"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale." J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat...

26 avril 2016

De Loconan à Locronan : l'ermite Robert ou le profil de l'hagiographe



Si la personnalité de Ronan, à l’instar de celle des autres « saints de papier »[1], se révèle inaccessible à l’historien, si la réalité même du personnage demeure largement questionnable — ce dont nous ne tirons pas les mêmes conclusions de R. Latouche, pour qui Ronan n’a jamais existé[2] — une lecture attentive du texte qui fait le récit de sa vie et de ses miracles [BHL 7336][3] apporte un certain nombre d’indications quant aux circonstances de la composition de cet ouvrage et aux motivations de l’hagiographe[4]. Plus encore, le texte en question nous livre quelques indices permettant, sinon de dresser un véritable portrait de l’écrivain, du moins d’en esquisser le profil, notamment ce qui concerne son arrière-plan culturel et sa formation intellectuelle. On observe par ailleurs que lieux géographiques et topoi du discours hagiographique entretiennent des relations complexes qui doivent s’appréhender d’un point de vue tout à la fois diachronique et synchronique. S’attachant à retracer le parcours terrestre de Ronan, qu’il s’agisse de sa démarche spirituelle ou de ses déplacements physiques, l’hagiographe adapte la focale à la dimension qui lui convient le mieux : l’élargissant quand il s’agit d’évoquer l’arc atlantique et les contacts entre l’Irlande et la Bretagne continentale, puis la resserrant sur la péninsule et les anciennes divisions territoriales bretonnes (Léon, Cornouaille et Domnonée), ou bien sur le duché et sa tripartition comtale à l’époque tardo-carolingienne (Cornouaille, Vannes et Rennes), avant de la rétrécir à une dimension locale voire micro-locale quand il est question de Quimper, dont la cathédrale détenait les reliques du saint, de la résidence anonyme de Gradlon et, bien sûr, de Locronan, ancien nemeton païen devenu, sans préjuger d’une éventuelle continuité, sanctuaire chrétien[5] ; à quoi il convient d’ajouter, malgré son excentrage, l’oratorium de Hillion, en Domnonée, où Ronan est supposé avoir terminé son existence terrestre après avoir fui la Cornouaille. La prise en compte de ces différents lieux s’avère essentielle pour analyser pertinemment l’hagiographie ronanienne, d’autant que celle-ci paraît avoir conservé, tel un palimpseste, les vestiges ailleurs perdus d’une mémoire populaire locale marquée depuis les temps les plus reculés au coin du sacré.
I
Les saints d’origine irlandaise nommés Ronan sont nombreux : « une bonne vingtaine » indique Padraig Ó Riain, pour qui cependant nous avons affaire à de fréquents doublets et répétitions : aucun d’entre eux, en tout cas, à l’exception du saint honoré en Bretagne, n’est fêté à la date du 1er juin[6] ; en revanche, comme l’a rappelé, à la suite du P. Paul Grosjean,  le regretté Bernard Merdrignac, ce jour est celui de la fête d’un certain Cronan, abbé de Lismore[7], dont différentes sources irlandaises situent la mort vers 716-718[8]. Le culte de Ronan paraît avoir été plutôt répandu dans l’évêché de Saint-Brieuc, comme en témoignent, outre le sanctuaire de Hillion déjà mentionné, d’anciennes litanies conservées par un manuscrit du XIe siècle où Ronan est invoqué, juste avant Tugdual,  dans le cadre d’une série de saints ‘domnonéens’, à la suite de Caeuc (Caoc), éponyme de Langueux et Trégueux, et de Brieuc (Brioc)[9] ; à quoi il faut ajouter le témoignage de la toponymie avec Laurenan, nom d’une paroisse de ce diocèse[10].
Dès lors, il est possible de supposer que les toponymes du type Locronan, situés en Trégor (Plestin-les-Grèves), en Léon (Saint-Renan, en breton Lokournan) et en Cornouaille ont conservé le souvenir de la substitution de Cronan par Ronan. Le possible culte breton de Cronan, saint relativement tardif comme nous venons de le voir, pourrait lui-même résulter, par le bais d’une métathèse *Kornan > Cronan[11], d’un phénomène de recyclage de traditions plus anciennes, impliquant le souvenir d’une divinité cornue du panthéon gaulois, Cernunnos[12]. Les toponymes du type Locronan étant tous localisés sur le territoire de l’ancienne civitas des Osismes, il n’est peut-être pas indifférent que le Mont-Saint-Michel de Brasparts, au cœur même de la civitas et à l’aplomb de son ombilic, le fameux Yeun Elez, « aux portes de l’Enfer »[13], se soit appelé autrefois la Motte-Cronon[14]. Après examen[15], il nous semble que de nombreux toponymes bretons en loc- pourraient bien tirer leur origine, non de locus, mais de lucus, « bois sacré », qui, chez les Anciens, désignait « moins la formation végétale qu’un authentique lieu de culte »[16] : « bois bien entretenu, mais pas exploité, où l’on ne pénétrait qu’à des fins cultuelles, et comportant une clairière réservée au culte » et qui « pouvait se trouver également à l’intérieur d’un nemus, d’un bois exploité »[17]. Le cas du site de Locronan au milieu de l’antique forêt de Nevet (Nemet), dont le rituel de troménie a peut-être conservé le souvenir de pratiques religieuses anciennes, nous paraît venir au soutien de cette hypothèse.
