S’il fallait résumer d’une phrase l’économie du livre L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle), que son directeur situe expressément dans le prolongement de la réflexion engagée depuis un peu plus d’une décennie sur la genèse du territoire paroissial 1 et, indirectement, sur la formation des communautés d’habitants au Moyen Âge 2, nous dirions que l’expertise des différents auteurs réunis autour de F. Mazel vient majoritairement au soutien de l’hypothèse selon laquelle la territorialisation des diocèses s’avère un phénomène plus complexe qu’il n’avait été soupçonné jusqu’ici, d’autant que cette territorialisation s’inscrit dans une longue durée dont rend compte d’ailleurs l’intitulé de l’ouvrage ; mais, au-delà d’une critique justifiée à l’égard de « l’utilisation confiante de la méthode régressive » 3, interpréter uniquement et systématiquement les témoignages sur les conflits relatifs aux limites diocésaines comme la démonstration que ces limites sont longtemps restées floues 4 et que leur fixation ‘définitive’ est intervenue seulement à l’âge féodal, époque de leur « émergence documentaire » 5, ne constitue-t-il pas un biais important du point de vue méthodologique ? Ne pourrait-on conclure a contrario, comme l’ont suggéré d’autres spécialistes, que ces conflits, qui surgissent très tôt entre titulaires de sièges épiscopaux, sont plutôt la marque d’une territorialisation précoce qui, certes, devait faire par la suite l’objet de discussions et de remaniements, tout en conservant cependant l’essentiel de ses traits originaux 6 ? Nous y reviendrons plus loin à propos de la péninsule armoricaine, dont les circonscriptions territoriales du bas Empire, à la suite des flux de population en provenance de la Bretagne insulaire, ont subi, au très haut Moyen Âge, d’importantes modifications, qui laissent néanmoins deviner encore les linéaments de l’organisation antérieure.
I
Au demeurant, il nous semble que la genèse territoriale du diocèse et celle de la paroisse sont des phénomènes qui, en l’absence de véritable synchronisme, devraient être soigneusement distingués l’un de l’autre. Dans un autre travail de M. Lauwers 7, on peut lire le développement suivant sur la première partie du neuvième canon du concile de Tours de 461 8 :
Un petit exemplum suffira à illustrer toute l'importance des questions de vocabulaire, ainsi que la prudence dont il convient de faire preuve dans l'interprétation des textes. Les historiens qui soutiennent le caractère précoce de la mise en place des territoires paroissiaux invoquent notamment un canon du concile réuni à Tours en 461. Selon une traduction récemment proposée de ce canon, « il est bon de surveiller qu'un évêque ne tente de faire intervenir son autorité dans le territoire du ressort de son frère, de façon à pouvoir s'adjoindre des églises paroissiales extérieures à son diocèse, alors que les limites [des diocèses] ont été décidées par les Pères » 9. On en déduit que diocèses et paroisses constituaient, dans la Gaule du ve siècle, des territoires délimités, bornés et stables. Cependant, si l'on retourne au texte latin du canon de Tours, on s'aperçoit, d'une part, qu'il n'y est aucunement question de « paroisse » ni même d'« église paroissiale » et que, d'autre part, la traduction que je viens de citer donne à ce canon un sens spatial qui force peut-être le texte. En fait, le concile de Tours recommande de surveiller les éventuelles interventions du « pouvoir » d'un évêque au détriment des prérogatives de l'un de ses « frères », ainsi que l'invasion par un évêque de « diocèses » qui ne sont pas les siens, car une telle attitude, est-il précisé, reviendrait à « transgresser les bornes mises par les pères ». Cette dernière expression (transgredere terminos a patribus constitutos), qui rappelle le vocabulaire antique de l'arpentage et pourrait renvoyer à une procédure de bornage, est surtout une réminiscence de l'Écriture Sainte, fréquemment attestée dans les textes du haut Moyen Âge, le plus souvent sans connotation spatiale – l'expression est généralement employée de manière polémique, parfois pour condamner les « nouveautés » sur un plan doctrinal .
Pourquoi donc opposer lecture littérale et lecture scripturaire de ce canon, dont la portée et la postérité, comme en témoignent d’ailleurs les textes cités par M. Lauwers 10, furent considérables, à l’instar de ce qui s’est passé pour nombre de dispositions des textes réglementaires portant la marque de Perpetuus de Tours 11 ? On ne saurait en effet s’étonner, s’agissant de l’affirmation de son autorité métropolitaine, de trouver, chez un prélat qui témoigne d’une ample et subtile connaissance des Ecritures et de leurs exégètes 12, une double réminiscence ̶ fort appropriée ̶ du livre des Proverbes 13 et de la Seconde Lettre aux Thessaloniciens 14 ; il est donc probable que le concile de 461, qui n’est pas un synode provincial et qui dépasse donc les seules contingences tourangelles, reflète néanmoins les préoccupations de Perpetuus relatives à l’organisation de sa métropole, notamment dans ses aspects territoriaux : ces préoccupations se retrouvent d’ailleurs lors du synode de Vannes, dont l’avant-dernier canon évoque la nécessaire unité liturgique « à l’intérieur de notre province » 15. En outre, quand M. Lauwers critique la traduction proposée par Ch. Delaplace qui ‘forcerait’ le sens du neuvième canon du concile de Tours, il s’agit à l’évidence d’une méprise, car cette traduction prend en compte le sens que revêtait à l’époque le terme diocesis :
On peut penser que cette nouvelle terminologie fut choisie afin de faire apparaître clairement la distinction, voire la hiérarchisation, entre les parochiae primitives, fondées par les évêques dans des lieux choisis par eux et les dioceses, oratoires privés ou églises paroissiales fondées dans les villae et les monastères. Il semble bien qu'ici les rédacteurs des conciles se soient rappelés qu'à l'origine, le mot diocesis désignait une subdivision inférieure de la parochia. L'ecclesia ou parochia était la seule entité représentative de la petite communauté chrétienne groupée autour de son évêque pendant plusieurs siècles avec, dans de rares cités, une subdivision en diocèses. C'est la situation que l'on a décrite pour l'Urbs intra-muros au IVe siècle. Le mot diocesis est utilisé de la même façon dans des textes littéraires, notamment par Sulpice Sévère et Sidoine Apollinaire 16.
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Paradoxalement, c’est plutôt dans la traduction donnée par M. Lauwers lui-même en annexe à sa contribution 17, que le terme diocèse reçoit une acception proche de son sens moderne de ‘circonscription délimitée’, qui était effectivement devenu le sien dès l’époque de Grégoire de Tours 18.
