« Si nous refusons la posture hautaine de l’historien, rectifiant les fantaisies mythologiques au nom d’un scientisme indigent, nous n’accordons pas à l’activité patrimoniale, nourrie en l’occurrence par la mythologie, un statut d’indépendance excluant tout droit d’ingérence historique ».
François Chappé
Sans tomber, espérons-nous, dans le « scientisme indigent », dénoncé par François Chappé, ou, peut-être pire encore, dans la cuistrerie, il nous faut rappeler en préalable que le terme hagiographie, du grec άγιος (agios), « saint », et γραφειν (graphein), « écrire », que nous utiliserons à de nombreuses reprises au cours de notre exposé, désigne la production écrite médiévale consacrée aux saints ; les auteurs de ces textes sont en conséquence appelés des hagiographes.
De manière générale, « hagio- » a été et continue d’être utilisé comme préfixe pour forger des termes en rapport plus ou moins direct avec les saints et leur culte : le terme hagiologie par exemple, qui désigne les recherches menées sur la matière hagiographique, permet ainsi d’établir une distinction claire avec les textes des hagiographes ; mais nous aurons également recours à de nombreux néologismes préfixés avec « hagio » : ainsi le terme hagio-marketing, qui peut s’appliquer à la démarche de certains professionnels œuvrant dans le domaine du tourisme religieux.
Introduction
Le sous-titre de notre intervention, – « Clio et Mythos sont dans un bateau … », – souhaite rendre compte sur un mode badin de la manière dont la plupart de nos questionnements, en particulier ceux qui concernent les origines, peuvent être abordés de deux façons différentes : par l’histoire ou par le mythe ; encore les historiens, pour la plupart, n’apportent-ils le plus souvent de réponses que sous forme d’hypothèses et de nouvelles interrogations, ce qui n’est pas sans entrainer une certaine frustration de la part du grand public.
Ces deux approches ne fonctionnent absolument pas en parallèle, comme on pourrait le penser : leurs contacts s’avèrent même au contraire fréquents avec le risque d’un mélange des genres qui, ici comme ailleurs, peuvent se révéler préjudiciable à l’une comme à l’autre ; mais le risque nous semble d’autant plus important pour l’histoire, particulièrement au stade essentiel de la vulgarisation, – « Clio tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? », – que le mythe exerce généralement une forte attraction, donnant alors au marketing l’opportunité de concevoir et de promouvoir les produits marchands et/ou « idéologiques » correspondant aux attentes du grand public.
Bien entendu, les activités économiques et culturelles qui répondent à une demande sociale sont parfaitement légitimes : ainsi en va-t-il quand, dans une perspective patrimoniale, certaines organisations utilisent à des fins pédagogiques les connaissances actuelles sur l’histoire de la Bretagne, en particulier celle de l’époque « héroïque » (de la fin du Ve au milieu VIIe siècle, voire jusqu’au début du VIIIe), c’est-à-dire les siècles qui ont vu l’ouest de la péninsule armoricaine adopter le nom de Britannia, en raison de l’implantation de colonies bretonnes insulaires ; mais, comme nous venons de le dire, cette valorisation du passé breton s’accompagne souvent d’un recours aux techniques du marketing afin de stimuler l’intérêt du consommateur : le mythe n’est alors jamais bien loin, car c’est un bon carburant pour nourrir le rêve, au détriment des résultats de la recherche historique.
A cet égard, le parc de la Vallée des Saints, à Carnoët (Côtes-d’Armor), à l’instar de la manifestation du Tro Breizh, offre un cas de figure particulièrement intéressant à étudier, car, depuis son lancement jusqu’à aujourd’hui, la présentation qui est faite de ce « produit », autant par ses promoteurs que par les médias, renvoie presque toujours à l’histoire des origines de la Bretagne ; mais, si l’on confronte les fondamentaux de ces attractions touristiques aux hypothèses des chercheurs, une telle référence est-elle vraiment appropriée ?
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Avant de procéder à une telle confrontation sur quelques aspects significatifs, il nous a semblé nécessaire de donner à voir comment s’élabore la recherche historique en proposant d’entrer dans le cabinet de l’historien, d’observer ce dernier au travail, en particulier la manière dont il approche et traite les sources à sa disposition : il s’agit notamment d’examiner, pour les différentes périodes du Moyen Âge, le cas de l’hagiographie et plus particulièrement, la littérature qui, en Bretagne, traite des saints supposés avoir vécu à l’époque « héroïque » ; mais pour que cet examen s’avère le plus complet possible, il convient de lui associer une démarche de nature historiographique, permettant de comprendre les raisons pour lesquelles, depuis le début du XIXe siècle, la littérature hagiographique médiévale occupe une place véritablement centrale dans le débat sur les origines bretonnes : c’est à cette occasion en effet qu’il est possible de mesurer les conséquences d’une contamination de l’histoire par le mythe.
I
Dans le cabinet de travail de l’historien
L’historien, au premier chef le médiéviste, travaille à partir de sources de nature diverse, principalement des sources écrites, dont il convient d’extraire, de trier et de traiter les données : à cet égard, l’informatique joue un rôle très important, en particulier en ce qui concerne l’archivage et le classement de la documentation. L’approche des sources est conditionnée par la démarche historienne qui a été choisie ; mais il ne peut être question de travailler sans source. A noter que si la mise au jour d’écrits médiévaux inconnus est désormais peu probable, la possibilité de découverte s’étend désormais, grâce à la numérisation continue des ressources documentaires et aux moteurs de recherche, – sous réserve évidemment d’utiliser des mots-clés pertinents, – à des textes jusqu’alors difficiles d’accès, voire totalement inédits.
Par ailleurs, un récent renouveau méthodologique permet à l’historien d’espérer mieux faire parler les sources en question en substituant à un type d’interrogatoire proche de celui du policier ou du juge d’instruction un questionnement rendu plus subtil par l’emprunt de concepts et d’outils à d’autres sciences humaines et sociales : il s’agit d’une adaptation du questionnement systématique (QQCOQP) en fonction de la source considérée. Comme le souligne Nathalie Montel, « (…) les écrits du passé parvenus jusqu’à nous sont à considérer essentiellement comme les produits d’une opération d’écriture, dont les conditions, les modalités, les formes et les motivations singulières sont à interroger. Qui a écrit ? Dans quelles circonstances ? À qui ? Comment ? Et, peut-être surtout : pourquoi ? Telles sont les questions à élucider, les réponses déterminant les usages que l’historien peut faire du document arrivé jusqu’à lui ».
Pour notre part, nous sommes tenté de filer la métaphore, en comparant cette approche à celle du détective privé : ne disposant pas des moyens légaux pour procéder à des interrogatoires, le détective privé s’efforce de provoquer, encourager, faciliter la parole des protagonistes de l’affaire qui lui est confiée, puis d’analyser le matériau ainsi recueilli ; le détective privé mobilise à cette occasion toutes les ressources de son empathie, de son esprit critique, de sa capacité à « hypothétiser », de son intuition, de sa curiosité et même de son imagination, dans les limites que lui fixe sa déontologie professionnelle, pour tirer le meilleur parti des informations obtenues.
