"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

25 août 2022

L’anecdote domestique comme matériau du récit miraculaire : l’exemple de la vita de Maurice de Carnoët [BHL 5766]

L’auteur de la vita de Maurice de Carnoët [BHL 5766][1], un certain Guillaume, fait le récit de six miracles attribués à l’intercession du saint : sur les cinq qui figurent dans un texte antérieur [BHL 5765] [2], que l’on peut supposer avoir été lui-même composé à partir de l’enquête (perdue) de 1225 en vue de la canonisation du personnage[3], deux parlent du vin nécessaire à la célébration de la liturgie eucharistique. Quant au sixième récit qui appartient en propre à l’ouvrage de Guillaume, dont il occupe environ un quart du texte conservé, il raconte sur un ton vif et plaisant une anecdote où le vin joue à nouveau un rôle essentiel, mais cette fois hors du cadre de la messe.  Nous donnons ci-dessous la transcription de ce passage[4], suivie d’une proposition de traduction[5] :

Alia itidem navis onerata doliis vino plenis juxta monasterium viri Dei in fluminisa morabatur, expectans horam qua maris plenitudine confluenti fluminis alveus impleretur, satisque profundum gurgitem nautarum desiderio commodaret, quo ipsi usque Kemperlegium, cujus erant cives, navem perducerent inoffensam. Pogius cognomine burgensis quidam, vini et rerum quae in navi erant et ipsius navis dominus et magister, in illo motuum interstitio marino, cum a beato Mauricio, cujus hospes multoties fuerat et familiariter et amicitiae vinculo stringebatur, instantissima precum iteratione vix meruit impetrare, ut ipse sanctus cum sanctis fratribus navem suam sanctitatis suae presentia laetificare et panem cum eo sumere dignaretur, quod vir Deo carus non gulae quidem liguritiob, sed divinae dispensationis mysterio non negavit, ut videlicet ipso Pogio et nautis ejus gratiae coelestis aliquid impertiret et eos qui ipsum materialibus pascebant eduliis spiritualis pabuli reficeret nutrimento. Sumpto itaque cibo, Pogioque et ejus nautis corporali praesentia sancti viri et melliflua ejus doctrinae dulcedine spiritaliter recreatis, cum jam vellet valefacere sanctus abbas, praecepit Pogius famulo suo, ut cadum magnum, quem nomine Britones costaratium vociferant, vino optimo festinaret implere et fratribus, qui erant in monasterio mitteret incunctanter. Famulus autem ille ultra modum temulentus, non modo vino quod biberat, sed intolerabili ejus spiramine quod quotidie bajulare et de hoc illo dolio trahere non cessabat, correpto incircumspecte costaratio embotum, qui melius britannice traductorius potest dici, inseruit superiori ejus foramini, quod vulgariter brocum dicunt, tantumque de magno dolio vinum costaratio infundebat, quod totum per inferiora costaratii foramina, nullius clepsidrae oppositione repulsum in sentinam ipsius navis cum damno domini sui non modico effluebat ; sicque factum est, ut eo prae nimia temulentia quod ageret, penitus ignorante totum dolium evacuaretur, nec ideo magis costaratium impleretur. Quod cum Pogius reperisset, temulentiam famuli redarguens, cavillam infixit inferiori cavo costaratii, ipsumque de alio dolio procuravit impleri, jacturamque suam aequo ferens animo et in jocum vertens stultitiam garcionis, sanctum abbatem de rei serie certum facit. Sanctus vero abbas, more suo in Domino confidens presumens certa fide, quod ille qui ait : « Qui vos recipit, me recipit » non permitteret, ut hospes suus ex charitativa susceptione ipsius, et ex devota liberalitate sua incommodum reportaret et tantum damnum in ejus ignominiam occasionaliter deberet retorqueri pium hospitem suum humiliter consolatus est, dicens : « Mater misericordiae, cui ego servio, et ejus filius, qui solo verbo universa restaurat, vinum tuum tibi restituet hospes bone. » Et hoc dicto valefaciens ad monasterium repedavit. Bona autem virgo mater Christi servitoris sui preeminentiam manifesto volens hominibus miraculo revelare, ipsum noluit fiducia quam ipse obtinebat de ea  frustrare, nec occasionem dare Pogio et aliis iram de hoc non captantibus, dolium illud subito apparuit plenum vino tam bono quale in tota ilia navi non poterat inveniri. Pogius et qui cum eo erant, prae gaudio admirantes Deo gratias agere sategerunt et sanctum Mauritium clara quidem voce coram hominibus dignum Dei famulum proferebant. Pogius autem vinum illud tanquam a Deo missum sanctum reputavit sancto abbati et Dei pauperibus erogavit, partem sibi