De telles substitutions en chaine, si elles sont avérées, ne seraient pas surprenantes en soi, car c’est le lot commun de nombreux saints homonymes ou dont les noms présentent une certaine homophonie. Pour s’en tenir au seul cas de notre Ronan, nous pouvons également noter que sa vita a fait l’objet d’un plagiat intégral au profit d’un certain Rumon, c’est-à-dire Romain en cornique, Romanus en latin, honoré principalement à l’abbaye de Tavistock en Cornwall, où son dies natalis était commémoré au 30 août[18] ; mais Romanus est également le nom d’un évêque, « saint pèlerin de Dieu, de la race des Irlandais » (sanctum Dei peregrinum ex genere Scotorum, nomen Romanum, episcopum) qu’Ansoald de Poitiers, dans le dernier tiers du VIIe siècle, plaça à la tête du monastère de Mazerolles et qui, quant à lui, était fêté sur place au 1er juin[19]. Ces exemples témoignent de la complexité du problème, d’autant que les formes sincères des noms qui figurent dans ces différentes attestations ne sont pas connues avec certitude. Ce qui doit nous intéresser relativement à Locronan, ce sont les raisons qui pourraient expliquer une éventuelle substitution au profit de Ronan ; et la réponse, qui est à l’origine de la rédaction de l’hagiographie de ce dernier, est apportée de manière explicite dans l’ouvrage en question : il s’agissait de justifier la présence à Quimper  du chef du saint dont l’hagiographe n’a d’ailleurs même pas pris la peine de cacher qu’il avait été enlevé, avec les autres reliques de Ronan, au sanctuaire de Hillion contre la volonté des habitants du lieu. Pour permettre cette appropriation cornouaillaise, l’hagiographe a donc soigneusement présenté le transfert des reliques en question comme un retour, avec une étape essentielle à Locronan destinée à réinvestir de son antique dimension de bois sacré (lucus), le « lieu de mémoire » d’un saint (locus), devenu simple possession monastique (locus) : comme l’a montré Gaël Milin, l’analyse de la structure du récit des épreuves successives qui opposent Ronan et Keban vient confirmer que la logique narrative est avant tout destinée à justifier ce retour[20]. Malgré la perte de ses reliques, l’oratoire « domnonéen » de Ronan est longtemps resté lui aussi un important lieu de pèlerinage : ainsi le duc Jean IV, que sa vénération à l’égard de Ronan avait encouragé, après la naissance de son fils, le futur Jean V, en 1389, à exempter de l’impôt les habitants de Locronan[21], a-t-il séjourné cinq ou six jours à Hillion au début de l’été 1393, à l’occasion de sa campagne contre le connétable de Clisson[22]. Ronan a plus tard été remplacé localement par René ; or, ce dernier, aux derniers siècles du Moyen Âge, était l’objet d'une grande dévotion populaire à Angers, où, dans le cadre plus vaste de ce que nous désignerons comme « des manifestations tolérées  de la religion souterraine »[23], il était lui aussi invoqué pour des problèmes de fécondité. Encouragée là encore par une vague homophonie entre leurs noms, la spécialité thérapeutique de René avait-elle passé à Ronan ; ou bien celui-ci jouait-il déjà auparavant un rôle thaumaturgique dans ce domaine ? Il ne semble pas possible, dans l’état actuel de la documentation, de trancher formellement ces questions car, pour les deux saints, les premières attestations de ce recours d’un type particulier sont sensiblement contemporaines.
Plus généralement encore et sur un terrain qui apparaît quant à lui éminemment politique, l’hagiographe de Ronan avait également pour objectif d’expliquer comment le comte de Cornouaille avait pu dépouiller de ses reliques un sanctuaire situé au sein du territoire contrôlé par les membres de la dynastie comtale de Rennes : même si cette appropriation doit en fait traduire la montée en puissance de la maison de Cornouaille — dont en 1066 le chef, Hoël, prend en main les destinées de la Bretagne et met rapidement au pas ses barons[24], parmi lesquels les Eudonides[25], branche cadette de la maison de Rennes, apanagée d’une vaste principauté qui s’étendait alors sur le Penthièvre, le Goëllo et le Trégor[26] — l’hagiographe préfère inscrire l’anecdote, d’une part dans la logique d’une procédure ordalique, marquée par le recours au miraculaire, d’autre part dans la chronologie, au demeurant imprécise, de l’époque qui, suite aux attaques des « pirates » (entendons les Vikings), avait vu l’exode des populations et la dispersion des reliques des corps saints hors de Bretagne[27] : interpellant alors la Cornouaille directement, comme s’il s’agissait d’une personne[28], l’hagiographe rapporte, avec des accents qui pourraient bien lui avoir été inspirés par la lecture de l’œuvre de Wrdisten[29], comment sa mère-patrie avait perdu en ce temps-là, après celles de Corentin[30] les reliques de Guénolé[31] ; ces deux saints ainsi disqualifiés, Tugdual alias Tudi — que Wrdisten avait décrit également comme l’une des « colonnes » de la Cornouaille[32] — relégué avec d’autres dans l’anonymat de l’oubli[33], la première place dans le sanctoral cornouaillais devait dès lors revenir à Ronan, dont la  principale relique était désormais conservée à Quimper[34]. CQFD.
Pour conforter sa démonstration, l’hagiographe a pris soin d’enraciner son propos dans la tradition locale, en particulier, entre autres éléments narratifs destinés à donner au récit un effet de réel, ce qui concerne la donation comtale à l’origine du minihi de Locronan et, postérieurement, la reconstruction de l’oratoire du saint ; mais surtout « ce texte comporte un épisode qui ne peut manquer d’attirer l’attention de qui s’intéresse à la littérature, à la culture du Moyen Âge : le récit du séjour de saint Ronan en Cornouaille s’articule en effet, autour d’une accusation de lycanthropie et d’un conte de loup-garou », comme le souligne Gaël Milin, pour qui la présence de ce conte dans un texte hagiographique « rappelle les échanges si fréquents au Moyen Âge entre la culture profane et la culture religieuse, ou entre la culture ecclésiastique et la culture folklorique »[35]. La dualité culturelle médiévale dont l’ouvrage sur Ronan a remarquablement conservé les strates, a également retenu l’attention de B. Merdrignac, qui, au-delà d’une approche historienne[36], a montré que les deux systèmes de représentation du monde dont ce texte a gardé la trace pouvaient présenter en de nombreuses occasions une forme de cohérence et que l’antagonisme auquel on a parfois cherché à les réduire devait être au moins relativisé[37]. Demeure néanmoins la question de savoir si cette cohérence éventuelle renvoie à  l’intégration délibérée dans le discours hagiographique « d’éléments issus du paganisme essentiel pour assurer le succès du culte chrétien dans les mentalités populaires »[38] ; ou bien si, au contraire, ce discours a pu être subverti, à l’insu de l’hagiographe, par la culture populaire, à tout le moins profane, dont il est évident que, quel que soit son milieu social, l’écrivain lui-même avait participé, notamment pendant sa petite enfance[39] ; sans parler des nombreuses autres circonstances qui, dans des situations moins tranchées, peuvent avoir présidé  à la mise par écrit de traditions orales[40].