Il nous semble également que l’enquête aurait gagné à être étendue aux aspects de ‘ fiscalité ecclésiastique’ 19, laquelle se met en place très tôt, dans le cadre de l’abandon à l’Eglise par les rois francs d’une partie de leurs propres prélèvements : au témoignage de Grégoire de Tours, Chilpéric se plaignait amèrement que, de son temps, les revenus du fisc étaient très réduits parce qu'ils étaient passés aux églises 20. Pourtant ce roi contribua lui-même à un tel enrichissement, par exemple en dépouillant le traitre Godinus « des villae qu’il lui avait jadis concédées sur son fisc, dans le territoire de Soissons, pour les donner à la basilique du bienheureux Médard » 21 : comme on le voit, les biens du fisc étaient localisés au sein d’un ‘territoire diocésain’, qui est ici le sens à donner au mot territurium 22. Par ailleurs, c’est à la même époque que les canons du concile de Tours (567) et surtout de celui de Mâcon (585) préconisent et finalement imposent le paiement de la dîme : même si les fidèles se faisaient apparemment tirer l'oreille, comme le confirme incidemment Grégoire de Tours dans sa notice sur saint Hospitius de Nice 23, cela ne signifie nullement que les redevables étaient inconnus du bénéficiaire et que l’assiette de cette redevance n’était pas territorialisée.
II
C’est encore Grégoire de Tours ̶ indispensable Grégoire, irremplaçable Grégoire ! ̶ qui est notre « principale source sur les relations entre Bretons et Francs dans la seconde moitié du VIe siècle, comme le rappellent Bernard Merdrignac et Louisa Plouchart 24. Assumant sans état d’âme, au milieu de ses contempteurs, la position traditionnelle qui préconise que, « pour l’essentiel, les diocèses de Rennes, Nantes et même Vannes ont dû continuer de fonctionner dans les mêmes conditions que dans le reste de l’espace mérovingien », ces deux auteurs s’intéressent à la situation dans l’ouest de la péninsule armoricaine, où « la carte diocésaine n’est pas superposable aux anciennes cités des Osismes et des Coriosolites » 25 et s’efforcent de compléter les informations fournies par Grégoire, en procédant à la réouverture prudente du dossier hagiographique de Samson de Dol et en scrutant méthodiquement la vita de Paul Aurélien [BHL 6585], composée en 884 par Wrmonoc, moine de Landévennec 26.
Ainsi la première vita de Samson [BHL 7478-7479] 27 ̶ sans doute la pièce la plus ancienne de la riche production hagiographique bretonne ̶ fait-elle à cette occasion l’objet d’un réexamen précautionneux, qui désormais ne s’arrête plus à la question ̶ toujours ouverte, assez stérilisante cependant ̶ de la date controversée de la composition de ce texte ̶ puisque de toute façon, « même en s’en tenant à une datation haute, le propos de l’hagiographe n’est pas de faire de l’histoire » 28 ̶ mais cherche à l’inscrire dans le cadre d’ « une nouvelle approche de la mise en place des évêchés bretons » 29 : en effet, quelle que soit sa datation, cette vita « est le seul texte rédigé en Bretagne continentale qui apporte quelque éclairage sur les relations politiques entre Francs et Bretons au milieu du VIe siècle » 30. A l’occasion de ce réexamen, B. Merdrignac et L. Plouchart procèdent à un ‘dépoussiérage » qui tient compte de l’avancement des travaux d’hagiologie bretonne et rappellent qu’ « il n’y a aucune raison pour que la christianisation de la future Bretagne ne se soit pas déroulée au même rythme et dans les mêmes conditions que dans les régions voisines » 31 : exit donc « la thèse d’une Église autonome aux usages particuliers englobant les communautés chrétiennes du Pays de Galles, de Cornwall, d’Irlande et des futures Écosse et Bretagne continentale », de même que « l’idée reçue selon laquelle l’épiscopat aurait ici et là été évincé par les abbés des grands monastères » 32. L’implantation de « vastes paroisses baptismales primitives » 33, les ploue(s) ̶ dont le ‘modèle organisationnel’ pourrait être, au moins partiellement, celui des pievi de la péninsule italienne (et de la Corse) 34 ̶ correspond vraisemblablement à des besoins spécifiques d’encadrement des immigrants insulaires ; mais, compte tenu que ces paroisses semblent avoir été établies « préalablement à la reconnaissance par le pouvoir politique d’évêques bretons exerçant leur autorité sur leurs compatriotes » 35, les auteurs avancent que cette situation est peut-être « un indice supplémentaire de ce que les populations bretonnes se sont d’abord accommodées du cadre antérieur des cités » 36, même si, à bon droit, les deux auteurs ne sont pas disposés à suivre Michel Rouche 37 et Joëlle Quaghebeur 38 quand ces derniers croient reconnaître dans l’évêque de Uxuma 39, Litharède, présent au concile d’Orléans en 511, le titulaire du siège épiscopal des Osismes 40.
C’est le personnage de Commor qui permet la cristallisation de la réflexion de B. Merdrignac et L. Plouchart sur « l’ombre portée du pouvoir politique au VIe siècle » : le personnage figure en effet dans la vita ancienne de Samson, au cœur de l’épisode qui raconte la reconquista de la Domnonée par Judual, après que ce dernier, d’abord l’otage de Childebert, eût été libéré à la demande du saint et, grâce à son intervention, eût même reçu l’appui du roi ; Commor, que l’hagiographe décrit comme un usurpateur, au demeurant aussi puissant que cruel, est finalement vaincu par celui dont, toujours selon l’écrivain, il avait usurpé les droits légitimes 41. Ce récit qui, en dehors de la fondation de Dol, constitue le seul véritable épisode continental de la vita de Samson, est inconnu de Grégoire de Tours, lequel rapporte cependant une autre anecdote où il est question de Commor 42 ; ̶ inconnu également des hagiographes plus tardifs, à l’exception de l’auteur de la vita de saint Lunaire [BHL 4880] 43 et de l’interpolateur de l’ouvrage composite sur Hoarvé-Hervé [BHL 3860] 44. Ce dernier texte peut être sans problème ignoré, car le passage concerné, où Commor est accusé d’avoir assassiné Jona, le père de Judual, Trémeur, son propre fils et la mère de celui-ci, sa femme, Trifine, 45 se présente à l’évidence comme un résumé tardif de la « légende noire » du personnage. Pour ce qui est de la vita de Lunaire en revanche ̶ au delà du constat que l’hagiographe a eu largement recours à la vita ancienne de Samson dont il connaît également la réfection carolingienne 46 et même s’il convient d’abaisser au XIe siècle l’époque où il a composé son propre ouvrage 47 ̶ les différents passages qui font mention de Childebert (dont le nom est ici déformé en Gillebert), Judual et Commor 48 auraient mérité un nouvel examen, dans le prolongement des premières constatations faites par A. Carrée et B. Merdrignac, il y a près de vingt ans 49 : la proximité et en même temps la liberté dont a fait preuve l’auteur à l’égard de son principal modèle témoignent en effet de la complexité des rapports qui unissent la vita de Lunaire à ses sources et pourraient constituer la marque de l’originalité et de l’ancienneté des traditions qui l’ont spécifiquement inspirée 50, comme l’a montré la savante étude de B. Merdrignac sur l’arrière-plan légal du curieux calendrier agricole dont cet ouvrage nous a conservé le souvenir 51 ; ici comme ailleurs dans le texte, la recherche des éléments de nature juridique pourrait s’avérer particulièrement féconde mais sans doute moins dans une référence au droit ‘celtique’ que dans une confrontation avec le droit ‘continental’, auquel l’hagiographe a largement emprunté son vocabulaire (hereditas, heres, fiscus, honor).
