Avec l’installation possible d’une statue de la soeur de Tugdual, Sève, dans le parc de la Vallée des saints à Carnoët, projet appuyé par la municipalité de Sainte-Sève
(Finistère)[1], le
concept d’hagio-transsexualisme fait, après le cas de Trifine[2], l’objet d’une seconde illustration. Au demeurant, il n’y a là rien de vraiment
nouveau, car cette histoire se prolonge au moins depuis le milieu du XVIIe
siècle : comme c’était déjà la situation avec les clercs du Moyen Âge, une
ombre d’enfumage s’étend au détriment de la tradition, qui d’ailleurs s’est
toujours accommodée de tout[3].
Par chance, le nom porté par la commune de Sainte-Sève nous
est bien connu par un certain nombre d’attestations, dont les plus anciennes, Sentseguot ou Sentsegnot (selon les lectures) et Santhequo, – lesquelles figurent respectivement dans un acte de
1128[4]
et dans la vita brève de Tugdual[5],
elle-même sans doute composée peu après ce texte auquel elle semble répondre[6]
–, peuvent être réduites sans difficultés à la forme bretonne toujours en usage,
Sant-Seo. Or, le nom de Seuua, que porte la sœur de Tugdual dans la vita longue de ce
dernier[7],
– ouvrage sans doute composé au XIIe siècle[8]
–, est philologiquement distinct de celui de Seo, lequel s’avère en outre opiniâtrement
appartenir au genre masculin comme le confirme notamment le toponyme Parc-Sant-Seo, en Melgven (Finistère).
Il convient donc de le
dire haut et fort afin d’éviter tout risque de confusion : si tant est
qu’il faille proposer à la vénération des touristes la statue d’une sainte, c’est
de Seuua qu’il convient alors de
parler ; à moins que les habitants de Sainte-Sève n’aient également en
projet d’ériger une seconde statue,
celle de leur saint éponyme, sant Seo,
projet pour lequel ils pourraient peut-être solliciter le soutien d’une certaine
marque de machines à café [9] !
Quoi qu’il en soit, l’historicité de ces personnages est
inaccessible à l’historien : s’il fallait malgré tout émettre un avis en
terme de probabilité, nous dirions que celle-ci nous semble moindre s’agissant
de Seuua, « sainte de
papier » connue par sa seule mention dans le dossier hagiographique de
Tugdual, où elle joue les utilités, comparée à Seo, certes sans attestation
littéraire, mais dont le culte est clairement inscrit dans l’hagio-toponymie
bretonne, qu’elle soit continentale, avec le village de Lanzéo, à la Chapelle-Neuve
(Côtes-d’Armor), ou insulaire, avec le manoir de Landsev, en Cornwall[10].
Cependant, la place dérisoire qu’elles occupent dans le
« panthéon hagiographique » breton doit évidemment encourager à
privilégier plutôt les représentations de saintes ; à Dieu ne plaise que leur
nombre limité n’ait pas pour fâcheux contre-effet de produire plus d’élucubrations encore que celles qui concernent leurs frères en hagio-marketing !
André-Yves Bourgès
[1] « Vallée des Saints. Une statue de sainte
Sève », journal Le Télégramme du
27 décembre 2016, édition de Morlaix, p. 13 (article en ligne à
l’adresse : http://www.letelegramme.fr/finistere/sainte-seve/vallee-des-saints-une-statue-de-sainte-seve-27-12-2016-11345811.php).
[2] B. Merdrignac « Chapitre 4. Trifine et Trifin en
ballade du côté de la Gender History »,
D’une Bretagne à l’autre. Les migrations
bretonnes entre histoire et légendes, Rennes, 2012, p. 61-73.
[3] Voir à ce sujet, dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 3
(1875-1876), p. 201-204, l’intéressante lettre reçue de J.C.M. Messager,
instituteur à Sainte-Sève, sur les monuments et les traditions de sa commune.
[4] Cet acte n’est plus connu que par une copie d’érudit
faite au XVIIe siècle sur l’original et qui donne la forme Sentseguot ; mais son édition
scientifique la plus récente procurée par H. Guillotel, « Les vicomtes de
Léon aux XIe et XIIe
siècles », Mémoires de la
Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, t. 51 (1971), p. 48, porte Sentsegnot
[5] A. de la Borderie, « Saint
Tudual. Texte des trois Vies les plus anciennes de ce saint et de son
très-ancien office publié avec notes et commentaire historique », Mémoires
de la Société archéologique des Côtes-du-Nord, 2e série, t. 2
(1886-1887), p. 84.
[6] B. Merdrignac et L. Plouchart, « La fondation
des évêchés bretons : questions de l’histoire religieuse à la géographie
sociale », F. Mazel (dir.), L’espace
du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe
siècle), Rennes, 2008, p. 160.
[7] A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 97.
[8] J.-C. Poulin, L’hagiographie
bretonne du haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern, 2009, p. 380.
[9] Nous remercions M. Poullard de nous avoir mis dans
l’oreille cette homophonie.
[10] Ce toponyme est mentionné dans le Domesday Book : son identification
et, conséquemment, sa localisation précise restent discutées.
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