II
Depuis le travail de René Largillière[41], on sait que l’hagiographe de Ronan doit être identifié à la fois avec l’auteur d’un sermo sur les miracles de Corentin[42] — ouvrage sans doute inspiré par un liber miraculorum plus fourni[43] et intégré tardivement au sein d’un ensemble de textes parfois présenté comme la vita ancienne du saint[44] — et avec l’écrivain qui, au tournant des XIe-XIIe siècles, a élégamment résumé sous la forme d’une « pancarte » les plus anciens actes relatifs au chapitre cathédral de Quimper[45].
Au-delà du style et des expressions[46], au-delà du lexique[47], notamment dans sa dimension « hispérique[48] », au-delà des emprunts à des sources communes (auteurs classiques[49], hagiographes[50]), existent d’autres types de ressemblance entre les ouvrages sur Ronan et sur Corentin, notamment le motif de l’enfermement dans un coffre, qui figure dans le récit d’un des miracles de Corentin (in archam immisericorditer) et aussi dans l’ouvrage consacré à Ronan (insipienter in arca) à propos du subterfuge utilisé par Keban pour compromettre le saint : la postérité folklorique de ce motif ambivalent a été récemment étudiée par Joël Hascoët[51].
Concernant le rapprochement avec la « pancarte » du chapitre de Quimper[52], il nous suffira  de renvoyer à nouveau à la démonstration de R. Largillière : la « pancarte » en question, souligne ce dernier, « n’est pas l’énumération indigeste d’un terrier, l’auteur relate les faits qui ont incité les donateurs, raconte le miracle du comte Alain, atteint d’une maladie d’yeux[53] » (il s’agit d’un doublet du récit qui figure dans une autre pièce du dossier littéraire de Corentin)[54] ; « les phrases sont joliment tournées, il y a des recherches de style, et l’on retrouve les expressions aimées de notre auteur »[55], de même que certains tics de vocabulaire, notamment le recours à des adverbes en -ter.
Le double rapprochement très convaincant proposé par R. Largillière en suggère un troisième, déjà pressenti par Joëlle Quaghebeur[56], avec ce que nous avons appelé le « roman des origines » de Sainte-Croix de Quimperlé[57], constitué par les actes nos 1, 3 et 4 du cartulaire de l’abbaye[58] : sur le fond comme sur la forme, ce récit, qui fait état de trois miracles dont aurait bénéficié le comte Alain – guéri d’une maladie, vainqueur de la révolte de son vicomte, repoussant des envahisseurs –, trouve son équivalent dans trois passages successifs de la « pancarte » de Quimper[59], dont il partage à plusieurs reprises le lexique[60], le formulaire[61], les expressions même[62] et, parmi celles qui sont « aimées de notre auteur », selon les termes de R. Largillière, il faut noter remeare ad propria « revenir dans sa patrie », commune aux quatre textes, qui apparaît dès lors comme un véritable « marqueur»[63].
De plus, les trois derniers récits contenus dans le sermo sur les miracles de Corentin font état d’apparitions oniriques, le saint s’invitant même par deux fois à deux occasions dans les rêves des bénéficiaires de ses miracles, ce qui porte ici à cinq le nombre de visions : si celles-ci ne sont pas rares dans la production hagiographique bretonne ancienne, une proportion aussi importante ne se retrouve que dans le texte concerné, spécificité qu’il convient dès lors d’attribuer moins sans doute à la nature du dossier miraculaire antérieur qu’au traitement littéraire que lui a appliqué l’hagiographe. Or, l’acte n° 1 du cartulaire de Quimperlé, qui fait le récit de la guérison d’Alain, rapporte lui aussi une vision onirique dont le comte aurait été gratifié : une croix d’or descendue des Cieux jusque dans sa bouche pour anéantir ses pensées mortifères[64].
Cette hypothèse de travail, qui n’a pas encore reçu toutes les validations nécessaires, notamment celles que permettrait un recours systématique aux techniques informatiques de concordance des textes et de comptage lexicométrique, pourrait ouvrir, comme on le voit, de nouvelles perspectives sur les circonstances de la composition du cartulaire de Quimperlé. Ainsi, l’ouvrage que le moine Gurheden a produit dans les années 1124-1127, dans le cadre d’un projet éditorial précis et dont la préface donne les grandes lignes, devrait être alors considéré comme la version interpolée d’un travail de compilation antérieur : au demeurant, le style de Gurheden, d’après ce que l’on peut en juger au travers de cette préface, nous paraît suffisamment différent de celui de l’auteur de ce « roman des origines » pour permettre de repérer les interpolations. D’ailleurs, Gurheden ne saurait être l’auteur commun de la « pancarte » de Quimper, du sermo consacré à Corentin et de l’hagiographie de Ronan, puisque ce dernier texte était conservé à Quimperlé dans un manuscrit distinct de celui du cartulaire ; or, eu égard aux possessions de l’abbaye à Locronan, l’hagiographie du saint local, si elle avait été connue de Gurheden, voire composée par lui, aurait été intégrée dans sa compilation, à l’instar de celles de Gurthiern et de Ninnoc.
III
« La question du nom de l’auteur et de l’artiste, on le sait, fait résonner des problématiques spécifiques au Moyen âge, la majorité des œuvres n’étant pas signées. Pour autant, les “effets de signature” ne manquent pas et l’anonymat n’est pas synonyme d’absence de marque d’auteur dans l’œuvre. Des études stylistiques ont permis de référer plusieurs œuvres à un même “auteur”, soit que celui-ci soit déjà connu (…) … soit que la critique moderne lui ait attribué un nom par défaut (….)… », écrivaient en 2009 les auteurs de la présentation du colloque sur L’anonymat de l’œuvre dans la littérature et les arts au Moyen âge [65]. Cependant, « ces tentatives de désanonymer les œuvres, de leur attribuer titre et auteur, témoignent d’une attitude scientifique particulière et mouvante sur le Moyen âge. Le souci du nom qu’ont les modernes plaque-t-il, à contresens, ou comme un malentendu, une épistémè qui tenterait de réduire l’altérité de l’acte créateur médiéval afin de le conformer à des schémas culturels, idéologiques et sociaux connus de nous, du moins plus rassurants pour nos esprits ? ».