L’autre source hagiographique mise à contribution par B. Merdrignac et L. Plouchart, la vita de Paul Aurélien est le seul texte daté de la production bretonne du haut Moyen Âge : on y trouve là encore l’évocation de Childebert (dont le nom est ici déformé en Philibert), Judual et Commor 52, mais dans une configuration apparemment inédite montrant à l’évidence que l’écrivain, bien qu’il connût et utilisât également la vita ancienne de Samson 53, avait lui aussi pris à l’égard de celle-ci une distance qui pourrait attester l’existence d’une tradition distincte relative aux trois protagonistes. Déjà, fidèle à son habitude 54, Wrmonoc, à partir d’une documentation qui n’est pas identifiée 55, restitue les doubles noms de Judual et de Commor, respectivement Iuduualus Candidus, présenté comme le « chef très noble d’une grande partie du pays domnonéen » 56 et Marcus Quonomorius, qui, outre les qualificatifs de « grand » et « très puissant », porte le titre de « roi » et se voit attribuer « la puissance impériale » dans l’île de Bretagne 57. De plus, Wrnomoc introduit dans son récit le personnage du « comte » Withur, qui, en Léon, « exerçait son autorité sur cette regio en vertu d’un mandement de l’empereur Philibert et dans l’observance de la religion chrétienne » 58. Or, dans d’autres vitae, c’est Commor qui est présenté comme le délégué de Chilbebert avec le titre de « préfet du roi » : c’est notamment le cas du préambule [BHL 3859] de l’ouvrage sur Hoarvé-Hervé 59, dont l’action se situe précisément en Léon 60. La confusion de Childebert avec Philibert mérite qu’on s’y arrête un bref instant, d’autant que le roi franc apparaît comme le ‘fondateur’ de l’évêché de Léon qu’il dote de biens fonciers que Paul Aurélien reçoit « en diocèse perpétuel » (in perpetuam diocesim) 61 et qui s’étendent dans les deux pagi d’Ach et de Léon : « c’est lui, Philibert, maintenant au nombre de nos saints du fait de ses mérites, dont nous implorons toujours le secours » 62. Wrmonoc appartenant à la communauté monastique de Landévennec, c’est donc du côté des dévotions qui avaient cours en ce lieu qu’il faut poursuivre l’enquête 63, en se gardant de toute condamnation a priori comme celle que prononce J.-C. Poulin 64, surtout depuis qu’une étude 65 est récemment venue rappeler la « vénération » que « la figure de Childebert » inspirait aux Carolingiens et souligne à cette occasion le « traitement presque hagiographique » dont ce roi a fait l’objet dans les Gestes des évêques du Mans 66.
En confrontant la vita ancienne de Samson et la vita de Paul Aurélien, B. Merdrignac et L. Plouchart parviennent à des conclusions renouvelées sur les évêchés dont ces saints sont réputés les fondateurs. Empruntant une partie de ses conclusions au regretté H. Guillotel, les auteurs reconnaissent dans les éléments constitutifs de ce qui deviendra tardivement le diocèse de Dol avec sa myriade d’enclaves, les traits caractéristiques d’un vaste domaine monastique qui s’est « constitué progressivement du VIe au VIIIe siècle. Tout se passe comme si, à la suite de Samson, les abbés de Dol avaient exercé des fonctions épiscopales dans les dépendances de leur monastère, qu’ils se chargeaient d’administrer matériellement et d’administrer spirituellement » 67.
En revanche, leur lecture de la vita de Paul Aurélien incite les auteurs « à mettre en cause l’hypothèse d’un monastère-évêché » à l’origine du diocèse de Léon :
« Lorsque se sont affirmées deux entités distinctes au nord et au sud de la péninsule, il aurait été nécessaire de démembrer l’ancienne civitas [des Osismes]. L’évêché de Léon résultant de ce démembrement pourrait donc bien avoir été à l’origine un diocèse territorial (même si l’encadrement était confié à un clergé semi-monastique) résultant d’un partage politique entériné par le pouvoir mérovingien. A l’inverse, s’il existait un diocèse territorial chez les Coriosolites dont la cité faisait intégralement partie de la Domnonée, on conçoit que Samson n’ait été en mesure d’exercer son épiscopat que sur les dépendances du monastère de Dol » 68.
Ainsi donc, l’existence de deux sièges épiscopaux gallo-romains au nord et à l’ouest de la péninsule armoricaine n’apparaît nullement en contradiction avec la constitution du réseau des évêchés bretons : « même si rien ne sera vraiment résolu tant que la situation du diocèse d’Alet par rapport à la civitas des Coriosolites n’aura pas été clarifiée » 69, on peut conjecturer qu’il s’agit du plus ancien d’entre eux, auquel il convient en conséquence de prêter une attention particulière 70 ; son territoire fut progressivement parsemé de colonies monastiques qui formeront à l’époque carolingienne la structure du diocèse de Dol. L’évêché de Léon, on vient de le voir, est sans doute issu d’un démembrement de la civitas des Osismes, dont le territoire résiduel a pour sa part donné naissance à l’évêché de Cornouaille. Enfin, les territoires diocésains de Tréguier et Saint-Brieuc ont été prélevés sur ceux de Léon et d’Alet, peut-être aussi tardivement que les premières décennies du XIe siècle : ce sont ces dernières modifications qui ont pu, à l’évidence, susciter des conflits relatifs aux limites diocésaines, dont témoignent les sanctuaires de confins, et aussi donner naissance à une nouvelle série d’enclaves doloises 71.
