"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale." J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat...

29 juillet 2016

Culte et pèlerinage des Sept-Saints en Bretagne



Cette question suscite les revenez-y chez de nombreux auteurs, dont d'ailleurs nous sommes comme il se voit à l'occasion ; mais pour nous en tenir au seul terrain hagio-historiographique, qui nous est plus familier, il nous semble qu’il y a nécessité absolue de maintenir un distinguo entre la réalité d’un culte septenaire en Bretagne lequel paraît assuré depuis la seconde moitié du XIIe siècle, mais dont la liste des sanctuaires et celle des saints concernés ne peuvent être dressées avec certitude – et le « mirage historiographique » (expression empruntée au regretté J.-C. Cassard) d’un pèlerinage de masse, organisé, encadré, à l’occasion tarifé, et se présentant sous la forme d’une circumambulation entre les chefs-lieux de sept des neuf évêchés bretons.

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Des constats et des questions

Il est bien sûr impossible de conclure à la réalité du culte des Sept saints sans s’interroger sur celle des pèlerinages qu’il a nécessairement suscités ; mais du coup reste posée la question des formes prises par ces phénomènes pérégrins, dont les premières attestations remontent à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle.

L’analyse de la documentation nous permet de mieux connaître ceux pour qui les Sept-Saints de Bretagne méritaient une attention particulière, au point qu’ils ont contribué financièrement à l’entretien des différents lieux de ce culte, ou bien qu’ils ont choisi de pérégriner vers eux : curieusement, mais certainement pas de manière fortuite, l’origine géographique de ces femmes et ces hommes du XIIIe et du XIVe siècle est limitée aux seuls évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier. Les autres témoignages (hagiographiques, archivistiques, toponymiques et archéologiques) relatifs au culte et au pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne sont eux aussi localisés dans les mêmes parages. Sans doute cette impression est-elle, comme toujours, renforcée par une documentation qui, à l’évidence, n’est pas complète ; mais, sauf à supposer une destruction sélective des sources, il convient de s’interroger sur un tropisme aussi affirmé. 

De plus, il faut bien constater un véritable « trou noir » dans l’histoire du culte et du pèlerinage : pour plusieurs Trégorois interrogés en 1330 lors de l’enquête sur la vie et les miracles d’Yves de Kermartin, il s’agit encore d’une réalité bien vivante, mais il faut attendre ensuite 1415 pour trouver une allusion aux Sept-Saints de Bretagne ; rien en tout cas dans le procès de canonisation de Charles de Blois. Puis de nouveau le silence jusqu’à la seconde moitié du XVe siècle ; rien non plus dans les différentes enquêtes effectuées pour permettre la réformation des feux fiscaux du duché sous le règne de Jean V, alors que sont mentionnés à de nombreuses reprises des pèlerinages à Rome. Et enfin rien, ou presque à l’époque moderne, où les rares avis « autorisés », comme celui de Dom Lobineau, évoque une splendeur passée sans en donner de témoignages.  Inquiétant mutisme qui renforce le doute légitime de l’historien : ce dernier ne serait-il pas en effet victime d’une sorte d’effet d’optique ? Soit il s’agit d’un phénomène de masse d’une telle ampleur qu’il occuperait tout le champ de vision historique et brouillerait la vue ; ou bien,  au contraire, il s’agit d’un fait social microscopique qui, placé sous la loupe du chercheur, prendrait pour ce dernier une dimension très exagérée.


Lieux de culte

Pourtant, il est certain qu’un culte collectif de sept saints a eu ses hauts-lieux : outre les chapelles trégoroises du Méné Bré et du Stiffel, celle de Saint-Laurent à Yffiniac, dans l’ancien diocèse de Saint-Brieuc, et les Sept-Saints de Biconguy, dans l’ancien diocèse de Saint-Malo, il faut également mentionner la fontaine des Sept-Saints à Bulat-Pestivien, le village des Sept-Saints en Glomel et la chapelle placée sous leur invocation à Erdeven, ainsi que  la magnifique chapelle de Locmaria-an-Hent, à proximité d’une fontaine des Sept-Saints, dans l’ancienne paroisse de Saint-Yvi. Enfin — mais cette énumération ne prétend nullement à l’exhaustivité — le quartier des Sept-Saints à Brest a emprunté son nom à l’église tréviale qui leur était autrefois dédiée.

