"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale." J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat...

30 décembre 2019

Effet de réel et hagiographie : quelques aspects de la question



« Il parsèmera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels, et toutefois si difficiles à imaginer, que vous serez forcé de vous dire en vous-même : Ma foi, cela est vrai : on n’invente pas ces choses-là ».
Denis Diderot

« Quoi de plus vraisemblable, en effet, et de plus crédible que ce qui est familier ? »
Danielle Van Mal-Maeder


Connu déjà des écrivains de l’Antiquité, l’effet de réel arrivait donc de loin quand Roland Barthes a forgé l’expression[1]. D’autres s’étaient précédemment efforcés de définir le procédé littéraire en question, comme nous le verrons avec Diderot et Mérimée ; mais la théorisation en est presque toujours rapportée au « docteur Bartholomeus »[2]. Aussitôt sa conceptualisation, les spécialistes de littérature ont soumis l’effet de réel à des analyses et à des discussions aussi ardues qu’ardentes, au demeurant inabouties ; mais les historiens, peut-être en raison de l’abscondité de ces débats, l’ont, dans leur grande majorité, méconnu, voire ignoré, alors même que les sources littéraires qu’ils utilisent en contiennent de nombreuses occurrences.
Les théories littéraires élaborées dans les années 60-70 ont depuis été l’objet, à leur tour, de critiques salutaires : l’effet de réel demeure un concept opératoire, mais à condition d’en sortir. Tentons d’en donner une définition qui pourrait être acceptable par les historiens : induit par la présence d’un détail familier, vrai(semblable), ou simplement ininventable[3],  ce procédé littéraire est un gage donné par l’auteur quant à l’intrication de son récit dans la réalité à laquelle il se réfère. Le destinataire du texte (auditeur ou lecteur) doit être à même d’apprécier par ses propres connaissances la valeur de ce gage : ainsi le détail qui fonde l’effet de réel doit-il participer de son environnement  immédiat, de ce qu’il connaît directement, ou du moins prochement. Voilà qui confère aux informations contenues dans ce détail un intérêt particulier pour l’historien[4]. Le recours à la couleur locale peut aussi, à l’occasion, passer pour un effet de réel ; mais il renvoie avant tout à la représentation que le destinataire du texte se fait du lieu dans lequel l’action du récit est supposée se dérouler : si donc un exotisme de pacotille pourra, en dépit d’éventuelles approximations, contribuer plus ou moins lointainement à l’effet de réel, toute erreur de nature endotique sera absolument fatale à ce dernier.
Nous verrons que le  grand historien du règne de Philippe Auguste, John W. Baldwin, s’est ainsi efforcé naguère de tirer profit de la présence d’effets de réel dans les romans de Jean Renart et de Gerbert de Montreuil pour éclairer certains aspects de la vie aristocratique en France au tournant des XIIe-XIIIe siècles[5]. Notons tout de suite que ces aspects de réalisme médiéval ne sont absolument pas exclusifs d’une dimension merveilleuse, voire surnaturelle. La thèse d’Isabelle Arseneau a fait justice de cet enchainement d’idées paresseux qui a longtemps régné chez les critiques[6] : « Ce qu’examine Arseneau », souligne Marion Uhlig dans son compte rendu de la publication de ce travail[7], « c’est la façon dont les textes jouent avec le surnaturel en truffant, parfois à l’excès, leurs intrigues de références intertextuelles qui permettent une exploitation parodique de la merveille ».

S’agissant de littérature contemporaine, Dominique Viart, pour sa part, fait remarquer  que, « dans un roman traditionnel lu au premier degré, l'effet de réel est l'inaperçu de la lecture, trop absorbée par la diégèse »[8]. Les conséquences de cette définition en creux doivent être là encore mesurées à l’aune d’une possible utilisation historienne des informations véhiculées par l’effet de réel : si celui-ci doit passer inaperçu, qu’importe que les informations données à cette occasion soient en accord ou non avec la réalité ? Mais alors quel intérêt d’employer ce procédé littéraire, qui ferait prendre de grands risques à l’auteur ? Si, dans un récit situé à Paris de nos jours, une notation au sujet d’un couple qui aperçoit la tour Eiffel depuis le bateau-mouche à bord duquel il dîne en amoureux, peut effectivement ne pas être remarquée par le lecteur pressé ou distrait, en revanche la présence des Twin Towers dans le paysage d’un récit situé à New York après le 11 septembre 2001 provoquera à coup sûr, dès qu’elle aura été repérée, la rupture immédiate et irrévocable du pacte passé avec l’auteur. En fait, peut-être convient-il de considérer l’effet de réel moins comme l’inaperçu que comme l’inconscient de la lecture, lequel peut ainsi resurgir au moment où on l’attend le moins et mettre brutalement en évidence une information jusqu’alors dédaignée.

I

Si l’effet de réel est souvent présenté comme une caractéristique du roman  français de la seconde moitié du XIXe siècle, son histoire est évidemment aussi ancienne que celle de la production romanesque, dont Thomas Pavel voit la première manifestation dans Les Éthiopiques d’Héliodore[9]. Sans parler de l’éclairage qu’ils peuvent apporter sur l’archéologie de l’art[10], les romans grecs et latins, injustement décriés par la critique, longtemps oubliés du public, récemment redécouverts pour le plaisir du lecteur et au bénéfice de l’histoire littéraire[11] témoignent déjà de la mise en œuvre de ce procédé[12]. C’est le cas en particulier des indications de nature toponymique, voire topographique, qui permettent aux auteurs d’inscrire l’action de leur récit dans un espace géographique déterminé : cet espace est romanesque par destination, mais les toponymes sont authentiques et la description des lieux, quand elle existe, est conforme à leur situation. On constate par exemple que « le Nil occupe une place de choix dans les romans grecs. Son évocation vaut pour celle de l’Égypte, lieu de passage obligé de la fiction chez Xénophon d’Éphèse, Achille Tatius et Héliodore »[13] ; cependant, si ce dernier nous offre à cette occasion une description presque hérodotienne de l’habitat des brigands locaux (les « Bouviers « ), ainsi que de leur organisation sociale, « l’évocation du delta chez Xénophon d’Éphèse se limite à la mention de noms de villes »[14].  « Chez Achille Tatius, le discours consacré au Nil est nettement plus étoffé »[15] et une certaine profusion de détails s’observe également sous la plume de cet auteur à propos de la description du double port de Sidon (l’actuel Saïda, sur la côte libanaise), par laquelle s’ouvre Leucippé et Clitophon : « Ainsi le caractère prosaïque, pratique et réaliste de ce début de roman — à la manière d'un guide — sert un effet de réel : par la description d'une ville portuaire renommée et typique, carrefour favorable aux rencontres entre voyageurs et commerçants. Même si elle est éloignée pour un lecteur grec, Sidon n'en est pas moins un territoire connu ; la mentionner revient à jouer avec les connaissances du lecteur et permet d'ancrer l'univers romanesque dans la réalité. Quoi de plus vraisemblable, en effet, et de plus crédible que ce qui est familier ? »[16].

La dimension onomastique de l’effet de réel, parfois élargie aux aspects anthroponymiques et généalogiques, est donc caractéristique des romans grecs et latins : elle va marquer définitivement ce procédé littéraire, dont elle constitue un des principaux modes de revendication de l’intrication du récit dans la réalité.

*

Après une longue solution de continuité, on assiste à l’époque du plein Moyen Âge, pour des raisons qui restent encore en grande partie à éclaircir, à la résurgence de la production romanesque ; or, à côté des hagiographes dont il sera question plus loin, les romanciers de cette époque font un usage  important de l’effet de réel : de sorte que l’on est fondé à se demander si ce procédé littéraire, outre un  marqueur, n’est pas, plus que tout autre, le principal élément  constitutif de ce type de littérature. En tout cas, c’est en raison de sa présence renforcée dans les œuvres postérieures à Chrétien de Troyes que les romans concernés se sont vus parfois qualifiés rétrospectivement « réalistes », comme ceux du XIXe siècle, par la critique traditionnelle.

