"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

22 juin 2019

Quelques réflexions à propos du dossier hagio-historiographique de l’évêché et de la métropole de Dol


A part des diverses sources diplomatiques, conciliaires, épistolaires, narratives qui intéressent l’évêché de Dol et sa revendication métropolitaine[1], il existe une documentation de nature hagio-historiographique qui peut s’avérer utile pour compléter les sources en question, à condition bien sûr de lui appliquer un traitement adapté à la nature des pièces dont elle est constituée. Car le corpus en question est vaste et composite : non seulement les ouvrages composés/compilés/copiés à l’ « écritoire » de Dol[2], ainsi que ceux qui se rapportent à des saints spécifiquement dolois[3] ; mais également les textes de nature hagio-historiographique, – quelles que soient par ailleurs leur époque, –dans lesquels le cas de Dol a fait l’objet d’un traitement[4], même sommaire, oblique ou superficiel[5]. Nous proposons d’en dire ici quelques mots.

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Malgré la relative abondance de cette documentation[6], ce sont plutôt ses silences qui pourraient bien s’avérer, en creux, les plus révélateurs : ainsi, pas un instant les trois vitae, – brève [BHL 8350], moyenne [BHL 8351], longue [BHL 8353], ainsi désignées en fonction de l’étendue de leur texte respectif, – qui forment le dossier littéraire de Tugdual, ni celle de Brieuc [BHL 1463-1463a], tous ouvrages composés à l’époque (XIe siècle et première moitié du siècle suivant), où les évêques de Tréguier et de Saint-Brieuc sont réputés suffragants de l’archevêque de Dol – et même, à la fin de la période, ses suffragants ultimes,– n’évoquent la métropole bretonne ; pour sa part, le diacre Bili, qui, vers 860-870, signale dans sa vita de Malo  [BHL 5116ab] un lien de parenté entre ce dernier et Samson, ne fait aucune allusion aux réclamations métropolitaines de Dol, pourtant en plein essor à cette époque, et rapporte au contraire que Malo était allé à Tours pour se faire consacrer évêque ; vers 800, la vita ancienne de Samson elle-même [BHL 7478-7479] est muette sur l’éventuel statut épiscopal de Dol, alors qu’elle est explicitement dédiée à un prélat qui paraît bien être l’évêque du lieu. Naturellement, le recours à des arguments a silentio doit toujours s’accompagner de beaucoup de prudence : il ne saurait être question de revendiquer à leur sujet une quelconque irréfragabilité ; mais il existe des silences particulièrement éloquents, qui nourrissent des arguments, sinon décisifs, du moins non dénués de poids[7].

A qui et à quoi ont servi les informations explicites contenues dans cette documentation ? 

On constate tout d’abord que la dimension historiographique s’accroit au fur et à mesure que la construction politique bretonne s’affermit sous le règne des ducs de la maison de Dreux-Montfort et réclame pour sa consolidation le développement d’une véritable idéologie nationale[8] ; mais les précédentes dynasties n’avaient pas attendu pour utiliser elles aussi l’hagiographie à des fins de propagande : aux XIe-XIIe siècles, la lignée ducale sortie des comtes de Cornouaille a montré à cet égard un véritable savoir-faire[9], qui explique notamment l’extension jusqu’à Dol de la renommée de Gradlon[10] et, en retour, la célébrité cornouaillaise de Turiau, dont témoigne la vita de Ninnoc, composée à Quimperlé, laquelle qualifie le saint « métropolite » (sanctum Turianum metropolitam)[11]. Par ailleurs, suite à la publication de l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, un chef nommé Conan, parfois qualifié « roi », – qui figurait déjà à la fin du XIe siècle dans la vita de Brieuc [BHL 1463 + 1463a][12], et, aux années 1120, dans les vitae de Gurtiern [BHL 3720-3722] et de Gobrien [BHL vacat], – acquiert, sous la plume de l’auteur de la vita de Goëznou [BHL 3608], à la fin du XIIe siècle (1199 ?)[13], ainsi que dans les compositions tardives (vers 1430-1450) qui traitent de Mériadec [BHL 5939b][14] et de Gonéri [BHL 3611], une importante renommée hagio-historiographique, relayée, à l’époque du duc Arthur II (1305-1312), par un poème qui célèbre les « faits d’Arthur »[15]. Enfin, on voit, dans les dernières décennies du XVe siècle, à l’instar du compilateur anonyme du Chronicon Briocense, mais avec plus de talent et plus d’esprit critique, le premier véritable historien de la Bretagne, Pierre Le Baud, faire un usage immodéré du matériau hagiographique à des fins historiographiques, que devait imiter Arthur de la Borderie quatre siècles plus tard ; mais, comme le souligne Joëlle Quaghebeur, « le clerc à la différence du chartiste ne donne aucune importance, par exemple, aux saints bretons dans la construction de la nation bretonne. Celle-ci, pour lui, se fit bien plus autour de ses princes successifs et fut dès l’origine politique »[16] : cette analyse rend compte de manière très pertinente du traitement des sources hagiographiques par Le Baud, qui sélectionne avant tout les passages où figurent des noms propres et des détails factuels, au détriment des aspects édifiants du récit et du rôle spécifique joué par le saint[17].

