La « machine à fabriquer du mythe » dans le domaine
de l’hagiodulie bretonne tourne désormais à plein régime : en dépit du nom
de « vallée » par lequel on désigne son emplacement, on sait que cette
« machine » a été installée par ses promoteurs sur les hauteurs du
village de Quénéquillec, au nom évocateur (kenec’h,
crec’h, « colline »), autour de l’ancienne motte féodale de Tossen sant Veltas (« butte de
saint Gildas »), sur le territoire de la commune de Carnoët ; et que sa
production la plus visible et la plus tangible consiste dans les statues
monumentales de saints érigées sur place à l’instar d’un véritable
rassemblement de totems. Il nous semble, ainsi qu’à d’autres, que ces
sculptures ne font pas toujours honneur aux saints qu’elles sont supposées
représenter ; mais de gustibus et
coloribus non disputandum.
Au demeurant, il ne s’agit là que de la partie apparente de
l’opération. Malgré ce que croient et répètent à l’unisson ses souteneurs aussi
bien que ses contempteurs, la « machine » en question ne sert pas à
fabriquer de l’identité nationale bretonne, sinon à la marge : la
réinterprétation de l’histoire religieuse locale qui est à l’œuvre à Carnoët
vise plutôt, au contraire, à la dissolution des vestiges hagioduliques de la
civilisation bretonne des époques médiévale et moderne, dans un « celtisme », dont
le côté fourre-tout ne parvient pas à dissimuler l’ambigüité : le cas de
Colomban, dont nous dirons quelques mots, en constitue la parfaite illustration.
Doit-on rappeler avec Hervé Martin, – résumant, dans sa recension de l’ouvrage
incontournable de Joseph Rio sur les Mythes
fondateurs de la Bretagne, les principales conclusions de cet auteur – que
« le mythe celtique dont tant de Bretons se gargarisent de nos jours n’est
pas antérieur à la Renaissance » ? Et qu’il faut attendre le
XVIIIe siècle tardif « pour que la référence gauloise/celtique
s’installe dans les représentations collectives et pour que les érudits
celtomanes soulignent la parenté du breton avec l’hébreu, le grec et le
latin » ? Au demeurant, ce
constat remonte déjà à plusieurs années, bien avant le démarrage de la Vallée
des saints et il serait en conséquence injuste de reprocher à ses promoteurs autre
chose que d’être montés dans le train en marche : « aujourd'hui »,
écrivait ainsi Alain Pennec en 2002 dans
son propre compte rendu de l’ouvrage de Rio, « le particularisme de la
Bretagne s'appuie sur un celtisme qui, par ses excès ésotériques ou
commerciaux, peut même apparaître parfois artificiel ».
Quant à la « nation de petits saints », telle que
l’entendait La Borderie de la Bretagne du Haut Moyen Âge aux dires de Marcel
Planiol – vision dénoncée par ce dernier comme la marque d’un « patriotisme
puéril » – elle n’est pas grandie par les représentations gigantesques de
ceux qui en auraient converti les populations : sur place, il n’est en
effet rien dit, ou presque, à propos des uns et des autres, sinon ce qu’une
vulgate ancienne, chaque jour enrichie de nouvelles approximations, répète inlassablement
et déforme à l’infini grâce aux progrès de la communication de masse.