Parfois même, on observe un glissement de la démarche du détective à celle du psychanalyste. Martin Joubert observe que « Sherlock et Freud partagent une même praxis ; tous deux en position d’accueil de la demande adoptent une écoute flottante tandis qu’ils sont attentifs aux détails et aux achoppements du langage, tout autant qu’au langage corporel qui trahit les indices dissimulés » ; mais, au-delà de ces démarches non-intrusives auxquelles l’historien aspire d’accéder, il faut bien reconnaître qu’on ne se débarrasse pas facilement de ses anciennes habitudes d’enquêteur (inquisitor) et des techniques qui vont de pair, parfois brutales, mais souvent efficaces.
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Sans prétendre à l’exhaustivité, le court récapitulatif ci-après devrait permettre de tirer le meilleur profit de l’exploitation des sources :
1) Toujours indiquer, qualifier (critiquer) et contextualiser la source utilisée.
2) Faire émerger des problématiques en fonction de la démarche historienne retenue et de son rapport avec les sources.
3) Intégrer l’apport des travaux historiographiques et épistémologiques dans ses propres recherches ; mais se méfier des effets de mode et de l’esprit de système.
4) Prendre en compte la dimension idéologique que revêt toute tentative de reconstitution du passé.
5) Enfin, ne jamais oublier que l’enquête s’avère souvent plus intéressante et enrichissante que ses résultats : « les gens aiment bien qu’on leur raconte des histoires de pharaons, mais ils aiment encore plus les histoires d’égyptologues. Se mettre en scène comme enquêteur n’est pas narcissique, c’est méthodologique » insiste Patrick Boucheron, du moins pour autant que l’on conserve à l’égard de l’enquêteur une disposition d’esprit critique : ainsi Georges Duby insistait-il sur « la nécessité d’observer l’observateur lui-même, de savoir ce qu’il croit, ce qu’il craint, de faire l’histoire des historiens ».
II
Les sources hagiographiques médiévales
et l’évolution de leur utilisation par les historiens :
l’exemple de la Bretagne depuis le début du XIXe siècle
Au nombre des sources de la recherche historique médiévale, il faut compter la production hagiographique des différentes périodes du Moyen Âge. Cette documentation est divisée en 4 catégories principales :
1) Les « biographies » de personnages réputés saints (vita)
2) Les recueils de leurs miracles (miracula ou liber miraculorum)
3) Les récits relatifs à la destinée de leurs reliques (translatio, illatio, elevatio)
4) Et enfin, plus tardivement, à partir du XIIIe siècle en Bretagne, les dossiers réunis en vue de la canonisation éventuelle de ceux que les historiens désignent comme des novi sancti (« nouveaux saints).
Les ouvrages des 3 premières catégories, qui sont en Bretagne la principale source sur les supposés saints des origines, constituent la production hagiographique proprement dite, de forme littéraire, mais dont le « projet » dépasse les seuls aspects d’édification des fidèles, pour constituer souvent une véritable œuvre à thèse : dans le cadre de l’idéologie cléricale qui l’inspire et au-delà même de sa dimension spirituelle, elle permet à la communauté religieuse à laquelle appartient l’hagiographe, de se défendre, de s’étendre, et plus généralement de s’affirmer et de perdurer ; mais tandis que les personnages traditionnellement présentés comme les saints du Haut Moyen Âge (Ve-Xe siècles) se compteraient par plusieurs centaines, seules quelques dizaines ont nourri la production hagiographique bretonne. A quoi il faut ajouter, pour les XIe-XVe siècles, une poignée de « nouveaux saints », dont le plus célèbre est Yves de Tréguier. De plus, cette production hagiographique, dont la composition est intervenue entre le VIIIe et le XVe siècle, n’est pas homogène : certains saints sont en effet dotés d’un véritable dossier littéraire comprenant plusieurs textes, tandis que pour d’autres, ne nous sont parvenus que des fragments plus ou moins longs.
Le dossier de canonisation quant à lui, en particulier les enquêtes sur la vie et les miracles de la candidate ou du candidat concernés, n’appartient pas au domaine littéraire, mais à celui de la procédure. Cependant, cette documentation a évidemment toute sa place parmi les sources dont nous pouvons disposer sur les « nouveaux saints » et qui permettent de reconstituer, au moins approximativement, leur « carrière » : c’est notamment le cas en Bretagne pour Maurice de Carnoët, Guillaume de Saint-Brieuc, Yves de Tréguier, Charles de Blois et Vincent Ferrier.
Au contraire, l’historicité des « saints » du haut Moyen Âge nous échappe largement, car les textes hagiographiques, quand ils existent, ne font presque jamais l’objet d’un « recoupement » par des témoignages externes : s’agissant de l’époque « héroïque » bretonne, les seuls « saints » qui peuvent être retenus sont Samson, si du moins il s’agit bien du prélat homonyme qui particpe au concile de Paris vers 562, et le roi Judicaël, contemporain certain de Dagobert 1er (+ 639) ; quant à Melaine, évêque au tournant des Ve-VIe siècles du siège gallo-romain de Rennes, son diocèse était situé en dehors du territoire alors contrôlé par les Bretons, à l’instar du Nantais, où est également avérée l’historicité de l’évêque Félix et des reclus Friard et Secondel, à la fin du VIe siècle. Dans la plupart des cas nous échappe également la nature de la « sainteté » des personnages concernés, en dehors des « modèles » auxquels leurs hagiographes les font se conformer : c’est en particulier le cas du « modèle martinien », ainsi désigné en référence à Martin de Tours, « l’apôtre des Gaules », qui a connu un grand succès dans l’ensemble de la production hagiographique médiévale ; mais le modèle indépassable reste bien entendu celui du Christ.
Quelles que soient les précautions imposées par le déficit de documentation, on ne peut conclure formellement que les « saints » des périodes les plus anciennes n’ont pas existé, sauf quand il s’avère impossible de mesurer la réalité du culte dont ils faisaient l’objet, comme par exemple dans le cas de Logot, dont le nom parait avoir été « inventé » à partir d’un toponyme désignant un vallon (san) où pullulaient les souris (logod en breton) ! Si, en la matière, la toponymie bretonne qui, depuis les travaux des Bénédictins au XVIIIe siècle, a constitué la principale « fabrique de saints » à l’échelle régionale, fait effectivement courir un important risque d’inflation de leur nombre, il existe, en dehors même du matériau hagiographique stricto sensu, des sources indiscutables (calendriers liturgiques et litanies), qui donnent les listes des saints dont le culte était bien vivant à l’époque où elles ont été compilées (Xe-XIe siècles) et qui, sans doute, méritent une attention particulière. Par ailleurs, quelques mentions plus ou moins fortuites de reliques ou de pèlerinages dans la documentation externe au matériau hagiographique permettent de confirmer l’existence ancienne de tel ou tel culte ; mais il est souvent difficile d’aboutir à des conclusions tranchées.
Malgré leurs limites, les textes qui forment le matériau hagiographique sont importants pour notre connaissance de la Bretagne médiévale, parce qu’ils constituent les seules sources écrites à couvrir la plus grande partie des époques concernées (milieu du VIIIe-fin du XVe siècle). Cependant, parce que « le discours hagiographique, fondé sur la répétition et sur la commémoration, donne donc rarement une image immédiate de la société qui le produit », sauf ce qui concerne son idéologie, c’est « à la marge du texte », en se fondant notamment sur les « effets de réel », que l’on peut disposer d’un point de vue inédit sur l’époque de ces ouvrages : l’effet de réel est la caution donnée par le (ra)conteur à son public que son histoire, aussi improbable soit-elle, reflète une certaine « réalité », puisqu’elle se vérifie par tel trait qui amène l’auditeur ou le lecteur à se dire « c’est vrai, puisque je connais cela », ou bien « ce doit être vrai, puisque c’est ininventable ». L’effet de réel n’entrave pas la progression du récit, ni sa logique interne : il est comme qui dirait « à côté » tout en participant du discours, qu’il contribue à rendre crédible pour ceux qui le reçoivent.