Pendant près de six siècles, les hagiographes ayant eu à traiter de la métropole bretonne se sont ainsi confortés les uns les autres, depuis l’auteur de la seconde vita de Samson [BHL 7481, 7483], aux années 860, jusqu’à celui de la vita de Mériadec, dans le second quart du XVe siècle : le premier nous montre Samson recevant de l’empereur Childebert l’archiépiscopat de toute la Bretagne (De manu Hilberti imperatoris et verbo et commendatione archiepiscopatum totius Britanniae recipiens) ; le second, qui, en l’occurrence, démarque la vita de Gobrien à laquelle il a également emprunté le personnage du roi Conan, envoie Mériadec recevoir la consécration épiscopale à Dol (pontificatus onere jam suscepto in urbe Dolensi in basilica sancti Samsonis Episcopus consecratur). Entre ces deux écrivains ont existé de nombreux relais, dont la perception même des enjeux de la question métropolitaine a pu varier. Ce qui apparaît de la manière la plus nette à l’examen des textes concernés, ce n’est pas que leurs différents auteurs doivent être catégorisés en fonction de leur soutien plus ou moins affirmé à la cause doloise, – d’autant que la doctrine du métropolitanat breton a connu des variations significatives au long de la période où cette question a été agitée[18], – c’est leur différence de point de vue quant aux relations de Dol avec la Britannia continentale : inexistantes ou du moins distantes dans les textes contemporains des débuts de la revendication métropolitaine, ces relations sont en revanche clairement affirmées dans les ouvrages composés aux XIe-XIIe siècles, qui montrent les prélats dolois exerçant leur autorité sur leurs suffragants, au moment même où celle-ci devient de plus en plus contestée et de moins en moins effective ; et, quel que soit le traitement dont cette situation fait l’objet, – critique dans la vita de Patern [BHL 6480], s’agissant de l’évêché de Vannes, ainsi que dans celle de Suliau [BHL vacat], s’agissant de l’évêché d’Alet ; ou positif dans la vita « clermontoise » de Turiau [BHL 8342d] et dans celle de Méen [BHL 5944], s’agissant dans les deux cas du Poutrecoët, – elle tranche, comme nous allons le voir maintenant avec l’état antérieur, incarné principalement par la seconde vita de Samson, par les plus anciennes pièces, composées à l’abbaye de Léhon, du riche dossier littéraire de Magloire[19], où le saint est présenté comme le cousin de Samson et son successeur sur le siège archiépiscopal de Dol, et enfin par la recension brève de la vita anonyme de Malo [BHL 5117], qui étend à ce dernier le cousinage de Samson avec Magloire (qui consanguineus felicis Machloui atque Maglorii existebat)[20].
 