Les relations, tensions, tractations de nature éminemment ‘politique’ dans lesquelles s’inscrit ce long processus peuvent être éclairées par un recours prudent aux textes hagiographiques. Samson, au témoignage de sa vita ancienne, « fait plutôt figure d’un abbé de Dol qui s’est mêlé de politique, sans plus » 72 : c’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le soutien apporté par le saint à Judual contre Commor. La position de Childebert est plus ambigüe ; mais, à l’instar de ce que nous en est dit par l’hagiographe de Lunaire, ses relations avec ce dernier et avec Samson sont empreintes de la même déférence que celle dont fait preuve le roi à l’égard de saint Pair, saint Aubin et saint Germain de Paris, au dire de son contemporain Fortunat : si donc « il n’est pas indifférent de remarquer que la Vita Ia s. Samsonis a puisé des tournures de phrases dans la Vita s. Albini (BHL. 234) de Fortunat, quand on sait que ce dernier texte met en scène le roi Childeberctus de Paris (chap. 38), appelé à connaître une fortune considérable dans l’hagiographie bretonne sous des noms variés : Childebertus, Filberthus, Hil(t)bertus, Phil(i)bertus… » 73, cela ne constitue pas un argument dirimant à l’encontre du témoignage de l’hagiographe samsonien, dont la vraisemblance est renforcée par la description de la complexité des liens unissant Childebert à Commor. En effet, quel que soit le cas de figure retenu ̶ Commor gallo-breton implanté sur l’île ou bien britto-romain implanté sur le continent ̶ B. Merdrignac et L. Plouchart soulignent que « l’intérêt de Childebert était probablement de pouvoir prétendre, par cet intermédiaire, exercer nominalement son autorité en Grande Bretagne, comme le laisserait entendre un passage de l’Histoire des guerres de Justinien par Procope de Césarée » 74.
©André-Yves Bourgès 2010
* MAZEL F., (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle), Rennes, 2008. L’ouvrage qui, comme le précise son directeur, « procède pour l’essentiel de deux journées d’études qui se sont tenues à l’université de Rennes 2 ̶ Haute Bretagne le 15 mai 2004 et le 9 avril 2005 », regroupe les articles et études suivants : Florian Mazel, « Introduction » (p. 11-21), Michel Lauwers, « Territorium non facere diocesim… Conflits, limites et représentation territoriale du diocèse (Ve-XIIIe siècle) » (p. 23-65), Laurent Schneider, « Aux marges méditerranéennes de la Gaule mérovingienne. Les cadres politiques et ecclésiastiques de l’ancienne Narbonnaise Ière entre Antiquité et Moyen Âge (Ve-IXe siècle) » (p. 69-95), Laurent Feller, « Les limites des diocèses dans l’Italie du haut Moyen Âge (VIIe-XIe siècle) » (p. 97-117), Charles Mériaux, « L’espace du diocèse dans la province de Reims du haut Moyen Âge » (p. 119-141), Bernard Merdrignac et Louisa Plouchart, « La fondation des évêchés bretons : questions de l’histoire religieuse à la géographie sociale » (p. 143-163), Steffen Patzold, « L’archidiocèse de Magdebourg. Perception de l’espace et identité (Xe-XIe siècles) » (p. 167-193), Yann Codou, « Aux confins du diocèse : limites, enclaves et saints diocésains en Provence au Moyen Âge » (p. 195-212), Florian Mazel, « Cujus dominus, ejus episcopatus ? Pouvoirs seigneuriaux et territoires diocésains (Xe-XIIIe siècle) » (p. 213-252), Laurent Ripart, « Du comitatus à l’episcopatus : le partage du pagus de Sermorens entre les diocèses de Vienne et de Grenoble (1107) » (p. 253-286), Patrick Henriet, « Territoires, espaces symboliques et ‘frontières naturelles’. Remarques sur la carte diocésaine hispanique du XIIe siècle », (p. 287-307), Pierre-Vincent Claverie, « Les remembrements épiscopaux dans la Syrie franque (XIIe-XIIIe siècles). Entre contraintes locales et politique pontificale » (p. 309-321), Jean-Pierre Delumeau, « Le diocèse d’Arezzo v.1000-v.1200 : le gouvernement d’un vaste évêché toscan » (p. 325-341), Daniel Pichot, « Doyennés et organisation de l’espace au Moyen Âge. Le cas du Bas-Maine (XIe-XIVe siècle) » (p. 343-365), Florian Mazel, « L’espace du diocèse dans les cartulaires cathédraux (XIe-XIVe siècle) », (p. 367-400). .
1 MAZEL F., « Introduction », p. 15-16. ̶ Cette réflexion a été jalonnée par plusieurs manifestations qui, elles aussi, ont donné lieu à la publication d’actes : le séminaire d'archéologie chrétienne tenu à l'École française de Rome (19 mars 1998) ; les XXXIe Journées Romanes de Saint-Michel de Cuxà (5-12 juillet 1998), le colloque international organisé par l'UMR 5136 FRAMESPA à Toulouse (21-23 mars 2003) et enfin l’atelier organisé à Tours les 2 et 3 septembre 2004 par le Laboratoire Archéologie et Territoires (UMR 6173 CITERES) avec le concours de l'Université François-Rabelais et celui d'ARCHEA.
2 « La formation des communautés d’habitants au Moyen Âge. Perspectives historiographiques », rencontre organisée à Xanten (Allemagne), du 19 au 22 juin 2003 par Ludolf Kuchenbuch (Université de Hagen), Joseph Morsel (LAMOP - Université Paris I) et Dieter Scheler (Université de Bochum), dont une partie seulement des interventions a fait l’objet d’une publication en ligne [URL : http://expedito.univ-paris1.fr/lamop/LAMOP/Xanten/Xanten.htm].
3 MERIAUX Ch., « L’espace du diocèse dans la province de Reims… », p. 119.
4 C’est l’approche privilégiée dans son introduction programmatique par LAUWERS M., « Territorium non facere diocesim… », p. 23-65. Voir toutefois l’opinion discordante de PICHOT D., « Doyennés et organisation de l’espace… », p. 351, qui qualifie la limite occidentale du diocèse du Mans au bas Moyen Âge de « très vieille frontière pour laquelle l’héritage gallo-romain peut être évoqué ».