A part de l’intérêt philologique de la production romanesque médiévale, l’idée n’est évidemment pas nouvelle d’utiliser ce matériau à des fins de recherche historique, non point pour y trouver des informations sur les événements et les dates, comme dans les chroniques et les annales, mais sur les institutions, les mœurs et la manière de vivre de l’époque de sa composition : avant les travaux des érudits de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on peut ainsi citer le trialogue entre Ménage, Sarasin et Chapelain que ce dernier a mis par écrit sous le titre « De la lecture des vieux romans »[17] et qui, comme l’a rappelé en 1992 Carlo Ginzburg dans une étude pénétrante[18], s’inscrivait déjà explicitement dans une telle problématique. Même s’il s’appuie sur une base documentaire plus étroite que celle de ses prédécesseurs, en particulier quand on la compare à celle de Charles-Victor Langlois[19], John Baldwin dans son ouvrage sur la vie aristocratique en France autour de l’an 1200 va plus loin dans son « choix épistémologique », qui, comme le souligne Martin Aurell[20], « aboutit à nier toute incompatibilité entre littérature et histoire, puisque les pratiques sociales imprègnent la fiction et, vice versa, la fiction influence les idéaux chevaleresques » [21]. C’est surtout par l’exploration des marges du texte que l’approche de Baldwin se distingue des autres : cet auteur considère que l’effet de réel est plus à même de rendre compte de la réalité d’une époque que le récit lui-même, dans lequel la poétisation atteint son niveau maximal comme le constate avec lui Martin Gosman[22] ; pour autant, ce dernier doute que les fictions que Jean Renart et Gerbert de Montreuil se sont efforcés « de rendre plausibles et acceptables » puissent être « historiquement exploitables »[23]. Au surplus, Gosman déplore que Baldwin n’ait pas « pris la peine de réfléchir vraiment sur les problèmes qu'il discute » ; mais les aspects méthodologiques ne sont pas atteints par ces réserves, puisque le critique convient que l’auteur « a raison de dire que ce qui se trouve ‘’en marge’’ est sans doute moins travaillé et moins suspect »[24]. En fait, il n’est pas impossible que les écrivains dont Baldwin a retenu les œuvres pour lui servir de documentation, ne se soient quelquefois amusés, au-delà même de la parodie, à créer de pseudo-effets de réel[25] ; ils auront été suivis sur cette voie par l’auteur d’Amadas et Ydoine, où « la fausse mort d'Ydoine est traitée selon un mode narratif très détaillé, surchargé de détails annexes. Si bien que le thème de la fausse mort suscite plus d'informations et produit plus de richesses textuelles que la mort réelle. Le paradoxe n'est qu'apparent, car la représentation littéraire du faux, du simulacre, nécessite un renforcement des effets de réel ! Plus le texte ment, plus il doit avoir l'air de dire vrai »[26].  La mise en œuvre de ces  pseudo-effets de réel par les romanciers médiévaux pour potentialiser leurs fictions doit évidemment attirer l’attention des historiens sur une utilisation trop confiante des informations procurées par ce procédé littéraire : en la circonstance, le romanesque ayant repris tous ses droits, c’est bien dans une perspective littéraire que les données en question doivent être examinées et analysées ; mais elles n’en forment pas moins une documentation de nature historique, comme dans le cas d’une charte interpolée, voire entièrement forgée, laquelle est susceptible de mieux nous renseigner que l’acte authentique sur la situation qu’elle décrit[27].

A l’instar de leurs ancêtres antiques, l’originalité des romans médiévaux dits réalistes, comme le souligne Lydia Louison, – qui pour sa part préfère la dénomination « romans de style gothique », – « réside bien sûr dans la création d'un espace romanesque fondé sur l'emploi massif, et presque exclusif, de toponymes authentiques, dont la plénitude sémantique est synonyme d'effet de réel » [28].  Par ailleurs, le passage du vers à la prose, – comme c’est par exemple le cas, dès le XIIIe siècle, avec le Lancelot et, encore au XVe siècle, avec le Roman de Guillaume d’Orange, « dernier avatar du cycle épique du très illustre Guillaume d’Orange »[29], – a beaucoup contribué à son renforcement. Dans le cas du Lancelot, la mutation formelle s’est même accompagnée, comme le montre Stéphanie Perrais[30], d’un processus d’enrichissement du texte d’un double point de vue explicatif et descriptif, qui témoigne d’une volonté de rationalisation, également présente à la même époque dans les textes hagiographiques :
« Le Lancelot en prose relève d’un type d’écriture beaucoup plus réaliste que celle de Chrétien de Troyes. Certains détails sont maintenant incorporés et n’ont d’autre but que de rendre la description réaliste. Le texte explique ainsi qu’il faisait froid car c’était le mois de septembre (Lancelot du Lac, Vol. 2, 365), ou il s’attarde sur la description en longueur de l’attirail du cheval d’Yder : « Ne tan com an porta a ce tans ces covertures n’estoient eles se de cuir non ou de drap, ce tesmoignent li droit conte, por ce que plus anduroient » (Lancelot du Lac, Vol. 2, 531). La description du cachot où est retenu Gauvain est également très réaliste (Lancelot du Lac, vol. 4, 125).
Ces descriptions n’ont cependant pas de fonction dans la narration, ce sont des éléments superflus, qui n’ont finalement d’autre but que le réalisme. Ils correspondent à ce que Roland Barthes appellera ‘’l’effet de réel’’ dans l’article éponyme. Barthes propose qu’au réalisme moderne s’oppose le vraisemblable ancien, mais la fonction des détails vus ci-dessus est finalement vraiment celle d’un effet de réel. Cette attirance envers un certain réalisme est d’ailleurs visible ailleurs dans la narration, en rapport avec la réécriture de certains épisodes de Chrétien de Troyes qui sont maintenant rationalisés. Alors que la mort de Galehaut est finalement inattendue et brutale, le texte semble vouloir l’ancrer légèrement dans la rationalisation en expliquant son état de faiblesse, dû notamment à une saignée qu’on lui avait faite (Lancelot du Lac, vol. 2, 682) » [31].

On notera en revanche que le récit fabliauesque, y compris dans ce qui peut apparaître comme sa « voie moyenne », – c’est-à-dire quand on le considère, à la suite d’Isabelle Delage-Béland, comme étant «  ni fable, ni estoire » [32], – n’a pas fait  l’objet des mêmes discussions sur son éventuel réalisme, alors même que son témoignage a souvent été invoqué pour reconstituer fallacieusement des tableaux de la vie quotidienne à l’époque médiévale[33]. Le débat n’est cependant pas clos s’agissant de l’emploi par ses auteurs de l’effet de réel, dont on vient de dire qu’il appert d’autant plus nécessaire au récit que ce dernier emprunte à la fiction. Sur le versant hagiographique, les recueils de Miracles mariaux devraient également faire en parallèle l’objet de recherches[34]. Le plus célèbre de ces ouvrages, composé par Gautier de Coinci, rapporte des anecdotes qui ont une coloration peu différente de celle des fabliaux : on voit par exemple la Vierge se déguiser en nonne et, pendant plusieurs années, prendre la place de la sacristine d'un couvent qui s'était enfuie pour suivre un séducteur ; ou bien, à l’instar d'une sage-femme, aider à la délivrance d’une abbesse qui se trouvait enceinte, puis faire porter le nouveau-né par des anges dans la cellule d'un ermite. Plusieurs anecdotes rapportées par Gautier se retrouvent également dans les recueils d’exempla utilisés par les prédicateurs pour illustrer leurs sermons : ainsi celle où Marie s'oppose à la consommation du mariage d'un jeune homme qui, par jeu, avait mis une bague au doigt d'une statue la représentant. Cette histoire, qui figure déjà chez Guillaume de Malmesbury, dans son De Gestis pontificum Anglorum (vers 1120), a influencé la nouvelle de Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille. Elle témoigne de l’importance de l’effet de réel, même – et peut-être surtout – en présence du surnaturel[35].

