Avec l’installation possible d’une statue de la soeur de Tugdual, Sève, dans le parc de la Vallée des saints à Carnoët, projet appuyé par la municipalité de Sainte-Sève
(Finistère), le
concept d’hagio-transsexualisme fait, après le cas de Trifine, l’objet d’une seconde illustration. Au demeurant, il n’y a là rien de vraiment
nouveau, car cette histoire se prolonge au moins depuis le milieu du XVIIe
siècle : comme c’était déjà la situation avec les clercs du Moyen Âge, une
ombre d’enfumage s’étend au détriment de la tradition, qui d’ailleurs s’est
toujours accommodée de tout.
Par chance, le nom porté par la commune de Sainte-Sève nous
est bien connu par un certain nombre d’attestations, dont les plus anciennes, Sentseguot ou Sentsegnot (selon les lectures) et Santhequo, – lesquelles figurent respectivement dans un acte de
1128
et dans la vita brève de Tugdual,
elle-même sans doute composée peu après ce texte auquel elle semble répondre
–, peuvent être réduites sans difficultés à la forme bretonne toujours en usage,
Sant-Seo. Or, le nom de Seuua, que porte la sœur de Tugdual dans la vita longue de ce
dernier,
– ouvrage sans doute composé au XIIe siècle
–, est philologiquement distinct de celui de Seo, lequel s’avère en outre opiniâtrement
appartenir au genre masculin comme le confirme notamment le toponyme Parc-Sant-Seo, en Melgven (Finistère).
Il convient donc de le
dire haut et fort afin d’éviter tout risque de confusion : si tant est
qu’il faille proposer à la vénération des touristes la statue d’une sainte, c’est
de Seuua qu’il convient alors de
parler ; à moins que les habitants de Sainte-Sève n’aient également en
projet d’ériger une seconde statue,
celle de leur saint éponyme, sant Seo,
projet pour lequel ils pourraient peut-être solliciter le soutien d’une certaine
marque de machines à café
Quoi qu’il en soit, l’historicité de ces personnages est
inaccessible à l’historien : s’il fallait malgré tout émettre un avis en
terme de probabilité, nous dirions que celle-ci nous semble moindre s’agissant
de Seuua, « sainte de
papier » connue par sa seule mention dans le dossier hagiographique de
Tugdual, où elle joue les utilités, comparée à Seo, certes sans attestation
littéraire, mais dont le culte est clairement inscrit dans l’hagio-toponymie
bretonne, qu’elle soit continentale, avec le village de Lanzéo, à la Chapelle-Neuve
(Côtes-d’Armor), ou insulaire, avec le manoir de Landsev, en Cornwall.
Cependant, la place dérisoire qu’elles occupent dans le
« panthéon hagiographique » breton doit évidemment encourager à
privilégier plutôt les représentations de saintes ; à Dieu ne plaise que leur
nombre limité n’ait pas pour fâcheux contre-effet de produire plus d’élucubrations encore que celles qui concernent leurs frères en hagio-marketing !
André-Yves Bourgès