5 MAZEL F., « Cujus dominus ejus episcopatus ?... », p. 213.
6 Ce point de vue est rappelé et contesté par MAZEL F., « Cujus dominus ejus episcopatus ?... », p. 213 : « Dans la conception traditionnelle de la formation des diocèses nourrie par la géographie historique du XIXe et du début du XXe siècles [sic], les circonscriptions diocésaines médiévales, héritées des cités du Bas Empire, ne pouvaient avoir été modifiées qu’à la marge ou dans des circonstances exceptionnelles. Ces modifications se trouvaient alors réduites à une dimension anecdotique et leur intérêt se résumait à la nécessité qu’il y avait de les situer et de les dater de manière précise pour maîtriser les cadres territoriaux au sein desquels se déroulait la véritable histoire, celle, par exemple, des relations entre les évêques et les comtes ou entre les évêques et les souverains ». Cette approche ‘traditionnelle’ est encore largement celle de ROUCHE M., « La notion d'invasion dans les conciles mérovingiens », Aux sources de la gestion publique, t. 2, Lille, 1995, p. 125-134, et IDEM, Clovis, Paris, 1996, p. 462-469, qui donne le texte traduit et commenté de la lettre d’une Remi de Reims à l’évêque Falcon sur l’occupation arbitraire de l’église de Mouzon. LAUWERS M., « Territorium non facere diocesim… », p. 28, n. 18, qui a utilisé cette édition, indique qu’il « n’en sui[t] cependant pas l’analyse quant aux “frontières”, “fixées très tôt”, des évêchés chrétiens : le document [lui] paraît attester l’inverse ».
7 LAUWERS M., « Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques sur parochia dans les textes latins du Moyen Âge », Médiévales [En ligne], 49 | automne 2005, mis en ligne le 26 mars 2008, consulté le 25 août 2010. [URL : http://medievales.revues.org/index1260.html].
8 Voici le texte complet de ce canon, dont LAUWERS M., « Territorium non facere diocesim… », p. 54, à la suite de DELAPLACE Ch., « Les origines des églises rurales (Ve-VIe siècles) », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 18/2 (2002), p. 27, n’a donné que la première partie (texte souligné) : De praesumptoribus etiam placuit observari ut si quis episcopus in jus fratris sui suam conatus fuerit inserere potestatem, ut aut dioceses alienas, transgrediendo terminos a patribus constitutos, pervadat, aut clericos ab aliis ordinatos promovere praesumat, ab universorum fratrum et consacerdotum suorum communione se alienum efficiendum non dubitet, quia Apostolo dicente cognoscimus nullam nos cum fratribus inordinate ambulantibus et non secundum traditionem a patribus constitutam, posse habere participationem.
9 Il s’agit de la traduction proposée par DELAPLACE Ch., Ibidem.
10 LAUWERS M., « Territorium non facere diocesim… », p. 36, n. 52 (dans une pseudo-décrétale attribuée au pape Calixte Ier), p. 40 (dans la Collection en 74 titres), p. 40-42 (dans un libelle contre la réforme grégorienne sorti du monastère de Hersfeld).
11 C’est le cas, par exemple, des canons 1, 5 à 8, 11 à 13 et 16 du synode tenu à Vannes vers 465, qui ont passé intégralement dans les actes du concile d’Agde tenu en 506 (canons 38-42). ̶ Au XIIIe siècle encore, on trouve dans la vita de saint Corentin une critique à l’encontre des évêques « qui s’estiment heureux s’ils peuvent étendre leurs ressorts [diocésains], leurs domaines propres et ceux sur lesquels ils lèvent l’impôt » (illi felices se esse credunt si dilatarunt terminos, praedia, possessiones). Nous avons naguère suggéré qu’il s’agissait peut-être d’« une allusion à l’extension de l’autorité de l’évêque de Léon au sud de l’Élorn, qui paraît avoir été l’une des conséquences de la guerra féodale intervenue en 1163 entre les vicomtes de Léon et ceux de Châteaulin » : BOURGÈS A-Y., « A propos de la vita de saint Corentin », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998), p.298, n. 45.
12 La solide culture scripturaire de Perpetuus est attestée par Paulin de Périgueux et Sidoine Apollinaire : le premier, s’adressant au prélat, le qualifie in omni religione doctori et le désigne comme venerabilis doctrinae speculum. Le second écrit à son sujet : Desiderio spiritualium lectionum, quarum tibi tam per authenticos quam per disputatores bybliotheca fidei catholicae perfamiliaris est, etiam illa quæ maxime tuarum scilicet aurium minime digna sunt occupare censuram, noscere cupis.
13 Ne transgrediaris terminos antiquos quos posuerunt patres tui (Proverbes, 22 : 28).
14 Denuntiamus autem vobis fratres in nomine Domini nostri Jesu Christi ut subtrahatis vos ab omni fratre ambulante inordinate et non secundum traditionem quam acceperunt a nobis (Seconde lettre aux Thessaloniciens, 3 : 6).
15 Rectum quoque duximus, ut vel intra provinciam nostram sacrorum ordo et psallendi una sit consuetudo, et sicut unam cum trinitatis confessione fidem tenemus, unam et officiorum regulam teneamus; ne variata observatione in aliquo devotio nostra discrepare credatur.
16 DELAPLACE Ch., « Les origines… », p. 17-18. Les œuvres de Sulpice Sévère tenaient une place importante parmi les lectures de Perpetuus et Sidoine Apollinaire figurait au nombre de ses correspondants. ̶ Sur les acceptions du terme dioecesis, voir aussi Du Cange, et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm., Niort : L. Favre, 1883 1887, t. 3, col. 121c [URL : http://ducange.enc.sorbonne.fr/DIOECESIS2].
17 LAUWERS M., « Territorium non facere diocesim… », p. 54 : « Il a été décidé de surveiller qu’aucun évêque ne s’efforce d’imposer son pouvoir au détriment du droit de son frère de telle sorte qu’il envahisse des diocèses autres, franchissant ainsi les bornes établies par les pères ».
18 GREGOIRE DE TOURS, Dix livres d’histoire, liv. VI, chap. 38 : Sed, adsumpto episcopatu, confestim Ursicinum Cadurcinae urbis episcopum lacessire coepit, dicens, quia diocesis Rutinae ecclesiae debitas retineret. Unde factum est, ut, diuturna intentione gliscente, post aliquot annos conjunctus metropolis cum suis provincialibus apud urbem Arvernum resedens judicium emanaret, scilicet ut parrochias, quas numquam Rutina ecclesia tenuisse recolebatur, reciperet. Quod ita factum est.
19 Evoquées d’un mot par MERDRIGNAC B. et PLOUCHART L., « La fondation des évêchés bretons… », p. 144, ces « considérations fiscales » sont expédiées en quatre lignes par CODOU Y., « Aux confins du diocèse… », p. 207, n. 84, qui, au sujet de la dîme, renvoie à MERIAUX Ch., « De la cité antique au diocèse médiéval. Quelques observations sur la géographie ecclésiastique du nord de la Gaule mérovingienne », Revue du Nord, 85, 2003, p. 595-609.
