en particulier à Kergrist (Morbihan).
En ce qui concerne les Sept-Saints de Glomel, dont la notoriété a pu largement
rayonner, compte tenu de la localisation géographique de leur sanctuaire au
centre de la Bretagne, le regretté B. Tanguy avait conjecturé qu’il pouvait
s’agir des sept saints irlandais établis, aux dires de Flodoard, en Champagne à
l’époque de Clovis. Et si l’hypothèse de L. Massignon, prétendant reconnaître
le culte des Sept-Dormants d’Ephèse à Plouaret, doit être strictement cantonnée,
il n’en demeure pas moins que, compte tenu notamment de la problématique
métropolitaine des évêchés de la Bretagne armoricaine, les deux « strates dévotionnelles » (VIe et XIIe
siècles) observées à Tours à l’égard de groupes septenaires ne peuvent faire
l’objet d’une impasse et, à l’instar de ce qui a été fait par F.Delpech au niveau des traditions orales, leur examen d’un point de vue
hagio-historiographique doit être repris à nouveaux frais.
En effet, si le récit édifiant
de Grégoire de Tours (In gloria martyrum,
c. 94), à la fin du VIe siècle, n’a peut-être pas atteint la
partie du territoire armoricain contrôlé par les Bretons, il serait en revanche
étonnant que, dans la seconde moitié du XIIe siècle, époque où le
duché était partie intégrante de l’empire anglo-angevin, le culte des Sept-Dormants
d’Ephèse, relancé à la suite de la canonisation en 1161 de son promoteur le roi
Edouard le Confesseur, n’ait pas été connu en Bretagne, d’autant qu’il s’est vu
alors en quelque sorte « doublé » d’une dévotion aux Sept-Dormants de
Marmoutier qui en constituait la pieuse contrefaçon locale et dont la diffusion
a pu être assurée par le réseau prioral de l’abbaye tourangelle, sans préjuger
de la fidélité au modèle hagiographique en question : ainsi, il est
intéressant de noter que la paroisse de Kergrist, où l’on honorait, comme on
l’a dit, un groupe de sept saints réputés frères, était, depuis 1205 au moins,
une possession du prieuré Saint-Martin
de Josselin.
Un terroir
d’élection, un terrain d’action
Le tropisme
dont il a été question plus haut recouvre une réalité historique tant sur le
plan de l’organisation ecclésiastique que sur celui de l’organisation féodale
de la Bretagne au premier siècle des ducs capétiens ; en outre,
il s’inscrit dans une dimension plus large de reconquête du terrain de la
dévotion laïque par le clergé. Il reflète ainsi une situation dont l’évolution
a été très rapide et qui n’a pas perduré au-delà de la guerre de Succession du
duché, comme en témoigne indirectement la pauvreté documentaire postérieure.
Sous le règne de Pierre Mauclerc, l’organisation ecclésiastique bretonne avait
enfin rompu avec les prétentions métropolitaines de Dol, mises à bas en mai
1199 par la sentence du pape Innocent III ; mais Dol conservait la primauté
entre les différents évêchés de Bretagne et défendait jalousement ses
prérogatives. La lutte engagée par le prince à l’encontre de la plupart des
prélats bretons vint souvent au renfort des tendances anticléricales et
anti-épiscopales qui se dessinaient alors, sinon dans la population, du moins au
sein de l’aristocratie nobiliaire, en particulier à Saint-Brieuc et à Tréguier.
Guillaume Pinchon, qui occupait
depuis 1220 le siège épiscopal de Saint-Brieuc, fut en butte, aux dires de son
hagiographe, à la « malice des tyrans » (malitiam
tyrannorum) et contraint, vers 1227, d’abandonner son diocèse jusqu’en 1230
; sa mort en 1234 l’a probablement préservé d’un nouvel exil, auquel furent
alors contraints les évêques de Tréguier et de Saint-Malo. Le personnage fit
l’objet d’une procédure qui aboutit à sa canonisation en 1247 : les
procès-verbaux correspondants n’ont pas été conservés, mais le saint s’est vu
doter d’une vita composée, sinon par
un proche, du moins par quelqu’un qui a certainement eu accès aux éléments
recueillis lors de cette enquête.
