"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale." J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat...

17 mai 2019

Disparition de Pierre Riché (1921-2019)


Pierre Riché est mort à Paris le 6 mai dernier à l’âge de 97 ans, la même semaine que Fanch Morvannou, dont nous avons rapidement évoqué la mémoire ici même. L’œuvre considérable du professeur Riché sera célébrée par ses pairs à hauteur de ses apports fondamentaux à la connaissance du haut Moyen Âge. Pour notre part, nous souhaitons souligner le rôle joué par ce chercheur dans la relance des études hagiologiques bretonnes, depuis son article de 1966 sur les hagiographes bretons et la Renaissance carolingienne, qui avait réveillé « la Belle au bois dormant »[1] ; article non seulement précurseur, mais encore particulièrement roboratif, dont son auteur a plus tard indiqué qu’il lui avait été largement inspiré par la démarche et les travaux de François Duine[2].

Ainsi, au tournant des années 1970-1980, après un demi-siècle de torpeur, est apparu un regain d’intérêt pour le matériau hagiographique breton. Et en 1985, Pierre Riché, Léon Fleuriot et Bernard Merdrignac, – qui avaient rejoint le Père Marc Simon, moine de Landévennec, et quelques autres au sein du comité chargé d’organiser, dans le cadre du 15e centenaire de la fondation supposée de la vieille abbaye cornouaillaise, un colloque scientifique international, – virent aboutir les efforts de près de trois années de préparation : manifestation d’une ampleur sans précédent régional depuis les grands congrès savants du XIXe siècle, ce colloque, intitulé Landévennec et le monachisme breton dans le haut Moyen Âge, allait, par la fécondité de ses travaux et par la richesse de ses échanges, orienter pour trois décennies au moins les études médiévales bretonnes, singulièrement pour la période que les historiens anglo-saxons désignent sous l’appellation de Dark Ages.

Mais c’est à ses fruits que l’on reconnaît le bon arbre (Mt 7, 16-20) : comme ne faiblissait pas le sentiment de véritable renouveau qu’avait fait naître chez de nombreux spécialistes le colloque de 1985, furent jetées, dès l’année suivante, par les mêmes organisateurs, les bases d’une institution, le Centre international de recherche(s) et de documentation sur le monachisme celtique, dont l’acronyme, CIRDoMoC, rappelle en manière de clin d’œil les noms des Matmonoc, Wrmonoc et autres Liosmonoc[3]. Malgré la disparition prématurée de Léon Fleuriot en 1987, ses collègues ne renoncèrent pas au projet, tant se faisait sentir le besoin d’un « lieu » d’échanges, ouvert à tous (universitaires, membres de sociétés savantes, chercheurs indépendants ou encore simples passionnés et grand public cultivé) afin de favoriser une approche spécifique dans laquelle le matériau hagiographique breton, et même plus largement « celtique », allait occuper en tant que sujet d’étude une place de choix. Animé par Gwenaël Le Duc en tant que son secrétaire et son « sergent recruteur », sous la présidence de Pierre Riché, dont le nom et l’autorité permirent d’installer d’emblée le CIRDoMoC à l’égal des sociétés savantes les plus renommées, organisa dès juillet 1988 à l’abbaye de Landévennec, son siège social, sa première journée d’étude intitulée Irlandais et Bretons dans l’Europe du haut Moyen Âge. Pierre Riché laissa le fauteuil de président au professeur François Kerlouégan en 1993 ;  mais il continua pendant de nombreuses années à honorer de sa présence les journées d’étude annuelles de Landévennec.

Pour qui souhaiterait entendre à nouveau la voix de Pierre Riché et mesurer la profondeur de son savoir tout autant que la clarté pédagogique qui caractérisait ses exposés, nous invitons à cliquer sur le lien suivant (la conférence dont il s’agit, sur les « Influences religieuses irlandaises sur le continent au début du moyen-âge » a été prononcée en 2011) :

André-Yves Bourgès


[1] P. RichÉ, « Les hagiographes bretons et la Renaissance carolingienne », Bulletin philologique et historique (jusqu'à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques. Actes du 91e  Congrès national des sociétés savantes tenu à Rennes 1966, t. 2 (1968), p. 651-659 ; Idem, « Le réveil de la Belle au Bois Dormant : l'histoire de la Bretagne dans le très Haut Moyen Age (Ve-VIIIe siècles) », C. Laurent, B. Merdrignac, D. Pichot [dir.], Mondes de l'Ouest et villes du monde : Regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l'honneur d'André Chédeville,  Rennes, 1998, p. 21-27.
[2] Idem, « Quelques réflexions d’un lecteur des Cahiers de l’abbé Duine », F. Duine, Souvenirs et observations, p. 335.
[3] F. Kerlouégan, « Avant-propos », L. Lemoine, B. Merdrignac et A. Calarnou (éd.), Corona Monastica – Mélanges offerts au père Marc Simon, Landévennec-Rennes, 2004 (Britannia monastica, 8),  p. 13

1 commentaire:

Jean Luc Deuffic a dit…

Merci André-Yves de souligner l'importance de Pierre Riché dans le contexte de la recherche bretonne. J'ai pour ma part mis en ligne quelques notes personnelles sur mes premières rencontres avec le grand historien : http://blog.pecia.fr/

Printfriendly