"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

18 octobre 2019

Les origines de Saint-Mathieu de Fine-Terre : un questionnement toujours d’actualité


Un colloque d’ampleur, et important, consacré à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre s’est tenu in situ du 15 au 17 octobre 2019. Les organisateurs de cette rencontre, –  le Centre de recherche bretonne et celtique (Brest) et l’association des amis de l’abbaye (Plougonvelin), – ont promis que les actes seront publiés le plus rapidement possible ; et, eu égard à l’efficacité dont ils ont fait preuve avant et pendant ces trois jours, il n’y a pas de raison de douter que cet engagement ne soit là encore honoré à son plus haut niveau.

Les conférenciers, en grande majorité des archéologues et des historiens de l’art, ont apporté les très intéressants éclairages de leur discipline respective sur les fouilles et sur les découvertes intervenues sur place depuis les vingt-cinq dernières années, à la suite du colloque de 1994 ; ce dernier, dont les principaux apports ont été rappelés en introduction par Jean-Yves Eveillard dans une synthèse tout à la fois précise et vivante, avait vu à l’inverse ses débats plutôt dominés par la corporation des historiens et par celle des historiens de la littérature. Les travaux concernés ont été évoqués à plusieurs reprises par les intervenants d’aujourd’hui ; mais on comprendra aisément que, depuis cette époque, leurs apports, qui restent encore utiles, sinon fondamentaux, ont été prolongés par de nouvelles approches historiennes dont il aurait été souhaitable de tenir un plus grand compte. 

Certes, plusieurs médiévistes étaient également présents au colloque de 2019 (Patrick Kernévez, Julien Bachelier, Cyprien Henry) : au-delà des seuls aspects monastiques, ils ont fait état de problématiques nouvelles, très stimulantes, qu’il s’agisse du « château de raz » dont l’abbaye aurait gardé les vestiges ou du modèle urbain qui parait avoir été adopté par la communauté d'habitants voisine, ou bien encore de la manière dont il convient d’interpréter le déficit documentaire qui affecte les archives médiévales du monastère  ; mais il nous semble qu’il a manqué un nouvel état des lieux concernant les éléments hagiographiques et littéraires relatifs aux reliques de saint Mathieu, dossier dont la connaissance a en effet été largement renouvelée depuis le colloque de 1994, à l’occasion de débats, toujours courtois mais parfois assez vifs, dont différentes revues (Annales de Bretagne, Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, Britannia monastica) et plusieurs publications en ligne, ont conservé le souvenir.

Cette absence, qu’il s’agisse d’une omission ou d’un oubli, n’aurait pas de véritable importance si elle n’était à l’origine, nous semble-t-il, d’un biais dans la formulation de plusieurs conclusions en matière d’archéologie et d’histoire de l’art : en effet, il convient d’avoir bien présent à l’esprit que l’ensemble de la documentation hagiographique et littéraire, à la suite des réévaluations dont nous avons parlé, ne permet pas d’affirmer péremptoirement qu’une abbaye a été fondée sur le site de Saint-Mathieu avant le milieu du XIIe siècle, datation qui, il y a un quart de siècle, avait déjà la préférence du regretté Hubert Guillotel ; constat qui, de surcroît, sort renforcé de l’examen de la documentation de nature diplomatique, même si bien sûr on ne peut écarter que des déperditions d’archives nous privent d’une pièce maîtresse du débat. Au reste, point n’est besoin de préciser que cette approche de la documentation écrite ne permet évidemment pas, à l’inverse, d’infirmer avec certitude une fondation dans la première moitié du XIe siècle, comme l’ont dit à plusieurs reprises lors du colloque les archéologues et les historiens de l’art ; mais c’est alors à eux  qu’il revient d’établir péremptoirement cette datation plus ancienne, grâce à leurs compétences de spécialistes et aux techniques de plus en plus élaborées dont ils disposent, sans avoir recours à ce qui n’est qu’un mirage historico-légendaire dont les témoins littéraires ont été depuis plusieurs années percés à jour.

André-Yves Bourgès

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