En 1221, Etienne, ancien
archidiacre de Tréguier, à peine élu sur le siège épiscopal du lieu et dont
l’élection était d’ailleurs contestée par plusieurs membres du chapitre, avait
obtenu du pape Honorius III l’autorisation d’absoudre les clercs de son
diocèse, excommuniés pour concubinage ou pour avoir porté des habits ornés ;
plus tard (vers 1228) l’évêque Etienne ayant excommunié un des séides locaux de
Pierre Mauclerc, à savoir Olivier de la Roche-Derrien, ce dernier à la tête
d’une bande armée et qu’avaient rejoint des roturiers, s’en vint piller
Tréguier et nomma un anti-évêque à la place du prélat qui l’avait sanctionné :
une partie du diocèse se rallia à l’intrus et Etienne prit la fuite. Revenu à
Tréguier en 1230, il connaîtra un nouvel exil en 1234, mais beaucoup plus
court, avant de rentrer définitivement en possession de son diocèse.
En outre, il
est assez facile de constater que la géographie des attestations successives du
culte des Sept-Saints de Bretagne correspond aux zones d’influence respective
de la maison d’Avaugour (dans le Trégor oriental et dans le Goëllo) et de la
branche cadette de la maison de Dinan (dans le Trégor occidental et dans le
Penthièvre). Le premier seigneur du nom d’Avaugour, Henri,
et son frère, Geoffroy Boterel, apanagiste de Quintin ont particulièrement
contribué à l’effort engagé par l’Église pour subvertir certaines pratiques
dévotionnelles des laïcs, d’abord en adhérant à l’idée de Croisade, puis en
favorisant le couvent des franciscains de Dinan. Henri et Geoffroy ont
également renforcé cette démarche en dotant le sanctuaire de Quintin d’une
relique insigne qui fut à l’origine, en Bretagne, du plus important pèlerinage
marial de l’époque ; peut-être l’ont-ils encouragée plus encore par leur
adhésion au culte des Sept-Saints de Bretagne ?
Un
pèlerinage adventice
Ce culte en
effet, pour avoir sans doute avant tout servi à justifier la prééminence de Dol
dans la seconde moitié du XIIe siècle, n’avait pas fait l’objet
jusque-là d’un intérêt particulier, surtout dans les classes populaires : l’affirmation
contraire d’Alanus de Insulis souligne
involontairement que nous avons affaire en l’occurrence à un argument de clerc,
à peine fondé, comme c’est d’ailleurs le cas dans les autres manifestes dolois
de l’époque, dont les auteurs ne
prenaient même pas la peine de vérifier les références qui servaient à
justifier leurs assertions.
Parce qu’elle avait radicalisé le
pèlerinage hiérosolomitain sous la forme cathartique de la Croisade, laquelle
ne pouvait en aucune façon constituer la norme, l’Église éprouva le besoin de
canaliser la dévotion populaire au travers de pèlerinages de « substitution »,
dans un contexte plus autochtone ; on assista également à un renforcement de la
vénération de reliques authentifiées, qui procédait de la même démarche
substitutive. Très vite, le culte des reliques ne parut plus être possible en
dehors de l’approche pérégrine : les deux phénomènes se sont dès lors inscrits
dans le cadre général de « ce déplacement du lointain vers le proche » (formule
empruntée à G. Provost) qui marque l’évolution du pèlerinage occidental à la
fin du Moyen Âge. En témoigne, à partir du XIe siècle, l’essor de
Compostelle où il était également question, à l’origine, de sept saints : les
sept disciples de saint Jacques, qui avaient recueilli son corps après son
martyr et l’avaient transporté en Galice. D’autres sanctuaires ont drainé les
foules pérégrines, en particulier les sanctuaires mariaux : Notre-Dame de
Rocamadour ou Notre-Dame de Chartres.
La Bretagne a connu un peu plus
tardivement des manifestations similaires : à la fin du XIIe siècle,
le pèlerinage à Saint-Mathieu de Fine-Terre, où l’on allait vénérer le « chef »
de l’Évangéliste, dans un contexte symbolique et spatial qui n’est pas sans
rappeler Saint-Jacques de Compostelle ; puis, vers le milieu du XIIIe
siècle, le pèlerinage à Notre-Dame de Quintin, où l’on allait vénérer la
ceinture de la Vierge.
