"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

09 octobre 2005

L'influence de l'école d'Auxerre en Bretagne au Xe siècle ; la vita de saint Gildas et celle de saint Goustan

Le dernier tome (n° 83) des Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, qui vient de paraître, contient un article de M. Raphaël Valéry sur "la bibliothèque de la première abbaye de Saint-Gildas-de-Rhuys" : travail riche, dense et fouillé, un peu conjectural parfois (mais les vrais chercheurs ont souvent l’occasion d’affronter le même amical reproche) ; nous aurons à y revenir sans doute, mais nous voulons dès à présent signaler un détail qui n’est peut-être pas inutile pour la démonstration de l'auteur.

La place des livres en rapport avec Auxerre dans la bibliothèque supposée de l’abbaye de Rhuys, dont M. Valéry dit qu'il s'agit d'un trait original de ce fonds, est peut-être à rapprocher de la formation intellectuelle de l’abbé Daoc ; celui-ci, présenté comme l’initiateur de l’exode de sa communauté en Berry, avait été en effet l’un des principaux disciples de Remi d’Auxerre (+ 908), comme il se voit dans une « Diadochè des Grammairiens », éditée par L. Delisle dans ses Notices et extraits des manuscrits de la Bibilothèque Nationale et autres bibliothèques, XXXV/1, Paris, 1896, p. 311, et citée par M. Sot dans son ouvrage Un historien et son Eglise au Xe siècle : Flodoard de Reims, Paris, 1993, p. 67, n. 58 :
Remigii porro cum plurimi extiterint successores, hi fuerunt eminentiores : Gerlannus, Senonum archiepiscopus, Uuido Autissiodorensium praesul, Gauzbertus quoque ipsius germanus, Nervernensium pontifex, Daoch quoque Brittigena, qui omnes Gallias doctrinae suae radiis inlustrarunt.

En ce qui concerne la vita de saint Gildas, nous ne sommes pas sûr, malgré le consensus des chercheurs, que cet ouvrage ait été composé par Vital. Vers 1025, on décide, « à cause de la sainteté du site, de donner la priorité à la restauration de Rhuys sur celle de Locminé, qui demeure dès lors un prieuré » (B. Merdrignac) : ce pourrait être l’époque de la composition de la vita. Un peu plus tard, probablement aux années 1060-1067, l’abbé Vital, dans un ouvrage unique [BHL 3541], aura fait suivre sa réfection de la biographie du saint d’une sorte de chronique du monastère, où il présentait à la vénération des fidèles non seulement saint Gildas (dont il signale l'invention, fort opportune, des reliques), mais aussi le restaurateur de l’abbaye, Félix, et les compagnons de celui-ci : Ehoarn, Gingurien, Goustan. La vie et les miracles de ce dernier ont, à leut tour, donné lieu à la rédaction d'un ouvrage spécifique, utilisé par Albert Le Grand et dont Du Buisson-Aubenay nous a conservé un fragment [BHL vacat] : il y est question d’Omnès, évêque de Léon dans la seconde moitié du XIe siècle, qualifié ici Oxismorum episcopus.


André-Yves Bourgès

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