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S’il a peut-être moins que son prédécesseur le regard tourné vers la mer, les îles du Cotentin et la basse vallée de la Seine et paraît s’intéresser plus que lui à Dol, dont il défend avec vigueur les intérêts, sans doute pour appartenir à la communauté locale, peut-être même également pour être originaire de l’endroit, – ainsi connaît-il la tradition qui fait débarquer le saint au portus Winniau, sur le Guyoult, – l’auteur de la seconde vita de Samson ne nous indique  pas pour autant que son héros ait été plus présent en Britannia continentale. Certes, le récit du conflit qui oppose le prince légitime Judual à l’usurpateur Commor, repris à la vita ancienne du saint, occupe une place importante dans son ouvrage ; mais pas une fois les opérations militaires afférentes ne sont localisées : au demeurant, si une quelconque précision de cette nature avait été apportée, elle eût avant tout concerné Judual. Par ailleurs, il est question en termes fort vagues des biens reçus par Samson[21], donations auxquelles on a fait parfois remonter l’origine des plus anciennes enclaves doloises[22] ; mais c’est à nouveau en Neustrie, dans le Bessin cette fois (per quendam pagum…, qui Begesim vocatur), que l’hagiographe localise explicitement une fondation du saint, à savoir le monastère de Rotmou, identifié de manière extrêmement convaincante par Jacques Le Maho avec Saint-Samson-en-Auge[23]. En outre, Samson reçoit de Childebert la plebs Rimou, avec les quatre îles de Guernesey, Jersey, Sercq et Brecqhou (plebem quae vocatur Rimau et quatuor insulas marinas, id est Lesiam Angiamque, Sargiam Besargiamque, Hilbertus rex atque imperator sancto Sansoni et suis fidelibus post se successoribusque ejus tradidit sine fine in possessionnem aeternam) : la réalité juridique de cette donation n’est pas assurée, en tout cas il n’y en a pas de traces ; mais il est intéressant de noter qu’elle associe la paroisse de Rimou, dans le pays de Rennes, aux îles du Cotentin. Là encore, l’hagiographe a sans doute été inspiré par la lecture de son modèle, la vita ancienne du saint, où l’on voit que Guernesey et Jersey dépendaient de Samson : c’est sur place que ce dernier avait recruté le « commando » destiné à soutenir la lutte de Judual contre Commor[24] ; mais il s’avère par ailleurs que, depuis la fin du VIIIe siècle au moins, le Cotentin avec ses îles, en particulier Jersey, était effectivement passé sous le contrôle de Bretons, avec à leur tête à cette époque un certain Anowarith, décoré du titre de dux, à qui « Charles Auguste » (Charlemagne), n’avait pas dédaigné, selon l’hagiographe de Wandrille, d’envoyer une ambassade[25]. Pour sa part, l’auteur de la vita ancienne de Marcouf [BHL 5266][26], attribue à son héros le mérite de l’évangélisation de Jersey, qu’il localise explicitement in regionem Britannorum. En tout état de cause, cette situation était acquise antérieurement à la période où les rois de Bretagne ont étendu leur pouvoir sur  le Cotentin, essentiellement durant le dernier tiers du IXe siècle.

A cette dernière époque, l’hagiographe de Magloire met en évidence, avec « une habileté de composition, un art de peindre le caractère du saint, un sentiment du bien dire, quelque chose de jeune et de vivant, qui en font le chef d'oeuvre de l'ancienne littérature bretonne »[27], le « caractère maritime » de l’existence de son héros[28]. « Ce caractère d’apôtre des îles »[29] est en effet la marque de l’action de Magloire : Sercq, – reçue en donation du comte Loescon, après que ce dernier eût été miraculeusement guéri de la lèpre, – en constitue le principal décor, où s’était déroulé l’essentiel de l’existence érémitique du saint, où il était mort et où, en dépit des attaques de Vikings[30], son corps avait longtemps reposé[31], jusqu’à ce que ses reliques fussent emportées à l’abbaye de Léhon[32] ; mais son apostolat l’avait également amené dans l’île voisine de Brecqhou, dont le seigneur local, Nivo, – le même que le personnage qui voulut par la suite être enterré à proximité de la dépouille du saint ?[33]  – avait eu recours à lui pour obtenir la guérison de la mutité de sa fille[34], ainsi qu’à Jersey, où il avait vaincu un dragon[35]. Magloire s’était également déplacé jusqu’à Saint-Suliac, dans l’estuaire de la Rance[36] ; mais à cette dernière exception, qui, au demeurant, pourrait bien être en lien avec les circonstances particulières de la translation des reliques de Magloire de Serq à Léhon[37], c’est donc vers les îles du Cotentin que s’oriente la carrière du saint dolois : là encore, la Britannia continentale est assez largement absente des préoccupations de l’hagiographe, alors même que ce dernier était sans nul doute un moine de Léhon.