retinens, quam ipse cum domesticis biberet et infirmis pro sanitatis remedio partireturc (« Un autre navire chargé de tonneaux de vin stationnait dans le fleuve près du monastère de l'homme de Dieu, attendant l'heure où le flux marin remplirait le chenal jusqu’à son confluent et où la profondeur d’eau serait suffisante au souhait des marins pour conduire le navire sain et sauf jusqu'à Quimperlé, dont ils étaient des habitants. Un des bourgeois de la ville, nommé Pogius, propriétaire du vin et des autres marchandises qui étaient à bord et également maître du navire, attaché par des liens de familiarité et d'amitié au bienheureux Maurice, dont il avait été plusieurs fois l'hôte, obtint à force de prières instantes que, durant cet intervalle de marée, le saint, avec ses saints frères, daigne venir honorer son navire par la présence de sa sainteté, et partager le pain avec lui : certes l’homme cher à Dieu n’était pas enclin à la gourmandise ;  mais, poussé par le mystère de la dispensation divine, il ne refusa point, afin évidemment de faire partager quelque chose de la grâce céleste à Pogius et à ses marins et d’apporter un aliment pour l’esprit de ceux qui lui offraient des nourritures terrestres. Après le repas, durant lequel Pogius et ses marins avaient été spirituellement raffermis par la présence physique du saint homme et la grande douceur de son enseignement, au moment où le saint abbé allait faire ses adieux, Pogius ordonna à son serviteur de se hâter de remplir de son meilleur vin un grand récipient, que les Bretons nomment en vociférant costerez, afin que celui-ci fût porté sans délai aux frères restés aux monastère. Le serviteur, ivre outre mesure, – non pas tant de ce qu'il avait bu que des intolérables vapeurs du vin que, chaque jour, il subissait et ne cessait de faire sortir de ce tonneau, – saisissant sans ménagement le costerez, inséra dans l’orifice supérieur, qu’ils appellent broc, un entonnoir, traezer (traductorius) comme on peut mieux le dire en breton ; cependant, nulle clepsydre ne venant fermer l’orifice inférieur du costerez, le vin tiré se déversait  dans la cale du navire, au préjudice, qui n’était pas mince, du maître. Et il advint ainsi que, du fait de l’ivresse excessive de ce serviteur qui ignorait totalement ce qu’il faisait, tout le tonneau se vida, sans pour autant que le costerez se trouvât rempli. Lorsque Pogius découvrit cela, maudissant l’ivresse de son serviteur, il enfonça une cheville dans l’orifice inférieur du costerez et s’occupa de remplir ce dernier à partir d’un autre tonneau. Puis, supportant sa perte avec bonne humeur, il informa le saint abbé de l’histoire en lui racontant la sottise du garçon sous forme de plaisanterie ; mais le saint abbé, confiant dans le Seigneur et certain que celui qui a dit : Celui qui vous reçoit me reçoit, ne permettrait pas que son hôte, en retour de son accueil charitable et de sa libéralité dévote, aurait à subir un tel dommage, consola humblement son pieux hôte en lui disant : ‘’Bon hôte, la Mère de miséricorde, que je sers, et son fils, qui rétablit toutes choses par une seule parole, te rendront ton vin’’. Et ayant dit cela, il le salua et retourna au monastère. La bonne vierge mère du Christ, désirant révéler aux hommes par un miracle manifeste la prééminence de son serviteur, ne voulut pas frustrer la confiance que ce dernier avait en elle, ni donner l’occasion à Pogius et à d'autres d’être emportés par la colère : le tonneau parut soudain plein d'un vin si bon qu’on n'en put trouver de meilleur sur le navire. Pogius et ceux qui étaient avec lui, émerveillés de joie, commencèrent à rendre grâces à Dieu et, à haute voix, présentèrent à tous saint Maurice comme un digne serviteur de Dieu ; par-dessus tout, Pogius, considérant ce vin comme saint car envoyé par Dieu au saint abbé, le distribua aux pauvres de Dieu, mais en garda une partie pour lui-même, afin de la partager avec les gens de sa maisonnée et avec les malades comme un remède pour leur rendre la santé »).

a Plaine ajoute medio. b Corrigé liguritioni par Plaine. c Possible lacune d’après Plaine

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La vivacité du texte n’est pas ralentie par l’utilisation d’un vocabulaire assez technique relatif au logement du vin et à son transport ; vocabulaire apparemment bien maîtrisé par l’écrivain, mais que les non-spécialistes apprécieront sans doute de voir éclairci à leur intention.