Nul doute que les cathédrales ne
fissent également l’objet de visites de la part des populations diocésaines,
notamment lors de la fête patronale du lieu ; mais il est bien certain que le
déficit en reliques authentifiées, jugé jusque-là de peu d’importance, fut
bientôt ressenti comme un grave préjudice par les prélats et leurs chapitres :
outre qu’il ne favorisait guère la perception des aumônes, ce déficit
encourageait les fidèles à plutôt continuer de solliciter leurs saints « locaux
», d’une authenticité souvent discutable et qui, de surcroît, pouvaient faire
parfois l’objet de pratiques dévotionnelles hétérodoxes. A Vannes, vers la fin
du XIIe ou le début du XIIIe siècle, on a ainsi éprouvé
le besoin de rappeler, sans doute à l’initiative de l’évêque Guéthénoc, que le
trésor de la cathédrale conservait des reliques précieuses entre toutes,
données par le roi Clovis à saint Patern, à savoir une partie du vêtement du
Christ et une partie du vêtement de la Vierge, une dent de saint Pierre, des
cheveux de sainte Marie-Madeleine ainsi que des reliques de saint Maurice et de
ses quatre compagnons Exupère, Candide, Victor et Innocent.
Retour des
reliques des Sept-Saints de Bretagne
C’est à
cette époque que les évêques de Bretagne se sont préoccupés de rapatrier des reliques
authentifiées des fondateurs de leurs sièges épiscopaux. Dès avant
la fin du XIIe siècle, Eudon avait obtenu que fut distraite une
partie des reliques de saint Paul Aurélien conservées au monastère Saint-Benoît
de Fleury. Pour sa part Guéthénoc était allé reconnaître à Issoudun celles de
saint Patern et ramena à Vannes des fragments du crâne et deux os longs ; ce
prélat fut peut-être également à l’origine du retour d’une partie des reliques
de saint Guénaël. En 1210, Pierre alla reconnaître à l’abbaye Saint-Serge
d’Angers les reliques de saint Brieuc et obtint la restitution d’une partie de
la tête, d’un bras et de deux côtes ; en 1219, enfin, l’influence de Rainaud,
chancelier de Pierre Mauclerc, récemment élu pour occuper le siège de Quimper,
permit d’obtenir le retour dans la cité épiscopale d’un bras de saint Corentin.
Des reliques de saint Samson
étaient conservées à Dol dès avant 1203, peut-être distraites sous le règne de
Henri II Plantagenêt de celles conservées, depuis l’époque du roi anglo-saxon
Athelstan, à l’abbaye de Milton (Dorset) : Guillaume de Malmesbury en fait
mention vers 1125 dans son De gestis
pontificum Anglorum. Les reliques doloises furent dérobées par des pillards
lors de la prise et de l’incendie de la cathédrale de Dol par les soldats de
Jean sans Terre, en septembre 1203 ; mais un puissant baron anglo-normand,
Philippe de Colombières, les enleva aux voleurs et les remit entre les mains de
l’archevêque de Rouen, lequel finalement les restitua à l’évêque de Dol, comme
en témoigne un acte de janvier 1223. Par ailleurs, à l’époque où Yves de
Kermartin exerçait les fonctions d’official de Tréguier, à la fin du XIIIe
siècle, étaient conservées dans la cathédrale du lieu les reliques de saint
Tugdual que l’hagiographe de la première moitié du XIIe siècle
localisait pour sa part à Chartres et à Château-Landon : leur retour, au moins
pour une partie d’entre elles, était donc intervenu dans une fourchette
chronologique large qui inclut les précédentes translations.
Ainsi, vers
1225, c’est-à-dire sensiblement à l’époque de la première attestation datée du
culte des Sept-Saints de Bretagne, nous savons que cinq au moins des sept
sièges épiscopaux bretons avaient récupéré depuis la fin du XIIe
siècle des reliques de leur saint « fondateur » ; probablement en avait-il été
de même en ce qui concerne le sixième, Tréguier. Là encore, il paraît assez
difficile de conclure à une simple coïncidence.
Un faible
engouement populaire
En tout état de cause, le culte
des Sept-Saints de Bretagne a pu connaître dès les premières décennies du XIIIe
siècle un succès d’estime dont témoigne, outre les autels qui leur étaient
consacrés dans les différentes cathédrales bretonnes, l’érection de plusieurs «
basiliques » placées sous leur invocation collective : ainsi en est-il du sanctuaire
que différents testaments aristocratiques de l’époque permettent de localiser à
l’est du diocèse de Saint-Brieuc, très vraisemblablement à Morieux
(C.-d’A.) ; mais, tandis que les cathédrales ont continué de drainer les
foules pérégrines à l’occasion de l’exposition des reliques de leurs fondateurs
respectifs, l’oubli précoce et complet dans lequel a sombré le sanctuaire de
Morieux, sans doute pourtant le plus notable d’entre tous, atteste que le pèlerinage suscité par l’Église autour
du culte des Sept-Saints de Bretagne n’a jamais provoqué un véritable
engouement au sein des populations bretonnes : pratique dévotionnelle factice
en association avec un culte tardif, lui-même superficiellement substitué et en
même temps irréductible aux différents cultes d’autres groupes de sept saints,
concurrencé par des stratégies plus efficaces engagées par l’Église pour
subvertir les dévotions populaires, le pèlerinage n’a pas perduré beaucoup
au-delà de la période où la société bretonne a connu l’apogée de son
acculturation chrétienne, dans les premières décennies du XIVe
siècle.