Enfin, l’auteur anonyme de la vita brève de Malo nous montre celui qu’il désigne comme un « illustre évêque » se mettant à enseigner le peuple (cepit celeberrimus Machlouus antistes docere populum) jusqu’à ce que l’évêché de la cité de Bretagne appelée Alet se trouve, par un effet de la volonté divine, converti par lui (donec episcopatus civitatis Britanniae que vocatur Aleta eidem divinitus extitit conversus)[38] ; à cette occasion, l’hagiographe signale que Samson en faisait de même dans sa ville (sanctus vero Samson eadem sua in urbe agebat)[39]. Rien donc qui permette,  à notre opinion,  de conclure à une sorte de mainmise doloise, appelée de ses vœux par l’écrivain par opposition à son prédécesseur Bili, partisan quant à lui de la métropole de Tours : la formule vous a même un petit air de « chacun chez soi et les fidèles seront bien gardés ». Ainsi, la vita brève de Malo semble plutôt montrer qu’à l’époque de sa composition ni l’action de Nominoë, laquelle avait entrainé en son temps l’exil de l’évêque Salocon et son remplacement par un prélat plus dévoué aux intérêts du dux des Bretons, ni le soutien du roi Salomon à la revendication métropolitaine n’avaient permis une véritable intégration de Dol à la Britannia continentale ; mais cette indifférence, qui n’était pas seulement l’expression d’une sorte de réflexe d’auto-défense de la part d’Alet[40] et pourrait bien s’être en outre étendue aux diocèses voisins, était largement partagée, comme nous venons de le voir, par les thuriféraires de la cause doloise eux-mêmes, dont les intérêts bien compris étaient plutôt tournés vers la Neustrie franque, depuis les îles du Cotentin jusqu’à l’estuaire de la Seine.

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Nous sommes conséquemment amené à faire le constat suivant : le dossier hagio-historiographique dolois à haute époque semble confirmer que le siège épiscopal fondé sur place, sans doute au moment de la normalisation carolingienne, n’était pas originellement intégré dans la géographie épiscopale de la Britannia continentale ; et, malgré l’importance que lui accordèrent successivement Nominoë et Salomon, cette intégration n’était pas encore véritablement acquise à la fin du IXe siècle, d’autant que son processus s’accompagnait de spoliations territoriales, principalement à l’encontre du diocèse d’Alet et sans doute également de celui de Rennes. Par ailleurs, si l’existence à cette date d’enclaves situées en Britannia continentale ne saurait être révoquée en doute a priori, le dossier hagio-historiographique ne permet pas de conclure positivement à leur sujet : Guillotel semble accorder sa confiance au « témoignage de la vita Ia affirmant que saint Samson est le fondateur de nombreux monastères en Bretagne » ; mais il préconise également que « certaines enclaves prolongent vraisemblablement les fondations des successeurs de Samson, tels Leucher, Tigernomael ou Turiau, dont l’apostolat est assez bien connu »[41]. D’autres sont peut-être plutôt contemporaines des pontificats de grands archevêques comme Juthouen ou Junkeneus, dans la seconde moitié du Xe siècle et la première moitié du siècle suivant ; quelques- unes en tout cas ont été apparemment créées aussi tard que la fin du XIIe siècle[42]. En dehors de Dol et des deux fondations neustriennes de Pental et Rotmou, seule l’enclave de Rimou peut revendiquer une antiquité attestée ; mais, située  dans le pays de Rennes, comme nous l’avons dit, sur la rive gauche du Couesnon, –non loin de la traditionnelle frontière entre les duchés de Bretagne et Normandie, dont il faudrait à cette occasion réexaminer les fluctuations[43] –, elle n’appartient donc pas à la Britannia continentale. 