L’hagiographie de Ronan avait été attribuée par le regretté Hubert Guillotel à l’évêque Bernard dit de Moëlan (1159-1167)[66], hypothèse intéressante mais malheureusement impossible à suivre si l’on admet que l’hagiographe est le même que le compilateur de la « pancarte » de Quimper : ce dernier parle en effet à deux reprises de la comtesse Judith, morte en 1063, comme d’un personnage de son temps (Judith comitissa nostri temporis mulier prudentissima et ailleurs Juzeth comitissa nostri temporis mulier religiosissima)[67] ; en revanche, il ne revendique pas explicitement d’avoir connu Alain Cainhiart, mort en 1058. En tout état de cause, nous sommes tenté de proposer à nouveau de reconnaître derrière l’hagiographe de l’évêque Corentin et de l’ermite Ronan, derrière l’écrivain qui a su avec talent résumer les plus anciennes chartes ou notices du chapitre de Quimper et de l’abbaye de Quimperlé, Robert, qui fut moine à Sainte-Croix, ermite à *Loconan et finalement évêque de Quimper de 1113 à 1130[68].
En effet, un ermite nommé Robert figure en qualité de témoin avec Christian, son compagnon (Rotberth heremita et Christianus socius ejus), dans un acte passé aux années 1107-1113 qui consacre la réconciliation entre l’abbaye de Quimperlé et un certain Donguallon, lequel s’était emparé indûment de biens relevant du monastère[69] : la présence de l’ermite Robert constitue sans doute une marque de la considération dont il jouissait auprès du clergé cornouaillais, en particulier auprès de l’évêque Benoît, qui patronne cet accord ; mais elle est également l’indication de sa proximité avec l’abbaye de Quimperlé. C’est également un certain Robert, dont le catalogue épiscopal nous apprend qu’il « fut ermite à Locuuan » (fuit heremita apud Locuuan)[70], qui est appelé à succéder en 1113 à Benoît sur le siège de Quimper :  sous la forme que nous lui restituons (*Locunan)[71], le toponyme concerné n’a pas d’autre équivalent que Loconan, village de Trébrivan (C.-d’A), à proximité du lieu-dit Le Nézert, dont le nom renvoie indiscutablement à quelque ‘désert’ érémitique ; or, à la suite d’une donation du duc Hoël[72], l’abbaye de Quimperlé, dont le nécrologe  inscrit l’évêque Robert au nombre de ses moines[73],  était possessionnée dans les parages immédiats de Loconan, à Landugen en Duault (C.-d’A.).
D’un point de vue chronologique, l’identification que nous proposons n’offre pas de difficulté particulière : si l’évêque Robert, mort en 1130, est bien le même que l’ermite Robert et avait été précédemment moine à Quimperlé,  il est loisible de placer l’époque de sa naissance vers le milieu du XIe siècle, en accord donc avec la revendication du compilateur de la « pancarte » de Quimper d’avoir connu la comtesse Judith, même s’il était alors très jeune ; en tout état de cause, il est bien le contemporain du duc Hoël et des autres membres de la dynastie comtale de Cornouaille dont les noms figurent dans ce document. L’hagiographie de Ronan a été composée après et d’après le cartulaire de Quimperlé, dans lequel figure la vita de Ninnoc, à laquelle l’écrivain a, selon toute vraisemblance, emprunté  l’épisode de la dispute entre les comtes de Rennes, de Vannes et de Cornouaille[74] : d’ailleurs, en 1127, au moment même où le moine Gurheden achève la compilation du cartulaire, dont l’une des pièces supposées les plus anciennes — en fait, une forgerie dont H. Guillotel, le dernier en date, a fait justice[75] — est la notice relatant la donation de l’église de saint Ronan à l’abbaye de Quimperlé[76], l’évêque Robert séjourne dans ce monastère[77].
L’hagiographie de Ronan et le sermo sur les miracles de Corentin doivent ainsi pouvoir être étudiés comme des témoignages intéressant le renouveau érémitique breton à la charnière des XIe-XIIe siècles, particulièrement en ce qui concerne les difficultés rencontrées au quotidien par les ermites dans l’exercice de leur ascèse : difficultés de nature économique et matérielle, cela va sans dire, et bien sûr assumées par les impétrants car elles constituent une forme renouvelée du « martyre vert » des premiers saints bretons, mais qui, par exemple, conduisent Corentin à solliciter, selon l’auteur du sermo, une intervention divine au profit de l’ermite Primel, afin que ce dernier puisse disposer d’une source d’eau potable à proximité de sa solitude ; difficultés de nature politique et institutionnelle, qui résultent de la confrontation entre la marginalité affichée de l’ermite et la volonté de contrôle affirmée du pouvoir en place, comme il se voit avec le rôle joué par Gradlon ; difficultés, enfin, qui résultent de l’attitude des populations, partagées entre enthousiasme, réserve et parfois même défiance à l’égard des ermites. L’hagiographie de Ronan constitue un catalogue éloquent de ces sentiments complexes, en même temps qu’elle répertorie de nombreux mythèmes dont l’étude attentive permet une véritable introspection des mentalités locales à l’époque du Moyen Âge central. Or, dans l’hypothèse où l’hagiographe aurait lui-même été ermite pendant une partie de sa vie, il nous semble possible, comme nous l’avons écrit dans notre étude sur la trinité érémitique bretonne de la fin du XIe siècle[78], que le récit des tribulations de Ronan, suite aux accusations portées contre lui par Keban, puisse refléter les difficultés rencontrées par Robert, à Loconan ou ailleurs : ainsi, une lecture « culturelle » du récit doit sans doute se faire en prenant en compte les deux dimensions complémentaires de l’hagiographe, celle du conteur et celle du mémorialiste.