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Si toute une partie de la tradition littéraire ultérieure a proscrit le détail inutile, l’effet de réel s’aperçoit à nouveau avec le « chat jaune » de l’abbé Seguin[36], dans l’avertissement placé en tête de la Vie de Rancé, parue en 1844, monument singulier dont Chateaubriand indique explicitement qu’il a été bâti à la mémoire de son confesseur[37]. Or, pour Barthes, dans sa préface à la réédition de cet ouvrage[38], « loin de participer de l'illusion réaliste, le chat surnuméraire […]… vaudrait tour de passe-passe et geste d'enchantement, bascule du champ historique au champ poétique, et emblème d'une biographie rendue impossible par la littérature »[39] ; ainsi prête-t-il à l’animal des caractéristiques qui s’apparentent aux éléments constitutifs d’une sorte de  portrait chinois de l’abbé Seguin (Si c’était un animal ? – Ce serait un chat trouvé, disgracié par son pelage jaune), tout en soulignant que Chateaubriand, par le recours à ce détail chromatique, en aurait dit à la fois plus et moins que l’adjectif utilisé[40]. Barthes va même jusqu’à déclarer, un peu à l’emporte-pièce : « Peut-être ce chat jaune est-il toute la littérature »[41]. Comme le fait remarquer, pince-sans-rire, Michel Charles : « C’est tout de même beaucoup… » [42]. Voilà comment une notation qui, indiscutablement, correspond à la définition de l’effet de réel se voit détournée de son propos par le principal théoricien de ce procédé littéraire. Franc Schuerewegen enfonce le clou : « Barthes est fasciné par ce chat pour une raison paradoxale : il n’a rien à dire à son sujet. Le chat est simplement là, il n’y a rien à interpréter. Or parce qu’il n’y a rien à interpréter, Barthes, qui veut quand même avoir son mot à dire, s’en sort par une boutade. Le chat, qui ne signifie rien, signifie tout : « Peut-être ce chat est-il toute la littérature ». Toute la littérature, c’est beaucoup pour un seul chat ! C’en est même un peu trop, à mon humble avis… » [43]. En tout état de cause, la couleur incongrue du félin se trouve être la même que celle de la monture du jeune D’Artagnan dans le roman Les trois mousquetaires, publié par Dumas la même année ; mais ici, l’effet de fiction est immédiatement perceptible par le destinataire du texte.

Surtout, on voit à la même époque, avec un auteur comme Mérimée, l’effet de réel briller d’un éclat particulier dans l’écriture de textes à connotation fantastique, dont il constitue l’un des procédés essentiels. Non content d’en faire la démonstration à l’occasion de l’écriture de ces véritables chefs-d’œuvre que sont La Vénus d’Ille ou Lokis, ou bien dans des textes aux ambitions plus modestes (Il vicolo di Madama Lucrezia et Vision de Charles XI), sans parler d’œuvrettes comme La Chambre bleue, Mérimée, dans sa correspondance, indique avec vivacité et efficacité comment il convient de s’y prendre pour aboutir à un tel effet ; ce texte est extrait d’une lettre adressée au fils de sa maîtresse, Edouard Delessert  :
« Lorsqu'on raconte quelque chose de surnaturel, on ne saurait trop multiplier les détails de réalité matérielle. C'est là le grand art de Hoffmann dans ses contes fantastiques. Rappelez-vous les Allemandes que vous avez vues, ou plutôt une Allemande, comment elle tricotait, si c'étaient des bas blancs ou noirs, comment elle arrangeait sa table à thé, n'oubliez ni le pain ni le beurre. Tâchez en quelques mots de fixer le lieu de la scène, ici la table, là la cheminée, la porte en face, les chaises disposées de telle ou telle manière, etc. Rabelais dit qu'il faut toujours mentir en nombre impair. C'est une grande leçon qu'il donne aux romanciers »[44].

Vingt ans plus tard, la même référence à Rabelais et le même constat que la  dimension surnaturelle d’un récit se verra renforcée par l’emploi de l’effet de réel, pour autant que ce dernier s’appuie sur un trait particulier, se lisent à nouveau dans le portrait littéraire que Mérimée dresse de Pouchkine :
« C’est dans les récits de cette nature que j’admire surtout sa sobriété et l’art qu’il met à choisir les traits les plus frappants en négligeant maint détail qui nuirait à l’illusion. En effet, un peu d’obscurité est toujours nécessaire dans une histoire de revenants. Remarquons encore qu’il y a dans toutes un trait qui frappe et qu’on n’oublie plus : trouver le trait qu’il faut, c’est là le problème à résoudre. Dans un certain château du nord de l’Angleterre, les hôtes qui vont gagner leurs chambres après minuit n’entrent pas plutôt dans un certain corridor, qu’ils entendent les pas de quelqu’un qui les suit, marchant avec des mules. On se retourne. Personne. Ces mules ne sont pas là pour rien ; l’inventeur de l’histoire a bien senti que des bottes ou des souliers ne feraient pas le même effet. Tout gros mensonge a besoin d’un détail bien circonstancié, moyennant quoi il passe. C’est pourquoi notre maître Rabelais a laissé ce beau précepte : ‘’qu’il faut mentir par nombre impair’’. Si le choix du détail est malheureux, il n’y a plus d’illusion. Un matelot racontait qu’il avait vu le fantôme de son capitaine, tué quelques jours auparavant : ‘’Il sortait de la grande écoutille avec son chapeau à trois cornes… — Conte cela aux soldats, dit un de ses camarades. On voit bien souvent des fantômes, mais jamais en chapeaux à trois cornes’’ » [45].

On observera que l’effet de réel est ici rapproché du mensonge, de la tromperie, comme l’avait déjà fait Diderot, quatre-vingts ans auparavant, à propos du savoir-faire du  « conteur historique » :
« Celui-ci se propose de vous tromper ; il est assis au coin de votre âtre ; il a pour objet la vérité rigoureuse ; il veut être cru ; il veut intéresser, toucher, entraîner, émouvoir, faire frissonner la peau et couler les larmes ; effet qu’on n’obtient point sans éloquence et sans poésie. Mais l’éloquence est une sorte de mensonge, et rien de plus contraire à l’illusion que la poésie ; l’une et l’autre exagerent, surfont, amplifient, inspirent la méfiance : comment s’y prendra donc ce conteur-ci pour vous tromper ? Le voici. Il parsèmera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels, et toutefois si difficiles à imaginer, que vous serez forcé de vous dire en vous-même : Ma foi, cela est vrai : on n’invente pas ces choses-là. C’est ainsi qu’il sauvera l’exagération de l’éloquence et de la poésie ; que la vérité de la nature couvrira le prestige de l’art ; et qu’il satisfera à deux conditions qui semblent contradictoires, d’être en même temps historien et poëte, véridique et menteur.
Un exemple emprunté d’un autre art, rendra peut-être plus sensible ce que je veux vous dire. Un peintre exécute sur la toile une tête ; toutes les formes en sont fortes, grandes et régulières ; c’est l’ensemble le plus parfait et le plus rare. J’éprouve, en le considérant, du respect, de l’admiration, de l’effroi ; j’en cherche le modèle dans la nature, et ne l’y trouve pas ; en comparaison, tout y est faible, petit et mesquin. C’est une tête idéale ; je le sens ; je me le dis... Mais que l’artiste me fasse apercevoir au front de cette tête une cicatrice légère, une verrue à l’une de ses tempes, une coupure imperceptible à la levre inférieure, et d’idéale qu’elle étoit, à l’instant la tête devient un portrait ; une marque de petite vérole au coin de l’œil ou à côté du nez, et ce visage de femme n’est plus celui de Vénus ; c’est le portrait de quelqu’une de mes voisines » [46].


II
L’hagiographie latine « ne constitue pas un genre littéraire particulier »[47] : il s’agit plutôt d’un « type de littérature »[48], dont la généalogie, – fort ancienne puisqu’elle remonte d’un côté à la tradition romaine, de l’autre aux textes néo-testamentaires, canoniques ou apocryphes, – demeure embrouillée ; de par les réécritures dont ses productions ont fait l’objet sur la longue durée, son développement s’avère moins vertical et linéaire que rhizomique ; le terme lui-même (qui signifie littéralement « écriture sainte ») a été forgé tardivement pour rendre compte d’une production abondante et disparate à double fonction ou plutôt, devrait-on dire, à double détente, historique et liturgique. Toute définition précise se révèle impossible, d’autant que chaque hagiologue a la sienne[49] ; mais l’on pourra sans doute s’accorder au moins sur la dimension littéraire du matériau hagiographique[50], ce qui au passage exclut les procédures de canonisation, à ranger strictement dans « l’universel reportage » mallarméen[51]. De plus, nous suggérons que le terme hagiographie soit réservé aux seuls textes se rapportant à des saints dont l’historicité est inaccessible ; pour les autres, nous préconisons d’employer le terme hagiobiographie[52]. De telles distinctions, qui peuvent sembler excessivement subtiles[53], se révèlent pourtant nécessaires quand on veut rendre compte de l’ambiguïté des textes concernés sur le plan historique : pour l’avoir longtemps méconnu, les médiévistes ont été souvent décontenancés par des informations qui, du fait de leur fréquente dimension de lieu commun, leur semblaient irrecevables ou bien dérisoires ; or ni l’un ni l’autre de ces qualificatifs ne sont véritablement pertinents en l’espèce.