En bref, le dossier hagio-historiographique vient partiellement remettre en cause  la vision de la situation de l’évêché de Dol au haut Moyen Âge telle qu’elle peut être extrapolée à partir d’une lecture trop historicisante des autres sources à disposition : cette remise en cause est nécessaire pour permettre une réflexion renouvelée sur les origines diocésaines en Bretagne[44].


André-Yves Bourgès


[1] Voir l’inventaire fort commode des plus anciennes sources en question donné par Hubert Guillotel,  « Le temps des rois VIIIe-Xe  siècle »,  dans l’ouvrage cosigné avec André Chédeville, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, 1984, p. 267-273.
[2] Au premier chef, les différentes vitae de Samson évidemment, à l’exception probable de la réécriture effectuée par Baudri, laquelle a pu être composée en Normandie, où le prélat séjournait de préférence à Dol : Armelle Le Huërou (éd.), Baldricus Burgulianus, III. Opera prosaica, Paris, 2013, p. xiii.
[3] Outre Samson, c’est le cas de Magloire et Turiau, s’agissant de saints de l’époque héroïque, et de Gilduin, en tant que novus sanctus.
[4] On pense évidemment au court essai d’histoire des origines de l’Église de Dol conservé dans les manuscrits Paris, BnF, lat. 14617, f. 127-129 et Rennes, ADIV, 1F 1003, p. 121-122. Le texte en question, qui porte le titre De dignitate Dolensis ecclesie dans le manuscrit parisien, a été attribué par François Duine à un clerc de l’archevêque Even, un certain Pierre, qui aurait travaillé entre 1076 et 1080 ; mais ces précisions ne doivent pas faire illusion : l’édition de Duine relève d’un travail spécieux de recomposition, dont cet érudit, d’ordinaire beaucoup plus rigoureux, a tiré des conclusions qui ne sont nullement assurées. On notera que la « trinité » Paul-Malo-Samson mentionnée dans ce texte apparaît également dans un épisode des Miracula de Genou [BHL 3357] : dans les deux cas, on a l’impression que les évêchés de Saint-Brieuc et Tréguier n’existent pas encore, ce qui pourrait ramener au début du métropolitanat de Junkeneus (Ginguenée) ; en outre, l’écrivain n’a apparemment pas eu connaissance de l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, car il s’en tient à la descente de Maxime sur le continent en 383 sans mentionner Conan Meriadec.
[5] Comme, par exemple, dans le cas des arguments avancés par Giraud de Cambrie en faveur du statut métropolitain de Mynyw (Saint-Davids) au pays de Galles. A noter que Giraud était né à Manorbier, dépendance de Caldey island où, d’après son hagiographe, Samson avait résidé au monastère de (saint) Pyr, alias Piron, confondu avec le cornouaillais Piran : ce dernier figure sous le nom de Piramus dans l’Historia regum Britanniae (chap. 151) de Geoffroy de Monmouth, qui le présente comme le chapelain d’Arthur et le successeur de Samson sur le siège archiépiscopal non pas de Mynyw, mais d’York. Tout ceci est fascinant pour l’histoire littéraire, – d’autant que Piran faisait l’objet d’un culte à Tintagel, attesté en 1457 –, mais ne contribue évidemment pas à renforcer l’éventuelle historicité de ces différents personnages.
[6] En plus de ceux mentionnés supra n. 3, sont concernés à des titres divers les saints suivants : Armel, Budoc, Ethbin, Gobrien, Malo, Méen, Mériadec, Patern, Suliau, Téliau, Turiau, ainsi que sainte Ninnoc. Par ailleurs, les Gesta sanctorum Rotonensium [BHL 1945] contiennent une indication précieuse sur la reconnaissance précoce en Bretagne de l’archiépiscopat supposé de Samson, que l’hagiographe n’hésite pas à mettre sur un pied d’égalité avec Hilaire de Poitiers et Martin de Tours ; tandis que la vita de Germer [BHL 3441] donne à voir que les traditions sur les circonstances de la fondation de Pental par Samson étaient bien vivantes sur place dans la première moitié du IXe siècle. Enfin, évoquant les ravages des incursions vikings, la vita de Viau [BHL 8698], qui signale à cette occasion que le corps de Samson était à cette époque en possession des moines de Noirmoutier, offre une représentation géographique inédite du « pays de Cornouaille avec Dol sa métropole et les sept cités qui lui sont sujettes, fortifiées par un impressionnant rempart, dont les noms sont Vannes, Carhaix, Quimperlé, Quimper, Alet et Saint-Pol-de-Léon » ( patria quae dicitur Cornugalliae cum sua metropoli nomine Dol, septemque sibi subditis munitisque vallo mirabili civitatibus quarum haec sunt nomina Veneti, Carees, Camperile, Camperchorentin, Diablenticum, Paulina). Il faut comprendre que Dol et les six autres villes mentionnées forment le total de sept cités indiqué par l’écrivain.