André-Yves Bourgès


[1] Nous empruntons à nouveau cette heureuse formule à G. Philippart, « Problèmes et premiers résultats d’une histoire générale de la littérature hagiographique », J. Carey, M. Herbert, P. Ó Riain [éd.], Studies in Irish Hagiography. Saints and Scholars, Dublin, 2001, p. 337 et 341.
[2] R. Latouche, Mélanges d’histoire de Cornouaille (Ve-XIe siècle) Paris, 1911, p. 95.
[3] « Pontificis sancti venerandi vita Ronani », ms Paris, BnF, lat. 5275, f. 52r°-63r° ; Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum saeculo XVI qui asservantur in Bibliotheca Nationali Parisiensi, t. 1,  Bruxelles, 1889, p. 438-458. Dom F. Plaine, « Vie inédite de saint Ronan, traduite du latin avec prolégomènes et éclaircissements », Bulletin de la Société archéologique du Finsitère, t. 16 (1889), p. 273-318, a donné de ce texte une paraphrase assez élégante, mais qui, de son aveu même, ne prétend pas à la fidélité.
[4] A.-Y. BourgÈs, « “Un saint de papier”. Corentin au travers de son dossier hagiographique », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 140 (2012), p. 227-240.
[5] B. Tanguy, « Du nemeton au locus sanctus », Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque international 28-30 avril 1989, s.l. [Locronan], 1995, p. 109.
[6] P. Ó Riain, « Saint Ronan de Locronan : le dossier irlandais », Saint Ronan et la Troménie,  p. 160.
[7] B. Merdrignac, « Saint Ronan et sa vie latine », Saint Ronan et la Troménie,  p. 134-135.
[8] Voir en particulier les martyrologes de Tallaght et de Donegal, ainsi que les annales de Tigernach.
[9] B. Tanguy, « Anciennes litanies bretonnes des Xe et XIe siècles »,  Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 131 (2002), p. 474.
[10] Idem, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses  des Côtes d’Armor, s.l. [Douarnenez], 1992, p. 126 ; Id., « Du nemeton au locus sanctus », p. 118-119.
[11] E. Vallerie, « Saint Ronan est-il bien l’éponyme primitif de Locronan ? », J. Quagheheur et S. Soleil [dir.], Le pouvoir et la foi au Moyen Âge, en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest. Mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel, Rennes, 2010, p. 119-120.
[12] Ibidem, p. 128.
[13] Cette formule touristico-marketing est désormais relayée sur la Toile numérique qui assure son succès. La croyance à laquelle elle renvoie paraît attestée pour la première fois dans le récit que fit  J.-F. Brousmiche  de ses voyages en Finistère aux années 1829-1831 : voir à ce propos A. Croix, La Bretagne aux XVIe  et XVIIe  siècles. La vie, la mort, la foi, t. 2, Paris, 1981, p. 1056, n. 95.
[14] E. Vallerie, « Saint Ronan est-il bien l’éponyme primitif de Locronan ? », p. 126.
[15] A.-Y. BourgÈs, « Locus versus locus : Locquirec, élément d'un patrimoine monastique ou “lieu de mémoire” d'un saint ? », Y. Coativy, A. Gallicé, L. Héry et D. Le Page (dir.), Jean-Christophe Cassard, historien de la Bretagne, Morlaix, 2014, p. 53-59.
[16] J.-L. Brunaux, «  Les sanctuaires celtiques de Gournay-sur-Aronde et de Ribemont-sur-Ancre, une nouvelle approche de la religion gauloise », Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 141e année (1997), n° 2, p. 568.
[17] J. Scheid, « Religions de Rome », Annuaire. Ecole Pratique des Hautes Etudes. Ve Section : Sciences religieuses, t. 96 (1987), p. 283.
[18] O. Padel, « Saint Rumon, saint cornique », Saint Ronan et la Troménie, p. 166.
[19] B. Merdrignac, « Saint Ronan et sa vie latine », p. 131-134 ; L. Levillain, « Les origines du monastère de Nouaillé », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 71 (1910), p. 248 et p. 281.
[20] G. Milin, « La vita Ronani et les contes de loup-garou aux XIIe et XIIIe siècles », Le Moyen Âge, t.  97 (1991-1992), p. 261-263. [L’article en question a été également publié dans Saint Ronan et la Troménie, p. 211-226,  sous le titre légèrement modifié  « Légende hagiographique et contes de loup-garou  aux XIIe et XIIIe siècles : la vita Ronani et ses référents culturels »].
[21] M. Jones, Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, t. 2, nos 431-1196 (1383-1399), Paris, 1983, p. 701, n° 1190.
[22] Ibidem, t. 1, nos 1-430 (1357-1382) Paris, 1980, p. 70.
[23] A.-Y. BourgÈs, « Des manifestations tolérées de la religion souterraine : les saints membrés » (travail en cours). La formule « religion souterraine » a été utilisée récemment à plusieurs reprises par A. Chauou, dont on consultera avec profit les travaux sur le sujet : La religion souterraine dans l'Ouest, XIIe-XVe siècles (mémoire de DEA), Rennes, 1994 ; « La religion souterraine à Saint-Malo en 1434 », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 102 (1995), n° 2, p. 107-112 ; « Les évêques réformateurs en Bretagne au bas Moyen Age », P. Boucheron et J. Chiffoleau [éd.], Religion et société urbaine au Moyen Age, Etudes offertes à Jean-Louis Biget, Paris, 2000, p. 69-80. « Note sur quelques traces de religion souterraine dans la Chronique d'Arthur de Richemont (XVe siècle) », S. Cassagnes-Brouquet, A. Chauou, D. Pichot et L. Rousselot [dir.], Religion et mentalités au Moyen Âge. Mélanges en l'honneur d'Hervé Martin, Rennes, 2003, p. 363-369.
[24] A.-Y. BourgÈs, « Propagande ducale, réforme grégorienne et renouveau monastique : la production hagiographique en Bretagne sous les ducs de la maison de Cornouaille »,  Mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel, Rennes, p. 149-151.
[25] Ibidem, p. 155.