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Vers 1820, le rôle supposé des saints locaux dans l’histoire de Bretagne, tel que mis en avant depuis le tournant des XIVe-XVe siècles par l’auteur anonyme du Chronicon Briocense , suivi par les ouvrages de Pierre Le Baud, d’Alain Bouchart et de Bertrand D’Argentré, – sans oublier les deux sommes hagiographiques du dominicain Albert Le Grand (1637) et du bénédictin Guy-Alexis Lobineau (1725), – paraît désormais bien oublié, comme il se voit dans les tentatives historiographiques régionales qui connaissent alors un nouvel essor.
A cet égard, l’ouvrage donné en 1821 par Edouard Richer, celui du comte Pierre Daru paru en 1826 et le manuel publié en 1833 par l’abbé Pierre Brouster, professeur au collège de Tréguier, doivent retenir notre attention car, malgré leur faiblesse, il apparait que leurs auteurs ont voulu faire œuvre d’historien. Or, aucun d’entre eux, – pas même l’ecclésiastique trégorois qui à peine consacre une courte note au saint tutélaire du diocèse, Tugdual, et surtout ignore presque totalement Yves de Tréguier, – ne témoigne de véritable intérêt pour l’hagiographie bretonne.
Cette désaffection peut être interprétée comme une sorte d’écho à l’hagio-scepticisme des élites, quand bien même subsistaient chez les populations des pratiques dévotionnelles héritées de la tradition ; mais il faut également noter que la popularité des saints locaux en Bretagne sous l’Ancien régime, telle que la littérature orale permet de l’appréhender sans intermédiaire, était très faible : moins de 12 % des « personnages qui sont invoqués au cours de prières dans les complaintes d’inspiration profane » ; en Basse-Bretagne, ils sont d’ailleurs massivement absents du répertoire des cantiques jusqu’au milieu du XIXe siècle et les gwerziou qu’ils ont pu inspirer démarquent le plus souvent le récit donné par Albert Le Grand.
Or, précisément ce dernier fait l’objet en 1837 d’une réédition, un an après celle de l’ouvrage de Lobineau, redonnant ainsi toute son actualité à la question de la place des saints dans les origines bretonnes ; de surcroît, la publication en 1839 d’un recueil intitulé Vies des bienheureux et des saints de Bretagne, composé par l’abbé Malo de Garaby, apparaît comme le prolongement de la même entreprise, mais dans une perspective moins savante. Ces trois ouvrages apportent donc des éléments propres à nourrir au sein de publics socialement et culturellement différenciés une réflexion sur les divers aspects de la foi catholique et de sa pratique, mais également sur la supposée spécificité de son établissement en Bretagne. Le succès de ces publications fut immédiat car ils permettaient de nourrir le corps de doctrine du courant de pensée conservateur et romantico-nostalgique suscité par l’échec politique de la Restauration (1815-1830) : ainsi, par exemple, c’est à ces rééditions que renvoie Théodore Hersart de la Villemarqué dans la première version de son Barzaz Breiz à propos des légendes relatives à Hervé, Ronan, ou Ratian.
Par-dessus tout, les confidences faites par Arthur de La Borderie à Léon Séché révèlent combien l’influence de ce renouveau hagiographique a été considérable sur le futur historien de la Bretagne, alors âgé d’une dizaine d’années :
« Tout enfant, — je tiens de lui ces détails, —il avait été frappé par le côté sérieux de la vie des saints de Bretagne : jeune, il était déjà tourmenté par le souci de donner une base certaine à leur hagiographie ».
Ce témoignage, qui demeure l’une des meilleures sources sur la formation intellectuelle de La Borderie, permet de comprendre comment sa pratique historiographique a été conditionnée dès l’origine par son hagiodulie, dont nous avons un ultime témoignage en 1901, l’année même de sa mort :
« Je regarde, je tiens en effet pour mon premier titre d'honneur, comme historien breton, d'avoir rendu à nos vieux saints cette qualité essentielle et primordiale de fondateurs temporels et spirituels de la nation. C'est à cela que je tiens avant tout ; je dirais volontiers que je ne tiens qu'à cela ».
Plusieurs étapes ont jalonné ce long parcours, mais sans jamais le faire dévier : le recours par La Borderie au matériau hagiographique ne s’explique pas simplement parce que, catholique militant, il défend une vision apologétique de la religion, – il ne se justifie pas seulement par son constat du déficit documentaire qui, pour la période la plus ancienne, affecte les autres sources, – il résulte avant tout de sa conviction que c’est l’union intime de leur foi chrétienne et de leur patriotisme qui a permis aux Bretons armoricains de s’opposer victorieusement aux tentatives de conquête des Francs et des Vikings, puis de se prémunir jusqu’à la fin du Moyen Âge contre les ambitions politiques de leurs puissants voisins de France et d’Angleterre.
Ce point de vue évidemment discutable aurait mérité d’être éprouvé en analysant l’arrière-plan idéologique des vitae de saints et, plus encore, en procédant à leur mise en perspective sur la longue durée ; mais chez La Borderie, l’usage abusif des textes concernés l’a toujours empêché de reprendre leur examen critique, malgré les progrès méthodologiques intervenus en matière historiographique dans la seconde moitié du XIXe siècle : pour incarner ce qu’il revendique comme étant « la vraie critique », il lui aurait fallu faire évoluer en permanence sa propre position. Or, à l’instar de La Villemarqué, La Borderie a laissé, pendant un demi-siècle, ses premières hypothèses se figer sous la forme de pétitions de principe, sans jamais leur apporter de nouvelles démonstrations. C’est ainsi qu’en 1883, il republiait à l’identique son étude presque quarantenaire sur le rôle historique des saints de Bretagne en soulignant :
« Sur tous les points principaux, sur le fond même de la thèse, nous n'avons rien à changer ; toutes nos recherches depuis lors l'ont confirmée ; nous espérons en pouvoir bientôt donner la démonstration définitive dans le livre que nous préparons sur l'Histoire de Bretagne du Ve au Xe siècle ».
En focalisant le débat essentiellement sur leur valeur historico-événementielle, appréciée du point de vue d’une « critique textuelle » qui s’avère notoirement biaisée, la bifurcation opérée par La Borderie a eu pour effet d’éloigner durablement les vitae de saints bretons d’une véritable « critique rédactionnelle » pourtant déjà engagée à son époque et à laquelle il paraît lui-même avoir originellement souscrit. Cette bifurcation a occasionné en retour une hypercritique, presque toujours dépréciative, à l’encontre de la documentation concernée : offensive qui a mobilisé beaucoup d’énergie pour des résultats jugés aujourd’hui bien dérisoires et qui a détourné nombre de chercheurs de l’utilisation du matériau hagiographique, qualifié « odieux fatras » et « basse littérature » par Ferdinand Lot.