Il s’agit là de groupements qui n’avaient pas toujours à voir, au moins dans l’origine, avec celui des sept « fondateurs » des évêchés bretons et on pourrait sans doute trouver en Bretagne d’assez nombreux exemples de ce type de groupements de saints : c’est notamment le cas de Mérec et de ses six frères dans la région de Pontivy-Loudéac, en particulier à Kergrist (Morbihan). En ce qui concerne les Sept-Saints de Glomel, dont la notoriété a pu largement rayonner, compte tenu de la localisation géographique de leur sanctuaire au centre de la Bretagne, le regretté B. Tanguy avait conjecturé qu’il pouvait s’agir des sept saints irlandais établis, aux dires de Flodoard, en Champagne à l’époque de Clovis. Et si l’hypothèse de L. Massignon, prétendant reconnaître le culte des Sept-Dormants d’Ephèse à Plouaret, doit être strictement cantonnée, il n’en demeure pas moins que, compte tenu notamment de la problématique métropolitaine des évêchés de la Bretagne armoricaine, les deux « strates dévotionnelles » (VIe et XIIe siècles) observées à Tours à l’égard de groupes septenaires ne peuvent faire l’objet d’une impasse et, à l’instar de ce qui a été fait par F.Delpech au niveau des traditions orales, leur examen d’un point de vue hagio-historiographique doit être repris à nouveaux frais. 

En effet, si le récit édifiant de Grégoire de Tours (In gloria martyrum, c. 94), à la fin du VIe siècle, n’a peut-être pas atteint la partie du territoire armoricain contrôlé par les Bretons, il serait en revanche étonnant que, dans la seconde moitié du XIIe siècle, époque où le duché était partie intégrante de l’empire anglo-angevin, le culte des Sept-Dormants d’Ephèse, relancé à la suite de la canonisation en 1161 de son promoteur le roi Edouard le Confesseur, n’ait pas été connu en Bretagne, d’autant qu’il s’est vu alors en quelque sorte « doublé » d’une dévotion aux Sept-Dormants de Marmoutier qui en constituait la pieuse contrefaçon locale et dont la diffusion a pu être assurée par le réseau prioral de l’abbaye tourangelle, sans préjuger de la fidélité au modèle hagiographique en question : ainsi, il est intéressant de noter que la paroisse de Kergrist, où l’on honorait, comme on l’a dit, un groupe de sept saints réputés frères, était, depuis 1205 au moins, une  possession du prieuré Saint-Martin de Josselin.


Un terroir d’élection, un terrain d’action

Le tropisme dont il a été question plus haut recouvre une réalité historique tant sur le plan de l’organisation ecclésiastique que sur celui de l’organisation féodale de la Bretagne au premier siècle des ducs capétiens ; en outre, il s’inscrit dans une dimension plus large de reconquête du terrain de la dévotion laïque par le clergé. Il reflète ainsi une situation dont l’évolution a été très rapide et qui n’a pas perduré au-delà de la guerre de Succession du duché, comme en témoigne indirectement la pauvreté documentaire postérieure. Sous le règne de Pierre Mauclerc, l’organisation ecclésiastique bretonne avait enfin rompu avec les prétentions métropolitaines de Dol, mises à bas en mai 1199 par la sentence du pape Innocent III ; mais Dol conservait la primauté entre les différents évêchés de Bretagne et défendait jalousement ses prérogatives. La lutte engagée par le prince à l’encontre de la plupart des prélats bretons vint souvent au renfort des tendances anticléricales et anti-épiscopales qui se dessinaient alors, sinon dans la population, du moins au sein de l’aristocratie nobiliaire, en particulier à Saint-Brieuc et à Tréguier.

Guillaume Pinchon, qui occupait depuis 1220 le siège épiscopal de Saint-Brieuc, fut en butte, aux dires de son hagiographe, à la « malice des tyrans » (malitiam tyrannorum) et contraint, vers 1227, d’abandonner son diocèse jusqu’en 1230 ; sa mort en 1234 l’a probablement préservé d’un nouvel exil, auquel furent alors contraints les évêques de Tréguier et de Saint-Malo. Le personnage fit l’objet d’une procédure qui aboutit à sa canonisation en 1247 : les procès-verbaux correspondants n’ont pas été conservés, mais le saint s’est vu doter d’une vita composée, sinon par un proche, du moins par quelqu’un qui a certainement eu accès aux éléments recueillis lors de cette enquête. 