[26] A quoi il faut éventuellement ajouter le Quintin, si l’on considère que ce territoire doit être distingué de celui du Goëllo. Les Eudonides et leur principauté ont fait récemment l’objet d’une approche renouvelée par S. Morin, Trégor, Goëlo, Penthièvre. Le pouvoir des comtes de Bretagne du XIe au XIIIe siècle, Rennes, 2010.
[27] B. Merdrignac, « Saint Ronan et sa vie latine », p. 142-144.
[28] « Vita Ronani », p. 456 : Heu tu, Cornugallia, infelix tunc nimium clima, immo infelicior tuus incola, qui suam propter nequitiam te perdidit bonis usualibus opulentam (« ô Cornouaille, pays hélas désormais fort infortuné, mais plus infortunés tes habitants qui, par leur dissipation, t'ont ruinée, toi qui fus opulente en biens de toute sorte »).
[29] Vita prosimétrique de Guénolé, II, 19 (transcription et traduction par A. Le Huërou) :
Quam bene candelis splendebant culmina ternis
Cornubiae, proceres cum terni celsa tenebant !
Rura vel ima regens, Gradlonus jura teneret
Cum doctus terrena ; nitentem porgeret haustum
Ac populo sitienti Courentinus, in almo
Ordine, cum sacro praefulgens corpore Christi :
Summus qui dici meruit speculator ab actis,
Vitam qui summo portavit cum speculatu
Arctam heremi, nisi cum quaestus moveatur abortus
AEcclesiarum : ob hoc intentus, cito discutiebat
Orta, sed innumeros stabilita in pace sedabat ;
Ille dehin remeans eadem quoque quae ante gerebat :
Domnus et innumeis cum Uuingualoeus in actis
Prae cunctis fulsit, heremitarum bene factus
Abbas, excelso virtutum culmine clarus.
Ante tamen dictum jam scanderat ipse sacratum
Regmina tanta locum dicti quam ambo tenerent.
Jamque tamen ternos precesserat ordine sanctus
Eximius istos Tutgualus nomine, clarus
Cum meritis monachus, multorum exemplar habendus :
Cujuscumque sinu caperet cum vestibus ignem,
Non tetigit flamma sed leni rore madescit.
Sed cum caelitibus vitam tum forte gerebat,
Cum ternis patria munitur fulta columnis,
Quarta tamen, vivens, quo corpore vixerat ipse
Cum Christo vivit, quia non minus esse putatur.
Ast igitur fulchris tunc eminet alta quaternis
Cornubiae patria, rerum quoque copia plena,
Pulchro compta quasi ornata cum sponsa decore
Egreditur thalamo, sponso veniente superbo.
« Comme ils resplendissaient sous leurs trois flambeaux
Les sommets de Cornouaille quand trois Grands la tenaient !
Dirigeant tout le pays, le sage Gradlon tenait alors
Les pouvoirs terrestres ; Corentin tendait
Au peuple assoiffé l’eau par lui puisée, dans l’ordre saint,
Brillant de l’éclat sacré du corps du Christ :
Il mérita par ses actes d’être appelé évêque éminent,
Lui qui joignit à l’éminente dignité épiscopale la rude vie d’ermite.
Ne pouvaient l’en détourner que les plaintes des églises.
S’y appliquant alors, bien vite il arrachait les racines du mal,
Et ramenait quantité de gens à une paix durable,
Puis retournait de là à ses occupations premières.
Le seigneur Saint  Guénolé par d’innombrables actes aussi
Brilla plus que tous, à juste titre devenu abbé des ermites qu’ils étaient,
Célèbre par l’éminente élévation de ses vertus.
Déjà pourtant lui-même avait gravi ce lieu sacré,
Avant que tous deux ne détinssent tant de pouvoir,
Et déjà pourtant, dans l’ordre, les avait tous trois précédés
Un saint remarquable du nom de Tugdual, moine célèbre
Par ses mérites, digne d’être un exemple pour beaucoup :
Alors qu’en son sein il prit feu jusqu’à ses vêtements,
La flamme ne le toucha pas, mais le baigna d’une douce rosée.
Il vivait alors parmi les habitants des cieux
Quand la patrie avait pour rempart les trois piliers qui la portaient.
Lui, cependant, est le quatrième, aussi vivant que s’il vivait en corps,  
(Puisqu’) Il vit avec le Christ, ce qui, pensons-nous, n’est pas moins estimable.
Ainsi donc, soulevée sur ces quatre colonnes, est alors éminente
La patrie de Cornouaille, et remplie d’une abondance de biens,
Splendidement parée comme une épouse en ses atours,
Elle sort de la chambre nuptiale au-devant de l’époux qui vient à elle superbe ».
[30] « Vita Ronani », p. 456 : Amiseras autem antea propter nequam parricidae tui consulis insaniam patronum tuum venerandum archimandritam confessorem Christi sacerrimum Courentinum episcopum (« Or, du fait de la méchante folie de ton comte parricide, tu avais auparavant perdu ton patron, le très sacré évêque Corentin, vénérable archimandrite et confesseur du Christ »).          
[31] Ibidem : Illo enim in tempore pretiosum Christi confessorem sanctissimum amisisti Guingualoeum abbatem (« C’est un fait qu’en ce temps-là, tu perdis  le très saint abbé Guénolé, précieux confesseur du Christ »).
[32] Voir supra n. 29.
[33]« Vita Ronani », p. 456 : Longum est intimare, immo dolet narrare, quae et quot sanctorum cara supradicto tempore perdidisti pignora propter nefaria tuorum incolarum flagitia, nullatenus, pro dolor, ad te reversa (« Il est long de faire connaître et surtout  il est douloureux de raconter combien à cette époque, à cause des ignominies abominables de tes habitants, tu perdis de précieuses reliques de saints et lesquelles, aucune, hélas, n’étant revenue vers toi »).
[34] Ibidem : Verumtamen non es omnium illorum patrocinio penitus destituta, cum sanctum caput Ronani per immensam Dei omnipotentis misericordiam retrogradum habere meruisti (« Cependant, tu n’es pas complètement privée du patronage de tous ceux-ci, puisque par l’immense miséricorde de Dieu tu as mérité que revienne le saint chef de Ronan »).
[35] G. Milin, « La vita Ronani… », p. 259.