Gigantisme, monumentalisme et statuaire
Dans l’une des ultimes notules
publiées sur son blog
avant sa mort, le regretté Bernard Merdrignac avait, sur le mode de l’humour
érudit, rapproché ce que rapportait Wace, vers 1150, au sujet du monument de Stonehenge, des
approximations actuelles de la presse sur la célébration en ce lieu du solstice
d’été (« Chaque année et depuis près de 5000 ans, le jour le plus long de
l’année est l’occasion d’une fête dans le mythique cadre de ce site
préhistorique, érigé plus de 2000 ans avant notre ère. Façon ainsi de perpétuer
un rite celtique plusieurs fois millénaire. La cérémonie animée par des druides
celtes est l’occasion de se divertir et de danser tout au long de la nuit la
plus courte de l’année dans une fête païenne rythmée par les
percussions ») ; et Merdrignac de conclure, avec un clin d’œil en
direction de la Vallée des saints, présentée à la même époque par Hervé Queillé
dans le journal le Télégramme comme
un possible « Stonehenge breton » : « Au “Grand Jeu des 7
erreurs”, il n’est pas sûr que Wace soit le gagnant… »
Le rapprochement entre la Vallée des saints et Stonehenge a
évidemment été suggéré par l’aspect monumental des statues. Pour notre part, la
comparaison qui nous vient le plus immédiatement à l’esprit l’est avec
Carnac ; mais là encore, il ne s’agit pas de représentations figurées, et
l’aspect d’alignements s’oppose à la relative dispersion observée sur les
hauteurs de Quénéquillec. De toute façon, les promoteurs de la Vallée des
saints ont opté, revendiquent-ils, pour un projet à la ressemblance des statues
de l’île de Pâques, auxquelles ils ont d’ailleurs repris le standard de la
hauteur (sensiblement 4 m), standard qui est même devenu la norme.
Pourquoi l’île de Pâques ? Pour renforcer l’incongruité
de ce qui est souvent présenté comme
« un projet fou pour l’éternité », selon la terminologie de
ses promoteurs ? Ou bien parce que les autres manifestations de ce
gigantisme statuaire sont souvent associés à des systèmes politiques où le
culte de la personnalité le dispute à l’autoritarisme du
régime (autrefois, l’Egypte pharaonique ou, plus proche géographiquement,
la Rome impériale ; récemment, les différents régimes communistes de
l’est, et peu avant eux, la Russie stalinienne, sans oublier l’Italie fasciste
et l’Allemagne nazie) ? Le Moyen âge chrétien n’a pas connu de tels
excès et il faut attendre la
Renaissance, et les statues de Michel Ange à Saint-Pierre de Rome, puis l’époque
baroque, pour en retrouver des manifestations ; sans parler de certaines
réalisations du XXe siècle comme le Christ de Rio de Janeiro. Le
gigantisme de la chrétienté médiévale s’est exprimé quant à lui dans les
édifices religieux, en particulier les cathédrales gothiques, toujours de plus
en plus hautes et en même temps de plus en plus élancées : comme l’écrit François
Muller à propos de la cathédrale de Strasbourg, « saints et saintes sont bien
présents. Certes, ils restent plutôt discrets, un peu perdus dans le gigantisme
architectural de l’édifice » ; mais, à raison même de cette
discrétion, leur place se révèle évidemment prépondérante. On ne peut lire sans
s’étonner certaines réflexions des promoteurs de la Vallée des saints qui préfèrent imaginer que leurs statues géantes
s’accordent avec le fait que « ces saints étaient des visionnaires sachant
s’élever pour voir loin. Et si nous, nains que nous sommes, grimpons sur leurs
épaules, nous nous grandirons aussi ». On notera au passage que le recours
à une formule démarquée de celle de Bernard de Chartres s’avère ici bien malhabile ;
mais comme nous ignorons si la maladresse était dans le discours de
l’interviewé ou résulte de la transposition qu’en a fait le journaliste, nous
ne nous y arrêterons pas.
On imagine que les
statues de la Vallée des saints auraient pu trouver leur place en un autre lieu
que les hauteurs de Quénéquillec : sur une grande aire autoroutière dédiée, à
l’entrée de la Bretagne ; ou bien dans le cadre d’une muséographie à ciel
ouvert aux abords immédiats d’une des trois grandes villes bretonnes qui ont
été labellisées « métropole » ; ou encore, de manière plus
subversive, ce qui constitue une des dimensions majeures de l’art, sur
l’emplacement des pistes d’un projet d’aéroport controversé ; ou même,
pourquoi pas ? en Centre-Bretagne, à Carnoët par exemple, mais dans une
vallée justement, dont le relief aurait atténué cet effet de gigantisme. Les circonstances
en ont décidé autrement.