En 1221, Etienne, ancien archidiacre de Tréguier, à peine élu sur le siège épiscopal du lieu et dont l’élection était d’ailleurs contestée par plusieurs membres du chapitre, avait obtenu du pape Honorius III l’autorisation d’absoudre les clercs de son diocèse, excommuniés pour concubinage ou pour avoir porté des habits ornés ; plus tard (vers 1228) l’évêque Etienne ayant excommunié un des séides locaux de Pierre Mauclerc, à savoir Olivier de la Roche-Derrien, ce dernier à la tête d’une bande armée et qu’avaient rejoint des roturiers, s’en vint piller Tréguier et nomma un anti-évêque à la place du prélat qui l’avait sanctionné : une partie du diocèse se rallia à l’intrus et Etienne prit la fuite. Revenu à Tréguier en 1230, il connaîtra un nouvel exil en 1234, mais beaucoup plus court, avant de rentrer définitivement en possession de son diocèse.

En outre, il est assez facile de constater que la géographie des attestations successives du culte des Sept-Saints de Bretagne correspond aux zones d’influence respective de la maison d’Avaugour (dans le Trégor oriental et dans le Goëllo) et de la branche cadette de la maison de Dinan (dans le Trégor occidental et dans le Penthièvre). Le premier seigneur du nom d’Avaugour, Henri, et son frère, Geoffroy Boterel, apanagiste de Quintin ont particulièrement contribué à l’effort engagé par l’Église pour subvertir certaines pratiques dévotionnelles des laïcs, d’abord en adhérant à l’idée de Croisade, puis en favorisant le couvent des franciscains de Dinan. Henri et Geoffroy ont également renforcé cette démarche en dotant le sanctuaire de Quintin d’une relique insigne qui fut à l’origine, en Bretagne, du plus important pèlerinage marial de l’époque ; peut-être l’ont-ils encouragée plus encore par leur adhésion au culte des Sept-Saints de Bretagne ?


Un pèlerinage adventice

Ce culte en effet, pour avoir sans doute avant tout servi à justifier la prééminence de Dol dans la seconde moitié du XIIe siècle, n’avait pas fait l’objet jusque-là d’un intérêt particulier, surtout dans les classes populaires : l’affirmation contraire d’Alanus de Insulis souligne involontairement que nous avons affaire en l’occurrence à un argument de clerc, à peine fondé, comme c’est d’ailleurs le cas dans les autres manifestes dolois de l’époque, dont les auteurs  ne prenaient même pas la peine de vérifier les références qui servaient à justifier leurs assertions. 

Parce qu’elle avait radicalisé le pèlerinage hiérosolomitain sous la forme cathartique de la Croisade, laquelle ne pouvait en aucune façon constituer la norme, l’Église éprouva le besoin de canaliser la dévotion populaire au travers de pèlerinages de « substitution », dans un contexte plus autochtone ; on assista également à un renforcement de la vénération de reliques authentifiées, qui procédait de la même démarche substitutive. Très vite, le culte des reliques ne parut plus être possible en dehors de l’approche pérégrine : les deux phénomènes se sont dès lors inscrits dans le cadre général de « ce déplacement du lointain vers le proche » (formule empruntée à G. Provost) qui marque l’évolution du pèlerinage occidental à la fin du Moyen Âge. En témoigne, à partir du XIe siècle, l’essor de Compostelle où il était également question, à l’origine, de sept saints : les sept disciples de saint Jacques, qui avaient recueilli son corps après son martyr et l’avaient transporté en Galice. D’autres sanctuaires ont drainé les foules pérégrines, en particulier les sanctuaires mariaux : Notre-Dame de Rocamadour ou Notre-Dame de Chartres.

La Bretagne a connu un peu plus tardivement des manifestations similaires : à la fin du XIIe siècle, le pèlerinage à Saint-Mathieu de Fine-Terre, où l’on allait vénérer le « chef » de l’Évangéliste, dans un contexte symbolique et spatial qui n’est pas sans rappeler Saint-Jacques de Compostelle ; puis, vers le milieu du XIIIe siècle, le pèlerinage à Notre-Dame de Quintin, où l’on allait vénérer la ceinture de la Vierge. 