[36] B. Merdrignac, « Lug, les saints et les loups », Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants, Rennes, 2008, p. 45-63. Au demeurant, la démonstration de ce chercheur a vocation généraliste et dépasse le cas de Ronan puisqu’elle porte sur quelques huit dossiers hagiographiques.
[37]Ibidem, p. 47-48.
[38] Ibid., p. 63.
[39] Quelques éléments de réflexion sur ces questions dans M. Voicu, Histoire de la littérature française du Moyen Âge (Xe-XVe siècles), par exemple : « La frontière est indécise entre lettré et illettré (…)… Il serait alors plus juste de remarquer, avec M. Zink (Littérature française du Moyen Âge, 1992), que, si l'écrit est indéniablement un critère de culture, il n'est pas le seul et surtout il ne possède pas l'autonomie qui est sienne de nos jours, car son utilisation suppose un passage obligatoire par l'oralité. Pour cette même raison, on ne pourrait pas opposer absolument la culture écrite, exprimée en latin, à la culture orale, en langue vulgaire, même si longtemps il n'est d'écrit qu'en latin » [en ligne : http://ebooks.unibuc.ro/lls/MihaelaVoicu-2003/2.htm#9 (consulté le 26 avril 2016)].
[40] S’il ne peut être question bien évidemment d’envisager un véritable « collectage », au sens de la pratique des folkloristes du XIXe siècle, le concept de « collection » pourrait s’avérer en revanche opératoire à l’instar de ce qui s’observe avec les recueils d’exempla.
[41] R. LargilliÈre, « Saint Corentin et ses vies latines à propos d’une publication récente », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 52 (1925), p. 86-108.
[42] Ibidem, p. 103-105
[43] Voir infra n. 50.
[44] E. C. Fawtier-Jones, « La Vita ancienne de saint Corentin », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 6 (1925), p. 38-56 : il s’agit en fait d’une copie d’érudit effectuée par le P. du Paz, lequel a collationné sans ordre ni indication de sources différents textes relatifs à Corentin, notamment celui de la vita reconstituée ensuite par Dom F. Plaine, mais sans le prologue de cette dernière. Comme l’a souligné en son temps R. LargilliÈre dans un long compte rendu très critique, qui n’est pas lui-même exempt d’un certain nombre d’approximations, l’édition procurée par E. C. Fawtier-Jones n’est pas à la hauteur de son enjeu. En particulier, l’éditrice n’a pas su, ou n’a pas voulu voir que les différents textes copiés par le P. du Paz reflétaient moins la complexité de la tradition manuscrite du dossier littéraire de Corentin que la réelle diversité originelle de ses éléments constitutifs, dont on conservait encore les vestiges à Quimper au début du XVIIe siècle. Le sermo proprement dit est constitué par les § 10-11 et 15-17, respectivement p. 42-45 et p. 47-56 de cette édition.
[45] R. LargilliÈre, « Saint Corentin et ses vies latines… », p. 105-107.
[46] D’après le relevé établi R. LargilliÈre, les deux textes ont en commun les expressions suivantes : evolutis paucorum diebus curriculis ; Dei (ou Fidei) cultor specialissimus ; tua sunt haec tua, Christe (ou Domine) magnalia ; cujus in praecordiis almus cluebat spiritus (cette expression se retrouve verbatim dans la Vita de saint Gilles [BHL 95]: Aegidius cujus in praecordiis, etc.) ; qui vocem emittens pro dolore lachrimabilem ; remeare ad propria ; nequitia ou tristitia perurgente.
[47] Notamment des hellénismes, des maniérismes, des poétismes : actutus, archimandrita, basilica, cleptes, clima, intercapedo, molimen, separ, tripudium, zabulus ; également de nombreux adverbes formés avec le suffixe -ter. Cette rapide énumération, qui ne prétend nullement à l’exhaustivité, est là encore empruntée à R. LargilliÈre.
[48] Le latin hispérique, dont les textes hiberno-latins donnent de nombreux exemples, consiste principalement en une recherche de mots rares. Parmi les mots concernés figurent notamment famina et soma : cf. L. Lemoine, « Maniérisme et hispérisme en Bretagne. Notes sur quelques colophons (viiie-xe siècles) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 102, 1995, n°4, p. 7-16.
[49] C’est bien sûr le cas de l’incontournable Virgile, avec la formule nec mora que S. Labarre (« Écriture épique et édification religieuse dans l’hagiographie poétique (ve-vie s.) : les scènes de résurrections », Rursus, t. 5 (2010) [en ligne : http://rursus.revues.org/408 (consulté le 26 avril 2016)], range au nombre des clichés virgiliens de l’hagiographie épique. On trouve également mente melior dans l’hagiographie de Ronan (cf. Enéide, II, 35), et imburim dans le sermo sur Corentin, terme « inexplicable » selon R. LargilliÈre, qui doit être lu en fait im burim (cf. Georgiques, I, 170) ; mais cette dernière lecture renvoie à la leçon figurant dans le Codex Mediceus.
[50] Au premier chef, le dossier miraculaire de Corentin ; deux miracles de ce dernier sont ainsi brièvement évoqués entre de nombreux autres (inter cetera celebrium miraculorum insignia) dans l’hagiographie de Ronan : 1. – la fontaine abondante que fait jaillir Corentin d’une terre qui ne donnait pas d’eau (uberrimum fontem qui usque hodie fluit ab imo telluris aquam dare negantis Dei nomine invocato produxit) : il s’agit d’une allusion au prodige opéré au profit de Primael à Kerfeunteun, également rapporté dans le sermo ; 2. – Corentin sauve d’une mort certaine la reine, saisie à la gorge par un chien qui l’avait presque étranglée (reginam morsu canis cupito paene strangulatam ab ipsa mortis fauce sua interventione liberavit) : ce prodige est demeuré inédit et ne nous permet pas de conclure formellement sur l’identité de la reine, probablement l’épouse de Gradlon : dans l’hagiographie de Ronan, ce roi ordonne de procéder à une pratique de nature ordalique, qui consiste à lancer contre le saint « deux chiens très vigoureux et très rapides, véritablement enragés de mordre et prêts à se jeter sur n’importe qui ».