Il y est question de dolii et d’un cadus, qualifié en l’occurrence magnus, « grand » et qui reçoit en conséquence le nom de costaratium. Le terme dolium désigne presque unanimement à l’époque un « tonneau » et cadus, une « caque » : le premier est un fût de grande capacité, au moins 700 à 750 litres, jusqu’à quelques 900 litres, s’agissant du « tonneau bordelais » particulièrement étudié jadis par Yves Renouard[6] ; la contenance de la « caque » à vin peut être estimée à environ 70 litres. Quant à costaratium, à l’instar de costerellum, costeretum[7], il faut y voir l’adaptation en latin du mot costerez, costeret, cotret, etc. qui désignait un « petit baril »[8]. La même volonté de latinisation un peu pédante[9] s’observe également à propos du moyen-breton traezer (> trezer), « entonnoir »[10] pour lequel, – au  lieu de trajectorium, qui est le nom de cet objet en latin classique[11],– l’hagiographe propose traductorius ; mais si ce terme apparaît comme un véritable hapax, il n’y a pas de doute sur le sens à lui donner, puisqu’il glose embotum[12]. Restent à expliquer brocus, clepsidra et cavilla : ce dernier ne présente pas de difficulté particulière et doit être traduit par « cheville » ; brocus paraît désigner en l’occurrence une ouverture saillante (en forme de bec verseur ?)[13] située à la partie supérieure du costerez tandis que « clepsydre » se voit attribuer ici le sens de fausset, qui est communément le sien à cette époque[14].  

Le choix de ce vocabulaire s’est imposé à l’écrivain pour rendre compte avec précision des circonstances dans lesquelles s’est produit l’épisode tragi-comique de l’écoulement accidentel du meilleur vin de Pogius ; ainsi visualise-t-on parfaitement la scène : l’indication sur l’ivresse provoquée par les vapeurs d’alcool, qui peut effectivement s’admettre dans l’ambiance confinée de la cale d’un navire[15], vient également contribuer à l’effet de réel recherché par l’hagiographe[16]. Au reste, les autres circonstances telles qu’elle sont rapportées par ce dernier rendent un incontestable son de vérité : l’existence d’une bourgeoisie marchande à Quimperlé, son implication dans les échanges commerciaux, s’agissant notamment du vin ; la remontée et la descente de la ria de la Laïta par les bateaux  de commerce et le rôle décisif que le flux des marées a ainsi joué dans le développement de la petite cité, comme c’est également le cas à Landerneau ou à Morlaix par exemple ; la bonhomie des rapports entre les Quimperlois et les religieux de Carnoët, dont l’établissement, à l’écart de la ville comme dans les autres abbayes cisterciennes, s’était néanmoins fait à proximité de cette importante voie de communication fluvio-maritime qui, à l’instar des axes de circulation terrestre, venait ainsi rompre l’isolement du monastère[17].