Par ailleurs, le traitement des sources concernées ne doit pas se réduire, comme l’a bien montré Sébastien Fray, à une sorte de « picorage documentaire »[54]. Dans le but de prévenir ce type d’approche trop restrictive, il convient même que certaines problématiques soient traitées exclusivement du point de vue de la production hagiographique disponible, plutôt que de sur-solliciter une documentation diplomatique qui, en dehors des collections de chartriers, se révèle parfois chiche et chétive[55] : si nous avons le plus souvent affaire, comme nous le pensons, à de véritables « œuvres à thèse », structurées par une logique interne, alors il faut accepter de jouer le jeu du texte pour mieux repérer sous la plume de l’hagiographe les articulations subtiles entre rhétorique et mémoire ; l’exégèse croisée des ouvrages dont il s’agit permettra ensuite de formuler des conjectures éclairantes sur les raisons et les circonstances de leur composition, sur la manière dont ils s’inscrivent dans la problématique en question, ainsi que sur les motivations profondes de l’écrivain.

*

On sait l’importance en Bretagne pour l’histoire régionale de la production hagiographique médiévale : désormais mieux connu, grâce à un examen approfondi, minutieux, voire pointilleux des textes[56], (ré)introduit de plein droit dans le domaine de la littérature, sans pour autant être exclu de celui de l’universel reportage, le matériau issu de cette production fait l’objet, depuis bientôt quatre décennies, d’un constant renouvellement de son utilisation, à l’origine de résultats très intéressants, en particulier dans le champ de l’histoire culturelle et sociale[57]. Or, à l’instar de ce qui s’observe chez les auteurs des Évangiles[58], dont l’hagiographe emprunte souvent la matière pour construire son propre schéma miraculaire, on constate dans la production hagiographique la mise en œuvre d’effets de réel[59] qui, là encore, découle notamment du recours à la toponymie et à la topographie : ainsi le modèle d’œuvre hagiographique bretonne par excellence, la vita, – les recueils de miracula et les récits de translationes sont rares en Bretagne, pour des raisons qui tiennent précisément au déficit régional de reliques[60], – apparait-il avant tout comme « un texte tissé de lieux »[61]. Les mentions toponymiques d’une vita servent à inscrire l’histoire du saint dans l’espace géographique dessiné par ses lieux de culte et de dévotion ; fréquemment, des gloses étymologiques, – expliquant le breton par le latin ou réciproquement, – permettent de nourrir sa légende au second degré, en particulier ce qui concerne le détail de ses déplacements supposés et les miracles opérés dans ces circonstances[62]. Il est aussi parfois question des lieux supposés d’embarquement et de débarquement qui jalonnent l’éventuel périple nautique du saint[63]. D’autres mentions enfin concernent ce que l’on pourrait décrire comme le proto-réseau portuaire breton : en effet, au-delà de leur possible familiarité personnelle avec l’horizon marin, le littoral, ou encore la ria, les hagiographes qui travaillent dans les « écritoires » épiscopaux ou monastiques de Dol, Alet, Saint-Jacut, Léhon, Tréguier, Saint-Pol-de-Léon, Landévennec, Quimper, Quimperlé ou encore Rhuys, se trouvent presque tous, pour ainsi dire, dans une position de « riverain », ce qui n’est sans doute pas sans influencer sur leur propos quand ils ont à traiter des éventuels rapports du saint avec les aspects maritimes et fluvio-maritimes[64].

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Les gloses toponymiques dont il vient d’être question s’inscrivent dans un dispositif plus large qui contribue à renforcer un autre effet de réel, à savoir la manière dont les hagiographes présentent leurs sources sous la forme d’un manuscrit délabré, – quo quidem libello prae nimia vetustate marcido et in margine paginae exterius putrefacto, nous indique l’auteur de la vita de Jacut et Guézennec, –  et/ou d’un texte en langue étrangère. Celle-ci, barbare, c’est-à-dire vernaculaire, a généralement été considérée par la critique comme étant du britonnique. Léon Fleuriot[65] supposait ainsi l’existence de Vies de saints écrites en vieux-breton, notamment dans le cas de Brieuc[66] et de Tugdual[67], dont on connaît par ailleurs la « proximité » [68], ou bien encore dans celui de Gurthiern, dont la « vie paraît traduite, de fort près, d’un original en vieux-breton. Gurthiern (p. 43) tue le fils de sa soeur ‘’nesciebat enim esse amicum sibi’’. En fait, il s’agit d’un parent et non d’un ami, mais car avait le sens d’ami et de parent, d’où le contresens »[69] ; mais si, justement, l’hagiographe connaissait le breton qu’il traduisait en latin, comment a-t-il pu commettre un tel contresens ? La description de ces ouvrages peut tout aussi bien renvoyer à des textes surchargés d’hispérismes, que les hagiographes du Moyen Âge central, – c’est précisément l’époque de la composition des vitae de Brieuc, de Tugdual et de  Gurthiern, – ont adaptés au goût de leur temps. Joseph-Claude Poulin souligne que l’auteur de la vita moyenne de Tugdual « se fait l'écho d'une tradition (chap. 3) selon laquelle Tutgual aurait porté le titre de Papbu, qu'il rend vaillamment par ‘’pape’’ ; à partir de là, il imagine que son héros fit un voyage à Rome où il fut élu pape et occupa le trône de saint Pierre pendant deux ans (chap. 6). Une méprise de ce calibre montre assez que l'hagiographe n'entendait rien aux langues celtiques et qu'il aurait été bien en peine d'utiliser une Vie irlandaise, même s'il en était tombé une entre ses mains »[70]. Il importe donc de bien distinguer entre les traditions relayées par l’hagiographe (par exemple le surnom de Pa(p)bu attribué à Tugdual, qui est un souvenir de l’époque où le titre de papa était accordé à tous les évêques) et les inventions qui caractérisent sa démarche de création littéraire (en l’occurrence le pontificat romain du saint, sous le nom de Leo Britigena, forgé à partir d’éléments épars, tirés notamment du Liber pontificalis). Comme l’a montré Hubert Guillotel[71], la vita moyenne de Tugdual, qui conserve des traces d’un formulaire de rédaction de chartes[72] et dans laquelle l’hagiographe fait jouer un rôle d’importance à Aubin[73], a vraisemblablement été composée par Martin, clerc angevin devenu évêque de Tréguier probablement avant novembre 1054[74] et incontestablement avant février 1056[75]. La mort de ce prélat est mentionnée dans l’obituaire de la cathédrale d’Angers avec sa double qualité de chanoine du lieu et d’évêque de Tréguier, à la date du 8 octobre, hélas sans mention de millésime[76] ; mais nous savons qu’en 1086 Martin avait été remplacé sur le siège de Tréguier par un certain Hugo[77]. Compté en mars 1053 encore au nombre des clercs de Saint-Maurice[78], Martin appartenait apparemment à une vieille famille d’Angers qui a donné plusieurs membres du personnel ecclésiastique local[79], ce qui a priori exclut qu’il ait pu avoir une connaissance suffisante du vieux-breton ou de toute autre langue celtique : ainsi, en nous présentant sa source comme une Vie du saint « écrite dans la langue barbare des Scots » (vita ipsius barbarica Scotigenarum lingua descripta)[80], il utilise à fond l’effet de réel, à l’instar de ce qui s’observe chez tous les pseudo-traducteurs[81].

L’effet de réel se confond parfois avec le phénomène de rationalisation dans le traitement des thèmes hagiographiques traditionnels, qui, pour Bernard Merdrignac, caractérise les vitae des XIIe-XIIIe siècles[82] : ainsi, dans la vita de Ninnoc, c’est tout simplement au passage d’une rivière, et non plus de façon miraculeuse, qu’une meute de chiens lancée à la poursuite d’un cerf perd la trace de l’animal, qui s’est réfugié dans le monastère de la sainte[83]. Merdrignac fait également observer une diminution drastique du nombre de visions dans la production hagiographique bretonne à partir du XIIe siècle[84] : peut-être ce comptage pourrait-il être affiné grâce à une chronologie plus précise des textes concernés ; mais il n’en serait pas significativement modifié. Des exemples d’explication rationnelle figurent aussi dans les chroniques monastiques extérieures à la Bretagne où les reliques de saints bretons avaient été transférées avec leurs « modes d’emploi ». Si le chef de Paul Aurélien présentait à l’arrière une trace d’usure, c’est parce qu’au temps où il était « porté dans une châsse, il y frottait la cloche de Marc, roi autrefois »[85], rapporte la chronique de Saint-Florent de Saumur, qui souligne que cette particularité avait permis, sous l’abbatiat de Robert, de démontrer l’authenticité de la relique[86] : nous sommes loin de la marque miraculeuse du doigt de l’Archange sur le crâne d’Aubert, fondateur du Mont-Saint-Michel.