A l’inverse, plusieurs auteurs, favorablement impressionnés par l’assurance de La Borderie, ont à sa suite eu recours avec une confiance excessive à ce type de sources : malgré la pertinence et la précocité de certaines remarques sur l’œuvre de La Borderie, son ombre portée sur la recherche historique régionale jusque dans les années 1980, comme il se voit encore dans l’ouvrage de Léon Fleuriot sur Les origines de la Bretagne, constitue un phénomène fascinant qui, au point de vue historiographique, mérite qu’on en prenne sérieusement la mesure ; mais il n’est jamais évident de voir adopter à l’égard d’une figure iconique une attitude tout à la fois critique et mesurée.
Bien que ses prémisses programmatiques aient été ébauchées dès les années 1900 par l’abbé François Duine, il a fallu ainsi attendre la décennie 1990 avant que n’intervienne dans les études hagiologiques le changement de paradigme qui a permis, « non sans difficultés », l’émergence du matériau hagiographique comme un « objet spécifique d’histoire ». Comme l’expliquent Patrick Henriet et Jean-René Valette, il s’agit d’un véritable « virage », lequel « peut être schématiquement résumé en deux points » :
« L'hagiographie latine n'est plus considérée comme le miroir d'une ‘’mentalité’’ populaire et naïve, mais bien comme un lieu d'expression privilégié des stratégies et des idéologies cléricales.
S'ils fournissent quantité d'informations factuelles non négligeables, les textes hagiographiques sont désormais envisagés par les historiens dans leur cohérence propre, en même temps qu'ils sont mis en relation avec les autres réalisations (spirituelles, pragmatiques, matérielles etc.) provenant des mêmes centres et des mêmes milieux »
S’agissant de la Bretagne, c’est principalement au sein du CIRDoMoC (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique) que s’est préparé ce changement de paradigme, par le biais d’approches complémentaires comme celles incarnées par Hubert Guillotel, Bernard Merdrignac, Joseph Claude Poulin et de nombreux autres chercheurs : fondée en 1988 sous statut associatif dans le prolongement du colloque international tenu à Landévennec en 1985, cette institution a rapidement acquis une réputation d’expertise en matière hagiologique par la haute tenue de ses colloques annuels et le contenu de sa publication principale Britannia monastica (21 volumes parus à ce jour). Ainsi le CIRDoMoc a-t-il contribué depuis sa fondation « au rapprochement entre philologues, historiens et spécialistes du fait littéraire, en un mot entre médiévistes », dont parlent Henriet et Valette avec un enthousiasme qu’il nous semble cependant nécessaire de tempérer : s’il n’est plus question en effet, comme le préconisaient jadis les hypercritiques, de décréter l’exclusion de la production hagiographique des sources médiévales, on la voit trop souvent encore abandonnée, à l’instar des lais féériques et des romans arthuriens, au seul questionnement des spécialistes de la littérature, sans toujours chercher à promouvoir le large « rapprochement » dont il vient d’être question. Plus préjudiciable encore : ce renouveau de la recherche n’a toujours pas fait l’objet d’une véritable vulgarisation et souvent la perception de l’histoire des origines bretonnes par le grand public reste encore empreinte d’une vision « laborderiste ».
III
La machine à mythes
Intéressons-nous maintenant en la confrontant, comme nous l’avons dit, aux acquis récents de la recherche historique, à la démarche intellectuelle qui a vu la création du parc de la Vallée des saint à Carnoët, laquelle s’inscrit dans le prolongement de la manifestation du Tro Breizh et du projet, inabouti, de « la Vallée des Celtes » ; démarche que nous avons désignée ailleurs par le terme hagio-traditionisme et qui emprunte au traditionisme l’idée forte, mais un peu courte, que la transcendance de la tradition l’emporte toujours sur la modernité et l’esprit critique. En Bretagne, l’hagio-traditionnisme intègre bien sûr à sa démarche des éléments issus de l’hagio-folklorisme ; mais il s’inspire également d’un courant que l’on pourrait qualifier hagio-nationaliste, qui contribue assez largement à faire tourner la machine à mythes.
Le projet de la Vallée des saints témoigne d’une grande proximité avec les motivations de l’hagiographe du Moyen Âge : dans le cadre de l’idéologie qui l’inspire, il s’agit de mobiliser les populations en créant un pôle d’attraction et de solliciter en même temps les pouvoirs publics (hier ducs, comtes, seigneurs locaux, aujourd’hui communautés de communes ou conseils départementaux, voire régional) afin d’obtenir qu’ils s’engagent, en particulier sous forme de donations et de subsides, à amorcer le « marché » concerné et à renforcer ainsi le projet qui l’inspire. A l’époque, l’un des porteurs du projet pouvait déjà se prévaloir d’une réussite incontestable dans le domaine de l’hagio-marketing, avec la manifestation annuelle du Tro Breizh, abusivement présentée comme la relance d’un pèlerinage médiéval de masse, dont la véritable ampleur, ainsi que la nature exacte échappent largement à notre connaissance ; mais si, dès sa première édition en 1994, la participation de plusieurs centaines de personnes, a bien montré qu’il existait en l’occurrence un véritable domaine d’activité stratégique, le caractère saisonnier de l’attraction concernée, son immatérialité, pour ne pas dire sa labilité, dont témoigne le romantisme de sa présentation (« un périple circulaire qui vous entraine au cœur de l’histoire de la Bretagne entre landes sauvages, bruyères colorées, chemins creux, bords de mers à vous couper le souffle, lambeaux de brumes, menhirs silencieux, fabuleux patrimoines, mystérieuses légendes »), s’opposaient à sa polarité, à moins qu’elle ne se trouvât en quelque sorte inscrite dans le paysage, par le balisage des chemins avec les statues des saints, comme c’était le souhait à l’origine, ou du moins avec des « pierres levées », comme l’association Mon Tro Breizh® en tente aujourd’hui l’expérimentation, par exemple à Plouaret.
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Le moderne Tro Breizh exalte la mémoire des « Sept Saints de Bretagne » au travers d’un récit des origines bretonnes qui donne aux saints concernés un rôle fondateur : dans une dynamique de randonnée pédestre où la pratique sportive le dispute à l’exercice spirituel, à moins que ce ne soit la pratique spirituelle qui se combine à l’exercice sportif, les Tro-Breizhiens se sont élancés en nombre depuis 1994 sur des itinéraires reliant chaque année deux des sept sièges épiscopaux de Dol, Vannes, Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo, dont les Sept Saints sont réputés les fondateurs ; mais cette manifestation repose en grande partie, à l’instar des chemins jacquiers bretons, sur « un mirage historiographique », selon la formule de Jean-Christophe Cassard.
Certes, une dévotion collective aux « Sept Saints » existait « en Bretagne » à la fin du XIe ou le début du XIIe siècle, comme l’atteste un passage interpolé de la Chanson de Roland : ce culte leur était alors rendu dans un sanctuaire dédié ; du moins l’interpolateur croyait-il à l’existence d’un tel sanctuaire. Si l’on présume que les « Sept Saints » dont il s’agit étaient déjà assimilés aux fondateurs supposés des évêchés bretons, la dévotion dont ils faisaient l’objet peut être mise en relation avec les derniers feux jetés par la métropole de Dol, au-delà même de sa fin officielle (1199) ; mais on omet souvent de dire qu’il a existé en Bretagne de nombreux autres groupements hagio-septenaires, qui témoignent de la complexité de cette tradition. Yves-Pascal Castel avait compté plus d’une dizaine de ces groupements : pour plusieurs d’entre eux nous disposons de listes, le plus souvent tardives hélas, des noms des saints concernés, ou du moins nous pouvons extrapoler leurs noms à partir d’indices pertinents.