[51] J. Hascoët, Les Troménies bretonnes. Un mode d’anthropisation de l’espace à l’examen des processions giratoires françaises et belges, t. 1, Corpus historique et ethnographique, Brest, 2010, p. 142-144 [en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00550144 (consulté le 26 avril 2016)]
[52] P. Peyron [éd.], « Cartulaire de l’Église de Quimper », Bulletin de la Commission diocésaine d’architecture et d’archéologie du diocèse de Quimper et de Léon, t. 1, 1901, p. 132-137. Cette « pancarte » est une compilation de nature diplomatique effectuée vers la fin du XIe ou le début du XIIe siècle : voir J. Quaghebeur, La Cornouaille du IXe au XIIe siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, Quimper, 2001, p. 185, note 53.
[53] R. LargilliÈre, « Saint Corentin et ses vies latines… », p. 105.
[54] A.-Y. BourgÈs, « “Un saint de papier”… »,  p. 229.
[55] R. LargilliÈre, « Saint Corentin et ses vies latines… »,  p. 106.
[56] J. Quaghebeur, « Aristocratie et monachisme autour de Sainte-Croix de Quimperlé aux xie et xiie siècles », dans Sous la Règle de saint Benoît. Structures monastiques et société en France du Moyen Âge à l’époque moderne, Genève, 1982, p. 202, note 9.
[57] A.-Y. BourgÈs, « “Un saint de papier”… »,  p. 230.
[58] L. Maître, P. de Berthou [éd.], Cartulaire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, 2e édition, Rennes-Paris, 1904, p. 130-132, 137 et 138-139. La notice n° 9 est peut-être également à compter au nombre des pièces concernées. La mise en forme définitive du cartulaire par le moine Gurheden est intervenue aux années 1124-1127 : voir H. Guillotel, « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », Saint Ronan et la Troménie, p. 181-182.
[59]  « Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 133-134 : la séquence est ici inversée, car on voit le comte d’abord repousser des envahisseurs, ensuite mater la rébellion de son vicomte et enfin être guéri d’une maladie.
[60] Languor, medicus, sanitas, praesul, votum, invadere, fines, victor (et victoria).
[61] Alanus igitur consul, praesul Orscandus.
[62] Par exemple : in medicos consumpsisset nec sanitatis inde fructum perciperet (Cartulaire [...] de Quimperlé, p. 130) et per sancti Chorentini intercessionnem a vero medico quaereret sanitatem (« Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 134)  ; ou bien peracto bello ad votum suum (Cartulaire [...] de Quimperlé, p. 137)  et tum vero voti sui memor (« Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 133)  ; ou encore dans in honore pretiosae Crucis (Cartulaire [...] de Quimperlé, p. 137) et sancto Chorentino dans manu sua (« Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 133).
[63] Cartulaire [...] de Quimperlé,  p. 131 (remeare ad propria) ; « Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 133 (ad propria remearet) ; « Vita Ronani », p. 449 (remeavere ad propria) ; E. C. Fawtier-Jones, « La Vita ancienne de saint Corentin », p. 53 (reversionis suae... ad propria). Cette expression bien attestée mais non disséminée, qui figure notamment chez Ammien Marcellin et chez saint Augustin, puis chez GrÉgoire le Grand ainsi que dans la Vita de saint Éloi, a connu un nouveau succès à l’époque carolingienne, en particulier avec Alcuin ; on la retrouve plus tard sous la plume de Pierre Damien, avant sa reprise par plusieurs auteurs du xiie siècle (Foucher de Chartres, Hariulfe, Suger, Geoffroi le Gros, etc.). Elle figure également dans la Vita longue de saint Malo, dans celle de saint Gildas, chez Guillaume le Breton et chez l’auteur de la Chronique de Nantes.
[64] Cartulaire […] de Quimperlé, p. 130.
[65] S. Douchet et V. Naudet [dir.], L'Anonymat de l'oeuvre dans la littérature et  les arts  au Moyen âge, 27-29 mai 2010, Aix-en-Provence, actes à paraître en 2016.
[66]  H. Guillotel, « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », p. 183-188.
[67] « Cartulaire de l’Église de Quimper », p. 134.
[68] A.-Y. BourgÈs, « Miracles de saint Corentin et Vita de saint Ronan : l’hagiographie cornouaillaise dans le premier tiers du xiie siècle », Hagio-historiographie médiévale [en ligne : http://www.hagio-historiographie-medievale.org/2008/05/miracles-de-saint-corentin-et-vita-de.html (consulté le 26 avril 2016)].
[69] Cartulaire [...] de Quimperlé,  p. 217-218.
[70] C. Henry, Les actes des évêques bretons (début du  XIe siècle-milieu du XIIe siècle). Étude diplomatique et édition critique, thèse (dactylographiée) de l’ École des chartes, t. 1, Paris, 2010, p. 100.
[71] A.-Y. BourgÈs, « Robert d’Arbrissel, Raoul de la Fûtaie et Robert de *Locunan : la trinité érémitique bretonne de la fin du XIe siècle », Britannia monastica, 10 (2006), p. 13-14.  Pour une récente discussion de la localisation de l’ermitage de Robert, voir J. Peuziat (+), « Locuuan ou les difficultés d’une lecture et d’une identification », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 138 (2010), p. 215-231.
[72] Cartulaire [...] de Quimperlé,  p. 171-172.
[73]R.-F. Le Men [éd.], Histoire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé par Dom Placide Le Duc, Quimperlé, s.d., p. 196 : II Nonas novemb. Robertus Episcopus Corisopitensis et Monachus istius loci.
[74] Cartulaire [...] de Quimperlé,  p. 63 ; A. Oheix, « L’histoire de Cornouaille d’après  un livre récent », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 39 (1912), p. 22, n. 1 ; Ch. de la Lande de Calan, « Mélanges historiques », Revue de Bretagne, t. 50 (juillet 1913), p. 118-119.
[75]  H. Guillotel, « Sainte-Croix de Quimperlé et Locronan », p. 176-180.
[76] Cartulaire [...] de Quimperlé,  p. 138-139.
[77] Ibidem, p. 196-197.
[78] Voir supra n. 71.

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