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A la fin du Moyen Âge, on note que les sermons en langue vernaculaire empruntent de plus en plus souvent leur matière aux recueils d’exempla[87]. Cette démarche s’avère précoce, car elle est recommandée par Guibert de Nogent, Alain de Lille, Jacques de Vitry, Humbert de Romans, Bonaventure de Bagnoregio[88] : il est vrai que l’exemplum plaît particulièrement aux laïcs[89]. En Bretagne, nous savons qu'Yves de Kermartin, – le futur saint Yves de Tréguier, – avait composé un exemplier hagiographique[90], pour nourrir ses nombreuses prédications ; le récit de sa propre vie s’est vu lui aussi enrichi de nombreuses anecdotes apocryphes, – du moins sont-elles absentes de l’enquête préalable à sa canonisation,  – d’autant plus marquées par l’effet de réel qu’elles sont généralement mises en relation avec l’action que l’official de Tréguier avait menée au quotidien en faveur de la justice. On peut notamment mentionner l’historiette bien connue d’un riche particulier « qui assigne, un jour, devant lui, un pauvre, son voisin, pour en obtenir une indemnité, attendu, disait-il, que le voisin ne subsistait que de l'odeur de sa cuisine. St. Yves déclara que rien n'était plus juste ; et, pour accorder les parties, il prit une pièce de monnaie qu'il fit tinter à l'oreille du riche, en lui disant que le son payait l'odeur : ‘’c'est du vent que j'ay prins, duquel mesme je vous en paye : sic ars deluditur arte’’ »[91]. Bruit et odeur[92], de même que paroles et gestuelle[93], font entrer de plain-pied le destinataire du texte dans une ambiance réaliste, qui, sans doute, ne devait pas, en l’occurrence, être trop éloignée de celle des étals des marchands de Tréguier à l’époque, encore que cette histoire et sa morale appartiennent à une tradition dont le saint est exclu[94] ; mais c’est une autre anecdote dont l’action se situe cette fois à Tours, – métropole ecclésiastique, où Yves de Kermartin était souvent amené à se déplacer pour les affaires de son diocèse, – qui permet de dresser aux yeux du public le tableau d’une véritable activité urbaine, cosmopolite[95], où se distinguent, à l’occasion de leur passage, des professionnels de la tromperie. Cauteleux, habiles à user des procédures juridiques pour renforcer leurs chausse-trappes, ces malfaisants s’efforçaient d’extorquer les maigres biens de ceux qui ne savaient ou ne pouvaient se défendre ;  ou bien qui, défendus, l’étaient mal, dans un système où les hommes de loi, juges, avocats, sergents, procureurs, recors, etc., étaient avant tout soucieux de s’enrichir aux dépens des justiciables, – si du moins il faut en croire l’épigramme
Sanctus Ivo erat brito
Advocatus sed non latro
Res miranda populo[96].

L’anecdote de la « bougette », comme elle est souvent appelée, – le mot bougette désigne une sacoche généralement de cuir, parfois fermée à clé, dans laquelle on serrait son argent et ses titres les plus précieux lors d’un voyage, – met en scène une veuve tenant pension à Tours, victime de deux malfrats qui croient imparable le stratagème échafaudé à son encontre ; mais c’est sans compter sur l’astuce toute trégoroise d’Yves de Kermartin qui, les prenant à leur propre piège sur le terrain juridique qu’ils ont imprudemment choisi, peut démonter sans peine les ressorts de leur machination et libérer l’hôtesse de la menace qui pesait sur elle  : là encore le récit, tel qu’il nous a été transmis par Alain Bouchart aux toutes premières années du XVIe siècle[97], s’avère particulièrement vivant, tout à la fois incarné et implanté, ce qui renforce son effet de réel, sans pouvoir décider s’il se rapporte effectivement au futur saint.

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En résumé, l’auteur de récits hagiographiques, à l’instar de celui de romans par exemple, fait appel à l’effet de réel quand il s’agit de garantir la conformité du contexte de ces récits avec la réalité connue de leurs destinataires : comme l’écrit Sébastien Fray, « il s’agit de notations – souvent de détail – qui n’apportent rien à la progression narrative du récit, mais qui permettent de suggérer au lecteur que le contenu de ce qu’il lit s’inscrit bien dans la réalité »[98]. Ce procédé peut s’avérer moins rassurant que déstabilisant quand il vient, comme c’est souvent le cas, conforter l’irruption du surnaturel dans le quotidien du destinataire du texte ; mais il fournit à cette occasion des éléments d’information à l’historien que ce dernier serait bien en peine de trouver  dans les actes de la pratique, ou dans les productions à vocation annalistique ou chronistique : aussi plaidons-nous  résolument pour leur prise en considération du point de vue de l’histoire culturelle et sociale.