[7] On notera à ce sujet l’importante différence avec la catégorie des arguments a silentio élaborés en l’absence de toute documentation.
[8] A cet égard, l’étude de Jean Kerhervé, « Aux origines d'un sentiment national. Les chroniqueurs bretons de la fin du Moyen Âge », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 108 (1980), p. 165-206, conserve toute son actualité ; voir également, du même auteur, « Entre conscience nationale et identité régionale dans la Bretagne de la fin du Moyen Âge »,  Rainer Babel et Jean-Marie Moeglin, (dir.) Identité régionale et conscience nationale en France et en Allemagne du Moyen Âge à l'époque moderne, Sigmaringen, 1997 (Beheifte der Francia, 39), p.  219-243.
[9] André-Yves Bourgès, « Propagande ducale, réforme grégorienne et renouveau monastique : la production hagiographique en Bretagne sous les ducs de la Maison de Cornouaille »,  Joëlle Quaghebeur et Sylvain Soleil (dir.), Le pouvoir et la foi au Moyen âge en Bretagne et dans l'Europe de l'Ouest. Mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel, Rennes, 2010 (Britannia monastica, 13-14), p. 145-166.
[10] Ibidem, p. 163-166.
[11] Léon Maître et Paul de Berthou (éd.), Cartulaire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, 2e éd., Rennes-Paris, 1902, p. 63.
[12] A.-Y. Bourgès, « Le dossier hagiographique des origines de l’évêché de Saint-Brieuc : un silence chargé de sens », Hagio-historiographie médiévale (mai 2019) [en ligne https://www.academia.edu/39057864].
[13] Pour la justification de cette date,  voir notre édition commentée de ce texte à paraître sous le titre  Le dossier littéraire de saint Goëznou et la controverse sur la datation de la vita sancti Goeznouei.
[14] A.-Y. Bourgès, « Le contexte idéologique du développement du culte de saint Mériadec en Bretagne au bas Moyen Âge », Jean-Christophe Cassard (éd.), Saint-Jean-du-Doigt des origines à Tanguy Prigent. Actes du colloque (23-25 septembre 1999), Brest, 2001 (Études sur la Bretagne et les pays celtiques, Kreiz 14), p. 125-136.
[15] Id., « La cour ducale de Bretagne et la légende arthurienne au bas Moyen Âge : Prolégomènes à une édition critique des fragments du Livre des faits d'Arthur », Bernard Merdrignac, Hervé Le Bihan et Gildas Buron (dir.), A travers les îles celtiques. Mélanges à la mémoire de Gwenaël Le Duc, 2008 (Britannia monastica, 12), p. 79-119.
[16] J. Quaghebeur, « Pierre Le Baud: écrire le passé pour conjurer l'avenir? », Isabelle Durand-Le Guern (éd.), Images du Moyen Âge, Rennes, 2006, p. 33.
[17] D’où les amputations sévères dont a par exemple fait l’objet la vita de Goëznou : voir notre travail signalé supra n. 13.
[18] En particulier, il lui est arrivé à l’occasion de se révéler distincte de celle de l’archiépiscopat : à plusieurs reprises, le prélat qui siégeait à Dol a semblé vouloir renoncer à exercer une autorité sur des suffragants ; mais il n’en réclamait pas moins d’être distingué des autres évêques de la province par l’octroi du pallium et le titre archiépiscopal. Ces nuances transparaissent dans les différents textes en question
[19] Vita du saint [BHL 5139, 5140/5144], recueil de miracula [BHL 5141] et récit de translatio de ses reliques [BHL 5142] : ces trois textes sont sortis de la plume d’un même écrivain qui, à l’instar de l’auteur de la seconde vita de Samson, travaillait vraisemblablement aux années 860. Voir le dernier état de la question sous la plume de Joseph-Claude Poulin, L’hagiographie bretonne du haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern, 2009, p. 199-218.
[20] Arthur de la Borderie, « Autre vie de saint Malo écrite au IXe  siècle par un anonyme », F. Plaine et A. de la Borderie (éd.),  Vie inédite de saint Malo, écrite au IXe  siècle par Bili, publiée avec notes et prolégomènes, par le R. P. Fr. Plaine. Autre vie de saint Malo : écrite au IXe  siècle par un anonyme, publiée avec notes et observations, par Arthur de La Borderie, correspondant de l’Institut, Rennes, 1884, p. 147.
