La vita de Paterne d’Avranches par son
contemporain Venance Fortunat [BHL 6477] nous apprend que le saint avait fondé
« de nombreux monastères pour le Seigneur de par les cités de
Coutances, Bayeux, Le Mans, Avranches et Rennes de Bretagne » (per civitates Constantiam, Baiocas,
Cinomannis, Abrincas, Redones Britanniae multa monasteria per eum domino sunt
fundata)[1]. Même si, comme l’écrit H. Atsma, « nous
ne pouvons pas dire, où ceux-ci étaient situés exactement »[2],
il est tentant d’en chercher le souvenir dans les différents toponymes qui, à
l’instar de Saint-Pair-sur-Mer (Manche) sur le lieu même de l’établissement
principal de Sesciacum, ont, à
l’échelon du vaste territoire évoqué par l’hagiographe, conservé le nom du
saint : Saint-Pair et Saint-Pair-du-Mont (Calvados), Saint-Paterne
(Sarthe), Saint-Pois (Manche) et enfin Saint-Pern (Ille-et-Vilaine).
Cependant,
s’agissant de ce dernier, deux objections peuvent être immédiatement soulevées
à l’encontre d’une telle identification : si le vocable de l’église du
lieu est uniformément saint Paterne depuis le milieu du XIe siècle[3],
il est noté au IXe siècle sous la forme saint Bern, dans laquelle on
veut reconnaître un anthroponyme breton ; et surtout, comme l’atteste le
colophon de son magnifique évangéliaire transporté depuis à Tongres, cette
église était localisée dans l’évêché
d’Alet, désigné ici par le nom de son plus illustre pontife, saint Malo (librum evangelistarum ecclesiae S[an]c[t]i Berni in Episcopatu S[an]c[t]i
Machutis)[4]. De
fait, l’appartenance de l’église de Saint-Pern à ce diocèse est bien attestée au
moins depuis son érection en paroisse en 1149[5]
et jusqu’à la fin de l’Ancien régime.
La
première objection n’apparaît nullement dirimante : l’existence d’un “saint”
breton du nom de Bern/Pern, identifié à l’occasion avec Paterne, qu’il s’agisse
d’ailleurs de l’évêque d’Avranches ou bien de celui de Vannes, n’a pas à être
ici révoquée en doute car ce type de confusion réciproque, volontaire ou
involontaire, sur la base d’une vague homophonie entre les noms de deux
personnages, est bien avéré. A Saint-Servan, siège primitif de l’évêché d’Alet,
l’illustre évêque de Tongres, Servais, saint tutélaire de la dynastie des
Pippinides, s’est ainsi vu remplacer par un personnage d’origine celtique, au
demeurant distinct de l’apôtre des Orcades[6].
La
seconde objection constitue quant à elle le point d’appui de notre
« hypothèse au carré »[7] :
celle-ci ne peut être en effet valablement formulée ̶ avec toutes les précautions d’usage ̶ que si l’identification de
Saint-Pern avec l’un des monastères fondés par Paterne d’Avranches est
préalablement admise. Le cas échéant, il pourrait s’agir de la confirmation du
recul vers l’est de la limite occidentale de la civitas de Rennes, admis par la plupart des auteurs ; mais un recul
beaucoup moins précoce donc qu’il n’est habituellement supposé[8]
et plus tardif encore que ne pouvait le laisser à penser la formation sur cette
nouvelle limite du “glacis martinien” voulu par Melaine de Rennes[9] ;
recul qu’il conviendrait dès lors de mettre en rapport avec une poussée des
Bretons, contemporaine de celle qui s’observe dans le sud de la péninsule[10],
et dont rendrait compte ici la curieuse désignation « Rennes de Bretagne »,
si tant est que cette formule est bien sortie de la plume de Venance Fortunat.
©André-Yves
Bourgès 2012
[1] MGH AA 4,2, p. 36 ( en ligne : http://www.dmgh.de/de/fs3/object/display/bsb00000791_00071.html).
[2] H. Atsma, « Les monastères urbains du nord de la Gaule », Revue d'histoire de l'Église de France,
t. 62 (1976), n°168, p. 171, n. 39.
[3] A. de la
Borderie, Fondation du prieuré de
Saint-Pern. Chartes inédites des XIe et XIIe siècles,
Nantes, 1887, p. 10.
[4] J.
Petit-de Rosen, « Description d'un Évangéliaire du Trésor de Notre Dame de
Tongres », Bulletin de l’Institut
archéologique liégeois, t. 1 (1852-1853), p. 70 ; C.-M.-T. Thys,
« L’église de Notre-Dame à Tongres », Annales de l’Académie d’archéologie de Belgique, 2e
série, t. 2 (1866), p. 251.
[5] A. de la
Borderie, Fondation du prieuré de
Saint-Pern…, p. 15.
[6] L.
Campion, S. Servatius évêque de Tongres,
patron de Saint-Servan, Rennes-Paris, 1904,
[7] L’expression
est empruntée à J. Poucet, Les origines
de Rome, Bruxelles, 1985, p. 165, n. 23.
[8] Un
précis et précieux status quaestionis
figure chez J.-P. Brunterc’h, « Géographie historique et hagiographie : la
vie de saint Mervé », Mélanges de
l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes, t. 95 (1983), n° 1, p.
14-17.
[9] A.
Chédeville, « Un évêque "martinien" au temps de Clovis : saint
Melaine de Rennes », Mémoires de la
Société archéologique de Touraine, t. 63 (1997), p. 229-240
[10]
Grégoire de Tours, Dix livres d’histoire,
V, 16, 26, IX, 18, X, 9 et 11.
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