20 GREGOIRE DE TOURS, Dix livres d’histoire, liv. VI, chap. 46, rapporte ainsi les propos du roi : « Ecce pauper remansit fiscus noster, ecce divitiae nostrae ad eclesias sunt translata ; nulli penitus nisi soli episcopi regnant ; periet honor noster et translatus est ad episcopus civitatum ».
21 Ibidem, liv. V, chap. 3 : Villas vero, quas ei rex a fisco in territurio Sessionico indulserat, abstulit et basilicae contulit beati Medardi.
22 DELAPLACE Ch., « Les origines… », p. 11-17. GREGOIRE DE TOURS, Ibid., liv. X, chap. 8, emploie même en une occasion la formule tautologique civitatis territurium à propos du diocèse de Rodez : Cumque jam Innocentius episcopatum Rutini urbis ambisset, mandatum ei mittit Eulalius, ut res, quae ipsi in hujus civitatis territurio debibantur, per hujus auxilium recipere possit.
23 Ibid., liv. VI, chap. 6.
24 MERDRIGNAC B. et PLOUCHART L., « La fondation des évêchés bretons… », p. 156.
25 Ibidem, p. 149.
26 CUISSARD Ch., « Vie de saint Paul de Léon en Bretagne d’après un manuscrit de Fleury-sur-Loire conservé à la bibliothèque publique d’Orléans », Revue Celtique, t. 5 (1881-1883), p. 413-460.
27 FLOBERT P., La Vie ancienne de saint Samson, Paris, 1997.
28 MERDRIGNAC B. et PLOUCHART L., « La fondation des évêchés bretons… », p. 154.
29 Ibidem, p. 149.
30 Ibid., p. 154.
31 Ibid., p. 144.
32 Ibid., p. 145.
33 Ibid., p. 146.
34 Ibid. ̶ Si l’article très roboratif de KERNEIS S., « Pieve d’Italie et plou d’Armorique. Paganisme et christianisation au Bas-Empire », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne 76, 1998, p. 397-437 est mentionné par les deux auteurs, il manque un renvoi à la thèse de BERNIER G., Les chrétientés bretonnes continentales depuis les origines jusqu'au IXe siècle, Centre régional archéologique d'Alet, E-1982, p.27-28, qui a, notre connaissance, est le premier à avoir effectué un rapprochement entre ces deux types de circonscription paroissiale, essentiellement à partir de l’ouvrage en son temps très novateur de FORCHIELLI G., La pieve rurale. Ricerche sulla storia della costituzione della Chiesa in Italia e particolarmente nel Veronese, Bologne, 1938. La question de l’ancienneté des pievi a été depuis entièrement revisitée par CASTAGNETTI A., La pieve rurale nell’Italia padana. Territorio, organizzazione patrimoniale e vicende della pieve veronese di San Pietro di «Tillida» dall’alto medioevo al secolo XIII, Rome, 1976, et, plus récemment, par CURZEL E., Le pievi trentine. Trasformazioni e continuità nell'organizzazione territoriale della cura d'anime dalle origini al XIII secolo (studio introduttivo e schede), Bologne, 1999.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 ROUCHE M., Clovis, p. 338.
38 QUAGHEBEUR J., CR de GIOT P.-R., GUIGON Ph, MERDRIGNAC B., Les premiers Bretons d’Armorique, Rennes, 2003, dans Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 83 (2005), p. 580
39 Les mss portent les variantes suivantes : de Uxono, ex civitate Uxoma, ecclesiae Exomensae, Uxomensis.
40 Cette identification était déjà chez DUCHESNE L., Les anciens catalogues épiscopaux de la province de Tours, Paris, 1890, p. 87, et chez LOT F., « Le roi Hoël de Carhaix », dans Romania, t. 29 (1900), p. 398, n. 4 ; mais ces deux auteurs sont par la suite revenus sur leur opinion, respectivement Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. 2, Paris, 2nde éd., 1910, p. 243, n. 1 et Mélanges d’histoire bretonne, Paris, 1907, p. 203, n. 4. L’hypothèse traditionnelle, qui reconnaît dans ces toponymes les noms actuels d’Exmes et du Hiesmois (département de l’Orne), hypothèse relayée et développée en dernier lieu par FLEURIOT L., Les origines de la Bretagne, Paris, 2nde éd., 1982, p. 156-157, a notre préférence.
41 FLOBERT P., La Vie ancienne de saint Samson, p. 224-233.
42 GREGOIRE DE TOURS, Dix livres d’histoire, liv. IV, chap. 4 : At ille [Macliavus], cum se evadere non posse videret, post alium comitem regiones illius fugit, nomine Chonomorem. His cum sentiret persecutores ejus adpropinquare, sub terra eum in loculo abscondit, componens desuper ex more tumulum, parvumque ei spiraculum reservans, unde halitum resumere possit. Advenientibus autem persecutoribus ejus, dixerunt: 'Ecce! hic Macliavus mortuus atque sepultus jacet'. Quod illi audientes atque gaudentes et super tumulum illum bibentes, renuntiaverunt fratri eum mortuum esse.
43 CARRÉE A., MERDRIGNAC B., La vie latine de saint Lunaire : textes, traduction, commentaires [= Britannia Monastica, 3 (1991)].
44 LA BORDERIE A. DE, « Saint Hervé. Vie latine ancienne et inédite publiée avec notes et commentaire historique », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 29 (1891), p. 251-304.
45 Ibidem, p. 269 : In illo denique tempore, conventus praesulum accidit ac populorum, ut excommunicarent praefectum regis Conomerum, propter homicidii in Ionam comitem flagitium, et in sanctum Trechmorem parricidium, et in matrem suam Triphinam martirium.
46 POULIN J.-C., L'hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge. Répertoire raisonné [= Beihefte der Francia, 69 (2009)], p. 128 et 137-138.
47 Ibidem, p. 127.
48 CARRÉE A., MERDRIGNAC B., La vie latine de saint Lunaire…, p. 145-150 et 158-159.
49 Ibidem…, p. 90-97.
50 POULIN J.-C., L'hagiographie bretonne…, p. 131, écrit que « les rapports étroits de la vita s. Leonorii avec le dossier de saint Samson n’aboutissent cependant pas à faire du premier [sic] un calque du second » ; mais ce chercheur ne consent pas pour autant à admettre que la vita de Lunaire puisse conserver des éléments originaux sur les relations entre le saint et le roi franc : « les détails concrets » fournis par l’hagiographe.lui « paraissent plus une reconstitution lointaine que l’écho de sources d’information contemporaines ».
51 MERDRIGNAC B., « La procédure d’usucapion dans la vita de saint Lunaire », Les saints bretons entre légendes et histoire — Le glaive à deux tranchants, Rennes, 2008, p. 181-193.