Le manuscrit composite Paris, Bibliothèque nationale de France, latin 5275, de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle, nous donne dans sa dernière partie (f. 63r), les « Noms des Sept Saints de Bretagne » (Nomina VII. Sanctorum Britanniae), numérotés dans l’ordre suivant : I. Briocius, II. Sanson, III. Machutus, IV. Paternus, V. Corentinus, VI. Paulus, VII. Tuduualus ; le scribe a même suscrit les formes Briomaglus et Maclovius). Il s’agit du seul document médiéval à mentionner explicitement les noms des sept fondateurs supposés des évêchés bretons comme étant ceux des « Sept Saints de Bretagne ». L’ancienneté du témoignage le rend particulièrement important et précieux ; mais elle ne peut compenser les limites qu’il convient de fixer à l’interprétation d’un témoignage unique.
Dans le dernier tiers du XIIe siècle, l’auteur de l’Explanatio Prophetiae Merlini Ambrosii, cité ici d’après le ms Paris, BnF, lat. 7481 (f. 20v-22v), fait le récit de l’installation dans le royaume armoricain de Samson, ci-devant archevêque d’York, fondateur de Dol, accompagné de six autres saints présentés comme ses frères et devenus eux-mêmes les évêques des autres cités de ce royaume. On notera que la liste des six « frères » de Samson (Melanius, Macutus, Maclovius, Pabutual, Paternus, Wingaloeus, diffère assez sensiblement du « canon » figurant dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 5275 : l’écrivain omet Paul Aurélien, Brieuc et Corentin ; mais il dédouble Malo et intègre à sa liste Melaine de Rennes, ainsi que Guénolé, fondateur supposé de l’abbaye de Landévennec, dont la tradition cornouaillaise n’a pas retenu l’éventuel épiscopat.
Evoquant la formation du réseau des sièges épiscopaux, Le Baud, dans la première version de son Histoire de Bretagne (vers 1480), mentionne de manière explicite, à propos des seuls Corentin, de Patern et de Tugdual, les « Sept Saints de Bretagne » ; mais cet auteur, pourtant bien informé, ne dit rien d’un éventuel pèlerinage à son époque, ni dans le passé, ancien ou récent. A la fin du Moyen Âge, la nomenclature des « Sept Saints de Bretagne » n’est décidément plus très assurée, si elle le fut jamais : ainsi Nicolas Coëtanlem, de Morlaix, dictant son testament en 1518, fait-il un don « aux Sept Sainctz de Bretaigne, scavoir : à M. Sainct Pierres de Nantes, à M. Sainct Paul, à M. Sainct Tudgoal, à M. Sainct Guillaume à Sainct-Brieuc, à M. Sainct Sampson, à M. Sainct Brieuc, à M. Sainct-Malo » ; la priorité donnée au siège de Nantes, peut-être redoublée avec la mention de Paul, titulaire avec le Prince des apôtres de la cathédrale, montre que le possible sens initial, dolois, de la dévotion aux Sept saints de Bretagne était oublié à cette époque.
Deux siècles plus tard, Dom Lobineau, dont les travaux sont considérés comme le sommet de l’érudition mauriste, n’est pas plus sûr de la liste qu’il donne en 1707 dans son Histoire de Bretagne : « Ces sept saints estoient apparemment S. Paul de Léon, saint Tugdual, saint Samson, saint Malo, saint Meen et saint Judicaël, ou bien c’estoient les frères et les neveux de saint Judicaël ». Suite aux informations reçues d’un récollet de Morlaix, il corrige son propos dans la préface de son ouvrage : « C’estoient les premiers evesques des anciens sièges bretons en y joignant celui de Vannes ». Il évoque en outre « le voïage des sept Saints de Bretagne » : « Ce voïage estoit une devotion si en usage autrefois, qu'il y avoit un chemin tout au travers de la Bretagne, fait exprès, que l'on appelloit pour ce sujet le chemin de sept Saints, dont on voit encore des restes au Prieuré de saint George prés de Dinan ».
La réalité du « pèlerinage des Sept saints de Bretagne, que l’on appelle en langue vulgaire Trobreiz, en latin circuitus Britanniae » (comme on le désigne vers 1400) n’est pas contestable ; mais sa nature reste énigmatique, d’autant plus que son souvenir paraît s’être rapidement effacé et que la liste des saints concernés ne peut pas être dressée, aux différentes époques où le pèlerinage a existé, avec toute la certitude souhaitable. Le culte lui-même des Sept Saints de Bretagne, établi bien avant que nous ne disposions de témoignages positifs sur le pèlerinage, a sans doute reflété dans ses origines et peut-être dans ses développements des traditions anciennes et complexes sur lesquelles nous n’avons plus que des bribes d’informations. La présence d’autels dédiés, comme Lobineau l’indique à Quimper, n’est pas assurée dans toutes les cathédrales bretonnes : en dehors des chiffres vertigineux extrapolés par certains érudits sur la base des sommes perçues lors des périodes annuelles où, au Bas Moyen Âge, les reliques des saints fondateurs supposés étaient proposées à la vénération de l’ensemble des fidèles et pas seulement des seuls pèlerins du Tro Breizh, les traces laissées par ce dernier se révèlent particulièrement ténues et ne permettent pas de conclure à l’existence d’un phénomène de masse. L’enquête en vue de la canonisation d’Yves de Kermartin (1330), qui est le seul document à apporter des témoignages directs sur le viagium septem sanctorum donne plusieurs illustrations de la dimension modeste du courant pérégrin, lequel est en outre ignoré des autres documents similaires, à savoir les enquêtes relatives à Charles de Blois (1371) et à Vincent Ferrier (1453-1454).
Cependant, à partir des années 1950, le savoir-faire de littérateurs comme Florian Le Roy a su créer l’image anachronique d’un large phénomène populaire à forte coloration politico-mystique, propre à nourrir l’hagio-traditionisme. C’est cette démarche que les promoteurs du Tro Breizh ont choisi de mettre en œuvre à partir de 1994 : la dimension dominante du projet était « routière » et la notion d’itinéraire, de chemin(s), en constituait le fondement, à l’instar de projets similaires (chemin de Colomban, chemins jacquiers). Or, à l’exception de deux indications de détail dans l’enquête de canonisation d’Yves de Kermartin et de la précision apportée par Lobineau, les sources ne permettent nullement d’éclairer cette dimension. Du coup, on assiste à un recyclage du circuit élaboré par Le Roy à partir des travaux des érudits antérieurs sur le réseau viaire antique et médiéval : « faire » le Tro Breizh, selon l’expression consacrée, c’est donc avant tout emprunter les vestiges des voies gallo-romaines et des « grands chemins » d’autrefois, ce qui mériterait d’être mieux expliqué aux participants. Au reste, considérant qu’il n’existe pratiquement aucun témoignage sur les chemins empruntés par les pèlerins médiévaux, plusieurs hypothèses alternatives ont été proposées pour certaines portions de l’itinéraire Le Roy.