Un site détourné
Le caractère de site naturel des hauteurs de Quénéquillec,
souvent présentées comme offrant l’un des plus beaux panoramas de la région,
est moins important que leur dimension culturelle, bien antérieure à
l’implantation sur place d’une attraction basée essentiellement sur le
caractère insolite d’un regroupement de monumentales statues monolithiques.
Plus généralement, Carnoët – dont le nom même est l’indice de l’ancienneté de
l’occupation humaine sur place et rend compte, au travers des monuments qu’il
désigne, des préoccupations religieuses des populations locales aux temps
préhistoriques – offre en de nombreux points de son territoire communal la
possibilité d’une intéressante reconstitution chronologique : pour nous en
tenir aux quinze premiers siècles de l’ère chrétienne et couvrir ainsi, en la
débordant largement, la période historiques supposée des personnages statufiés
à la Vallée des saints, notons que Carnoët est parcouru par plusieurs itinéraires
antiques qui, pour trois d’entre eux formaient un important nœud routier sur la
hauteur de Landerc’h, à un kilomètre environ au nord de Quénéquillec ; au
sud de la commune, à proximité du village de Saint-Corentin, autrefois trève de
Carnoët, et marqueur en ces terres de confins de l’appartenance de la paroisse
à l’évêché de Cornouaille, se trouve le lieu-dit Trélan, dont le nom formé avec
les termes vieux-breton treb,
« village », et sans doute lann,
« ermitage », ouvre d’intéressantes perspectives sur « des
antécédents monastiques anciens », comme l’a suggéré en son temps le
regretté Bernard Tanguy.
Cependant, c’est le site choisi par les promoteurs de
la Vallée des saints qui, pour autant qu’on le traitât avec le respect qu’il
mérite, offrait la plus intéressante clé d’interprétation du passé religieux de
la Bretagne : au pied de la colline
et au surplomb d’un vallon, le lieu sacré primitif, peut-être antérieur au
christianisme, représenté par une fontaine dont la source donne naissance à
l’un des sous-affluents de l’Hyères ;
un peu plus haut, l’espace sacralisé sur lequel a été bâtie au tournant
des XVe-XVIe siècles une gracieuse chapelle, qui
vraisemblablement a prolongé le souvenir d’un sanctuaire plus ancien où l’on
conservait déjà le sarcophage attribué à Gildas ; au sommet enfin, la
motte féodale, elle-même peut-être succédané d’un lieu de commandement, sinon
de pouvoir, plus ancien, venant couronner cette colline, où la légende du saint trouve un écho tout proche à Carhaix
(Finistère), avec la collégiale dédiée à son filleul et protégé, Trémeur. Ces
différentes dévotions locales – ajouter aux personnages dont nous venons de
parler, la Vierge et l’archange Michel dont les cultes respectifs sont attestés
par des loci du Moyen Âge central,
Locmaria et Locmiquel, lesquels, jalonnant l’un des itinéraires antiques déjà
signalés, dominent la rive droite de l’Hyères – suffisaient pour mettre en scène
de manière pédagogique l’évolution dans la longue durée de la spiritualité
bretonne, marquée par des rapports complexes entre croyance populaire et religion institutionnelle, sans parler du
rôle joué, à toutes les époques, par le pouvoir politique. Au lieu de quoi, les
promoteurs de la Vallée des saints ont préféré proposer une localisation
improbable qu’ils ont baptisée d’un nom d’emprunt.
