"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

18 novembre 2007

Un autre saint « politique » : saint Gurval, évêque d'Aleth, honoré à Guer

Le dossier de saint Gurval, honoré à Guer, est particulièrement pauvre : une courte vita en trois leçons transmise par le Propre malouin de 1615, dont la matière avait été empruntée à un légendier plus ancien (ex veteri legendario macloviensi), lequel a fourni également les biographies de saint Malo, de saint Méen, etc. On peut voir, à partir de son texte sur saint Sulin (il s’agit en fait de saint Sulian/Suliau), comment travaillait l’auteur du Propre de 1615 : on conserve en effet une autre version de la vita de ce saint, qui figurait dans le bréviaire malouin imprimé de 1537, et qui, au témoignage du chanoine Doremet en 1628, provenait « de notre vieil légendaire ». Les deux compilateurs ont à l’évidence abrégé le même texte ; mais le choix de celui de 1615, à l’opposé de celui de son prédécesseur, est de privilégier la dimension galloise de cette vita et de passer sous silence ce qui se rapporte aux relations de son héros avec saint Samson : sa « fascination » (comme l’a écrit G.H. Doble) pour la légende de saint Tysilio va même jusqu’à lui faire substituer la date de la fête de ce dernier à celle de la tradition continentale.


Vie et culte de saint Gurval

Saint Gurval, quant à lui, est présenté comme l’ancien condisciple (sous la férule de saint Brandan) et l’immédiat successeur de saint Malo sur le siège d’Aleth ; mais, ayant lui-même remis sa charge épiscopale entre les mains de son archidiacre Coalfinith, il s’en va, en compagnie de plusieurs prêtres, à la recherche d’un certain monastère de son diocèse dans le pays de Guer (quoddam suae diocesis monasterium in pago Guernio constructum expetiit, pluribus secum ductis sacerdotibus). Sur place, il continue d’être l’objet de la vénération des populations, attirées par sa sainte conversion ; mais « souhaitant effacer le souvenir de son épiscopat » (episcopatus sui notitiam deferere cupiens), il laisse à Guer douze prêtres et s’éloigne avec les autres vers un autre lieu non nommé. Finalement, il s’installe dans une « caverne » (in speluncam), où il accomplit de nombreux miracles. Pas de détail sur sa mort, ni sur sa sépulture, ou encore sur ses éventuelles reliques.

On peut bien sûr reconnaître ici, au moins partiellement, les effets de la méthode de travail du compilateur de 1615, dont nous avons dit quelques mots ; mais il nous semble surtout que la source à laquelle il a puisée devait être singulièrement pauvre pour amener chez l’écrivain cette remarque en forme d’aveu sur le fait que c’est le saint qui aurait lui-même chercher à effacer toute trace de son épiscopat.

Que savons nous par ailleurs de saint Gurval et de son culte au Moyen Âge ? Il était honoré à Guer depuis 1124 au moins, car l’église du lieu est alors placée sous son vocable, et quelques reliques en sont conservées sur place dans un reliquaire de la première moitié du XVe siècle, en bois recouvert de plaques d'argent partiellement dorées.

Sur la face antérieure sont appliqués et maintenus par trois clous, huit phylactères gravés en lettres gothiques dont les inscriptions viennent identifier les reliques de plusieurs saints que des ouvertures permettent d'entrevoir :

- 1/ DE RELIQUIS BEATI BARTHOLOMEI ;

- 2/ DE RELIQUIS S (ANCT) I GURVALI ;

- 3/ DE RELIQUIS S (ANCT) I ANDREE ;

- 4/ DE RELIQUIS S (ANCT) I NICOLAI DE BAR (I) ;

- 5/ RELIQUIE DE COLOMNA UBI DOMINUS NOSTER HESUS CHRISTUS FUIT FLAGELLATUS ;

- 6/ DE LAPIDE SEPULCHRI DOMINI NOSTRI JESU XRI ;

- 7/ RELIQUIE SANCTA APOLINIA ;

- 8/ DE MM RELIQUIE SANCTARUM VIRGINUM ET MARTIRUM EUFEMIE DEROTHE TECLE ET C (A) TARINE.

Les abbayes de Saint-Méen et de Montfort, dans le diocèse de Saint-Malo honoraient quant à elles, à la date du 7 juin pour la première et du 6 juin pour la seconde, un saint Gudual (Guidgali episcopi ou sancti Gutuuali episcopi et confessoris), personnage à qui elles reconnaissaient la qualité d’évêque en conformité avec sa vita. Or, sur la base d’une vague homophonie, les chanoines malouins chargés au XVe siècle de la refonte du sanctoral diocésain ont intégré le nom de saint Gurval dans la liste des évêques d’Alet à cette même date du 6 juin, comme en témoigne la notation Sancti Gurvali episcopi Macloviensis dans le calendrier du missel manuscrit diocésain ; cependant, la vita de saint Gudwal, personnage par ailleurs largement honoré dans le diocèse de Vannes, ne présente aucun point commun avec la vita de saint Gurval, personnage exclusivement honoré à Guer, dans le diocèse de Saint-Malo, mais aux confins du Vannetais.


Epoque et circonstances de la composition de la vita de saint Gurval

Il ne nous paraît pas improbable en conséquence que l’auteur de la vita de saint Gurval se soit attaché à doter l’église de Guer d’un « mode d’emploi » de son reliquaire (formule que nous empruntons à B. Merdrignac) ; et se soit appuyé précisément sur l’existence de reliques d’un saint inconnu par ailleurs pour doter saint Malo d’un et même de deux successeurs ad hoc : si l’on retient l’hypothèse que l’introduction de saint Gurval dans la liste épiscopale de Saint-Malo date du XVe siècle, il s’agissait peut-être de défendre à Guer les intérêts du diocèse, menacés par le projet d’érection d’un évêché à Redon (1449).


André-Yves Bourgès

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