52 CUISSARD Ch., « Vie de saint Paul de Léon… », , p. 431-432, 442-446, 449-453.
53 POULIN J.-C., L'hagiographie bretonne…, p. 280 et 300-307.
54 Ibidem, p. 274-275.
55 Ibid.
56 CUISSARD Ch., « Vie de saint Paul de Léon… », p. 453 : Iuduualus cognomento Candidus, Domnonensis patriae magna ex parte dux nobilissimus.
57 Ibidem, p. 431 : Fama ejus regis Marci pervolat ad aures quem alio nomine Quonomorium vocant. Qui (…)… vir magnus imperiali potentiae atque potentissimus habebatur. ̶ L’auteur des vers sur la destruction du monastère de Mont-Glonne emploie les mêmes qualificatifs à l’endroit du « roi Charles » (Charlemagne) : Olim pius rex Karolus/magnus ac potentissimus.
58 Ibid., p. 442 : Cujus dominio eadem regio domni imperatoris Philiberti proscriptione sub christiana religione regitur. Dans la suite du texte, Childebert-Philibert reçoit le seul titre de roi, notamment lorsque Withur évoque (p. 450) la délégation qu’il a reçue du souverain : rex Philibertus istam mihi regione sub suae potestatis conditione ad regendum tradidit. Wrmonoc nous indique en outre (p. 451) que le palais royal est situé à Paris, sous la protection de saint Denis (… ad Parisius civitatem. Cujus in palatio id temporis rex Philibertus jura legesque populis dabat, ubi te, sancte Dionysi, grex monachorum, plurimus multusque Francorum populus in sui adjutorium per saecula supplex invocat). De son côté, Withur, présenté (p. 450) comme le « chef » local (duce Withure), est gratifié à de nombreuses reprises (p. 444, 445, 446, 449) du titre de « comte » (comes) ; mais l’hagiographe lui donne également (p.448) celui de « prince » (princeps) et mentionne (p. 449) les différentes « demeures de son royaume » (regni sui mansiones). Tout cela respire l’ambiance carolingienne dans laquelle baignait la Bretagne à l’époque où travaillait Wrmonoc, comme en témoignent notamment les références ‘impériales’.
59 Voir A. de la Borderie, «Saint Hervé», dans Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, 1891, t. 29, p. 256 (§ 2) : Hoarvian quittant la cour du roi Childebert pour regagner son pays natal, la Bretagne insulaire, se voit remettre des lettres royales chargeant Commor, qualifié « préfet du roi », de lui faire traverser la Manche (transmissus est cum regalibus litteris ad Commorum, praefectum regis, ut eum navigio transveheret ad terram suae nativitatis). Cette mission confiée par le roi franc à Commor a sûrement un contexte plus large et plus 'politique' que ne le laisse penser l'explication simpliste et d'ailleurs fallacieuse donnée par le narrateur qui écrit que «la traversée est courte entre notre Domnonée et la Bretagne ultérieure» (brevis est transitus maris inter nostram Domnoniam et ulteriorem Britanniam).
60 Il n’est peut-être pas anodin que les noms de Marc et de Withur figurent ensemble avec ceux de Gauvain ( ?) et d’Arthur dans le poème des tombeaux (Englynion y Beddau) atttribué à Taliesin ; de même, convient-il de souligner le rôle joué par le porcher de Marc, qui figure dans une Triade galloise où il est question de Marc, Tristan, Iseult et Arthur, et par celui de Withur qui, dans la vita de Paul Aurélien, fait découvrir au saint et à ses disciples le lieu de leur futur établissement.
61 CUISSARD Ch., « Vie de saint Paul de Léon… », p. 452 : Nam ex duobus pagis Agnensi Leonensique, centum numero tribus, idem rex cum titulo praescriptione in perpetuam diocesim eidem pro haereditate regni coelestis consecravit sancto, omni tamen censu regali eisdem tribubus quasi a terra in coelum translatae fuissent. ̶ On retrouve la formule in diocesim perpetuam dans de nombreuses chartes anglo-saxonnes du Xe siècle.
62 Ibidem.
63 Le calendrier à l’usage de l’abbaye de Landévennec, ms Copenhague, Bibliothèque royale, Thott 239, porte en addition au 20 août le nom de saint Philibert (Filiberti) : voir DEUFFIC J.-L., Britannia Christiana, Bibliothèque liturgique bretonne, fascicule 5 (Printemps 1985), p. 34. Une pseudo-notice du cartulaire du lieu [LE MEN R.F., ERNAULT E. (éd.), Mélanges historiques : choix de documents, t. 5 (1886), p. 558-559] mentionne la venue auprès du roi Gradlon de trois envoyés de Charlemagne, saint Florent, saint Médard et saint Philibert. ̶ L’église priorale de Lanvern, en Plonéour, dépendant de Landévennec était placée sous l’invocation de ce dernier saint.
64 POULIN J.-C., L'hagiographie bretonne…, p. 287 : « Quand il [Wormonoc] ne tombe pas carrément dans la sottise : il confond saint Philibert avec l’ “empereur Childebert”, qu’il finit par canoniser ».
65 DUMEZIL B., « La royauté franque et la christianisation des Gaules : le ‘moment' Childebert Ier (511-558) », D. Paris-Poulain, S. Combescure et D. Istria [dir.], Les premiers temps chrétiens dans le territoire de la France actuelle, Hagiographie, épigraphie et archéologie, Rennes, 2009, p. 41-49.
66 Ibidem, p. 43.
67 MERDRIGNAC B. et PLOUCHART L., « La fondation des évêchés bretons… », p. 151.
68 Ibidem, p. 153.
69 Ibid., p. 151.
70 POULIN J.-C., « Recherches récentes sur les origines du diocèse d'Alet », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 58 (1981), p.23-34, constitue à notre connaissance le plus récent état des lieux, qui mériteraient d’être revisités.
71 BOURGÈS A.-Y., « Les enclaves de Dol et les possessions de Saint-Jacut », mis en ligne le 11 février 2006, consulté le 25 août 2010. [URL : http://andreyvesbourges.blogspot.com/2006/02/les-enclaves-de-dol-et-les-possessions.html].
72 POULIN J.-C., « Hagiographie et politique. La première Vie de saint Samson de Dol », Francia, t. 5 (1977), p. 14.
73 IDEM, « Recherche et identification des sources de la littérature hagiographique du haut Moyen Âge. L’exemple breton », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 71 (1985), p. 122.
74 MERDRIGNAC B. et PLOUCHART L., « La fondation des évêchés bretons… », p. 157.
4 commentaires:
Merci, André-Yves, pour ce commentaire critique solidement étayé et document (comme à ton habitude) du volume collectif sur l’Espace du diocèse.