[21] F. Plaine (éd.), « Vita antiqua sancti Samsonis Dolenis episcopi », Analecta bollandiana, t. 6 (1887), p. 141 : « Fama vero sancti Sansonis in tota regione in longitudine et in latitudine percurrebat, ita ut omnes viri simul et feminae terras et discumbitiones ei certatim conferrent, dicentes : Ora pro nobis  Pater, qui habes potestatem sanandi in caelo et in terra ».
[22] Ibidem : « Haec est forsan origo ecclesiarum nuncupatarum gallice Enclaves de Dol » (note de F. Plaine).
[23] J. Le Maho, « Ermitages et monastères bretons dans la province de Rouen au haut Moyen Âge (VIe-IXe siècle) », J. Quaghebeur et B. Merdrignac (dir.), Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences. Actes du colloque de Cerisy, 5-9 octobre 2005, Rennes, 2008, p. 91-95.
[24] Pierre Flobert, La Vie ancienne de saint Samson de Dol, Paris, 1997 (Sources d’histoire médiévale publiées par l’Institut de recherche et d’histoire des textes), I, 59, p. 232 (texte latin), p. 233 (traduction française).
[25] AAS Julii, t. V (1727), p. 282 : Is autem abba [Geroaldus abbas Fontanellensis] jussu Caroli Augusti quadam legatione fungebatur in insula, cui nomen est Angia, quam Britonum gens incolit, et est adjacens pago Constantino, cui tempore illo præfuit dux, vocabulo Anowarith.
[26] Le dossier hagiographique de Marcouf, auquel il faut adjoindre la vita de Hélier [BHL 3797] mériterait une étude d’ensemble à nouveaux frais, accompagnée d’une édition des textes concernés.
[27] F. Duine, Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne. Première partie : les Fondateurs et les primitifs, du Ve au Xe  siècle, Rennes, 1918, p. 49. Malgré ce jugement, ratifié depuis par François Kerlouégan, le dossier hagiographique concerné attend toujours son éditeur définitif.
[28] L’expression est empruntée à A. de la Borderie, « Miracles de saint Magloire et fondation du monastère de Léhon », Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes-du-Nord, t. 4 (1891), p. 306 (p. 82 du t.-à-p).
[29] Ibidem, p. 358 (p. 134 du t.-à-p).
[30] Ibid.,  p. 236 (p. 13 du t.-à-p).
[31] Acta sanctorum Octobris, t. 10, Bruxelles, 1861, p. 782-791.
[32] A. de la Borderie, « Miracles de saint Magloire… », p. 238-243 (p. 15-20 du t.-à-p).
[33] Ibidem, p. 236-238 (p. 13-15 du t.-à-p) ; cette anecdote fait l’objet d’un commentaire p. 310-311 (p. 86-87 du t.-à-p.).
[34] Acta sanctorum Octobris, t. 10, p. 790.
[35] A. de la Borderie, « Miracles de saint Magloire… »,  p. 233-234 (p. 10-11 du t.-à-p).
[36] Ibidem,  p. 230-232 (p. 7-9 du t.-à-p) ; cette anecdote fait l’objet d’un commentaire p. 307-308 (p. 83-84 du t.-à-p.).
[37] H. Guillotel, « Saint-Suliac : rencontre de l’archéologie, de la diplomatique, du droit et de l’hagiographie », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 6 (1998), p. 8-9.
[38] A. de la Borderie, « Autre vie de saint Malo… », p. 146-147.
[39] Ibidem, p. 147.
[40] A.-Y. Bourgès, « Origines de la rivalité entre Dol et Alet », Variétés historiques (juillet 2017) [en ligne http://www.academia.edu/34073187].
[41] H. Guillotel, « Les origines du ressort de l’évêché de Dol », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 54 (1977), p. 53.
[42] A.-Y. Bourgès, « Les enclaves de Dol et les possessions de Saint-Jacut », Hagio-historiographie médiévale (février 2006) [en ligne http://www.academia.edu/6581079].
[43] On sait que cette frontière a été fixée au début du XIe siècle seulement et qu’elle a permis, au bénéfice de l’évêché d’Avranches, le débornement des limites diocésaines depuis la Sélune jusqu’au Couesnon. La situation antérieure n’est pas connue avec certitude ; mais à haute époque, deux actes de 765 et 767 du cartulaire de l’abbaye de Prüm nous apprennent que Flagé (Flauiaco), dans l’actuelle commune de Ceaux, Precey (Patriciaco), Juilley (Iuliaco) et Poilley (*Pauiallo), au sud de la Sélune, étaient situés in pago rodonico.
[44] A.-Y. Bourgès, « Les origines diocésaines en Bretagne : quelques réflexions sur un chantier en cours », Variétés historiques (août 2017) [en ligne http://www.academia.edu/34361027].
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2 commentaires:

