"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

03 mars 2007

Saint Balai/Valai et les relations entre les abbayes de Landévennec et de Saint-Jacut-de-l’île

Un des saints honorés au Moyen Âge à l'abbaye de Landévennec, comme en témoignent les vestiges du martyrologe du lieu compilé en 1293, n’a pas beaucoup retenu l’attention des hagiologues : il s'agit de saint Balai/Valai, titulaire localement d'une chapelle dite de Saint-Balay (Dom N. Mars en 1648), Saint-Vallée (fin XVIIe siècle) et Saint-Valé en 1712. A Beuzec-Conq, où Landévennec détenait le prieuré de Concarneau, il y avait également une chapelle dite de Saint-Vallé en 1540, Saint-Valay en 1542 et Saint-Vallée en 1679. Enfin, le toponyme Lande Vallée en Pont-l’Abbé, qui nous a aimablement été signalé par M. Hervé Torchet, pourrait être également à mettre en relation avec saint Balai/Valai : c’est du moins ce que suggère l'examen des formes anciennes de ce toponyme (Lande Vallay en 1481, Lande Valay en 1494, Lande Vallée en 1833).

Saint Balai/Valai a parfois été (tardivement) identifié, mais sans aucun début de preuve, avec le sanctus Biabilius qui figure dans la charte 29 du cartulaire de Landévennec. Plus intéressant au point de vue hagio-historiographique, le culte de saint Balai/Valai à Landévennec et dans ses dépendances nous paraît constituer une nouvelle démonstration que les influences entre la vieille abbaye cornouaillaise et le monastère de Landoac [plus tard Saint-Jacut-de-l'île, dont l'actuelle commune de Saint-Jacut-de-la-mer a recueilli l'héritage] ne se sont pas exercées dans un seul sens, celui que les historiens ont longtemps privilégié, en affirmant par exemple que le dossier hagiographique des saints Jacut et Guézennec démarquait largement celui de saint Guénolé.

En l'occurrence, il semble que le culte de saint Balai/Valai a fort bien pu être acclimaté à Landévennec entre l'époque de compilation du cartulaire (milieu du XIe siècle) et celle de la compilation du martyrologe (fin du XIIIe siècle), sous l'influence de l'abbaye de Saint-Jacut-de-l'île : ce dernier monastère en effet était largement possessionné (comme il se voit dès 1163 par la bulle de confirmation donnée en sa faveur par Alexandre III) dans la région de Dinan-Ploubalay, et à Ploubalay même, dont le nom est formé avec celui de saint Balai, de même que le nom de Lanvallay à proximité, tandis qu'à Taden, on trouve le village de Saint-Valay.

(Les formes anciennes mentionnées ci-dessus sont tirées des travaux du RP Marc Simon OSB, et de MM. Bernard Tanguy et Albert Deshayes).

André-Yves Bourgès

Printfriendly