Un nom emprunté
L’appellation « Vallée des saints », aujourd’hui
véritable marque de fabrique, apparait en effet comme un emprunt. Depuis le
début du XIXe siècle au moins, ce nom désigne une vallée, véritable
celle-là, pour ne pas dire une sorte de « canyon », située sur le
territoire de la commune de Boudes (Puy-de-Dôme), bien connue des géologues
mais aussi des voyageurs qui en apprécient le paysage pittoresque. D’où vient à
ce lieu d’avoir été baptisé « Vallée des saints » ? Et les
promoteurs de la « machine à fabriquer du mythe » installée à Carnoët,
n’auraient-ils pas, à leur insu évidemment, subi l’influence de ce paysage ou,
du moins, des descriptions dont il a fait l’objet ? « L'endroit est hérissé d'étranges pics
de teinte ocre et rouge, sculptés par l'érosion, dont les silhouettes évoquent
de gigantesques statues... L'eau a sculpté, non loin du village, des pyramides hautes de 10 à 30 mètres
dans une argile rougeoyante. Cette succession de tours évoque une procession de
moines, ce qui a valu son nom à la vallée. Le promeneur descend dans un premier
temps vers le ruisseau qui poursuit son travail d'érosion aux pieds de ces
géants de pierre. Puis, le sentier remonte sur une crête qui surplombe la
vallée jusqu'au cirque des Mottes qui offre le spectacle de ses ocres
flamboyantes ». La Vallée des saints bretonne, avec ses statues
monolithiques, pourrait ainsi refléter l’aspiration de ses promoteurs à la reconstitution d’un tel paysage minéral.
Au demeurant, il n’y a rien de répréhensible dans cet
éventuel emprunt. Tout juste peut-on se poser la question de savoir pourquoi le
nom de Vallée des saints a été choisi alors que le site concerné est situé sur
une hauteur : n’aurait-il pas été plus judicieux en conséquence de le
désigner la Butte des saints (Tossen
ar sent), ou la Colline des saints (Crec’h ar sent), voire la Montagne des saints (Menez ar sent) ? Cette approximation
originelle, rappelée en permanence par la présence du toponyme Quénéquillec dans
l’adresse même de l’association, n’était-elle pas de nature à susciter des
doutes sur le bien-fondé d’une démarche dont l’objectif déclaré de sauvegarde,
de découverte et de promotion de la culture populaire bretonne était ainsi, dès
ses débuts, marquée par un contresens philologique ? De manière plus
générale se trouve posée la question des fondements du projet en ce qui
concerne sa dimension historico-culturelle.
Mais où sont les garde-fous ?
Pour celui qui, à la recherche de documentation sur la riche
matière hagiologique bretonne, parcourt le site Internet de la Vallée des
saints de Carnoët, la frustration est grande. Seule la page consacrée à l’histoire antérieure du lieu peut être considérée comme assez
satisfaisante : son auteur a puisé à des sources, dont il donne la liste,
pour compiler une courte notice de vulgarisation érudite dans la lignée des
travaux des amateurs éclairés du XIXe et du début du XXe
siècle. Ici, du moins, pas trop d’approximations historiques, mais plutôt la
mise en avant d’éléments factuels, même s’il s’agit le plus souvent
d’anecdotes ; et, lorsqu’il est
question de supposées légendes ou traditions populaires, celles-ci sont
rapportées avec la prudence nécessaire au traitement de ce type de matériaux. Naturellement
cette courte notice ne prétend pas à l’exhaustivité et ne peut remplacer, dans
une perspective pédagogique, ce que serait le travail d’un véritable comité
scientifique ; mais elle témoigne qu’il existe au sein des promoteurs de
la Vallée des saints des acteurs dont le bon sens et la pondération pourraient
être mis à profit pour tempérer certains excès de communication et surtout pour
s’efforcer d’intégrer dans la démarche les résultats des recherches menées
principalement en Bretagne depuis une trentaine d’années par les spécialistes
d’hagiologie, dont, par méconnaissance sans doute, les travaux ne semblent pas
avoir été pris en compte. Même les billets publiés çà et là par Frédéric
Morvan, membre du conseil d’administration de la Vallée de saints, et par
ailleurs médiéviste, témoignent de cette méconnaissance : ainsi, leur
auteur n’hésite pas à affirmer à deux reprises que, sur ces questions
complexes, « il faut le plus souvent se référer aux résultats de chercheurs
d’Outre-Manche » (ce que, par ailleurs, se gardent bien de faire les
promoteurs de la Vallée des saints !) En tout état de cause, les
références de Morvan à la Vallée des saints sont extrêmement rares et la page
« Hagiographie bretonne » du site Internet du Centre d’Histoire de
Bretagne, dont cet auteur est le principal animateur, n’apporte rien au débat.