Vincnet a dit…

Bonjour André-Yves.
dans votre publication "A propos de la territorialisation diocésaine en Bretagne au Moyen" Âge
A propos du livre de Florian Mazel, vous évoquez un conflit entre Vannes et Alet autour de Redon. En attendant de me procurer ce livre, pouvez-vous m'en dire plus sur ce conflit ?

Etant passionné par l'histoire du pays de Redon, le sujet des évêchés de Vannes et Alet m'a toujours interpellé, car la frontière entre ces 2 diocèses, entre l'Oust et la Vilaine, n'a rien de logique. Ce n'est ni un cours d'eau, ni une voie antique, ni une crête de colline.

Ce territoire du pays de Redon, que Jean-christophe Cassard avait si bien identifié la particularité devait avoir une frontière nord antique bien différente. C'est la frontière des évêchés qui a perduré, mais elle a du se finaliser vers l'an mil.

AYB a dit…

Bonsoir Vincent,

Ainsi que vous le rappelez dans votre commentaire, l'hypothèse de ce conflit figure sous la plume de Florian Mazel, dont je ne voudrais pas résumer et donc risquer de trahir l'argumentation : le mieux est de vous faire votre propre opinion en vous reportant à son texte.

Effectivement, la limite entre les diocèses d'Alet et de Vannes peut ne pas reproduire celle entre les anciennes civitates des Coriosolites et des Vénètes. Ceci étant, son caractère "artificiel", qui est la marque d'une frontière "négociée" n'implique pas nécessairement, me semble-t-il,qu'elle ait été constituée à basse époque.

AYB

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