André-Yves Bourgès


[1] Roland Barthes, « L'effet de réel », Communications, 11 (1968), p. 84-89.
[2] C’est sous ce nom, partagé avec deux autres protagonistes, que Barthes apparaît dans L’impromptu de l’Alma, pièce d’Eugène Ionesco, créée en 1956, qui constitue une satire de la critique théâtrale, et plus particulièrement de la « nouvelle critique ».
[3] Cet adjectif est présent dans la deuxième édition de l’ouvrage de Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers, Enrichissement de la langue française. Dictionnaire de mots nouveaux, Paris, 1845, p. 347. On le retrouve à plusieurs reprises chez André Gide, dont on connaît le goût pour la néologie.
[4] Sébastien Fray, « L’exploitation de sources hagiographiques en histoire sociale du haut Moyen Âge », La société au miroir du discours hagiographique, Montréal, 2016 (Cahiers d’histoire, 34), p. 65-88  (voir p. 84 : « Toutefois de nombreux détails très précis ne jouent qu’un rôle accessoire dans l’économie du récit. Ils relèvent plutôt d’une volonté des hagiographes de chercher à convaincre leur public par la production d’effets de réel. Ces auteurs composant à propos de faits récents pour un public local contemporain et bien informé, les effets de réel qu’ils cherchent à susciter confèrent nécessairement une historicité non négligeable au texte hagiographique »).
[5] John W. Baldwin, Aristocratic Life in Medieval France. The Romances of Jean Renart and Gerbert de Montreuil, 1190-1230, Baltimore & London, 2000.
[6] Isabelle Arseneau, D’une merveille l’autre. Ecrire en roman après Chrétien de Troyes, thèse de doctorat soutenue à l’université de Montréal (2007), en ligne https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/18232/Arseneau_Isabelle_2007_these.pdf (consulté le 29 décembre 2019).
[7] Marion Uhlig, « Isabelle Arseneau, Parodie et merveilleux dans le roman dit réaliste au XIIIe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2012, en ligne http://journals.openedition.org/crm/13221 (consulté le 29 décembre 2019).
[8] Dominique Viart, « Le divertissement romanesque, Jean Echenoz et l'esthétique du  dégagement », Christine Jérusalem et Jean-Bernard Vray (dir.), Jean Echenoz: « Une tentative modeste de description du monde », Saint-Etienne, 2006, p. 249.
[9] Thomas Pavel, La pensée du roman, Paris, 2003.
[10] Alexandre Farnoux, « L'art dans les romans grecs », Les Personnages du roman grec. Actes du colloque de Tours, 18-20 novembre 1999, Lyon, 2001 (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique, 29), p. 219-231.
[11] Voir, sous la direction de Romain Brethes et Jean Philippe Cuez, l’édition, préfacée par Barbara Cassin, des sept principaux  Romans grecs et latins  (Chariton, Callirhoé ; Xénophon d'Éphèse, Les Éphésiaques ; Pétrone, Satiricon ;  Achille Tatius, Leucippé et Clitophon ;  Apulée, Les Métamorphoses ; Longus, Daphnis et Chloé ;  Héliodore, Les Éthiopiques), avec des traductions nouvelles de Dimitri Kasprzyk, Liza Méry, Danielle Van Mal-Maeder), Paris, 2016. Cet ouvrage a fait l’objet de recensions enthousiastes par Vincent Azoulay, Camille Luscher, Thomas Mahler, Fabienne Pascaud et Baptiste Touverey.
[12] Il apparaît également sous la plume du pseudépigraphiste, auteur de la lettre XIII de Platon au tyran Denys de Syracuse, qui « frappe par son opiniâtreté à passer pour authentique par l’usage systématique du ‘’petit fait vrai’’, qui fonctionne comme un topos » : Régis Burnet, Épîtres et lettres. Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 274-276.
[13] Louise Plazenet, « Le Nil et son delta dans les romans grecs », Phoenix, vol. 49 (1995), n°1, p. 5
[14] Isabelle Perez, Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien, mémoire de recherche pour le Master 2 Lettres et Arts, spécialité « Langues et civilisations de l’antiquité », sous la direction de Françoise Létoublon, Université de Grenoble 3, 2013 (dactylographié), p. 52.
[15] L. Plazenet, « Le Nil et son delta… », p. 9.
[16] D. Maeder, « Au seuil des romans grecs : effets de réel et effets de création », H. Hofmann (éd.), Groningen Colloquia on the Novel,  vol. 4, Groningen, 1991, p. 4-5.
[17] Jean Chapelain, « De la lecture des vieux romans », Pierre-Nicolas Desmolets, Continuation des mémoires de littérature et d’histoire, t. 6, partie 1,  Paris, 1728, p. 281-342.
[18] Carlo Ginzburg, « Paris 1647 : un dialogue entre fiction et histoire », en ligne http://www.vox-poetica.org/t/articles/ginzburg2011.html (consulté le 29 décembre 2019). [« Cet article de Carlo Ginzburg est extrait de l'ouvrage Le Fil et les traces, publié aux Éditions Verdier en septembre 2010 (traduction de Martin Rueff). Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'éditeur »].
[19] Charles-Victor Langlois, La société française au XIIIe siècle d'après dix romans d'aventure, Paris, 1904.
[20] Martin Aurell, « CR de John W. Baldwin, Aristocratic Life in Medieval France. The Romances of Jean Renart and Gerbert de Montreuil 1190-1230 », Revue Historique, n° 621 (2002), n°2, p. 157-159.
[21] Ibidem, p. 157.
[22] Martin Gosman, « CR de John W. Baldwin, Aristocratic Life in Medieval France. The Romances of Jean Renart and Gerbert de Montreuil 1190-1230 », Revue belge de philologie et d'histoire, t. 81 (2003), n°2, p. 483-486 (voir p. 485).
[23] Ibidem, p. 486.
[24] Ibid., p. 485.
[25] Colette Van Coolput-Storms, « Des effets de réel aux effets de fiction: portrait de l'empereur Conrad en héros romanesque », Yasmina Foehr-Janssens, Jean-Claude Mühlethaler, Barbara Wahlen & Alain Corbellari (éd.), Mythes à la cour. Mythes pour la cour, Genève, 2010, p. 279-291 (voir p. 284 : « Jean Renart s’amuse ici avec de faux effets de réel: il glisse dans son texte des détails très concrets (la lettre au sceau plaqué, le couteau), renvoie implicitement à des pratiques en usage (un sceau combinant l’or et la cire) ; de ces petites touches accumulées surgit une combinaison improbable, flirtant avec le réel sans se confondre avec lui. En entendant parler d’une lettre scellée avec de la cire comprenant néanmoins une plaquette en or avec un roi à cheval, le public devait percevoir au-delà des effets de réel des ‘’effets de fiction’’. Au fond, on retrouve la technique que Jean Renart exploite pour le compte rendu du tournoi de Saint-Trond, où il énumère des personnages historiques, bien réels, mais qui n’ont pu se trouver tous là en même temps ») ; Francis Gingras, « Roman contre roman dans l’organisation du manuscrit du Vatican, Regina Latina 1725 », Babel, 16 (2007), p. 61-80, en ligne http://journals.openedition.org/babel/692 (consulté le 29 décembre 2019) : « Loin de participer à un “effet de réel”, comme on l’a beaucoup trop écrit au sujet de Jean Renart, la procédure judiciaire se signale par son archaïsme et contribue à séparer le temps du récit et le temps de la lecture ».
[26] Francis Dubost, « D'Amadas et Ydoine à Jehan et Blonde. La démythification du récit initiatique », Romania, t. 112 (1991), n°447-448, p. 361-405 (voir p. 396). Cette position prend subtilement l’exact contrepied de la « règle » édictée par Wolfgang Speyer, Die literarische Fälschung im heidnischen und christlichen Altertum. Ein Versuch ihrer Deutung, Munich, 1971, p.82, pour qui « plus les indications sont précises, plus elles risquent d’être fausses », comme l’écrit François Bovon, « Effet de réel et flou prophétique dans l’œuvre de Luc »,  Révélations et écritures: Nouveau Testament et littérature apocryphe chrétienne. Recueil d'articles, Paris, 1993 (Le monde de la Bible, 26), p. 65-74 (voir p. 68, n. 12) 
[27] Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke et Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, 1993 (L'atelier du médiéviste, 2), p. 368 : « Car le faux, une fois critiqué, peut être réintégré dans sa dignité de document historique : un document, bien sûr, sur le faussaire, ses motifs, sa conception du monde et de la société, ses méthodes de travail ».
[28] Lydie Louison, De Jean Renart à Jean Maillart: les romans de style gothique, Paris, 2004, p. 184 ; Jacques Chocheyras, Réalité et imaginaire dans le Tristan de Béroul, Paris, 2011, met en évidence l’importance des aspects de toponymie et de topographie dans l’œuvre éponyme et souligne qu’en l’occurrence, c’est « la littérature qui sert de repère à l’histoire, et non l’inverse » (p. 53).
[29] Loula Abd-elrazak, «  Guillaume d’Orange : de l’épopée au roman », Voix Plurielles, vol. 10 (2013), n°2, p. 230-243 (voir p. 231-232).
[30] Stéphanie Perrais, Le fantastique dans les romans arthuriens. Renouvellement discursif et atemporalité, thèse de doctorat soutenue à The Pennsylvania State University (2007), en ligne https://etda.libraries.psu.edu/files/final_submissions/5858 (consulté le 29 décembre 2019).