De plus, en 2019, les promoteurs de cette manifestation, craignant peut-être un « essoufflement » de l’élan de leurs marcheurs, ont opportunément décidé que cet itinéraire, présenté comme traditionnel, serait désormais élargi aux sièges épiscopaux de Rennes et de Nantes : l’hagio-traditionisme en effet n’a pas de véritable doctrine et, comme c’était déjà le cas pour les hagiographes médiévaux, il sait s’adapter aux besoins de son « marché » ; mais qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre de ces itinéraires, ceux-ci ont acquis, à l’instar d’autres éléments du « roman national breton », droit de cité, non seulement dans les publications touristiques, mais aussi dans celles qui proposent de mettre à disposition du grand public l’état de la recherche sur des sujets relatifs au patrimoine culturel.
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Au début de 1999 circule le dossier de présentation d’un projet assez vaguement désigné « la Vallée des Celtes ». En « préambule » figurent, entre guillemets, mais sans référence, des citations, dont l’une souligne que « l’attrait que suscite la tradition celtique et le christianisme celtique en particulier n’est pas une simple mode, mais un besoin profond pour de nombreux peuples d’Occident de retrouver leurs racines » : l’essentiel de ces citations, parfois soigneusement détachées de leur contexte, est en fait tiré de la préface des Actes du colloque intitulé le Christianisme celtique hier et aujourd’hui, organisé du 12 au 14 août 1995, par le monastère de la Sainte-Présence à Saint-Dolay, siège primatial de l’auto-proclamée Église orthodoxe celtique, laquelle n’est pas reconnue par les Églises orthodoxes traditionnelles ; parmi les intervenants de ce colloque, il était revenu au prolifique Yann Brekilien de traiter « Les origines de la spiritualité celtique », sans doute en raison de son appartenance au néo-druidisme breton. Une autre citation est empruntée au poète et écrivain Charles Le Quintrec (1926-2008), qui, à propos de la Bretagne médiévale, évoque « cette histoire si mal connue qu’il faut aller en chercher les traces et les vibrations les plus intenses dans les cartulaires et les grimoires des temps obscurs que furent ceux des chrétientés celtiques pendant près d’un millénaire » ; mais, là encore, l’auteur n’est pas mentionné. Traditionisme et dissimulation, voilà qui augure mal d’un projet dont le dossier de présentation cherche à souligner les fortes ambitions de nature culturelle et économique, et la double dimension pédagogique et ludique :
« La mise en valeur du patrimoine et de la culture bretonne constitue pour notre région un enjeu essentiel du développement de son activité touristique. Le projet de développement ci-après s’inscrit dans cette politique qui vise à donner à nos visiteurs les clés de la découverte du Haut Moyen Âge breton au travers une (sic) déambulation ludique et animée en (re-sic) site naturel préservé ».
Outre « une scène permanente d’animations » diverses, notamment des « reconstitutions historiques », – « sur le schéma bien rôdé du Puy-du-Fou », est-il précisé, – et « un chantier permanent autour (sic) de 100 sculptures monumentales », pour lequel il est déjà explicitement fait référence à « une ‘’Île de Pâques’’ d’un nouveau type », le projet comprend « un centre d’information et de documentation sur le Haut Moyen Âge breton », dont l’intitulé démarque clairement celui du CIRDoMoC : en plus d’ « une banque de données sur le Haut Moyen Âge celtique », ce centre accueillera un « Musée du Tro Breiz ». Enfin, il est prévu « la reconstitution d’un monastère celtique et de son environnement proche (port, village) » : à noter que « cette reconstitution à l’identique fera l’objet d’un suivi scientifique par une commission de spécialistes de l’histoire bretonne du Haut Moyen Âge (universitaires, archéologue, historiens…) ». La dimension artistique n’est pas oubliée :
« La ‘’Vallée des Celtes’’ sera le foyer vivant d’un art spécifique, creuset d’une forte identité culturelle dans l’Europe des nations ».
Laissons l’ambiguïté de cette dernière formule aux auteurs de ce dossier et considérons que, – malgré ou plutôt grâce à son côté fourre-tout, ses incohérences et ses éléments de langage, souvent redondants (« pôle culturel attractif », « forte identité cultuelle ») empruntés au marketing touristique ,– son contenu, assez largement relayé par les médias durant l’année 1999, a atteint son objectif principal : déclencher chez les élus locaux, voire régionaux, ce phénomène d’émulation bien connu qui consiste à mettre de l’argent au cas où, d’autant que les porteurs du projet insistent, en ce qui concerne les conséquences économiques, sur les créations d’emplois directs ou indirects.
L’ambiguïté persiste lors des premières présentations publiques du projet : si ses points forts en termes économiques sont constamment mis en avant, ses porteurs proclament loyalement dans Ouest France en date du 10 février 1999, qu’« il s’agit là d’exploiter la mythologie bretonne » ; dont acte. Cependant, en mai, Réseau, le magazine du CNRS, fait encore écho à la dimension historique du projet dans un entrefilet intitulé « Vallée des Celtes. Histoire et art en Haut-Léon ». Le Télégramme annonce le 31 juillet qu’une étude de faisabilité, confiée au cabinet canadien Cultura, connu pour plusieurs réalisations en Bretagne, va démarrer au mois de septembre suivant : nous ignorons ce qu’il advenu de la réalisation de cette étude et, le cas échéant, de ses conclusions, lesquelles devaient être rendues à ses commanditaires dans les 6 mois. Quant aux saints bretons à proprement parler, outre le chantier de sculptures, dont la place dans le projet est déjà hypertrophique, ils sont surtout présentés sous leur dimension folkloriques (« Nos légendes sont parmi les plus belles du monde »), même si, là encore, la dimension économique n’est pas oubliée, au travers d’une politique de jumelage avec des villes et des villages des îles Britanniques, dont les noms partagent, avec ceux de communes bretonnes, le même éponyme.
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En tout état de cause, le projet de « La Vallée des Celtes » a fait long feu, malgré l’intérêt que lui témoignaient différentes collectivités publiques (communauté de communes du Haut-Léon, conseil régional de Bretagne) et associations privées (le Club de Bretagne à Paris). Peut-être également la prise de distance immédiate de plusieurs chercheurs contactés pour apporter leur caution a-t-elle contribué à son échec ; mais il réapparait bientôt sous la forme d’« un projet fou pour l’éternité », comme le décrivent ses promoteurs pour qui il s’agit de créer de toutes pièces un « lieu de mémoire », peuplé de représentations de saints sous forme de sculptures monolithes en granit de 4 à 6 mètres de haut. Après un remarquable teasing entretenu par de longues tergiversations, qui ont encouragé une forte compétition entre une dizaine de communes principalement finistériennes, c’est le site proposé par Carnoët, dans les Côtes d’Armor, qui a été choisi pour accueillir le projet : site naturel grandiose au sommet du Tossen sant Weltas (« tertre saint Gildas ») culminant à près de 240 m d’altitude et offrant un panorama sur 360°. Site qui a suscité depuis longtemps l’intérêt des hommes, comme en témoignent la motte féodale dont il est couronné et la chapelle en contrebas ; mais site déjà fortement altéré, notamment par le remembrement des terres agricoles dans les années 1960-70, et dont le parc de la Vallée des saints est bien près d’achever la complète dénaturation, même si, dans la plaquette de présentation institutionnelle 2022, il est question
« de mettre en valeur le patrimoine arboré du site et d’y créer un jardin remarquable à partir d’essences locales ».