Nul doute que les cathédrales ne fissent également l’objet de visites de la part des populations diocésaines, notamment lors de la fête patronale du lieu ; mais il est bien certain que le déficit en reliques authentifiées, jugé jusque-là de peu d’importance, fut bientôt ressenti comme un grave préjudice par les prélats et leurs chapitres : outre qu’il ne favorisait guère la perception des aumônes, ce déficit encourageait les fidèles à plutôt continuer de solliciter leurs saints « locaux », d’une authenticité souvent discutable et qui, de surcroît, pouvaient faire parfois l’objet de pratiques dévotionnelles hétérodoxes. A Vannes, vers la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle, on a ainsi éprouvé le besoin de rappeler, sans doute à l’initiative de l’évêque Guéthénoc, que le trésor de la cathédrale conservait des reliques précieuses entre toutes, données par le roi Clovis à saint Patern, à savoir une partie du vêtement du Christ et une partie du vêtement de la Vierge, une dent de saint Pierre, des cheveux de sainte Marie-Madeleine ainsi que des reliques de saint Maurice et de ses quatre compagnons Exupère, Candide, Victor et Innocent.


Retour des reliques des Sept-Saints de Bretagne

C’est à cette époque que les évêques de Bretagne se sont préoccupés de rapatrier des reliques authentifiées des fondateurs de leurs sièges épiscopaux. Dès avant la fin du XIIe siècle, Eudon avait obtenu que fut distraite une partie des reliques de saint Paul Aurélien conservées au monastère Saint-Benoît de Fleury. Pour sa part Guéthénoc était allé reconnaître à Issoudun celles de saint Patern et ramena à Vannes des fragments du crâne et deux os longs ; ce prélat fut peut-être également à l’origine du retour d’une partie des reliques de saint Guénaël. En 1210, Pierre alla reconnaître à l’abbaye Saint-Serge d’Angers les reliques de saint Brieuc et obtint la restitution d’une partie de la tête, d’un bras et de deux côtes ; en 1219, enfin, l’influence de Rainaud, chancelier de Pierre Mauclerc, récemment élu pour occuper le siège de Quimper, permit d’obtenir le retour dans la cité épiscopale d’un bras de saint Corentin. 

Des reliques de saint Samson étaient conservées à Dol dès avant 1203, peut-être distraites sous le règne de Henri II Plantagenêt de celles conservées, depuis l’époque du roi anglo-saxon Athelstan, à l’abbaye de Milton (Dorset) : Guillaume de Malmesbury en fait mention vers 1125 dans son De gestis pontificum Anglorum. Les reliques doloises furent dérobées par des pillards lors de la prise et de l’incendie de la cathédrale de Dol par les soldats de Jean sans Terre, en septembre 1203 ; mais un puissant baron anglo-normand, Philippe de Colombières, les enleva aux voleurs et les remit entre les mains de l’archevêque de Rouen, lequel finalement les restitua à l’évêque de Dol, comme en témoigne un acte de janvier 1223. Par ailleurs, à l’époque où Yves de Kermartin exerçait les fonctions d’official de Tréguier, à la fin du XIIIe siècle, étaient conservées dans la cathédrale du lieu les reliques de saint Tugdual que l’hagiographe de la première moitié du XIIe siècle localisait pour sa part à Chartres et à Château-Landon : leur retour, au moins pour une partie d’entre elles, était donc intervenu dans une fourchette chronologique large qui inclut les précédentes translations. 

Ainsi, vers 1225, c’est-à-dire sensiblement à l’époque de la première attestation datée du culte des Sept-Saints de Bretagne, nous savons que cinq au moins des sept sièges épiscopaux bretons avaient récupéré depuis la fin du XIIe siècle des reliques de leur saint « fondateur » ; probablement en avait-il été de même en ce qui concerne le sixième, Tréguier. Là encore, il paraît assez difficile de conclure à une simple coïncidence.