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C’est donc dans un cadre tout à la fois large et resserré, selon l’ajustement de la focale, que se développe le récit miraculaire auquel l’anecdote domestique sert de support. L’historiette a été empruntée par l’hagiographe à la tradition naissante, elle-même nourrie des témoignages recueillis lors de l’enquête de 1225 : il s’agit d’un miracle que l’on pourrait qualifier bon enfant et qui résulte de la prière adressée à la Vierge par Maurice. Le passage concerné s’inscrit à la suite de deux autres prodiges vinaires, dont il constitue en quelque sorte le point d’orgue, bien qu’il n’en ait pas la dimension eucharistique : dans le premier de ces récits, tandis que le saint, désespéré de ne trouver de vin nulle part dans tout le monastère au moment de célébrer la grand’messe, implore le Seigneur à chaudes larmes, le cruchon vide qu’il prend dans sa main se remplit miraculeusement du précieux liquide (urceolum vacuum in manu sua suscepit ; qui mox ut sancta manu ejus tactus fuit, Dei cooperante gratia, usque ad summum vino optimo redundavit)[18]. Dans le second, Maurice, de nouveau à court de vin pour le sacrifice eucharistique, envoie deux frères en faire la demande à l’équipage d’un navire qui, à l’instar de celui de Pogius, attend la marée montante dans l’estuaire : les marins répondent qu’ils ont été contraints de jeter leur cargaison à la mer lors d’une tempête, ne conservant qu’un seul tonneau d’eau potable pour leurs besoins de cuisine ; ils s’apprêtent à en tirer le contenu sous le regard des moines, afin que ces derniers ne puissent douter de la véracité de leurs dires (« Et ne hoc vobis », inquiunt, « in dubium veniat, ecce extrahimus clepsidram ut fide occulta de veritate faminis nostri constet vobis »). Or, à leur grand étonnement, c’est un excellent vin qui sort du tonneau, dont ils approvisionnent alors avec joie les religieux (Nautae itaque, qui certi erant quia nihil erat in dolio nisi aqua, tanto laeti facti miraculo Deum in sanctis suis mirabilem laudaverunt et largiflue tribuerunt monachis quod petebant)[19]. On entend assez nettement dans ces deux récits l’écho du miracle des noces de Cana ; celui auquel nous nous intéressons résonne plutôt des accents d’un exemplum, sinon même, du moins dans sa première partie, de ceux d’un fabliau[20], aspect qui sort encore renforcé par la dimension mariale du miracle obtenu par l’abbé de Carnoët. Comme nous l’avons dit, c’est à la « Mère de miséricorde », à la « Bonne Vierge, mère du Christ » que Maurice a choisi d’adresser ses prières : aux XIIe-XIIIe siècles, on voit apparaître des récits en langue vernaculaire qui narrent de nombreux miracles attribués à Notre Dame, dont le culte spécifique connaît à l’époque une extraordinaire efflorescence. Or, ces récits, souvent empruntés à des ouvrages antérieurs en latin, comme le rappelle Paul Bretel[21], se caractérisent par une certaine familiarité, parfois un peu triviale, avec la Vierge : ainsi s’adresse-t-on plus volontiers à elle pour des problèmes de nature domestique, de crainte sans doute de déranger pour si peu les imposants personnages de la sainte Trinité. Outre qu’elle apparaît à plusieurs reprises comme l’avocate du genre humain dans la littérature du Bas Moyen Âge[22], Marie était en effet devenue, à partir du XIIe siècle, sous le vocable de Notre Dame, le succédané de nombreux saints du recours invoqués par les populations : son culte permettait, au moins en partie, de canaliser les pratiques dévotionnelles qui présentaient le plus de risques de déviance.

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Le style de l’hagiographe est fluide, mais sa langue reste soutenue, sinon élégante[23] : nous avons manifestement affaire à un auteur à part entière, pour qui l’écriture constitue sans doute un exercice fréquent et peut-être également une véritable passion. Son choix de donner un développement conséquent à l’anecdote en question, – dont le caractère tragi-comique, propre à capter l’attention du lecteur (ou de l’auditeur), s’avère transcendé par la dimension miraculaire du récit, – démontre aussi un incontestable savoir-faire d’écrivain ; mais il y a plus encore : sa méticulosité, quand il s’agit notamment d’inscrire l’existence terrestre de son héros dans le temps où celui-ci avait vécu, témoigne de sa préoccupation d’établir le contexte chronologique des faits rapportés, comme l’exige le sous-genre hagiobiographique dont nous avons parlé[24]. En ce sens, notre auteur a produit un ouvrage qui, par sa forme, s’apparente plus à des gesta qu’à une vita[25] ; gesta au petit pied, du reste, destinés avant tout à souligner la modestie dont avait été empreinte la vie du fondateur de Carnoët : comme qui dirait le modèle d’une sainteté de la quotidienneté, éloignée des excès de certains réformateurs du temps de l’hagiographe. Nous avons déjà souligné le « souci du détail qui montre chez cet écrivain une disposition d’esprit particulière, commune aux historiens et aux juristes »[26] ; il nous paraît possible en conséquence, comme nous l’avions suggéré à cette occasion, que  l’ouvrage en question fasse partie de  la production hagiographique de Guillaume le Breton, dont nous ambitionnons de dresser l’inventaire[27] : en effet, la vita de Maurice présente, compte tenu de ses spécificités, une incontestable parenté de vocabulaire et d’expression avec les ouvrages de cet auteur, ainsi qu’avec les vitae que nous lui avons déjà attribuées. Si notre hypothèse était retenue, il faudrait évidemment chercher à connaître les circonstances dans lesquelles Guillaume le Breton s’était intéressé au cas d’un novus sanctus, son contemporain : toute une partie de la légende de Goëznou se déroule à Quimperlé, où ce saint léonard de l’époque héroïque est venu mourir[28], ce qui constitue peut-être un premier point de contact. Une autre piste, en rapport direct avec l’enquête de canonisation de 1225 et qui pourrait de surcroît apporter un éclairage nouveau sur la dernière étape de l’existence de l’écrivain, paraît plus prometteuse encore ; mais elle n’a pas encore fait l’objet de toutes les vérifications nécessaires : nous y reviendrons prochainement.