En 2020, dans le cadre d’une crise de gouvernance de l’association gestionnaire du parc, une dérisoire controverse sémantique est intervenue à propos de la volonté prêtée à la nouvelle équipe dirigeante de privilégier dans sa communication le mot « géants » plutôt que « saints » ; mais les déclarations antérieures montrent que, dès l’origine, le gigantisme a toujours été intégré au projet : c’est même l’un de ses fondamentaux, qui transcende les évolutions de son plan marketing, dont il constitue la caractéristique permanente. Au reste, le motto publicitaire de la Vallée des saints, adopté en 2018, n’est-il pas « A la rencontre des Géants » ?
Le parc devrait accueillir à terme les statues des mille saints et plus qui, d’après ses promoteurs, sont honorés en Bretagne : ce décompte fantastique a été établi en incorporant l’important bataillon de personnages le plus souvent supposés fourni par la toponymie, augmenté et agrémenté des données qui figurent dans la somme hagiographique d’Albert Le Grand, mais sans jamais remonter à la production littéraire médiévale correspondante quand celle-ci existe.
Ainsi, alors que ses traces sont pourtant quasi inexistantes dans la documentation concernant la Bretagne, les promoteurs de la Vallée des saints ont également insisté, sans doute là encore pour des raisons de marketing touristique, sur le rôle qu’un éventuel contingent de saints irlandais aurait joué dans la prétendue évangélisation de la péninsule armoricaine à l’époque « héroïque » : c’est notamment le cas de Colomban, personnage historique doté d’une biographie quasi-contemporaine, lequel devait en particulier patronner le futur « oratoire » du site ; projet depuis abandonné, semble-t-il, mais dont la première pierre avait été officiellement posée le 27 août 2016 par S.E. l’ambassadrice de la République d’Irlande.
Cette référence colombanienne fait courir à ceux qui s’intéressent vraiment aux origines religieuses de la Bretagne continentale le risque d’être victime d’une désinformation, à tout le moins d’une mésinformation. En effet, les raisons du développement important, mais tardif, du culte de Colomban en Bretagne continentale demeurent largement mystérieuses et il convient d’envisager plusieurs hypothèses : la plus probable reste celle d’un transfert de ses reliques initié par le duc Geoffroy au début du XIe siècle, depuis Bobbio (Italie), jusqu’à Locminé, permettant, encourageant le développement de son culte dans une perspective plus « régionale ». Si l’on ne peut éliminer tout à fait l’hypothèse qui évoque l’infime possibilité du passage du saint en Bretagne, comme le préconise l’association des amis bretons de Colomban en extrapolant un passage de la vita de Malo composée par Bili vers 870, considérer qu’il s’agit d’un fait avéré dans le but de « récupérer » une véritable icône européenne relève d’un tour de passe-passe : la vita du saint et le texte d’une de ses lettres évoquent son séjour à Nantes ; mais la cité ligérienne ne faisait pas partie à l’époque du territoire contrôlé par les Bretons. Plus préjudiciable encore peut-être, il était prévu que l’« oratoire » de la Vallée des saints devait être construit à l’identique du célèbre monument de Gallarus, en Irlande, dont pourtant la datation et la destination originelle demeurent encore largement discutées : un fake au second degré en quelque sorte.
En fait, si l’on excepte une dévotion patricienne à Landévennec à l’époque carolingienne, profonde mais distante, – Patrick, dans la vita de Guénolé apparaissant en vision à ce dernier pour lui enjoindre de ne pas venir en Irlande, – c’est beaucoup plus tardivement, vers la fin du XIe siècle, qu’une brève « mode irlandaise » a connu son apogée en Bretagne, en particulier en Trégor, comme on peut le voir notamment avec la vita ancienne de Maudez et celle d’Efflam. Une « infusion de culture irlandaise », pour reprendre la formule de Mathieu Boyd, s’observe aussi dans la vita ancienne de Mélar, également du XIe siècle et qui s’apparente à bien des égards à « une collecte de motifs hagio-folkloriques d'origine irlandaise » dans ces parages trégorois ; mais cette mode avait déjà passé dès le siècle suivant : témoigne notamment de la désaffection à l’égard de l’Irlande en Trégor la vita longue de Tugdual, explicitement composée pour réfuter la supposée origine scotique du saint, mise en avant quelques décennies plus tôt dans sa vita moyenne ; l’ethnonyme scotigena se révèle même être un terme de mépris, voire une insulte, sous la plume de l’hagiographe. Sensiblement à la même époque, la vita de Ronan témoigne elle aussi nettement de ce phénomène ambivalent d’attirance/répulsion des populations bretonnes à l’égard des Irlandais : au reste, si l’irlandicité du saint est manifeste sous la plume de l’hagiographe, son historicité est là encore inaccessible. Quant à la mode patricienne actuelle, elle paraît être plus le produit de la world culture que d’un approfondissement des relations entre l’Irlande et la Bretagne continentale.
Un autre exemple d’approximation, avec les mêmes conséquences en termes de mésinformation/désinformation du grand public, concerne Pi(e)ran, dont la statue, sculptée en Cornwall, a été implantée dans le parc de Carnoët en 2018, au terme d’un itinéraire fluvio-maritimo-terrestre supposé rendre compte symboliquement de l’hypothétique venue du personnage sur le continent aux temps héroïques : épopée moderne assortie de divers événements touristiques et même d’un mini-colloque organisé par l’Institut culturel de Bretagne. Il ne faut pas confondre P(i)eran avec Pe(t)ran, bien attesté dans l’hagio-toponymie bretonne, mais sur lequel nous ne savons rien ; quant à P(i)eran, il est lui-même pratiquement inconnu en Bretagne : c’est donc sans doute là encore le goût du paradoxe qui a présidé à son choix par les promoteurs du parc de la Vallée des saints, alors que le Cornwall et la Bretagne partagent effectivement la majeure partie de leur sanctoral, s’agissant notamment des personnages les mieux documentés, comme l’ont montré les travaux déjà anciens mais toujours utiles du chanoine (anglican) Gilbert H. Doble
Depuis sa « récupération » au tournant des XIXe-XXe siècles par les revivalistes du mouvement culturel, qui ont repris aux mineurs d’étain son patronage, Pi(e)ran est célébré le 5 mars en tant que saint tutélaire du Cornwall : si son historicité reste inaccessible, du moins faisait-il l’objet, à l’échelle régionale, d’un culte liturgique attesté depuis le Moyen Âge central. Le patronage du saint en Cornwall s’est longtemps exprimé au travers d’une relation de complicité avec ses protégés, dont l’expression la plus spectaculaire consistait pour ces derniers à lui attribuer leur propre penchant alcoolique : c’est ainsi qu’à l’occasion de leurs libations, le jour de la saint Pi(e)ran, les mineurs racontaient sur celui-ci de nombreuses anecdotes, au témoignage de Thomas Tonkin dans les premières décennies du XVIIIe siècle ; au reste, l’expression « as drunk as a perraner » était déjà consacrée au XIXe siècle. Le souvenir s’en est transmis jusqu’à nos jours.