Il n’y a pas de raison de douter
de la réalité d’un concile provincial réuni, selon l’interpolateur de la vita de saint Hoarvé, « à l’endroit qui
porte le nom de montagne de Bré, au sommet de laquelle fut construite en
souvenir une chapelle en l’honneur des Sept-Saints de Bretagne » et dont le
souvenir nous a été également conservé par un épisode de la vita plus ancienne (XIe
siècle) de saint Patern qui décrit « les sept évêques de la Létavie » se
réunissant sur une montagne pour confirmer leur perpétuelle unité provinciale.
De son côté, l’interpolateur de la vita
de saint Hoarvé présente ce concile comme « une assemblée d’évêques et de
peuple pour excommunier Commore, le préfet du roi », personnage que tout un
courant de l’hagiographie bretonne présente comme un criminel, un usurpateur et
un tyran : la proximité d’un toponyme Commore, dans l’actuelle commune de
Tréglamus (C.-d’A.), est sans doute à l’origine de l’interprétation donnée par
l’hagiographe du motif de cette réunion. La chapelle n’est pas encore
mentionnée dans une charte donnée en faveur de l’abbaye de Bégard par Conan IV,
qui pourtant confirme aux moines la possession de « la grange de Saint-Efflam,
avec toutes les terres situées à l’entour et sur la montagne de Bré » ainsi que
de la grange de Louargat « de l’autre de la montagne « ; mais c’est bien
vers ce lieu hautement symbolique que les trégorois contemporains d’Yves de
Kermartin ont pu d’abord diriger leurs pas. Ce qui n’exclut nullement de leur
part des déplacements vers les autres « basiliques » concernées. En outre, il
faut remarquer que, dès le milieu du XVe
siècle, la chapelle du Méné Bré était placée sous le patronage de saint Hervé,
peut-être à la suite d’une confusion provoquée par la présence sur place du
tombeau d’un abbé de Bégard nommé Hervé, mort en 1370 ; cette substitution de
vocable constitue un nouveau témoignage du déclin très rapide du pèlerinage des
Sept-Saints de Bretagne.
*
En conclusion, quelle explication
trouver au tropisme que nous avons largement souligné et qui limite aux seuls
évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc l’essentiel de la documentation
disponible ? Sous l’influence de plusieurs puissants barons locaux, dont les
lourds revers dans leurs conflits successifs avec les Plantagenêt puis les
Capétiens avaient exacerbé les interrogations spirituelles, cette zone paraît
avoir constitué dès le dernier tiers du XIIe siècle le terrain où
l’action des laïcs, relayée plus tard par le véritable « activisme » des
mendiants — en particulier des franciscains — s’est exercée de manière à
développer le culte et le pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne : culte que
l’on a ainsi tenté de substituer ici et là à des dévotions populaires plus
anciennes, très éclectiques et, à l’évidence, très souvent empreintes de ce que
l’institution qualifiait de superstition
; pèlerinage dont il faut sans doute reconnaître une manifestation dans
l’assemblée du Méné Bré, telle qu’elle est décrite par l’interpolateur de la vita de saint Hoarvé. Il convient de
souligner que le même terrain, « travaillé » par les mêmes agents, se confondra
un peu plus tard avec l’aire géographique de la tentative d’implantation du
culte de Charles de Blois, dont le succès populaire fut, là encore, très limité
; et qu’il est difficile de ne pas reconnaitre derrière ces différents
phénomènes l’emprise tout autant politique que religieuse de la maison de
Penthièvre-Goello-Avaugour et de ses affidés sur le terroir concerné.
André-Yves
Bourgès
Merci André-Yves pour cette intéressante notule.
RépondreSupprimerUne approche innovante et pertinente sur un sujet peu traité et pourtant d'un grand intérêt aujourd'hui, à une époque où la quête d'éléments fédérateurs correspond à une réelle attente du plublic et où les anciens d'Avaugour ont aussi trouvé leurs émules modernes. Elle mériterait certainement une publication avec une présentation détaillée des sources.
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