 

André-Yves Bourgès



[1] Cet ouvrage, consacré à un saint dont l’historicité est assurée, entre ainsi dans la catégorie des hagiobiographies qui, de notre point de vue, correspond à un sous-genre littéraire, distinct de l’hagiographie proprement dite : voir à ce sujet André-Yves Bourgès, Le dossier littéraire de saint Goëznou et la controverse sur la datation de la vita sancti Goeznovei, Morlaix, 2020, p. 11-13.

[2] Ce texte est précédé dans la partie du XVe siècle du ms Troyes, Bibliothèque municipale, 763, f. 18v, par un prologue métrique dont l’auteur se présente comme un compagnon du saint depuis l’époque de sa jeunesse : cette circonstance constitue un obstacle majeur en termes de chronologie à ce que cet écrivain soit le même que celui qui a écrit le texte BHL 5765, dont l’essentiel de la matière paraît emprunté, comme nous l’avons dit, à l’enquête de 1225.  

[3] André Vauchez, « De la bulle Etsi frigescente à la décrétale Venerabili : l'histoire du procès de canonisation de saint Maurice de Carnoët (+ 1191), d'après les registres du Vatican », Caroline Bourlet et Annie Dufour (dir.), L'écrit dans la société médiévale. Textes en hommage à Lucie Fossier, Paris, 1991, p. 39-45.

[4] Nous n’avons pas eu accès au ms Paris, BnF, lat. 12632, dans lequel figure la vita concernée (f. 111-113) : nous nous sommes donc servi de l’édition de François (Bède) Plaine, « Duplex vita inedita S. Mauritii, Abbatis Carnoetensis Ordinis Cisterciensis (1114-1191) », Studien und Mittheilungen aus dem Benedictiner- und Cistercienser-Orden, t. 7 (1886), p. 160-162.

[5] Parler de « proposition de traduction » plutôt que de « traduction » n’est pas qu’une simple précaution oratoire : il s’agit d’attirer l’attention sur la perfectibilité du texte français, lequel s’efforce de conserver une position médiane entre traduction littéraire et traduction littérale, assumant ainsi le risque qu’une telle position puisse cumuler les inconvénients des deux approches sans tirer aucun avantage de l’une ou de l’autre.

[6] Yves Renouard, « La capacité du tonneau bordelais au Moyen Âge », Hommage à la mémoire de Joseph Calmette, Toulouse, 1953 (= Annales du Midi. Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 65), p. 395-403 ; Idem, « Recherches complémentaires sur la capacité du tonneau bordelais au Moyen Âge », Annales du Midi, t. 68 (1956). p. 195-207. Si ces travaux s’avèrent encore largement d’actualité, les progrès du questionnement métrologique montrent que la question est plus complexe que ne le laisse à penser leur lecture :  voir la mise au point de Sandrine Lavaud, « Tours et détours des mesures médiévales du vin de Bordeaux », Mesure et histoire médiévale. 43e Congrès de la SHMESP (Tours, 31 mai-2 juin 2012), Paris, 2013, p. 185-200.

[7] Charles du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, 5e édition, 10 volumes, Niort, 1883-1887, t. 2, 1883, p. 595.

[8] Gilles Roques, « Pour la localisation du Roman des Sept Sages de Rome en prose (version L) », Revue de linguistique romane, t. 47 (1983), n° 185-186, p. 32-33.

[9] C’est sans doute également le cas du nom Pogius, dans lequel il faut reconnaître la prononciation locale du mot podius, lui-même doublet de podium, employés l’un et l’autre indifféremment au bas Moyen Âge dans un grand nombre de chartes de la France du sud pour désigner une « éminence ». Est-ce à dire que le bénéficiaire du miracle s’appelait en breton Quenec’h ou Crec’h par exemple, ou bien Du Puy en français ? On trouve une occurrence tardive (XIVe siècle) du mot podius dans le Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. 6, 1886, p. 382.