Tout à fait d’accord avec toi pour éviter de superposer genèse territoriale du diocèse et celle de la paroisse. Ta mise en garde sur les glissements de sens de parrochia et diocesis est en effet convaincante. Ceci pose d’ailleurs un problème de fond. Confrontés à des situations précises, les auteurs des sources canoniques du haut Moyen Age ne pouvaient se permettre de rester ambigus, sous peine de manquer d’efficacité. Mais les chercheurs actuels sont-ils équipés pour cerner les subtilités de la langue des textes qu’ils interrogent ?
Il serait à souhaiter que tous les lecteurs éventuels de la contribution à laquelle j’ai collaboré avec Mme L. Plouchart fassent montre de la même acribie que toi. On trouvera une présentation des recherches en cours de cette collègue géographe dans son article récent « Le maillage religieux de l’espace. Questions sur les territoires vécus par les fidèles catholiques », dans le numéro spécial des Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 116/3, (2009), p.141-160. En effet, le croisement de la démarche historique et des méthodes de la géographie sociale nous a semblé prometteur pour renouveler la position du problème.
Dans des sociétés rurales où la terre est l’assise du pouvoir, comment les relations entre les prélats bretons et les communautés d’immigrants (plebes) qui relèvent de leur autorité s’inscrivent-elles dans les structures politico-religieuses héritées de Rome par le pouvoir mérovingien ?
Rappelons que L. Fleuriot avançait l’hypothèse que le passage de la cité des Coriosolites sous contrôle breton aurait été la principale conséquence du traité (informel ou non ?) entre Clovis et les Bretons. Les modifications de la situation politique qui s’en sont suivis constituent sans doute une des clés de la question, comme tu le soulignes. Une thèse est en cours à Rennes 2 sur le diocèse d’Alet. Je me garderai d’empiéter prématurément sur ce terrain, même s’il est à prévoir que nos perspectives divergeront probablement, ce qui, somme toute, ne peut que faire progresser le débat.
Bernard Merdrignac
Cher M. Bourgès,
Je suis ravi de constater qu’à la suite de notre petit débat vous avez poursuivi votre réflexion sur le problème des limites des diocèses. Je n’ai malheureusement pas le temps de consacrer un long commentaire à cette notule (je viens de me voir confier l’encadrement de deux TD à la fac de Poitiers et suis en plein préparatifs) Je me contenterais de quelques rapides remarques.
Je demeure partisan de l’hypothèse de la « territorialisation » tardive des évêchés. Je concède que les passages que vous mentionnez peuvent démontrer que les évêques du haut Moyen Age avaient une idée générale de l’étendue de leurs ressorts. Doit-on pour autant penser que ces ressorts étaient parfaitement délimités ? J’en doute. Les sources témoignent de conflits entre prélats sur la détention d’églises situées aux extrémités théoriques de leurs territoires respectifs. Si débat, il pouvait y avoir sur ces lieux de culte cela prouve certes qu’on avait conscience que ces derniers se situaient dans une zone de marge, mais aussi, me semble-t-il, que les frontières n’étaient pas précisément établies.
En ce qui concerne la Bretagne, Je me pose par contre quelques questions sur l’idée que certains ploue aient pu être créées avant l’institution des évêchés. De manière générale, il me semble les théories sur les paroisses primitives bretonnes reposent sur peu de données assurées. En étant un peu dur je dirais qu’elles sont avant tout des hypothèses dérivant d’autres hypothèses.
Je note que votre suggestion sur l’origine des enclaves doloises situées aux limites de diocèses rejoint pour partie l’idée que j’ai avancée sur les cas de Locquénolé et Lanmeur.
Je confirme être séduit par l’hypothèse d’un siège d’évêché primitif à Carhaix, que vous avez défendu en juillet dernier. En l’acceptant on pourrait d’ailleurs expliquer pourquoi J.-P. le Bihan n’a pu trouver de traces d’occupation notable à Quimper pour la période située entre le IIIe et les IXe-Xe siècles. Ne peut-on pas imaginer que le site quimpérois a relayé tardivement Carhaix ? Si comme le pensent H. Guillotel et J. Quaghebeur le nom Poher désignait l’ensemble de la Cornouaille au haut Moyen Age il paraît évident que l’ancienne capitale de cité jouait un rôle majeur dans ce territoire.
Publicité pour terminer, j’annonce au lecteur éventuel de ce commentaire la parution prochaine (quand exactement je l’ignore) de mon article sur « La formation des espaces diocésains en Léon, Cornouaille et Trégor (Ve- XIIIe siècle) », dans S. BOISSELIER, F. SABATE (dir.), Le rôle des frontières dans la formation des territoires médiévaux. Cette petite réclame a toute sa place ici puisque j’y défends l’hypothèse de la territorialisation tardive des diocèses.
Bien cordialement
Régis Le Gall-Tanguy
André-Yves, Régis,
Vous me permettrez, j’espère de prendre la liberté de me mêler à votre intéressant échange qui me suggère deux remarques que je vous livre pour ce qu’elles valent.
1- S’il s’agit de constater que le concept de « frontière » dans l’Antiquité tardive et durant le haut Moyen Age n’avait pas la même portée qu’à l’époque moderne, il me semble qu’aucun historien sérieux ne peut avancer le contraire. L’absence de formation cartographique de la plupart des historiens (moi le premier) n’arrange pas les choses. Mais une fois que l’on a admis que des pointillés sur une carte ne sont qu’une convention maladroite et inadéquate et après que tout le monde ait convenu que les limites territoriales médiévales étaient poreuses, mouvantes, enchevêtrées et non pas linéaires, l’essentiel reste à faire pour comprendre comment fonctionnait ce système de délimitation et comment il a évolué.
2- Il me semble que ni André-Yves dans le compte-rendu critique qui précède, ni ma collègue et moi dans l’article en question n’avançons l’idée que « certaines ploue aient pu être créées avant l’institution des évêchés ». Au contraire, les rares textes disponibles (canons conciliaires, Excerpta de libris romanorum et francorum) et les données toponymiques laissent plutôt à penser que ces plebes d’immigrants bretons se sont insérées dans le cadre des civitates antérieures (cf. les travaux de S. Kerneis, entre autres) et que leur délimitation (selon les critères du temps qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui, bien entendu) a suscité précisément des conflits que ces textes ont sans doute pour objectif de régler. J’ajoute, pour en revenir aux diocèses que la question subsidiaire (mais essentielle) de la mise en place d’un personnel épiscopal breton passe par l’analyse des sources hagiographiques qui relève d’une méthodologie spécifique.
Bien cordialement.
B. Merdrignac
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