Le blog Hagio-historiographie médiévale est heureux de publier ci dessous une notule de notre ami Bertrand Yeurc'h.
Dans le cadre de nos recherches sur l'armorial
breton du manuscrit l'Argentaye [1],
notre route a croisé celle de saint Malo. Le début de ce texte a pour but
d'expliquer l'origine des hermines héraldiques bretonnes. Il relate l'histoire
d'une reine de Bretagne devenue veuve, qui confia secrètement, par peur pour
leur vie, ses deux fils, enveloppés dans un manteau d'hermine, à l'évêque de
Saint-Malo, leur oncle qui les baptisa et les éleva. Devenu grands, ils furent
présentés au monde lors d'un tournoi à Paris utilisant les hermines comme
armoiries. L'évêque de Saint-Malo les présenta au roi, qui fit alliance avec
eux. Puis ils rentrèrent en Bretagne où ils furent bien accueillis.
L'évêque
malouin est peut-être une allégorie de saint Malo, dont le nom, bien avant
celui de saint Yves, servait de cri de
guerre. Les sources littéraires et en particulier les chansons de gestes, dont
les plus anciennes datent du xiie siècle,
sont abondantes à ce sujet : Girart de Roussillon, « les bretons
crient Malo ! » [2] ;
Aspremont, « Lors ont breton lor anseigne escriee, / C'est « Seinz
Malo ! », qui est de lor contree » [3] ;
roman de Rou, « et bretun : Maslon, maslon ! Crient » [4] ;
la chanson des Saxons, « là fu bien escriez de Brotons sanz Malax [ms.
A : Mallaus] ! » [5] ;
Beuves de Commarchis, « Et Hunaus Saint Malo, le cri de son
pays » [6] ;
l'entrée d'Espagne, « saint Machot ! […] saint
Machloit ! » [7] ;
la chevalerie Ogier de Danemarche, « Et saint-Malo hautement
Salemons » [8] ;
le livre des miracles de Notre-Dame de Chartres, « ce sont bretons ne de
Breteigne / de seint Mallon portent lenseigne » [9] ;
le bon Jehan, « Malo, Malo au riche duc ! » [10].
Saint Malo jouait alors pour les bretons un rôle équivalent à celui que joua
saint George pour les anglais. Avant d'être confronté à ce rôle prééminent de
saint Malo, nous nous attendions plutôt à rencontrer saint Samson, évêque de
Dol
Malo
était patron d'une église à Rome (San Macuto) dès 1192 [11],
ce qui donne un autre indice de son ancienne prééminence. Il semble que ce
soit, de plus, la seule paroisse d'Italie usant de ce vocable. L'unique autre
saint breton pour lequel fut consacrée une église romaine est Yves (Sant'Ivo
dei Bretoni). Il y a donc, comme avec les cris de guerre, un passage de relais
entre Malo et Yves.
La
raison de l'invocation de Malo par les Bretons nous est inconnue, mais ce choix
remonte au moins au milieu du xiie
siècle, donc plus de 150 ans avant l'adoption des hermines par les ducs de
Bretagne. Il nous semble que l'aura de Malo a été jusqu'ici quelque-peu sous
estimée, en partie à cause de son remplacement par Yves comme patron de la
nation bretonne. Il serait intéressant que des hagiologues se penchent sur
cette ancienne prééminence de Malo par rapport aux autres saints bretons et en
particulier à Samson. Par exemple, une reprise du dossier de l'érection de Dol
en métropole bretonne permettrait certainement de renouveler l'idée que nous
nous faisons des rapports de forces entre l'ancien évêché d'Alet et l'abbaye
doloise.
Bertrand Yeurc'h
[2] P. Meyer, Girart de Roussillon: chanson de
geste traduite pour la première fois, Paris, 1884, ccxxxiv-351 p. (147,
p. 83).
[4] F. Pluquet, Le roman de Rou et des ducs de
Normandie par Robert Wace, poète normand du xiie siècle publié pour la première
fois, d'après les manuscrits de France et d'Angleterre avec des notes pour
servir à l'intelligence du texte, Rouen, 1827, 2 t. (7845).
[5] F. Michel, La chanson des Saxons par Jean
Bodel, publiée pour la première fois, Paris, 1839, 2 t. (t. i, p. 195).
[6] M. Scheler, Bueves de Commarchis par Adenés li
Rois : chanson de geste publiée pour la première fois et annotée,
Bruxelles, 1874, xvi-187 p.
(3775).
[7] A. Thomas, L'entree d'Espagne : chanson de
geste franco-italienne publiée d'après le manuscrit unique de Venise,
Paris, 1913, 2 t. (8570 et 8607).
[8] La chevalerie Ogier de Danemarche par
Raimbert de Paris : poëme du xiie siècle, Paris, 1842,
2 t. (12694).
[9] P.-A. Gratet-Duplessis, Le livre des miracles de
Notre-Dame de Chartes, écrit en vers, au treizièle sicèle par Jehan Le
Marchant, publié pour la première soi d'après un mansucrit de la bibliothèque
de Chartes, Chartres, 1855, xxvii-lxiv-318 p. (p. 102).
[10] J.-M. Cauneau et D. Philippe, Chronique de l'Etat breton :
le bon Jehan et le jeu des échecs, Rennes, 2005, xviii-602 p. (1166 et 2224).
[11] B.-A. Pocquet du Haut-Jussé,
« L'église Saint-Malo de Rome (San-Macuto) », Mélanges
d'archéologie et d'histoire, t. 36, 1916, p. 85-108 (p. 88).
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