[10] Le mot figure respectivement sous la plume de Grégoire de Rostrenen, Dictionnaire français-breton, Rennes, 1732, p. 352, ainsi que dans plusieurs lexiques et dictionnaires modernes. Voir aussi Emile Ernault, Glossaire moyen breton, 2e édition, vol. 2, Paris, 1896, p. 709-710.

[11] Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Paris, s.d. [1934], p. 1590.

[13] Ibidem, t. 1, 1883, p. 753 : broccus, « qui a de grosses lèvres ». Voir le mot français « broc ».

[14] Ibid., t. 2, 1883, p. 366. On retrouve cet emploi du mot « clepsydre » (clepsedra) dans la pièce n°5 du dossier hagiographique de Corentin [BHL 1956], laquelle rapporte un miracle vinaire au bénéfice des moines de Marmoutier ; ce texte présente par ailleurs une certaine parenté stylistique avec la pièce n°6 du même dossier [BHL 1955], sorte de notice explicative de la présence des reliques du saint à l’abbaye tourangelle : voir André-Yves Bourgès, « ‘’On ne prête qu’aux riches’’ : l’écho de préoccupations de l’hagiographe de Goëznou dans un texte du dossier littéraire corentinien », Hagio-historiographie médiévale (27 juillet 2022), https://www.academia.edu/83810353.

[15] « Les vapeurs d'éthanol des boissons alcoolisées ont des conséquences néfastes ébrieuses ou narcotiques sur le système nerveux : lors de l'inhalation des vapeurs d'alcool, celles-ci pénètrent dans les poumons et passent directement dans le sang, puis dans le cerveau », https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/fiches-metier/la-prevention-des-risques-professionnels-dans-les-distilleries-de-spiritueux (consulté le 25/08/2022).

[16] A.-Y. Bourgès, «Effet de réel et hagiographie : quelques aspects de la question », Hagio-historiographie médiévale (30 décembre 2019),  https://www.academia.edu/41465070.

[17] André Dufief, Les Cisterciens en Bretagne (XIIe-XIIIe siècles), Rennes, 1997, p. 106.

[18] F. Plaine, « Duplex vita inedita S. Mauritii… », p. 159.

[19] Ibidem, p. 160.

[20] Le motif du vin répandu par négligence ou par accident figure dans plusieurs fabliaux : voir Marie-Thérèse Lorcin, « ‘’Le vin est bon qui en prend par raison’’. Le vin dans les recueils de proverbes français et les fabliaux », L’Atelier du Centre de recherches historiques. Revue électronique du CRH, 12 (2014), https://journals.openedition.org/acrh/5967 (consulté le 25/08/2022).

[21] Paul Bretel, « Les miracles de Notre-Dame », Marie-Pasquine Subes et Jean-Bernard Mathon (dir.), Vierges à l’Enfant médiévales de Catalogne. Mises en perspectives. Suivi du Corpus des Vierges à l'Enfant (XIIe-XVe siècles) des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 2013, p. 21-37.

[22] Louis de Carbonnières, « Les procès parodiques au Moyen Âge : un genre littéraire ? », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, n°34 (2014), p. 32-52.

[23] Voir par exemple, dans le passage dont nous traitons ici, l’adverbe incunctanter, l’adjectif inoffensus, les participes valefaciens et oneratus, les substantifs gurges, interstitium, jactura, spiramen, ainsi que les verbes impertio, impetro, laetifico, stringo ; au reste, ce relevé très subjectif ne prétend pas à l’exhaustivité.

[24] Voir supra n. 1.

[25] Cette distinction essentielle entre les deux genres a fait l’objet d’une mise au point par Elisabeth Carpentier, dans l’introduction de la récente édition de Rigord, Histoire de Philippe Auguste, Paris, 2006, p. 74.

[26] A.-Y. Bourgès, « Philippe Auguste, l’hagiographe de Maurice de Carnoët et Guillaume le Breton (version corrigée et augmentée) », Maître Guillaume chanoine de Senlis et de Léon (13 mars 2021 avec addition du 14 mai 2022), https://www.academia.edu/45503819.

[27] Cette démarche est en cours de développement dans un travail intitulé Portrait du chroniqueur-poète en hagiographe : l’œuvre inconnue de Guillaume le Breton, où sont examinés les dossiers littéraires de plusieurs saints de Bretagne, notamment ceux de Goëznou, Mélar et Ténénan, édités par nos soins, ainsi que les textes qui concernent Armel, Goulven et Hervé ; mais cette liste n’est ni exhaustive, ni définitive.

[28] A.-Y. Bourgès, Le dossier littéraire de saint Goëznou…, p. 207-213.

 

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