[31] Ibidem, p. 171-172.
[32] Isabelle Delage-Béland, Ni fable ni estoire : les fictions mitoyennes et la troisième voie du fabliau, thèse de doctorat soutenue à l’université de Montréal (2017), en ligne https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/20459/DelageBeland_Isabelle_2017_these.pdf (consulté le 29 décembre 2019).
[33] Ibidem, p. 19-20.
[34] François-Jérôme Beaussart, « ‘’D'un clerc grief malade que Nostre Dame sana’’. Réflexions sur un miracle », Médiévales, n°2 (1982) p. 33-46 (voir p. 38 : « « il y a aussi dans ces textes un ‘’effet de réel’’ qu’il serait regrettable d’ignorer ».
[35] Nous pensons qu’il serait opportun d’envisager à cet égard, malgré la distance chronologique et formelle, une forme de relation entre le matériau hagiographique et la littérature fantastique.
[36] Philippe Forest, « Le détail absolu ou Quand le roman donne sa langue au chat », Contre-jour, n°18 (printemps 2009), p. 99-106.
[37] François-René de Chateaubriand, Vie de Rancé, Paris, s.d. [1844], dédicace : «  A la mémoire de l'abbé Séguin, prêtre de Saint-Sulpice, né à Carpentras, le 8 août 1748, mort à Paris, à 95 ans, le 19 avril 1843. Son très-humble et très-obéissant serviteur,  CHATEAUBRIAND ».
[38] La Vie de Rancé par Chateaubriand. Précédé de La voyageuse de nuit par Roland Barthes, Paris, Union générale d'Éditions, 1965 (collection 10/18), p. 9-21. Le titre donné par R. Barthes à sa préface est un emprunt au texte même de Chateaubriand (p. 38 : « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel »), qui se retrouve, tel un copié-collé, dans les Mémoires d’outre-tombe, 4e partie, livre 10.
[39] Alexandre Gefen, « Le chat jaune de l’abbé Séguin ou les ambiguïtés du genre biographique »,  René Audet et Alexandre Gefen (dir.), Frontières de la fiction, Pessac, 2002, en ligne  http://books.openedition.org/pub/5693 (consulté le 29 décembre 2019).
[40] R. Barthes, « La voyageuse  de nuit », p. 18-19 : « Car si la notation renvoie sans doute à l'idée qu'un chat jaune est un chat disgracié, perdu, donc trouvé et rejoint ainsi d'autres détails de la vie de l'abbé, attestant tous sa bonté et sa pauvreté, ce jaune est aussi tout simplement jaune, il ne conduit pas seulement un sens sublime, bref intellectuel, il reste, entêté, au niveau des couleurs (s'opposant par exemple au noir de la vieille bonne, à celui du crucifix) : dire un chat jaune et non un chat perdu, c'est d'une certaine façon l'acte qui sépare l'écrivain de l'écrivant, non parce que le jaune « fait image », mais parce qu'il frappe d'enchantement le sens intentionnel, retourne la parole vers une sorte d'en-deçà du sens; le chat jaune dit la bonté de l'abbé Séguin, mais aussi il dit moins, et c'est ici qu'apparaît le scandale de la parole littéraire » (R. Barthes, La voyageuse  de nuit, p. 18-19). Dans les Mémoires d’outre-tombe, l’effet de réel s’exprime au travers de la citation de pièces privées ou publiques formant preuves, lesquelles ont en outre l’avantage de donner date certaine aux faits rapportés dans le narré ; peu importe au fond que les textes en question aient pu être retouchés, interpolés,  caviardés  par l’écrivain, que leur datation ait pu faire l’objet de manipulations de sa part : l’effet sur le destinataire du texte est atteint, car celui-ci croit avoir la narration sincère des événements qui ont marqué la vie de Chateaubriand.
[41] Ibidem, p. 18.
[42] Michel Charles, Composition, Paris, 2018, p. 304.
[43] Frank Wagner, « Entretien avec Franc Schuerewegen », en ligne  http://www.vox-poetica.com/entretiens/intSchuerewegen2019.html (consulté le 29 décembre 2019).
[44] P. Mérimée, Lettres à la famille Delessert. Introduction et notes par Maurice Parturier, Paris, 1931, p. 24 (1er février 1848).
[45] Idem, « Alexandre Pouchkine », [Le Moniteur Universel (20-27 janvier 1868)], Portraits historiques et littéraires, Paris, 1874, p. 311-312.
[46] Denis Diderot, « Les Deux Amis de Bourbonne », Quatre contes, édition critique par Jacques Proust, Genève, 1964, p. 66-67.
[47] Monique Goullet, « Introduction », Anne Wagner (dir.), Les saints et l'histoire: sources hagiographiques du haut Moyen Âge, p. 15, qui précise entre parenthèses : « (puisqu’elle comprend des textes narratifs, des sermons, des poèmes…) » ; naturellement cette courte énumération n’est pas exhaustive, comme le montrent les points de suspension.
[48] La formule figure sous la plume de nombreux spécialistes parmi lesquels André Vauchez, « Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l'hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge? », Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle) Actes du colloque de Rome (27-29 octobre 1988), Rome, 1991 (Publications de l'École française de Rome, 149), p. 167 ; Francesco Scorza Barcellona, « Les études hagiographiques au 20e siècle: bilan et perspectives », Revue d'histoire ecclésiastique, t. 95 (2000), n°3, p. 19 ; François Dolbeau « Un domaine négligé de la littérature médiolatine : les textes hagiographiques en vers », Cahiers de civilisation médiévale, 45e année, n°178, avril-juin 2002), p. 132 ; Eric Limouzin, Le monde byzantin (du milieu du VIIIe siècle à 1204), économie et société,  2007, p. 27-28.
[49] Un point utile a été donné sur l’actualité de ces questions par Patrick Henriet, «Texte et contexte. Tendances récentes de la recherche en hagiologie », Sophie Cassagnes-Brouquet, Amaury Chauou, Daniel Pichot et Lionel Rousselot (éd.),  Religion et mentalités au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, Rennes, 2003, p. 75-86.
[50] Guy Philippart de Foy, « L'hagiographie comme littérature : concept récent et nouveaux programmes ? », Revue des sciences humaines, n° 251 (1998), p. 11-39.
[51] Cette formule de Stéphane Mallarmé, Divagations, Paris, 1897, p. 250 (extrait de « Crise de vers ») a été développée par Gérard Genette, « récit fictionnel, récit factuel », Fiction et diction, Seuil, 2004 (1e éd. 1979), p. 142 : « L’Histoire, la biographie, le journal intime, le récit de presse, le rapport de police, la narratio judiciaire, le potin quotidien, et autres formes de ce que Mallarmé appelait l’universel reportage ».
[52] Le terme hagiobiographie a déjà été employé à plusieurs reprises, notamment sous la plume de Boško I. Bojović, « L'hagio-biographie dynastique et l’idéologie de l’Etat serbe au Moyen-Age (XIIIe-XVe  siècles) », Histoire et eschatologie. De l’histoire et de la littérature du Moyen Age sud-slave, Paris-Vrnjačka-Banja, 2008, p. 217-237 [Première publication : Cyrillomethodianum. Recherches sur l’histoire des relations Helléno-slaves, t. 17-18 (1993-1994), p. 73-92] et celle d’Anna Wilson, « Biographical Models : The Constantinian period and beyond », Samuel N. C. Lieu et Dominic Montserrat (dir), Constantine: History, Historiography and Legend, Londres-New-York, 1998, p. 107-135.
[53] On trouve également biohagiographie chez Branislav Vismek, Miraculous Healing Narratives and their Function in Late Antique Biohagiographic Texts. A Comparative Study (MA Thesis), Budapest, 2013 ; mais il nous semble que ce terme serait mieux adapté pour caractériser, en dehors de toute considération de sainteté, un ouvrage insuffisamment critique sur la vie d’un personnage historique.
[54] S. Fray, L’aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques des pays d’Olt et de Dordogne (Xe-XIe siècles), thèse de doctorat sous la direction de Dominique Barthélemy, soutenue à Paris en 2011 (5 volumes), en ligne  https://www.academia.edu/5484291, vol. 1, p. 50-51 (consulté le 29 décembre 2019).
[55] André-Yves Bourgès, « Retour sur les différents types d’approche du matériau hagiographique médiéval par les historiens de la Bretagne depuis le XIXe siècle », Hélène Bouget et Magali Coumert (dir.), Histoires des Bretagnes 6. Quel Moyen Âge ? La recherche en question [Actes du colloque Enjeux épistémologiques des recherches sur les Bretagnes médiévales en histoire, langue, et littérature, Brest, université de Bretagne Occidentale, 12-14 décembre 2017], Brest, 2019, p. 237-253 (voir p. 252)
[56] Joseph-Claude Poulin, L'hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern, 2009 (Beihefte der Francia, 69).
[57] A.-Y. Bourgès, « Retour sur les différents types d’approche… », p. 245-247.