En dépit de sa popularité locale, Pi(e)ran n’a pas suscité de véritable intérêt hagiographique et sa vita, sans doute écrite par un chanoine du chapitre d’Exeter, est un plagiat, ou plus exactement un copié-collé, de celle de l’Irlandais Ciarán de Saighir, avec quelques précisions sur la venue du saint en Cornwall. Quant à l’intempérance du saint et plus particulièrement ce qui concerne sa mort accidentelle, en état d’ébriété, suite à sa chute dans un puits, anecdote répétée à plusieurs reprises dans les différents récits modernes le concernant, le pauvre Pi(e)ran est hors de cause, du moins si l’on en croit le récit de sa vita : là encore, c’est une homophonie, – en l’occurrence avec le nom de Piron (Piro), abbé du monastère de Caldey Island, – qui a conduit à cette attribution malheureuse, rapportée pour la première fois par Tonkin ; mais on voit que la statue de Piron à la Vallée des saints s’inspire manifestement des habituelles représentations de Pi(e)ran en Cornwall, ce qui vient ajouter à la confusion.
Enfin, on attribue parfois à Pi(e)ran la paternité de la croix blanche sur fond noir, signalée pour la première fois en 1835 et qui est devenue aujourd’hui le drapeau officieusement « officiel » du Cornwall. Philip Rendle a exposé avec mesure les raisons de ne prendre en compte cette attribution qu’avec la plus grande prudence ; mais il n’a pas évoqué l’hypothèse d’un emprunt tardif au blason ancien de la famille des Saint-Pezran bretons, dont le nom au reste a été formé avec celui de Pe(t)ran et non pas celui de P(i)eran. Le dossier de ce dernier est d’ailleurs quasiment vide s’agissant de la Bretagne armoricaine : apparemment honoré en un seul lieu, à savoir Trézilidé, il est peu probable que P(i)eran, dont le jour du dies natalis est effectivement mentionné à la date du 5 mars dans les calendriers de Léon et de Tréguier révisés au tournant des XVe-XVIe siècles, ait fait l’objet d’un culte dans la péninsule avant l’époque de cette révision.
Au bataillon des saints qualifiés par eux « celtes » ou « celtiques », les promoteurs de la Vallée des saints ont labellisé un inédit « saint Sauveur », présenté comme le protecteur des Asturies : avec les Douze apôtres, il patronne la cathédrale d’Oviedo. Outre que la question de la « celtitude », ou du moins de la « celticité » de cette région d’Espagne ne saurait être tranchée par les seules déclarations des tenants du marketing touristique, faut-il rappeler qu’il n’existe pas (encore) de « saint Sauveur » celte, celtique ou même simplement asturien et, qu’à l’instar du Bon Pasteur par exemple, mais avec une signification plus profonde, la formule désigne le Christ. Bien sûr, les promoteurs de la Vallée des saints savent cela ; mais encore faudrait-il, par souci pédagogique, éviter tout risque de confusion dans l’esprit du grand public, lequel ne détient plus nécessairement toutes les clés d’interprétation dans le domaine religieux : pourquoi le conseil scientifique n’a-t-il pas plutôt initié à cette occasion une réflexion sur le patronage spirituel du Sauveur en Bretagne depuis le haut Moyen Âge, comme il se voit en particulier à l’abbaye de Redon, mais aussi à Locminé ?
Au reste, le parc de Carnoët nous réserve sans doute bien d’autres surprises sur les éponymes des statues qu’il accueille. Par exemple, la diversité des appellations sous lesquelles sont connues certains saints de la tradition peut amener à la présence de plusieurs sculptures pour un seul personnage : même en laissant de côté l’éventuelle identification de Tudec et Tudi avec Tugdual, c’est en tout cas le surnom de ce dernier, Pabu, qui se retrouve dans la variante Paban, portée par un saint dont la statue figure désormais dans le parc en même temps que celle de Tugdual. Autre type de questionnement, les saints et saintes que l’on pourrait qualifier « transgenres » : c’est le cas de Seuua, honorée à Sainte-Sève, commune près de Morlaix, que la vita longue de Tugdual présente comme la sœur du saint ; mais le toponyme breton correspondant, attesté dans la documentation depuis le XIIe siècle au moins est Sant Seo (Santsegue, Sentseguot, Santhequo), qui se rapporte formellement à un personnage masculin Qu’importe le témoignage des sources : lors de l’inauguration de la statue, « le maire, Yvon Hervé, s’est engagé à essayer de faire rectifier l’appellation en breton Sant Seo en Santez Seva sur les panneaux routiers aux entrées de la commune », bel exemple d’hagio-révisionnisme ! Enfin, il faut attirer l’attention sur la statue représentant Alexis, laquelle, aux dires mêmes des mécènes qui l’ont financée, la compagnie maritime Brittany Ferries, la SICA de Saint-Pol-de-Léon et le Crédit agricole du Finistère, constitue un hommage à Alexis Gourvennec, acteur majeur de la création et/ou du développement de ces trois entreprises : sculptée à Roscoff, la statue d’Alexis, avant de rejoindre le parc de Carnoët, a connu un long périple de plusieurs semaines, avec différents stations votives, notamment devant la maison natale de Gourvennec à Henvic. Ce type de démarche pourrait bien augurer de pratiques de célébration/commémoration de personnalités contemporaines, pour lesquelles le nom du saint ne constitue plus qu’un dérisoire attribut ; mais pour le coup, la néo-hagiographie journalistique, relevant la qualité de patron des voyageurs attribuée parfois à Alexis, en plus de celle des mendiants, n’hésite pas à le présenter comme « un évangéliste (sic) qui est venu des îles britanniques vers la Bretagne. Des traces de son passage dans la région ont été relevées. Son nom est associé à plusieurs chapelles, comme à Plougasnou (Finistère) » : en réalité, seule cette chapelle, aujourd’hui disparue, qui était située en fait sur le territoire actuel de Saint-Jean-du-Doigt, était dédiée à Alexis sur les quelques 6000 chapelles de Bretagne et, surtout, rien apparemment dans son dossier littéraire ne le relie aux îles britanniques ; en revanche, son histoire a vraisemblablement inspiré plusieurs hagiographes bretons, notamment celui d’Efflam, dont la statue figure déjà dans le parc de Carnoët.
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Anti-conclusion
« En fait, nous n’avons nullement l’intention – et encore moins la prétention – de conclure, de dire le dernier mot. Il n’y a pas de dernier mot comme il n’y a pas de conclusion stricto sensu. En ce sens, notre conclusion est anticonclusion, car elle voudrait être ouverture, recherche, dépassement, invitation à aller au-delà de notre étude »
José Voss
Les mythes fondateurs de la Bretagne sont devenus à leur tour un « objet historique » sur lequel les historiens se penchent pour en mesurer les différentes dimensions, notamment celle de l’idéologie. Or, avec le parc de la Vallée des saints, on assiste, dans le prolongement de la manifestation du Tro Breizh et du projet abandonné de « Vallée des Celtes », à une tentative renouvelée d’explication « mythologique » de l’histoire des origines bretonnes, ce qui doit interroger les historiens sur leur capacité à communiquer les résultats de leurs travaux, dans un contexte inédit où, quelle que soit la discipline concernée, l’écart entre la démarche scientifique et ce qui en est perçu par le grand public, en particulier à travers le prisme des réseaux sociaux, se révèle paradoxalement, à l’époque de la démocratisation du savoir, un fossé de plus en plus difficile à combler.
Merci de votre présence et de votre patiente attention qui témoignent que cette difficulté n’est pas insurmontable.
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