Un faible engouement populaire

En tout état de cause, le culte des Sept-Saints de Bretagne a pu connaître dès les premières décennies du XIIIe siècle un succès d’estime dont témoigne, outre les autels qui leur étaient consacrés dans les différentes cathédrales bretonnes, l’érection de plusieurs « basiliques » placées sous leur invocation collective : ainsi en est-il du sanctuaire que différents testaments aristocratiques de l’époque permettent de localiser à l’est du diocèse de Saint-Brieuc, très vraisemblablement à Morieux (C.-d’A.) ; mais, tandis que les cathédrales ont continué de drainer les foules pérégrines à l’occasion de l’exposition des reliques de leurs fondateurs respectifs, l’oubli précoce et complet dans lequel a sombré le sanctuaire de Morieux, sans doute pourtant le plus notable d’entre tous, atteste que le pèlerinage suscité par l’Église autour du culte des Sept-Saints de Bretagne n’a jamais provoqué un véritable engouement au sein des populations bretonnes : pratique dévotionnelle factice en association avec un culte tardif, lui-même superficiellement substitué et en même temps irréductible aux différents cultes d’autres groupes de sept saints, concurrencé par des stratégies plus efficaces engagées par l’Église pour subvertir les dévotions populaires, le pèlerinage n’a pas perduré beaucoup au-delà de la période où la société bretonne a connu l’apogée de son acculturation chrétienne, dans les premières décennies du XIVe siècle.
 
Il n’y a pas de raison de douter de la réalité d’un concile provincial réuni, selon l’interpolateur de la vita de saint Hoarvé, « à l’endroit qui porte le nom de montagne de Bré, au sommet de laquelle fut construite en souvenir une chapelle en l’honneur des Sept-Saints de Bretagne » et dont le souvenir nous a été également conservé par un épisode de la vita plus ancienne (XIe siècle) de saint Patern qui décrit « les sept évêques de la Létavie » se réunissant sur une montagne pour confirmer leur perpétuelle unité provinciale. De son côté, l’interpolateur de la vita de saint Hoarvé présente ce concile comme « une assemblée d’évêques et de peuple pour excommunier Commore, le préfet du roi », personnage que tout un courant de l’hagiographie bretonne présente comme un criminel, un usurpateur et un tyran : la proximité d’un toponyme Commore, dans l’actuelle commune de Tréglamus (C.-d’A.), est sans doute à l’origine de l’interprétation donnée par l’hagiographe du motif de cette réunion. La chapelle n’est pas encore mentionnée dans une charte donnée en faveur de l’abbaye de Bégard par Conan IV, qui pourtant confirme aux moines la possession de « la grange de Saint-Efflam, avec toutes les terres situées à l’entour et sur la montagne de Bré » ainsi que de la grange de Louargat « de l’autre de la montagne « ; mais c’est bien vers ce lieu hautement symbolique que les trégorois contemporains d’Yves de Kermartin ont pu d’abord diriger leurs pas. Ce qui n’exclut nullement de leur part des déplacements vers les autres « basiliques » concernées. En outre, il faut remarquer que, dès le milieu du XVe siècle, la chapelle du Méné Bré était placée sous le patronage de saint Hervé, peut-être à la suite d’une confusion provoquée par la présence sur place du tombeau d’un abbé de Bégard nommé Hervé, mort en 1370 ; cette substitution de vocable constitue un nouveau témoignage du déclin très rapide du pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne. 

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En conclusion, quelle explication trouver au tropisme que nous avons largement souligné et qui limite aux seuls évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc l’essentiel de la documentation disponible ? Sous l’influence de plusieurs puissants barons locaux, dont les lourds revers dans leurs conflits successifs avec les Plantagenêt puis les Capétiens avaient exacerbé les interrogations spirituelles, cette zone paraît avoir constitué dès le dernier tiers du XIIe siècle le terrain où l’action des laïcs, relayée plus tard par le véritable « activisme » des mendiants — en particulier des franciscains — s’est exercée de manière à développer le culte et le pèlerinage des Sept-Saints de Bretagne : culte que l’on a ainsi tenté de substituer ici et là à des dévotions populaires plus anciennes, très éclectiques et, à l’évidence, très souvent empreintes de ce que l’institution qualifiait de superstition ; pèlerinage dont il faut sans doute reconnaître une manifestation dans l’assemblée du Méné Bré, telle qu’elle est décrite par l’interpolateur de la vita de saint Hoarvé. Il convient de souligner que le même terrain, « travaillé » par les mêmes agents, se confondra un peu plus tard avec l’aire géographique de la tentative d’implantation du culte de Charles de Blois, dont le succès populaire fut, là encore, très limité ; et qu’il est difficile de ne pas reconnaitre derrière ces différents phénomènes l’emprise tout autant politique que religieuse de la maison de Penthièvre-Goello-Avaugour et de ses affidés sur le terroir concerné.


André-Yves Bourgès

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