[58] En particulier chez Luc : F. Bovon, « Effet de réel et flou prophétique… »,  p. 67-70 ; Daniel Marguerat, « Luc, l’historien de Dieu. Histoire et théologie dans les Actes des apôtres », Rivista biblica, 65, (2017), p. 8-36 (voir p. 25). Le romancier Etienne Barilier, L’énigme, Carouge-Genève, 2001, p. 335-336, met dans la bouche d’un de ses personnages, le Père Le Goffre, présenté comme un éminent philologue du Vatican, les propos suivants : « Voilà plusieurs années que la critique historique et textuelle, y compris dans l'exégèse catholique, je dis bien catholique, ont relevé que (…)… l’emploi de mots araméens dans les Évangiles ne signifiait pas que le Jésus de l’histoire les eût employés, mais bien plus probablement que l'Évangéliste y a recouru pour créer ce que la science contemporaine appelle un effet de réel. Un effet de réel au service du vrai, faut-il le dire ». Voir ce sujet Jean-Baptiste Yon, « De l’araméen en grec », Pierre-Louis Gatier et Jean-Baptiste Yon (éd.), Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Rey-Coquais (Mélanges de l’Université Saint-Joseph, 60), 2007, p. 381-429 (voir p. 382 et n. 7). On laissera de côté sans regret l’examen de la tentative de l’acteur-cinéaste Mel Gibson qui a choisi de faire parler en araméen et en latin les acteurs de son film sur la Passion du Christ (2004), car cet effet de réel linguistique est largement supplanté chez le spectateur par l’effet visuel offrant une violence inédite.
[59] Jean-Christophe Cassard, « la mise en texte du passé par les hagiographes de Landévennec au IXe  siècle », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 122 (1993), p. 364.
[60] On a voulu parfois reconnaître dans ce déficit moins les conséquences des pillages des Vikings que le manque d’intérêt des populations celtiques pour ce type de dévotion :  Julia M. H. Smith, « Oral and Written : Saints, Miracles, and Relics in Brittany, c. 850-1250 » Speculum, t. 65 (1990), n° 2, p. 309-343
[61] Jacques Dalarun, L'impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d'Arbrissel (v. 1045-1116), fondateur de Fontevraud, Paris, 1985, p. 224.
[62] Bernard Tanguy, « De quelques gloses toponymiques dans les anciennes Vies de saints bretons », dans Bretagne et pays celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987), Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 227-235.
[63] L’effet de réel permet en outre à l’historien de nourrir une maigre documentation sur les aspects relatifs à la navigation, en particulier ce qui concerne les types d’embarcation utilisés, comme le souligne J.-C. Cassard, Les Bretons et la mer au Moyen Âge, Rennes, 1998, p. 37 : « Cette recherche d’un ‘’effet de réel’’ (Roland Barthes) à l’œuvre dans ce genre d’écriture monastique autorise sans doute à y isoler quelques indications valables sur le volet nautique des migrations bretonnes, d’autant que cet aspect n’a pas dû tellement évoluer durant les siècles du haut Moyen Âge ».
[64] Cette problématique fera l’objet d’un traitement spécifique dans une communication intitulée « L’horizon marin, le littoral, la ria et le port sous la plume des hagiographes bretons à l’époque carolingienne et au plein Moyen Âge » lors de la journée d’études Rivages bretons. Ports, mers et fleuves en Bretagne aux IXe-XIe siècles, organisée par l’Université de Bretagne occidentale  à Quimper le 20 mars 2020.
[65] Léon Fleuriot, Les origines de la Bretagne, 2e édition, Paris, 1982.
[66] Ibidem, p. 270.
[67] Ibid., p. 284
[68] A.-Y. Bourgès, « Les origines de l’évêché de Tréguier : état de la question », Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne. t. 96 (2018), p. 33-53 ; Idem, « Le dossier hagiographique des origines de l’évêché de Saint-Brieuc : un silence chargé de sens », Hagio-historiographie médiévale (mai 2019), en ligne https://www.academia.edu/39057864  (consulté le 29 décembre 2019).
[69] L. Fleuriot, Les origines de la Bretagne, p. 278.
[70] Joseph-Claude Poulin, « Recherches et identification des sources de la littérature hagiographique du haut Moyen Âge. L'exemple breton », Revue d'histoire de l'Église de France, t. 71 (1985), n°186, p. 119-129 (voir p. 124).
[71] Hubert Guillotel, « Le dossier hagiographique de l’érection du siège de Tréguier », Bretagne et pays celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot 1923-1987, Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 213-226.
[72] Ibidem, p. 224.
[73] Ibid., p. 218.
[74] Jean-Jacques Bourassé, « Cartulaire de Cormery, précédé de l'histoire de l'abbaye de Cormery d'après les chartes », Mémoires de la Société archéologique de Touraine, t. 12, 1861, p. 69.
[75] Edmond Martène et Ursin Durand, Thesaurus novus anecdotorum, t. 4, Paris, 1717, col. 92.
[76] Charles Urseau, « Obituaire de la cathédrale d’Angers », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, 6e série, t. 4 (1929), p. 37.
[77] Katherine Keats-Rohan, The Cartulary of the abbey of Mont-Saint-Michel, Donington, 2006, p. 125-126.
[78] Ibidem, p. 179.
[79] A.-Y. Bourgès, « Les Martin, chanoines de la cathédrale d’Angers au XIe siècle », Blog Variétés historiques (avril 2017), en ligne https://www.academia.edu/32222440 (consulté le 29 décembre 2019).
[80] Fabrice Kerlirzin, Les Vitae médiévales de Saint Tugdual. Texte établi, traduction inédite et commentaire, Mémoire de master 2 sous la direction de Benoît Jeanjean, Brest, 2012, p. 25.
[81] Isabelle Collombat, « Pseudo-traduction : la mise en scène de l’altérité », Le Langage et l’Homme, vol. 38 (2003), n° 1, p. 145-156 (voir p. 150)
[82] B. Merdrignac, Recherches sur l'hagiographie armoricaine du VIIe au XVe siècle, t. 2, s.l., 1986 (Dossiers du Centre régional archéologique d’Alet, I), p. 160-163.
[83] Ibidem, p. 160.
[84] Ibid., p. 163.
[85] Yves-Pascal Castel-Kergrist, « Les reliques de Paul Aurélien », Bernard Tanguy et Tanguy Daniel (éd.), Sur les pas de Paul Aurélien. Colloque international de Saint-Pol-de-Léon, 7-8 juin 1991, Brest-Quimper, 1997, p. 103-118 (voir p. 105).
[86] Paul Marchegay et Emile Mabille (éd.), Chroniques des églises d’Anjou, Paris, 1869, p. 262 : Jam vero rumor iste pene evanescebat, cum quidam Britannorum monachus, Glomnam veniens, tale dubitantibus retulit inditium quia retro ipsum caput, ad Clocam Marsi quondam regis, dum simul in loculo  portarentur, paululum attenuatum erat ; jejunioque peracto hoc reperiens, sancti Pauli verissime caput esse proclamavit (ce texte doit être rapporté au début du XIIIe siècle, si son attribution l’abbé Michel est confirmée).
[87] Nicolas Louis, « L’exemplum en pratiques : production, diffusion et usages des recueils d’exempla latins aux XIIIe-XVe siècles », thèse de doctorat soutenue à l’université de Namur (2013), en ligne https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00860685/document (consulté le 29 décembre 2019).
[88] Ibidem, p. 48.
[89] Ibid., p. 49.
[90] Arthur de La Borderie, Jacques Daniel, R.P. Perquis et Dauphin Tempier (éd.), Monuments originaux de l’histoire de saint Yves, Saint-Brieuc, 1887, p. 57.
[91] Daniel-Louis Miorcec de Kerdanet (éd.), Les vies des Saints de la Bretagne-Armorique, par fr. Albert Le Grand de Morlaix, Brest-Paris, 1837, p. 261, col. 2, n. 1.
[92] Aziliz Bourgès, « Le bruit de l’odeur. Notes sur un idiomatisme poétique », Louis Lemoine, Bernard Merdrignac et Annick Calarnou (éd.), Corona monastica. Mélanges offerts au père Marc Simon, Landévennec, 2004 (Britannia monastica, 8), p. 249-251.
[93] Corinne Denoyelle, Poétique du  dialogue médiéval, Rennes, 2010.
[94] En effet, on la trouve, sans référence aucune à Yves de Kermartin, dans les Contes et discours d’Eutrapel, de Noël Du Fail, qui l’avait apparemment tirée de François Rabelais, Pantagruel, Livre III, chapitre 37, lequel pourrait l’avoir empruntée à un conte d’origine italienne médiatisé par le juriste André Tiraqueau. Sur la « généalogie » de cette anecdote, voir la remarquable étude du regretté Lionello Sozzi, « Rabelais, Philelphe et le ‘’fumet du rôti’’ », Etudes rabelaisiennes, t. 5, Genève, 1964, p. 197-205.
[95] Arlette Higounet-Nadal, « La démographie des villes françaises au Moyen-Age » Annales de démographie historique (1980), p. 187-211 (voir p. 206 : « A Tours, également, de nombreux étrangers sont signalés : Italiens qui sont armuriers ou ouvriers en draps de soie, Allemands armuriers, canonniers, orfèvres ou palefreniers, mais aussi des hommes originaires des Pays-Bas, de la Navarre (domestiques) et encore des Ecossais qui, eux, sont archers ou hommes d'armes »).
[96] Ces trois vers sont parfois présentés comme un extrait de l’office du saint, ce qui ne saurait être : ils figuraient gravés au-dessus d’une statue représentant Yves de Kermartin qui, – en même temps que les armes de France et de Milan et le porc-épic de Louis XII, – surmontait la porte d’entrée de l’ancien auditoire de justice de Mantes : voir Louis Enault, De Paris à Cherbourg. Itinéraire historique et descriptif, Paris, s.d. (1859), p. 31.
[97] Alain Bouchart, Grandes chroniques de Bretagne, Paris, 1514 (nouvelle édition, Nantes, 1886), f. 110v-111v.
[98] S. Fray, L’aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques…, p. 709.

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