"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

17 janvier 2018

Cérémonie des vœux de l’ÉPHÉ et « disciplines rares »



Il aura été beaucoup question des « disciplines rares » dans les discours officiels, notamment ministériel, délivrés à l’occasion de la cérémonie des vœux de l’École pratique des hautes études qui, en 2018, célèbre le 150e anniversaire de sa création par Victor Duruy.  « Disciplines rares » dont on paraît en effet se soucier un peu plus en haut lieu depuis le rapport remis en décembre 2014 à Mme Geneviève Fioraso, alors Secrétaire d’État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, par trois personnalités du monde de l’Université.

 Le débat sur la prise en charge des « disciplines rares » ne date pas d’aujourd’hui : vers le milieu du XVIe siècle, elles pouvaient apparaître aux yeux de certains comme le possible démultiplicateur d’une science vaine, encore largement empreinte de scolastique médiévale, ainsi que le décrivait sur le mode de la satire l’auteur rabelaisique du Cinquième Livre. Or, il s’agissait bien évidemment du contraire et, heureusement pour leur pérennité, leur renforcement et leur développement, les « disciplines rares » avaient d’ores et déjà trouvé asile au sein du collège des lecteurs royaux créé par François Ier :

« Par l'institution des Lecteurs royaux sont consacrées ces idées, que l'enseignement tel que l'avait compris le Moyen-Age ne suffit plus, et qu'une période nouvelle doit s'ouvrir ; qu'il peut y avoir des professeurs délivrés non seulement des obligations scolaires, des examens et des thèses, mais des cours doctrinaux ; qu'il peut y avoir des auditeurs tels que, sans rien payer, sans même s'inscrire, sans dessein de conquérir des diplômes et des grades, ils apprennent pour la joie d'apprendre; qu'à côté de l'Université officielle s'installe une corporation qui reste en dehors de la hiérarchie commune, qui ne dépend que de la personne du roi, et qui prend la charge des disciplines rares, difficiles et nouvelles ; qu'elle se ne recrute pas nécessairement parmi les professeurs qui ont des titres, mais bien plutôt parmi les âmes hardies que tentent les voies non frayées ; de sorte que l'esprit qui préside à cette création est le culte inconditionné de la science »[1].

Dans le prolongement de l’enseignement du Collège de France, celui prodigué par l’École pratique des hautes études depuis la fondation de cet établissement hors murs et surtout hors normes, a eu également pour vocation, mais sur le terrain de l’expérimentation, de cultiver ce que les Allemands pour leur part appellent de manière à la fois plus poétique et plus parlante, les « disciplines orchidées » (Orchideenfächer) : c’est le moment de rappeler qu’il faut des jardiniers pour les entretenir et pour favoriser leur efflorescence, « car on ne doute pas que les théologiens ou les paléontologues contribuent eux aussi à la richesse des nations »[2]

C’est vrai aussi des hagiologues.


[1] Paul Hazard, « Pour le IVe centenaire du Collège de France », Le Correspondant, t. 323 (1931), p. 664.
[2] Françoise Massit-Folléa, Françoise Epinette (Collab.), L'Europe des universités : l'enseignement supérieur en mutation, Paris, la Documentation française, 1992, p. 53.

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