Apparemment, si nous en croyons le responsable d’Ar
Gedour, « blog breton d'information sur l'actualité spirituelle et
culturelle de Bretagne », le même genre de déficit concerne
aussi la dimension plus spirituelle de la Vallée des saints : « le
site internet comme le site de la Tossen
lui-même ne semblent pas prendre assez en compte la portée spirituelle du lieu
et du projet, pourtant à la source de cette idée. Or sans la dimension
spirituelle, la vision culturelle ou économique seules n’ont aucun intérêt, ou
sinon il eut fallu ne pas utiliser les saints comme faire valoir ! Lorsque des
statues étaient élevées, et même lorsque de simples mégalithes étaient levés,
cela partait d’un culte ». Nous ignorons si depuis ses offres de services
ont été retenues (« Comme nous l’avons déjà dit, AR GEDOUR est à
disposition pour soutenir spirituellement ce projet prometteur, en éclairant les équipes de la Vallée des
Saints en ce sens si besoin »).
Aurions-nous affaire à un « vaisseau de pierre » à
la dérive, à un projet désormais vidé de sa double substance historique et
spirituelle ? A moins que
l’hagio-marketing tienne désormais seul la barre et, au travers de ses
différentes implications, tout à la fois conforte les élus de la Région dans
leurs choix antérieurs et rassure les autorités religieuses, comme il se voit
avec le cas de Colomban.
Colomban, un cas d’hagio-marketing
Le cas de Colomban qui, outre l’érection de sa statue, s’est
vu attribuer le patronage du futur oratoire, dont la première pierre a été
posée le 27 août dernier, en présence de l’ambassadrice de la république
d’Irlande en France et avec la bénédiction de l’archevêque de Rennes et de
l’évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, nous semble particulièrement représentatif
du risque induit par le manque de clarté dans l’exposé de la problématique
complexe des origines religieuses de la Bretagne continentale. Il s’agit ici avant
tout, comme on l’a dit, d’une opération d’hagio-marketing, qui tend à
s’éloigner encore un peu plus des buts de l’association, car elle ajoute de la
confusion à la complexité : ainsi le futur oratoire de la Vallée des
saints sera-t-il construit à l’identique du célèbre monument de Gallarus, en
Irlande, dont pourtant la datation et la destination originelle demeurent
encore largement discutées, voire contestées . Même ceux qui sont les plus
intéressés à la valorisation touristique de ce monument admettent loyalement
que la question est loin d’être tranchée.
Les raisons pour lesquelles Colomban fait l’objet d’un culte
en Bretagne continentale demeurent largement mystérieuses, sinon obscures, et
sans doute faut-il envisager plusieurs hypothèses, parmi lesquelles une
dévotion particulière à l’égard des reliques qui lui étaient
attribuées et dont la translation à Locminé (Morbihan) est probablement intervenue dans la
seconde moitié du Moyen Âge ; mais le succès incontestable de ce culte tient
sans doute à un phénomène plus complexe de substitution par Colomban d’un saint
local plus ancien, Colombier, déjà précédemment concurrencé par Colomba, sur la
base de l’homophonie de leurs noms. La spécialité thérapeutique bretonne de
Colomban, qui, à plusieurs reprises, place ce dernier en situation de concurrence
avec Jean Baptiste, voire avec des novi sancti, tel Vincent Ferrier, a peut-être été empruntée à l’ «
outillage miraculaire » de Colombier.
En examinant à la lumière de
l’hagiographie que lui a consacrée Jonas de Bobbio, son contemporain, et en
prenant en compte les autres éléments historiques dont nous disposons sur le
réseau des voies de communication à son époque, l’itinéraire suivi par Colomban
à travers l’Europe – depuis son Irlande natale jusqu’aux
confins austro-burgondiens de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), puis la route de son exil vers
Nantes en vue d’un retour en Irlande qui ne se fit pas, sa fuite et son périple en Neustrie et à nouveau en Austrasie, suivi par
le voyage qui devait finalement le conduire jusqu’à Bobbio, en Italie, sa
destination ultime – il apparaît que la possibilité de son débarquement, d’un
séjour, voire d’un simple passage sur le territoire de l’actuelle commune de
Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine), revendiquée localement, est infime. Au
demeurant, nous ne disposons d’aucun élément probant qui permette d’affirmer
que les Bretons de la péninsule armoricaine s’étaient déjà installés à cette
époque à l’est de la Rance ; et les populations bretonnes avec lequel le
saint a été en contact pouvaient aussi bien appartenir à d’autres colonies
établies dans l’Avranchin et le Cotentin. S’il n’est évidemment pas possible en
bonne méthode d’éliminer l’infime possibilité de la présence de Colomban à
Saint-Coulomb, transformer cette hypothèse en fait avéré, à la satisfaction de
l’association des Amis bretons de saint Colomban qui s’est constituée dans
cette commune, relève d’un tour de passe-passe auquel les historiens, dans leur
majorité, ne sauraient souscrire. De même l’impossibilité de s’assurer de
l’existence de pratiques colombaniennes au sein des monastères bretons
péninsulaires, à l’exception peut-être de l’établissement que le saint situe
explicitement « dans le voisinage des
Bretons »,
empêche de mesurer dans cette région quelle aurait pu être l’éventuelle influence
du saint, d’autant que les usages scotiques auxquels il est fait allusion à
Landévennec (Finistère) avant la normalisation carolingienne, même s’il était
avéré qu’ils furent empruntés pour tout ou partie à la règle de Colomban,
peuvent avoir été introduits sur place par d’autres irlandais.
Sur toutes ces
questions et bien d’autres, le 14e centenaire de la mort de
Colomban, fêté en 2015, a été l’occasion de procéder, lors de trois colloques
internationaux, respectivement à Bangor, en Irlande, à Luxeuil et à Bobbio, à une actualisation de l’état des
connaissances dans le domaine de la recherche colombanienne, dont il nous
semble que les promoteurs de la Vallée des saints auraient grand intérêt à
s’informer avant la finalisation du projet pédagogique qu’ils déclarent vouloir
mettre en œuvre autour de leur oratoire Saint-Colomban.
La récupération et la dérive
En tout cas, s’il est bien un point commun entre le grand
missionnaire irlandais et les promoteurs de la Vallée des saints, c’est leur
efficacité à communiquer et à se faire entendre. Cependant, au-delà du succès
et de la reconnaissance, deux principaux dangers, sans cesse accrus par les
effets démultiplicateurs de la toile et les algorithmes de réseau social,
guettent le communicateur : la récupération et la dérive. Du côté politique et
du côté économique, c’est carton plein, comme en témoignent la sollicitude renouvelée
de la Région Bretagne et la reconnaissance par l’association
Produit en Bretagne ! L’Union européenne, qui peine à trouver ses nouvelles marques, s’est
emparé de Colomban, dont elle a fait un symbole de sa conscience millénaire, et
l’Irlande, l’ex-« tigre celtique », vient jouer avec habileté sa
partition dans ce concert politico-culturel dont elle espère partager les
retombées économiques,
comme nous le lui souhaitons au demeurant. Enfin, la bénédiction de la statue
de Colomban par deux prélats et non des moindres, l’archevêque de Rennes, Mgr
d’Ornellas et l’ordinaire du lieu, Mgr Moutel,
est venue ratifier la reconnaissance officielle de la Vallée des saints par
l’institution ecclésiale. Voici que, ses amarres larguées, notamment celles des
contraintes hagio-méthodologiques, le « vaisseau de pierre » des
saints bretons vogue désormais en haute mer ; mais avec quel cap ?
André-Yves Bourgès
Merci André-Yves pour ton excellent billet.
RépondreSupprimerPour ma part je suis un peu dubitatif sur cette entreprise. Il y a tant de patrimoine breton à restaurer. Occupons-nous déjà de ce qui existe et que nous ont légué nos pères!